Le crépuscule de l’homéopathie ? Médicaments VS grigris homéopathiques
En dehors de l’industrie de la parfumerie, le secteur de la pharmacie est un de ceux qui dépensent le plus en publicité et autres formes de promotion. Selon un rapport de la commission européenne (cité dans la revue Prescrire), sur la période 2000-2007, 23 % du chiffre d’affaires des entreprises pharmaceutiques au niveau mondial ont été consacrés à la promotion, contre 17 % à la recherche et au développement. La comparaison des deux chiffres peut choquer, mais elle ne doit pas faire oublier la signification du deuxième chiffre : la part consacrée à la R&D par le secteur pharmaceutique est énorme. Si on prend les deux mastodontes suisses que sont Roche et Novartis, ils se situaient respectivement au 5ème et 6ème rang mondial en dépenses de R&D en valeur absolue (1), et y consacraient respectivement 19,8% et 17% de leur chiffre d'affaires.
La recherche en pharmacie : longue et coûteuse
Ces chiffres ne sont pas surprenants : la mise au point d’une nouvelle molécule médicamenteuse depuis sa conception jusqu’à son éventuelle mise sur le marché prend entre 10 et 15 ans. Et sur 10.000 molécules obtenues, une seule en moyenne arrive au stade de l’AMM (autorisation de mise sur le marché)
-L’étape de la conception (trouver un nouveau principe actif) prend un an.
-L’obtention de la molécule, par extraction de composé naturel, synthèse, ou hémisynthèse (2) prend un à deux ans.
- L’étape suivante, l’évaluation pharmacologique prend de 2 à 3 ans. Il s’agit d’évaluer la réalité des effets recherchés sur des modèles animaux, des cellules etc… Après confirmation de l’effet positif, la toxicité du produit est contrôlée, en général sur des souris.
- La mise en forme galénique, qui dure environ un an, consiste à rechercher le meilleur mode d’administration et à intégrer le principe actif en produit pharmaceutique prêt à l’emploi.
-Les phases d’étude clinique, au nombre de 3, durent de 3 à 5 ans.
*la 1ère se mène sur des sujets volontaires sains, et permet d’évaluer les effets pharmacologiques du médicament chez l’homme, et d’établir des doses maximales
*la 2ème et 3ème se mène chez des malades, d’abord sur des groupes restreints, puis sur une cohorte importante de patients.
-Sous réserve que toutes ces étapes aient été franchies avec succès, alors un dossier particulièrement étoffé sera soumis aux autorités compétentes en vue d’une autorisation de mise sur le marché. Cette étape prend de 1 à 2 ans.
L’AMM n’est pas un sésame définitif.
Le médicament est ensuite soumis à la pharmacovigilance, c’est-à-dire à la surveillance d’effets indésirables qui n’auraient pas été identifiés avant la mise sur le marché. Pharmacovigilance- évidemment indispensable !- susceptible d’aboutir à un retrait du marché ou à une sévère limitation de la prescription du médicament.
Avec ou sans ces restrictions, l’entreprise bénéficiera de la protection du brevet, qui dure en principe 20 ans, conformément au régime général des brevets, mais dans les faits, plutôt une dizaine d’années, compte tenu du délai réel entre le dépôt du brevet pour la molécule et sa mise effective sur le marché (3). Exceptionnellement, cette protection peut atteindre 15 ans.
Sous réserve, donc, qu’entre temps, une autre molécule ne vienne pas la concurrencer, l’inventeur peut espérer tirer en moyenne un an de revenu par année investie en R&D. La concurrence viendra ensuite des produits génériques. Avec, certes, un petit avantage pour le produit initial.
Tel est le modèle économique classique du médicament que les pourfendeurs feraient bien d’essayer de comprendre avant de dénoncer « Big Pharma ». Parmi eux, on ne s’étonnera de voir figurer en bonne place les partisans de l’homéopathie !
La « recherche » en homéopathie : une coquille vide
Plongez dans les sites internet des grandes entreprises pharmaceutiques : toutes ont une page consacrée à leur activité en matière de R&D. Allez ensuite sur le site de Boiron, le leader mondial de l’homéopathie. Rien de tel. Un article du Canard Enchaîné du 24 avril m’a toutefois donné le lien vers le « document de référence 2018 » du groupe, destiné aux actionnaires et investisseurs (4).
