La grippe A(H1N1) par Gilles Mercier
La gestion pour le moins douteuse de la campagne de vaccination contre la grippe A/H1N1 par le gouvernement , combinée avec le sensationnalisme des médias, alternant catastrophisme épidémique et alarmisme sur les prétendus dangers du vaccin, a favorisé la mobilisation des militants anti-vaccination .
L’obscurantisme ayant le vent en poupe, ces discours ont été relayés de façon complaisante , au point que des plaintes collectives aient été déposées pour « tentative d’empoisonnement » et « mise en danger de la vie d’autrui » contre la campagne de vaccination ! Ces initiatives ont été dirigées avec succès par l’association sectaire Politique de vie et son gourou Christian Cotten.
Le véritable bilan épidémique de cette grippe à ce jour , des succès ou des échecs de la campagne de vaccination au niveau international n’est pas encore disponible : les seuls décès enregistrés (environ 13.000 au dernier décompte) ne concernent que les cas avérés et confirmés par prélèvement de personnes contaminées par le virus. Des chiffres qui ne peuvent être comparés aux 500.000 victimes annuelles de la grippe saisonnière , qui reposent sur une estimation de la surmortalité enregistrée en phase avec les épidémies.
Mais la principale victime de cette grippe est sans aucun doute le rationalisme , déjà bien malmené ses derniers temps : de ce point de vue, la campagne anti-vaccination est le prolongement logique des campagnes anti-OGM, anti-nanotechnologies, anti-nucléaire, anti-ondes etc…
Gilles Mercier, chercheur à l’INSERM, syndiqué CGT , s’inquiète de la perméabilité à ces idéologies du courant syndical auquel il appartient . Ce premier article a pour but de clarifier les idées sur la grippe , qui est loin d’être une maladie bénigne.
Son deuxième article, plus polémique, est écrit en réaction à l’interview dans
l’Humanité du docteur Wolfgang Wodarg, épidémiologiste auto-proclamé.
Anton
Première partie :
La grippe A(H1N1)
La grippe.
C’est une maladie qui est banalisée, ses symptômes sont dénués de spécificité et elle revient chaque année à peu près à la même période. La grippe saisonnière c’est en France suivant les épidémies de 1,5 à 8,5 millions de personnes atteintes, le nombre de décès variant de 2000 à 7000. Dans le monde le nombre de décès varie entre 300 000 et 500 000. La grippe n’est donc pas une maladie bénigne.
La grippe saisonnière attaque l’hiver car le froid réduit les capacités de défense des voies respiratoires qui sont la cible du virus. Le froid amenant les hommes à vivre en atmosphère confinée favorise la dissémination du virus.
Le virus provoque des lésions des voies respiratoires supérieures qui sont la cause de difficultés
respiratoires. Pour la plupart des gens malades, l’incubation de un à trois jours, est suivie d’une fièvre élevée qui peut atteindre 40°C. La fièvre est accompagnée de maux de tête, de douleurs musculaires et articulaires d’une toux sèche et d’une grande fatigue. Au bout de 10 jours le malade est à nouveau sur pied, mais la toux et la fatigue peuvent persister pendant plusieurs jours.
Pourquoi la maladie peut elle prendre chez certains des formes sévères pouvant aboutir à la mort ?
Les lésions provoquées par le virus constituent des voies d’infection secondaires par les bactéries qui rencontre un terrain propice dans un organisme affaibli par l’infection virale.
La cible du virus étant les voies respiratoires, toute personne présentant des troubles respiratoires (bronchite chronique, asthme, etc…) risque de voir ces troubles amplifiés par l’infection du virus grippal. Par conséquent les personnes présentant des problèmes de santé chroniques sont fragilisés en cas d’infection grippale. Du fait de l’infection, ces maladies chroniques risquent d’évoluer vers des formes aiguës. Il en est de même dans le cas d’insuffisance rénale, hépatique, cardiaque et du diabète dont les traitements sont décompensés par la grippe. Les atteintes virales peuvent toucher les deux poumons et entrainer une insuffisance respiratoire aiguë. Les personnes âgées peuvent être porteuses d’une maladie chronique susceptible d’évoluer vers des formes graves. Mais à partir des voies respiratoires le virus peut attaquer d’autres structures déclenchant des atteintes neurologiques, cardiaques, gastro-intestinale.
