Médiapart censure un article qui critique l’antivaxx Michèle Rivasi, par Yann Kindo
Yann Kindo, auteur du blog la faucille et le labo, hébergé –et, parfois- censuré par Médiapart (AS).
C’est la deuxième fois que Médiapart me dépublie un de mes billets de blog.
Quand on est abonné à Médiapart, on peut utiliser la possibilité de publier des articles sur un blog personnel, ce que je fais depuis 2010, avec 154 articles publiés à ce jour. Mon blog s’intitule La Faucille et le labo, parce que pour l’essentiel il traite des relations entre science et politique d’un point de vue qui est à la fois marxiste et rationaliste. C’est assez pratique et facile d’utilisation pour un glandu dans mon genre, c’est pour ça que je blogue là et pas ailleurs. Cela ne m’offre aucune visibilité supplémentaire, parce que depuis des années Médiapart a complètement arrêté de mettre en avant le moindre de mes articles, même quand on y trouve, ce qui est plutôt rare sur le Club de Médiapart, de véritables informations nouvelles qui ne sont pas un recopiage ou une répétition de ce que d’autres ont déjà écrit ailleurs. Pour autant, je sais notamment par Facebook que des centaines voire quelques milliers de gens lisent parfois certains de mes articles, et il m’arrive d’en rencontrer par hasard, ce qui est toujours très surprenant pour moi. J’ai appris que des gens qui comptent pour moi me lisent régulièrement, comme par exemple Géraldine Woessner, l’excellente journaliste qui sur Europe 1 et à propos de questions scientifiques fait un travail d’information et de débunkage que Médiapart ne fait plus depuis que Michel de Pracontal n’y travaille plus.
La première fois que Médiapart a dépublié un de mes articles, c’était en septembre 2018. Le journaliste Jean-Baptiste Malet venait de publier dans les Monde Diplomatique de juillet et d’août deux enquêtes à charge contre Pierre Rabhi. Il m’avait contacté par téléphone les semaines précédentes pour dire qu’il avait apprécié mes articles sur le sujet. Comme je suis ardéchois, je suis un peu le cas Rabhi de près, et j’ai reconnu dans un des articles du Diplo des éléments de grille de lecture et des infos brutes que j’avais d’abord avancés sur mon blog. Le Monde Diplomatique ne renvoyait pourtant jamais à mes papiers, mais leur exposition sur le Net a sans doute été démultiplié par le buzz autour de la figure de Rabhi cet été-là... d’où le retour de bâton. Ainsi, un jour de septembre, j’ai appris que Médiapart avait dépublié un de mes papiers, et ce sans explication et sans me consulter auparavant. C’est l’article qui présentait les positions de Rabhi sur le Mariage pour Tous et l’homosexualité, en expliquant que le gourou des bobobios était en quelque sorte « gentiment homophobe ». Je n’ai jamais eu de réponse officielle à mes demandes d’explication sur ce qui dans l’article pouvait bien contrevenir à la charte de Médiapart, ni quel passage pouvait être considéré comme injurieux ou diffamatoire. Comme on me le demandait souvent, j’ai depuis republié cet article en l’expurgeant moi-même et un peu à l’aveugle de quelques passages les plus virulents, au cas où :
Et hier, ça a recommencé.
Cette fois-ci, c’est un article consacré à Michèle Rivasi qui a disparu de la même manière, sans doute là aussi à la suite d’une plainte de la figure titulaire ou de l’un de ses adeptes. Dans les deux cas, c’est deux ou trois ans après leur parution que les articles ont été censurés, preuve que leur contenu diffamatoire avait jusque-là complètement échappé au très sourcilleux Club de Médiapart. Par contre, c’est au moment où d’autres relayaient le contenu de mes articles, et qu’avec plus d’exposition ils nuisaient donc indirectement plus à la réputation de ces personnes, que la censure s’est exercée.
[Note : il paraît que ce n’est pas bien de vouloir nuire à la réputation de quelqu’un, la charte l’interdit.
Pour ma part, j’affirme clairement qu’une partie de mes articles a pour but de nuire à la réputation de Rabhi, de Rivasi, de Bové ou de Shiva, entre autres parce que leur réputation est complètement usurpée.
Mais du coup, pour rester dans le monde des écolos, Médiapart va-t-il retirer de ses colonnes les excellents papiers sur les actes de prédateur sexuel de Denis Beaupin, au motif qu’ils nuisent bien plus gravement à la réputation du bonhomme que mes papiers ne blog ne pourront jamais le faire en ce qui concerne mes cibles préférées ?