On y apprend au détour que Boiron a résolu la lutte des classes au sein de son entreprise (5)…Très bien ! Mais pour nous, qui ne sommes ni actionnaires ni investisseurs potentiels-question d’éthique- nous retiendrons deux chiffres (bilan 2018- page 24):
- 156 millions d’euros de budget promotionnel, soit plus de 25% du chiffre d’affaires
- 3,8 millions d’euros en « dépenses de recherche »
Boiron dépense donc 40 fois plus en publicité et autre lobbying qu’en R&D ! Avouez tout de même qu’au regard de ces proportions, les turpitudes de "Big Pharma" deviennent toutes relatives !
Enfonçons le clou : pour 1 000 euros de chiffres d’affaires, Roche investit 198 euros. Boiron ? 6 euros !!!
Et encore, on se demande bien en quoi consistent les recherches de Boiron ? Les souches homéopathiques « découvertes » ne reposent que sur l’analogie naïve qui est le principe de base de la discipline : la similitude que l’on peut résumer ainsi : ce qui cause le mal chez un sujet sain, peut guérir un sujet malade souffrant des mêmes symptômes par le même produit très dilué et dynamisé (secoué). Ainsi si une piqure d’abeille provoque un œdème, Apis mellifica 9CH (dilution au 1/1 000 000 000 000 000 000ème ! ) ou 15 CH (dilution au 1/1 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000ème ! ) est censé vous en guérir ! Et ne riez pas, Apis meffica ne contient pas que du venin : Ce sont le dard et la poche à venin de cet insecte qui sont utilisés pour fabriquer ce « remède » (6). On nous explique donc qu’une piqure d’abeille (quelques dizaines de microgrammes) peut être guérie par une solution de venin + quelques cochonneries qui n’en contient plus.
Pourquoi s’embêter à faire des études alors que la loi ne soumet pas l’homéopathie à la règle des preuves scientifiques ? Rappelons que « la thérapeutique classique ou allopathie (7) repose sur la prescription de médicaments ayant fait la preuve de leur efficacité par des essais cliniques dans les indications considérées. En revanche, à ce jour, l’utilisation des médicaments homéopathiques ne s’appuie pas sur de tels essais cliniques, c’est-à-dire sur la médecine basée sur les preuves, mais sur la notion d’usage traditionnel. » (8) . Les homéopathes peuvent donc bien pleurnicher sur le coût d’enregistrement de leurs grigris : de 10000 à 80000 euros par souche (9), c’est dérisoire. Le coût d’un vrai médicament, possédant une nouvelle molécule active était dans les années 2000 de l’ordre de 2,5 milliards de dollars (10).
Vers la fin du statut d’exception du produit homéopathique ?
Reposant sur une théorie fantaisiste qui n’a pas évolué depuis sa fondation il y a plus de 200 ans, l’homéopathie paraissait intouchable en France, malgré l’avis de l’académie de médecine, malgré l’étude du Lancet publiée en 2005, qui concluait que les effets cliniques de l’homéopathie relevaient de l’effet placebo (12). En 2015, un rapport du National Health and Medical Research Council australien a conclu qu’ « il n'y a pas de problèmes de santé pour lesquels il existe des preuves fiables de l'efficacité de l'homéopathie » (13). Depuis 2016, la loi aux Etats-Unis oblige les produits homéopathiques à mentionner sur leur étiquette qu’il n’existe aucune preuve scientifique que les produits fonctionnent (14). En 2017, c’est au tour du Conseil scientifique des académies des sciences européennes de s’exprimer dans le même sens (15).
En mars 2018, 124 professionnels de santé ont signé un appel dans le Figaro contre les médecines dites alternatives, dont l’homéopathie fait partie (16). Ils soulignent le problème que soulèvent ces pratiques alternatives alors que les Codes de déontologie des professions médicales imposent de ne prescrire et distribuer que des traitements éprouvés. A juste titre, ils remarquent que « les thérapies dites alternatives sont inefficaces au-delà de l’effet placebo et n’en sont pas moins dangereuses », et pointent le danger de l’idéologie des prétendument « douces », qui alimentent la défiance envers la médecine conventionnelle basée sur les preuves. On peut à ce sujet faire le lien entre la popularité de l’homéopathie en France et le fait que c’est le pays où la défiance envers les vaccins est la plus élevée.