Une étude qui parait dans le numéro de janvier d’ « American Journal of Respiratory and Critical Care Medecine » relate le cas de 21 personnes décédés au Brésil des suites de la grippe H1/N1.
L’ensemble des patients présentait une forme progressive et rapidement fatale. Tous les patients sont morts de lésions sévères des poumons. Certains avaient seulement des lésions sévères des poumons, chez d’autres elles étaient associées à une bronchiolite, ou à une « tendance hémorragique ». Certains patients présentaient une réponse immunitaire aberrante suggérant une réponse inflammatoire exagérée induite par l’infection virale ayant endommagé les tissus pulmonaires provoquant des lésions sévères des poumons et une insuffisance respiratoire fatale.
Tous ces patients décédés avaient des problèmes de santé préalables. 16 souffraient de problème de santé chronique.
La vaccination est une nécessité. Elle diminue considérablement (-70%) les risques d’évolution aiguë et par conséquent mortelle pour les personnes à risque.
Le virus de la grippe
Le virus de la grippe humaine comme beaucoup de pathogènes humains est d’origine animale. Il a infecté l’espèce humaine et s’est adapté à l’Homme avec la domestication des espèces et le développement de l’élevage. L’espèce d’origine est aviaire vraisemblablement le canard. La propriété du virus d’infecter différentes espèces animales, associée aux capacités migratoires du canard et à la cohabitation de l’homme, d’oiseaux d’élevage et de porcs dans des espaces retreints est à l’origine des épidémies récurrentes. Epidémies qui peuvent se transformer en pandémie avec la mondialisation des échanges.
Les premières descriptions répertoriées de la grippe datent d’Hyppocrate au Ve siècle avant NE, depuis elles n’ont cessé de s’accumuler. Le siècle dernier a été marqué par plusieurs épidémies. La première appelée grippe espagnole (virus A. H1/N1) fit entre 1918 et 1919 entre 30 et 50 millions de morts. Ce virus était un virus aviaire ayant acquis le pouvoir d’infecter l’homme. L’absence d’antibiotiques pour combattre les infections secondaires et l’absence d’appareils de ventilation furent la principale cause du nombre particulièrement élevé de victimes. 1956 vit la pandémie de grippe dite asiatique virus (A.H2/N2), puis celle dite de Hong Kong en 1968 et 1969 (virus A. H3/N2).
Ces deux virus étaient moins virulents que celui de la grippe espagnole. 1976 vit aux USA la
première épidémie affectant l’homme d’un virus d’origine porcine (virus A. H1/N1). En 1977
une épidémie toucha en URSS des sujets jeunes. Il s’agissait de la réapparition d’un virus
A H1/N1 contre lequel la fraction la plus jeune de la population n’était pas immunisée. Ce
virus circule maintenant avec le virus A. H3/N2 de Hong Kong. En 1997, une épidémie de
grippe aviaire décima les élevages de poulets en Asie tuant 100% des poulets infectés. Sur
les 18 personnes ayant développé des insuffisances respiratoires, 6 succombèrent. Ce virus
A. H5/N1 avait été identifié 40 années auparavant en Afrique du Sud. Il est réapparu en
2003 au Vietnam et Thaïlande décimant les élevages de volailles. Depuis, le pouvoir
pathogène de ce virus n’a cessé de progresser, par une accumulation de mutations. En 2006,
le premier cas de transmission interhumaine de ce virus fut avéré. Pour l’instant ce virus
H5/N1 reste toujours un virus aviaire.
2008 est l’année de la pandémie d’un virus A H1/N1 issu d’un processus de recombinaisons complexes entre des virus humains porcins et aviaires. Au 1 janvier 2010, 220 décès liés au virus ont
été recensés en France.
Dans le monde la grippe H1/N1 est responsable du décès de plus 13 000 personnes.
Classification virale
Les virus de la grippe sont divisés en 3 classes A, B, C suivant leurs déterminants antigéniques. La classe A est la plus dangereuses, la B est moins sévère quant à la C elle induit des infections respiratoires bénignes.
