Les ravages des faux souvenirs, ou la mémoire manipulée (1), de Brigitte Axelrad
Note de lecture :
Dans les années 1980, une vague d’accusations d’abus sexuels déferle aux Etats-Unis. A l’issue de psychothérapies fondées sur les« thérapies de la mémoire retrouvée », des adultes se « souviennent » avoir subi au cours de leur enfance des abus sexuels de la part de leurs parents.
En quelques dizaines de pages et sous forme de questions/réponses, Brigitte Axelrad, professeur de philosophie et de psychosociologie, expose les bases théoriques et la manipulation mentale des TMR.
Au départ, la théorie de l’inconscient de Freud, sondeur de l’âme des bourgeoises viennoises en proie à l’ « hystérie », qui conclut à la fin du XIXème siècle que celle-ci avait immanquablement son origine dans un traumatisme de l’enfance refoulé, et que la séduction (un abus sexuel commis par le père) en était invariablement la cause. Puis, après avoir maintes fois extorqué à ses patientes la « preuve » du bien-fondé de sa théorie, Freud abandonna purement et simplement celle-ci et élabora le complexe d’Oedipe, substituant à la séduction le fantasme de séduction, sans remettre le moins du monde en cause sa méthode anti-scientifique d’interprétation de l’inconscient.
Totalement contradictoire avec la première, la seconde théorie de Freud n’en était pas moins arbitraire et dangereuse : dans le cas de la deuxième, des abus sexuels réels peuvent être ravalés au rang d’affabulations d’enfants amoureux du parent du sexe opposé et en rivalité avec le parent du même sexe. C’est néanmoins la première théorie de Freud et les psychothérapies qu’elle a inspirées qui ont produit les dommages les plus visibles à la fin du 20ème siècle.
Aux USA, jusqu’à plusieurs centaines de patients de thérapeutes des TMR par an, généralement des femmes de la classe moyenne, ont accusé des parents d’abus. Au départ, parfois une consultation pour un simple mal-être, puis un scénario tragiquement routinier : grâce au « travail » accompli avec le thérapeute, le patient « comprend » que son mal n’est que le symptôme d’un mal plus profond et refoulé, que le thérapeute finit par faire jaillir et réussit à lui faire admettre par les clefs classiques de la manipulation freudienne et des relations malsaines patient et thérapeute. Si le patient n’arrive pas au souvenir qu’attend de lui son directeur de conscience, il « résiste », il « est dans le déni », et le thérapeute le prévient que son état risque d’empirer s’il ne passe pas aux aveux .
Les allégations d’inceste ainsi obtenues, et qui déchirèrent des milliers de familles, avaient valeur de preuve selon un argument des praticiens des TMR typique de la langue de bois du freudisme orthodoxe : « c’est le subconscient qui produit les preuves… dépression, manque d’énergie, mépris de soi, il n’y a pas d’effet sans cause»… Et ce genre de preuves suffit malheureusement parfois à de prétendus experts des tribunaux.
Fort heureusement, cette vague d’obscurantisme d’inspiration psychanalytique suscita une résistance, et la False Memory Syndrome Foundation fut créée en 1992. Parmi ses membres, des familles de victimes, d’éminents psychiatres, ainsi qu’Elisabteh Loftus, , la psychologue à qui revient le mérite d’avoir prouvé de manière expérimentale qu’on peut fabriquer de toutes pièces des faux souvenirs (2) . Les affaires de souvenirs retrouvés ont quasiment disparu aux USA.
La malléabilité de la mémoire la rend perméable à la suggestion, y compris à la suggestion de souvenirs aussi pénibles que ceux d’abus sexuels. Il est désormais bien établi que même la précision parfois étonnante des souvenirs n’est aucunement garante d’une plus grande véracité.
Brigitte Axelrad remarque qu’il est donc strictement impossible de faire la distinction entre un vrai souvenir et un faux fabriqué par la suggestion, sans corroboration extérieure..
Ce livre devrait être mis entre toutes les mains, à commencer par celles de certains représentants de justice…
Anton Suwalki
(1) Un livre publié par les Editions book-e-book, dans la collection une chandelle dans les ténèbres
(2) Pour plus de détail sur les travaux d’ Elizabeth Loftus, lire notamment : « Les nouveaux psys », ce que l’on sait aujourd’hui de l’esprit humain, Editions Les arènes