Elles sont dangereuses enfin, « car leur usage retarde des diagnostics et des traitements nécessaires avec parfois des conséquences dramatiques, notamment dans la prise en charge de pathologies lourdes comme les cancers ».
H.J.-Larson-et-al.-E-Biomedecine-2016
Agnès Buzyn, « incroyablement rationnelle », est sans doute le premier ministre de la santé à se revendiquer sans ambiguïté d’une médecine fondée sur les preuves. Le rapport qu’elle a commandé à la Haute Autorité de Santé (HAS) recommande le dérmboursement de l’homéopathie (17). Agnès Buzyn sera-t-elle assez courageuse et, et surtout, assez soutenue, pour le faire ?
Le lobby homéopathique a évidemment réagi. Le Syndicat national des médecins homéopathes français (SNMHF) a porté plainte (18) contre les signataires de l’appel publié dans le Figaro pour « « non-confraternité et non-respect du code de déontologie » (sic ), et lancé sa propre pétition, signée, entre autres par Xavier Bertrand, ancien ministre de la santé, au nom du pouvoir d’achat des français (19) !
Sur les réseaux sociaux, les homéopathes sont très actifs. Certains réactivent des légendes urbaines, notamment sur la mémoire de l’eau, ou sur un traitement homéopathique qui aurait stoppé net une épidémie de leptospirose à Cuba en 2007. En réalité, les populations avaient « traitées « par homéopathie faute de vaccins disponibles , et la seule étude à l’appui de cette légende fut publiée dans la revue « Homeoptahy » (20). Etude à la méthodologie suffisamment foireuse pour achever de nous convaincre que, décidemment, ce petit monde de l’homéopathie est allergique à la science.
Sans crainte du ridicule, le collectif Safemed crie à la trahison de la HAS (21), celle-ci réclamant des preuves pharmacologiques qu’elle n’est évidemment pas capable de fournir. Quel scandale, n’est-ce pas ?
Personne, pourtant, ne s’est jamais offusqué du fait que l’assurance maladie ne rembourse pas des médicaments dont le « service médical rendu » est évalué comme « insuffisant ». Au nom de quoi les produits homéopathiques échapperaient à cette règle ?
Les cartes sont maintenant dans les mains du Ministre de la Santé. Bon courage, madame Buzyn. Si vous prenez les décisions courageuses qui s’imposent, nous vous applaudirons et j’ouvrirai personnellement une bouteille de Champagne à votre santé. Il est tellement rare par les temps qui courent que la raison l’emporte !
Anton Suwalki
(données 2014)
- l’hémisynthèse part de composés naturels mais en modifie les molécules
- https://www.leem.org/le-brevet-et-la-marque-deux-precieux-sesames
- http://www.boironfinance.fr/Espace-Actionnaires-et-Investisseurs/Communication-financiere/Information-reglementee/Rapports-annuels-et-semestriels/2018/Document-de-reference-2018
- Page 19- « Une autre façon de vivre l’entreprise »
- https://www.topsante.com/medecines-douces/homeopathie/apis-mellifica
- On note au passage la contamination du vocabulaire officiel par le discours des homéopathes, allopathie étant un terme inventé par Hahnemann.
- https://solidarites-sante.gouv.fr/soins-et-maladies/medicaments/le-circuit-du-medicament/article/les-medicaments-homeopathiques
- http://www.lepharmaciendefrance.fr/article/perils-lhomeopathie
(10)https://www.interpharma.ch/fr/faits-et-statistiques/2828-beaucoup-de-temps-et-encore-plus-dargent
(11) http://www.securite-sociale.fr/-A-quoi-correspond-le-Service-medical-rendu-SMR-des-medicaments-
(12) The Lancet, Volume 366, Issue 9487, 27 August–2 September 2005, Pages 726-732
(13) https://www.nhmrc.gov.au/about-us/publications/homeopathy
(16) http://sante.lefigaro.fr/article/l-appel-de-124-professionnels-de-la-sante-contre-les-medecines-alternatives-/
(17) http://sante.lefigaro.fr/article/homeopathie-le-deremboursement-se-profile/
(20) https://safe-med.fr/2019/05/21/homeopathie-trahison/
(21) Homeopathy. 2010 Jul;99(3):156-66. doi: 10.1016/j.homp.2010.05.009.