Que signifient les lettres H et N ? L’hémaglutinine (H) est une protéine présente à la surface du virus qui assure la fixation du virus à la cellule. Elle se fixe sur des récepteurs, les acides sialiques. Ces derniers sont différents suivant les espèces animales. C’est le couple hémaglutinine/ acide sialique qui détermine la capacité du virus à infecter une espèce animale. Pour la classe A, il en existe 16 sous types d’hémaglutinine, chaque sous type présentant des variantes. La neuraminidase (N) est une protéine virale qui libère de la cellule les virus néo-formés. Il en existe 9 sous types. La combinaison des 16 sous types d’hémaglutinine et des 9 sous types de neuraminidase aboutit à 144 combinaisons possibles H/N. Chacune de ses combinaisons présente des variantes de H et de N. Ce qui explique le très nombre de variants du virus grippal.
Pour la classe A, les combinaisons H1N1, H1N2, H2N2, H3N2, H5N1, H7N7, H7N3, H9N3 sont capables d’infecter l’espèce humaine. Les virus de la classe B et C infectent presque exclusivement l’Homme. Le virus H5N1 est un virus aviaire capable d’infecter l’Homme. En effet, alors que dans les dans les parties supérieures de l’appareil respiratoire les cellules n’expriment que des acides sialiques de type humain, dans les parties profondes du poumon, des cellules expriment des acides sialiques de type aviaire. En cas d’infection massive, les virus H5N1 peuvent atteindre les parties profondes du poumon se fixer sur les récepteurs de type aviaire et enclencher des insuffisances respiratoires sévères. Les oiseaux peuvent héberger toutes les combinaisons virales, constituant ainsi un réservoir de souches virales.
Antiviraux (Tamiflu, Relenza)
Par des mécanismes différents ils inhibent la neuraminidase dont l’activité est indispensable au relargage des virus néoformés. Ils ne sont efficaces que s’ils sont administrés très tôt après le début de l’infection.
Evolution du virus
Le génome du virus de la grippe est segmenté en 8 brins d’ARN. La multiplication virale à l’intérieur de la cellule infectée consiste à partir d’un virus infectant à produire des centaines de nouveaux virus qui vont aller infecter d’autres cellules cibles. Au cours de ce processus les protéines virales sont synthétisées en masse et l’information génétique virale est recopiée autant de fois que de particules à produire. Mais la recopie des brins d’ARN n’est pas parfaite. Des erreurs sont introduites qui créent des copies légèrement divergentes du modèle de départ. Ces mutations modifient les protéines virales, qui sont les cibles des anticorps produits lors de l’infection comme lors de la vaccination. Les modifications introduites dans les protéines cibles des anticorps ont pour conséquence que les anticorps ne reconnaissent plus aussi parfaitement ces protéines. L’accumulation des mutations diminue l’efficacité des anticorps produits contre le virus de départ. C’est pourquoi, le vaccin anti grippal n’assure pas une protection constante dans le temps, contrairement aux vaccins dirigés contre d’autres virus dont la séquence du génome n’est pas sujette à la dérive du génome grippal.
Le virus évolue suivant un autre mécanisme appelé la cassure antigénique. L’infection d’une cellule par un virus empêche l’infection par un second virus. Mais ce mécanisme peut être pris en défaut.
Deux virus infectant peuvent donc se retrouver ensemble dans une même cellule. S’il s’agit d’un virus aviaire et d’un virus humain, les virus néoformés peuvent être constitués d’un mélange de brins d’ARN issus du virus humain et du virus aviaire. De plus des processus de recombinaisons entre brins humains et aviaires peuvent se produire conduisant à des brins hybrides. Le virus résultant est un nouveau virus qui peut avoir la propriété de se propager dans l’espèce humaine et qui n’est pas reconnu par le système immunitaire humain. Ce mélange d’informations génétiques se produit dans un hôte intermédiaire cible à la fois des virus aviaires et humains. Cet animal est le porc qui « possède » en outre ces propres virus grippaux. C’est très vraisemblablement chez le porc que se produisent des mélanges et des échanges entre génomes grippaux d’origine animale différente. C’est ce mécanisme qui est à l’origine des épidémies de 1957 et de 1968/1969.