De plus, si Médiapart se met à supprimer tous les articles qui d’une manière ou d’une autre « nuisent à la réputation » de quelqu’un, il va pouvoir fermer son Club dans l’heure (puis son journal tout court, parce que faire du journalisme d’investigation qui ne nuise pas à la réputation de, ça va être funky).]
L’article dépublié n’est pas n’importe lequel et c’est un de ceux dont je suis le plus fier, dans le sens où il a pour le coup lancé une alerte (hé hé…) qui a été ensuite largement reprise. Il se trouve que lorsqu’en janvier 2017 je suis tombé je ne sais plus comment sur l’annonce d’une initiative de Michèle Rivasi au Parlement Européen à propos de la vaccination, j’ai de fait été le premier « publieur » à écrire un article sur le sujet et à diffuser la nouvelle : une député écolo invitait au Parlement Européen pour parler vaccination l’escroc Wakefield, qui avait été dépublié et radié après avoir manipulé une étude pour laquelle il avait été rémunéré par un cabinet d’avocats. Son étude visait à démontrer un lien entre vaccination ROR (Rougeole Oreillons Rubéole) et autisme. Depuis, son étude a été plusieurs fois contredite et démolie, comme ça a encore été le cas au Danemark très récemment :
Or, dans le même temps, du fait notamment de la rupture de confiance nourrie par Wakefield et ceux qui comme Rivasi le promeuvent, la couverture vaccinale a reculé et la rougeole a logiquement repris de la vigueur.
Du coup, j’ai écrit un nouveau billet dans lequel je reprends la plume à la place de la rougeole pour remercier Rivasi et faire le point sur l’ensemble de son œuvre en matière de négation du consensus scientifique sur différents sujets. A l’heure où j’écris, ce billet est toujours en ligne :
https://blogs.mediapart.fr/yann-kindo/blog/150219/epidemie-de-rougeole-merci-madame-rivasi
Mais comme Rivasi est deuxième de liste aux européennes pour les Verts, elle est sous les feux de l’actualité et d’autres que moi, avec infiniment plus d’écho, la chargent pour ses prises de position sur la vaccination. C’est ce que vient de faire par exemple Michel Cymes sur le plateau de C’est à vous, où il appelait ses confrères à arrêter de donner la paroles aux antivaxx tout en pointant le rôle néfaste de Michèle Rivasi [voir la vidéo de son intervention sur la page Facebook : Pigeons Pharmaciens]. Médiapart a semble-t-il mal compris le message et a plutôt décidé de censurer mon billet à la place.
Tomber sur Rivasi, c’est aussi ce qu’a fait Agnès Buyzin, la ministre de la santé, à la tribune de l’Assemblée Nationale :
Rivasi aurait donc prévu de porter plainte contre Buyzin pour diffamation. Espérons que cette plainte éventuelle connaîtra le même sort que celle de son camarade des Verts Denis Beaupin, et que le procès sera par effet boomerang l’occasion de faire celui des antivaxx et des dangers qu’ils font courir à la société.
Et donc, à peu près au même moment où Rivasi annonçait sa plainte contre Buyzin, Médiapart dépubliait mon billet qui avait « révélé » les manœuvres de Rivasi pour faire la promotion de Wakefield en utilisant sa place au Parlement Européen. L’initiative avait d’ailleurs débouché sur un bide, et Rivasi avait même été désavouée par son propre groupe parlementaire. Je le racontais à l’époque dans ce billet (toujours en ligne au moment où je rédige ce texte) :
Ce petit travail avait reçu un certain écho, puisque par exemple, sous le titre « Michèle Rivasi, reine de l’alterscience » le Journal International de Médecine avait relayé et cité mes infos. Wackes Seppi avait aussi bien suivi l’affaire sur son blog, sous le titre : « Vaccins, la débâcle Rivasi ».
Si on voit bien dans le contexte actuel ce qui a poussé Médiapart à céder aux probables pressions amicales qui, on le devine, ont été exercées par le clan Rivasi, reste à savoir quel prétexte a été trouvé pour justifier la dépublication de mon papier… avec deux ans de retard.
