Soutenons Le Mur et sa réalisatrice, menacée par la censure
C’est très tardivement que j’ai appris l’existence du film de Sophie Robert « Le mur, la psychanalyse à l’épreuve de l’autisme » (1), qu’une frange de psychanalystes veut faire interdire. Cette tentative de censure est aussi scandaleuse qu’inquiétante pour tous ceux qui pensent que les controverses se règlent par la confrontation d’idées, et non pas devant les tribunaux.
Le peu de réaction des médias face à l’action intentée en justice contre Sophie Robert a inspiré à l’ami Jean-Louis Racca, de l’Observatoire zététique, deux billets sur le blog qu’il vient de créer pour la circonstance (2): comment expliquer par exemple que Charlie Hebdo (3), qu’on croyait pouvoir classer parmi les journaux impertinents, à défaut d’être subversif, ne trouve rien à redire à la tentative de censure, y voyant au contraire le moyen d’ «ouvrir l’horizon de cette guerre de tranchées ( que ce mènent pro & anti-psychanalyse ) » ?
Même si j’étais en désaccord avec le contenu du Mur, je soutiendrais Sophie Robert, question de principes. Mais j’ai bien sûr visionné le film pour me faire ma propre idée sur les accusations de malhonnêteté et de manipulation, voire, pour Caroline Eliacheff, « une pure escroquerie qui serait risible si le sujet n’était aussi grave » (4).
Toujours selon Eliacheff, la manipulation proviendrait du montage, « l’une de ses techniques a consisté à refaire hors champ une question concernant l’autisme en donnant comme réponse des phrases tronquées extraites d’un autre contexte ».
« Propos sortis de leur contexte », la bonne vieille tarte à la crème des gens qui se lâchent et regrettent après coup leur franchise momentanée. Il est pourtant extrêmement difficile de croire que les psychanalystes interviewés aient été roulés dans la farine. La question de l’autisme n’est en effet qu’un des angles d’un documentaire en plusieurs parties que Sophie Robert comptait réaliser. Même si les questions ont été reformulées au montage, elles collent tout-à-fait aux réponses des personnes interviewées. La thèse de la manipulation est donc une fable éliachevienne.
De son côté, Aldo Naouri prétend : « Cependant, dans le cadre de l’interview que j’ai accordée en confiance à la réalisatrice Sophie ROBERT, il n’a été à aucun moment question d’autisme dès lors que mes propos, bien plus nuancés qu’ils ne paraissent, étaient destinés à s’inscrire dans un documentaire sur la psychanalyse pour ARTE et non pas sur « la psychanalyse à l’épreuve de l’autisme » (5). Pourtant, il parle bien d’autisme, et répond bien à des questions sur l’autisme, non ?
Certes, les psychanalystes ne sont pas à leur avantage dans le film, mais à qui la faute ? La thèse de la caricature ne tient pas davantage la route , car malheureusement, les psychanalystes interrogées sont assez grands pour se caricaturer tout seuls. Les réponses sont d’une grande spontanéité, non soutirées, parfaitement construites par leurs auteurs , et de plus en parfaite adéquation avec les thèses défendues par les principaux auteurs de la psychanalyse sur le sujet. Et pour tout dire, on se demande quels propos plus nuancés absents après montage du film, pourraient contrebalancer les thèses de Bettelheim, Freud ou Lacan parfaitement assumées par les interviewés, ou des interprétations biologiques qui confinent au ridicule. Ou quels propos cachés par Sophie Robert pourraient rendre moins insoutenables les fientes lacaniennes de l’esprit lâchées par une certaine Geneviève Loison ?
Restent à savoir pour quelles raisons des psychiatres-psychanalystes s’insurgent contre un documentaire qui restitue assez fidèlement leurs propos et leurs idées sur la question. S’ils se sont lâchés, c’est peut-être parce qu’au départ, le documentaire devait être pour ARTE. Dans la ligne bobo cucul-turelle de cette chaîne, on aurait pu imaginer les mêmes propos enrobés d’un discours bienveillant propre à endormir le spectateur moyen. Mais dans un film réalisé par Sophie Robert, et produit suite au refus des télévisions par une association connue pour son hostilité aux méthodes psychanalytiques, les rois du divan sont nus, et les préjugés misogynes d’un autre âge érigés en théories abracadabrantes apparaissent pour ce qu’ils sont réellement.
Anton Suwalki
A lire également à propos du Mur :
Autisme : les « délires scientifiques » des psychanalystes, par Brigitte Axelrad
Notes :
(1) http://www.autistessansfrontieres.com/lemur-site-officiel.php
(2) http://blogs.mediapart.fr/blog/JEAN-LOUIS%20RACCA
(4) http://blogs.mediapart.fr/blog/taky-varsoe/101211/le-mur-un-film-de-propagande