C’est d’Asie et plus particulièrement de Chine qu’émergent les épidémies. Car dans cette région du monde coexistent des élevages porcins, aviaires et des populations humaines importantes.
Surveillance de la grippe
Le réseau mondial sous l’égide de l’OMS est constitué de 116 laboratoires nationaux référents dans 87 pays reliés à quatre centres mondiaux de référence (Atlanta, Londres, Melbourne, Tokyo). En France l’Institut Pasteur pour la partie nord du pays et les Hospices civils de Lyon pour la partie sud sont les deux laboratoires référents auxquels le réseau des groupes régionaux d’observation de la grippe envoie les prélèvements pour analyse. Les souches les plus pertinentes sont envoyées à l’un des 4 centres mondiaux de référence. La synthèse des données recueillies par les centres mondiaux est à la base des recommandations de l’OMS pour la composition du vaccin. Ces recommandations sont envoyées aux firmes pharmaceutiques fabriquant le vaccin.
Vaccination
Le vaccin est un mélange de 3 vaccins. Deux sont dirigés contre deux souches A différentes et un contre une souche B. Le choix des souches est fait par les experts de l’OMS en fonction des souches qui ont précédemment circulé et celles susceptibles d’émerger. L’efficacité vaccinale est fonction de l’adéquation entre les souches choisies pour préparer le vaccin et le virus qui émerge l’année suivante. C’est pour cette raison que contrairement aux autres vaccins, l’efficacité ne peut être voisine de 100%. Et comme l’efficacité du vaccin varie d’un individu à l’autre, son pouvoir vaccinant est renforcé par un adjuvant qui accroit la réponse immunitaire.
Concernant le virus A H1/N1, le vaccin a été préparé à partir du virus isolé et identifié. Son efficacité, de fait, est supérieure à celle du vaccin contre le virus saisonnier.
Concernant la vaccination je renvoie aux liens
http://www.pseudo-sciences.org/spip.php?article1283
http://www.pseudo-sciences.org/spip.php?article1288
http://www.pseudo-sciences.org/spip.php?article1285
Risque de pandémie
Ce risque est constant. Le virus aviaire H5/N1 dont l’extension géographique est considérable peut par réassortiment avec un virus humain être à l’origine d’une pandémie. Bien entendu ceci n’est pas une certitude absolue. Le 20 e siècle a été marqué par 3 épidémies, le 21e siècle a commencé avec une nouvelle épidémie. La facilité des voyages aériens, la mondialisation des transports favorisent l’expansion des germes, des virus à travers la planète. Les Etats doivent se préparer à l’éventualité d’une pandémie grippale. L’OMS émet des recommandations. Chaque Etat décide ou non de les mettre en oeuvre et de la façon de les mettre en oeuvre. Le virus H1/N1 pose la question de sa recombinaison avec le virus H5/N1 ou avec tout autre virus aviaire ou porcin. A moins de contraindre les humains à ne plus voyager, la vaccination est le seul moyen qui limite l’expansion virale et sa probabilité de recombinaison avec un autre virus grippal.
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La façon avec laquelle le gouvernement a communiqué n’a pas aidé à la compréhension des enjeux.
Voulant éviter d’être critiqué pour ne pas en avoir assez fait, il a fait dans la démesure
en commandant un stock vaccinal surdimensionné (même dans le cas d’une vaccination ayant
nécessité deux injections) l’irrationnel est aussi du coté du pouvoir. Les médias et la
presse pour leurs parts ont une responsabilité écrasante. Ils ont d’abord alimenté le
catastrophisme en nous bombardant d’informations alarmistes sur la propagation de la
grippe puis ont relayé les arguties de toute une série de charlatans auto proclamés
spécialistes. Les Français ne savaient plus s’il fallait ou non se faire vacciner. Mais le
développement de l’épidémie avec ses victimes a fait progressivement tomber les
réticences. Le faible nombre de vaccinés résulte des conditions invraisemblables de vaccination (horaires dissuasifs tout du moins au début, insuffisance du nombre de centres). Mais les files
d’attente devant les centres de vaccination montrent que, la rationalité n’a pas disparu.
C’est encourageant !
Gilles
Mercier