Il se trouve, ô miracle, que cette fois-ci Médiapart a bien voulu céder à ma demande de justifications et m’a envoyé cette laconique réponse qui vaut son pesant de cacahuètes (attention, le soulignés sont importants, ce sont eux qui pointent le passage problématique précis à l’intérieur du passage précis, et ils sont l’œuvre de mon correspondant qui répond pour Le Club de Médiapart. Je tiens la capture d’écran à disposition si besoin) :
« Exemples d'injures et de désinformation :
Et accessoirement, elle est un danger public, qui a au moins un gros point commun avec Donald Trump…
Du haut de son agrégation de biologie, Michèle Rivasi s’est fait une spécialité de promouvoir différentes facettes de l’alterscience, en contestant systématiquement ce qui est le consensus scientifique sur certains sujets majeurs.
Elle a commencé sa carrière dans ce domaine en participant à la fondation de la Criirad, le principal lobby anti-nucléaire en France, qui a largement contribué à diffuser la légende urbaine selon laquelle les autorités de l’époque auraient menti à propos du passage du nuage de Tchernobyl sur l'Hexagone[1].
(…) »
Ainsi, donc, dans la France de 2019, on ne pourrait plus discuter les opinions d’une personne et dire que celles-ci font d’elle un « danger public ». Tel cureton refuse l’utilisation du préservatif dans la lutte contre le SIDA ? Médiapart ne veut pas qu’on le qualifie de « danger public », ça nuirait à sa réputation. Je remarque quand même que Médiapart est peu soucieux de la réputation du gouvernement qu’il ne craint pas de laisser diffamer, puisqu’il conserve un billet qui dans son titre le qualifie globalement de « danger public » :
https://blogs.mediapart.fr/denis-garnier/blog/010613/le-gouvernement-serait-il-un-danger-public
Sinon, hier, pendant que Médiapart dépubliait mon article, on apprenait que le premier cas mortel de rougeole en France pour 2019 venait juste de se produire :
https://www.ouest-france.fr/sante/sante-premier-deces-du-la-rougeole-en-france-en-2019-6261040
Mais sinon, personne n’est un « danger public ».
Le deuxième argument des censeurs est le plus surréaliste puisque, par quelque bout qu’on le prenne, il me reproche littéralement d’avoir rappelé que Rivasi était agrégée de biologie !!! Là, je ne sais pas bien si on m’accuse de faire de la désinformation ou de la diffamation. Peut-être que le censeur de Médiapart est comme moi et qu’il a du mal à croire que Rivasi soit vraiment agrégée de Sciences Nat, mais pourtant c’est vrai, et sa page Wikipédia rappelle même qu’elle a ensuite enseigné en IUFM (oui, je sais, moi aussi ça me fait le même effet…) :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Mich%C3%A8le_Rivasi
Ou alors le censeur pense-il que cette information est vraie mais diffamatoire, parce que ce serait injurieux de qualifier quelqu’un d’agrégé (dans ce cas, je ferais du coup preuve de cette fameuse « haine de soi » qu’on nous sort à toutes les sauces).
Quoi qu’il en soit, si c’est tout ce qu’ils ont trouvé à redire dans cet article pourtant copieux, ce passage ridicule sur l’agrégation illustre parfaitement qu’il s’agit là d’un choix de censure politique et non d’un quelconque caractère diffamatoire de mon papier.
Enfin, pour leur dernier extrait mis en avant, je me retrouve tout aussi dépourvu. Qu’est ce qui serait faux ou diffamatoire dans mon texte ? La Criirad ne serait pas un « lobby » ? Elle ne serait pas « antinucléaire » ? Elle n’aurait jamais reproché aux autorités françaises d’avoir menti à propos du passage du nuage de Tchenrobyl sur la France ? Ce reproche ne serait-il pas infondé, comme je l’explique en détails dans cet article, qui est un travail d’historien dans les archives du Figaro :
https://blogs.mediapart.fr/yann-kindo/blog/040511/tchernobyl-ce-que-le-figaro-disait-en-1986
Elle est où la désinformation ? Elle est où la diffamation ?
Voilà, j’arrête là.
Le temps que je me trouve un nouvel hébergeur, ce billet est le dernier de la Faucille et le Labo publié sur Médiapart, un journal dont je suis forcément très pressé de me désabonner.
Depuis un moment, ceux qui le lisent ont pu constater une baisse sensible de la fréquence des publications sur ce blog, parce qu’on ne peut pas tout faire dans la vie et que là j’ai plus envie de faire beaucoup de musique plutôt que d’écrire des articles. Alors je ne sais pas trop quand je vais reprendre cette activité plus intensément, mais a priori je donne quand même rendez-vous à mes lecteurs pour d’autres aventures, mais ailleurs.
Yann Kindo