Étude du CRIIGEN sur le maïs NK 603 : Une bombe médiatique, et après ? (3ème partie)
Retour aux 2 premières parties :
Troisième partie : l’étude de Séralini et al. , bientôt retoquée par les experts ?
Devant les lacunes rédhibitoires (10) de l’étude de Séralini et al. dont nous avons présenté quelques aspects, les critiques se sont multipliées (11) , et il n’a pas fallu beaucoup de temps à l’agence allemande BfR pour rejeter l’étude (12). Il serait très surprenant que les autres agences d’expertise sanitaire réagissent autrement. Les critiques très sévères de Marc Lavielle (13), mathématicien et membre du conseil scientifique du HCB, sont une bonne indication du sort promis à l’étude :
Discussion sur des résultats opportunément sélectionnés alors même qu’aucune différence statistiquement significative n’apparaît entre le groupe témoin et les groupes traités, absence totale de plan d’analyse statistique d’un côté, de l’autre utilisation pour les paramètres biochimiques d’une méthode d’analyse des données mal maitrisée par les auteurs (14)…
Bref, devant une expérience aussi pauvrement conçue et une interprétation aussi grossière des résultats, l’heure n’est plus vraiment à se demander si les résultats pourraient être reproductibles.
La réponse de GES à ces critiques prévisibles est comme toujours malhonnête : « [je suis] attaqué de manière extrêmement malhonnête par des lobbies » . «Il n’est pas question que ceux qui ont autorisé le (maïs transgénique de Monsanto) NK 603 réalisent la contre-expertise de nos données, car il y aurait un conflit d’intérêt avec leur autorité et leur carrière (15)» . Autrement dit, il ne reconnaitra l’expertise de ces travaux qu’à condition de choisir les experts lui-même : des gens capables d’ignorer les lacunes de son étude, par exemple ?
Vous avez dit étude « peer-reviewed » ?
Si la réponse des experts est assez prévisible, on peut se demander dans quelle mesure leur mobilisation pour de telles choses n’est pas une pure perte de temps. Enfin de compte, c’est bien le CRIIGEN qui détermine le calendrier des agences d’expertise, obligées de se saisir d’urgence de ses études, non pas parce qu’elles apporteraient des faits scientifiques nouveaux, mais seulement à cause de leur impact médiatique. Le problème de ce dysfonctionnement est donc à rechercher en amont, du côté des revues scientifiques qui acceptent de publier des études d’aussi faible qualité .
En 5 ans, GES a réussi à faire passer pas moins de 7 articles (dont la plupart, plus ou moins redondants) dans des revues à comité de lecture (16). Quelquefois, dans des revues jeunes et sans facteur d’impact. Mais ça n’est pas vraiment le cas de la revue Food and Chemical Toxicology, qui a publié sa dernière étude.
Comment une étude de qualité si médiocre par rapport aux standards a-telle pu être acceptée par les pairs qui l’ont examinée ? Un article de Nature (17) publie un début d’explication : un certain José Domingo, qui a managé l’étude, affirme qu’aucun clignotant d’alerte ne s’est allumé pendant le processus de revue par les pairs (18). Ce José Domingo est l’auteur d’une revue critiquant l’insuffisance des preuves de l’innocuité des aliments issus de plantes GM (19) . Soulignons que cette revue brasse très large, de Ian Pryme à Árpád Pusztai, s’interrogeant même sur les risques d’un transfert du transgène à la suite de la consommation d’ « aliments génétiquement modifiés » (20) ! On ne peut que regretter que dans l’esprit du manager, dès lors que l’étude apportait la « preuve » tant attendue d’une toxicité des OGM, toutes les exigences sur la qualité de la preuve s’envolent.
Anton Suwalki
Notes :
(10) selon l’expression de Gérard Pascal
(11) mise à jour régulière des réactions sur le site de Marcel Kuntz :
http://www.marcel-kuntz-ogm.fr/article-nk603-110296439.html
(13) http://www.math.u-psud.fr/~lavielle/commentaires_stat.pdf
Il est d’autant plus difficile de prétendre que ces « critiques émanent des lobbies » que M Lavielle ne s’est pas privé dans le passé de critiquer l’insuffisance à ses yeux de la puissance des tests exigés par les autorités de contrôle.
(14) GES n’en est pas à sa première utilisation funambulesque de méthodes d’analyse des données. Ainsi, une précédente « analyse en composantes principales » (ACP) lui avait permis de découvrir que les mâles et les femelles, c’est pas pareil !
http://imposteurs.over-blog.com/article-34766192.html
(16) La liste (déjà longue) des publications de GES sur les OGM ayant passé le filtre des comités de lecture :
- New analysis of a rat feeding study with a genetically modified maize reveals signs of hepatorenal toxicity ,Archives of Environmental Contamination and Toxicology
Volume 52, Number 4 (2007), 596-602, DOI: 10.1007/s00244-006-0149-5
- A Comparison of the Effects of Three GM Corn Varieties on Mammalian Health
Int J Biol Sci. 2009; 5(7): 706–726.
- How Subchronic and Chronic Health Effects can be Neglected for GMOs, Pesticides or Chemicals
Int J Biol Sci. 2009; 5(5): 438–443.
- Debate on GMOs Health Risks after Statistical Findings in Regulatory Tests
Int J Biol Sci. 2010; 6(6): 590–598.
- Genetically modified crops safety assessments: present limits and possible improvements
Environmental Sciences Europe, Volume 23, Number 1 (2011), 10, DOI: 10.1186/2190-4715-23-10
- Cytotoxicity on human cells of Cry1Ab and Cry1Ac Bt insecticidal toxins alone or with a glyphosate-based herbicide
Journal of Applied Toxicology, 2012, Volume 32, Issue 11, Pages 867–943
- Long term toxicity of a Roundup herbicide and a Roundup-tolerant genetically modified maize
Food Chem. Toxicol. (2012), http://dx.doi.org/10.1016/j.fct.2012.08.005
(17) http://www.nature.com/polopoly_fs/1.11471!/menu/main/topColumns/topLeftColumn/pdf/489484a.pdf
(18) traduction libre de : « l’étude n’a dressé aucun drapeau rouge »
(19) http://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0160412011000055
Sa conclusion : « où est la preuve scientifique qui montre que les plantes GM sont sûres d’un point de vue toxicologique comme le prétendent les compagnies engagées dans ce commerce ? »
(20) Car si on se pose la question d’un très hypothétique transfert de gène pourquoi s’inquiéter spécialement pour le transgène, et non pas des milliers de gènes que l’on dissèque normalement au cours de la digestion ? Pourquoi ne pas s’inquiéter à chaque fois qu’on mange de la salade ou du poisson ? Poser cette question est poser celle des a-priori de Domingo.