Herbicides, Glyphosate, Roundup, OGM, Séralini...par Wackes Seppi
EXCLUSIF : oui, tous les plantes cultivées sont des éponges à pesticides. Euh...
Alors que nous subissons une extraordinaire agression médiatique sur les OGM qui seraient des poisons tels que la moitié de la population nord-américaine aurait dû disparaître à force d'en consommer, Imposteurs est en mesure de vous révéler une information qu'on vous a toujours cachée : oui, toutes les plantes cultivées sont des éponges à pesticides [1].
Une formule choc à usage idéologique et alimentaire
À études « choc », formules « choc ». Éponges à pesticides ? Une des armes de guerre que vient de dégainer à nouveau M. Séralini :
« L’absence d’études menées sur le long terme et la répétition de l’absence de données sur les effets sanitaires des OGM commence pour moi à confiner à la malhonnêteté voire au crime intellectuel. Cette étude était donc pour moi absolument essentielle. Car il faut le dire et le répéter, les OGM sont des éponges à pesticides : ils sont faits pour êtres tolérants à un herbicide ou à fabriquer leur propre insecticide » [2]
C'est là une vieille rengaine – fausse puisque les OGM ne sont pas tous faits pour... voir l'exemple du riz doré – sur laquelle on trouve déjà un compte rendu édifiant, y compris par la pauvreté de l'amalgame qu'a fait M. Séralini, sur Imposteurs [3].
La rengaine a aussi un usage alimentaire pour lui : puisqu'il faut bien manger, et que tout le monde ne mange pas « bio », il faut aussi éliminer. Et M. Séralini – ou plutôt ses amis de Sevene Pharma – a des remèdes sous la forme de pilules de perlimpinpin [4]. Lui-même se contente de promouvoir les activités de ses amis, ainsi que son livre, Nous pouvons nous dépolluer, et d'encaisser des droits d'auteur [5].
Prenons-le au mot
Mais M. Séralini ignore que toutes les plantes cultivées sont des éponges à pesticides, ou plutôt à herbicides, au moins selon ses conceptions idéologiques. C'est pourtant simple.
Il existe deux types d'herbicides (désherbants) : les « totaux » et les « sélectifs » ; et deux catégories : les herbicides de contact (ils détruisent les surfaces de la plante avec lesquels ils entrent en contact, et ne sont pas véhiculés par la sève) et les herbicides systémiques.
Les herbicides totaux détruisent toutes les plantes (en principe, car il y des mauvaises herbes qui font la mauvaise tête et de la résistance). Le plus connu et le plus employé – y compris par les jardiniers du dimanche, les collectivités, Réseau ferré de France, etc. – est le glyphosate, matière active du Roundup [6] et de ses déclinaisons génériques. Ces herbicides ne peuvent être utilisés en agriculture qu'en pré-semis ou prélevée, ou selon des procédures spéciales (traitements localisés).
Les herbicides sélectifs, eux, épargnent la plante cultivée et, idéalement, détruisent le reste, les mauvaises herbes ; ou, pour utiliser un terme plus cossu – et écologiquement correct – les adventices.
Ces herbicides sont un outil important à la disposition des agriculteurs. Comme chacun – hormis les écologistes de salon – sait, les mauvaises herbes ont une fâcheuse propension à envahir les champs cultivés, concurrencer les cultures et, au final, diminuer les rendements. Et, dans le cas des paysans pauvres, surtout vivant largement en autarcie, compromettre la sécurité alimentaire de leur famille.
Pour accomplir leur besogne – bienvenue pour les utilisateurs, sinistre pour les écologistes de salon – l'herbicide systémique pénètre dans la plante et l'intoxique, par exemple en bloquant une voie métabolique indispensable à sa survie.
Et donc, la plante cultivée qui tolère cet herbicide sélectif devient... une éponge à herbicide. CQFD.
Une formule choc en toc
En fait, c'est faux !
Enfin, généralement sur le plan scientifique ; car la phrase en cinq mots exigerait qu'on en fasse la preuve en étudiant tous les herbicides existants. C'est là une des différences entre M. Séralini et nous. Lui assène, nous, nous expliquons.
Les herbicides subissent des sorts différents, éventuellement en combinaison, dans les plantes cultivées tolérantes (les plantes cibles qui font de la résistance ne nous intéressent pas ici). Ils peuvent notamment être bloqués au point d'entrée, essentiellement les feuilles ou les racines ; excrétés ; transportés vers des organes qui ne sont pas la partie consommée ; ou encore métabolisés (auquel cas il importe d'examiner ce qui se passe avec les métabolites).
Il n'est donc pas surprenant que de nombreux produits végétaux ne présentent pas de résidus d'herbicides dans les contrôles sanitaires [7].
Sur le plan pratique, l'agriculteur ne s'amuse évidemment pas à remplir des « éponges » d'herbicides. Son objectif est d'optimiser (et non maximiser) le rendement en luttant contre les mauvaises herbes et de s'assurer une récolte propre ne nécessitant qu'un minimum de nettoyage (et quelquefois indemnes de graines vénéneuses). Quand il lutte contre l'ambroisie, un puissant allergène, c'est aussi un objectif de santé publique qui est poursuivi.
Les quantités épandues à l'hectare sont aussi ridiculement faibles. Le gigantisme de certains pulvérisateurs (ceux que l'on montre de préférence dans les « documentaires » pour bobos) font oublier que les doses de matière active par hectare sont généralement inférieures au kilogramme.
Un kilogramme par hectare, c'est 0,1 gramme par mètre carré. Comme on vise les mauvaises herbes, à une époque où les plantes cultivées ne sont pas encore bien développées, celles-ci reçoivent une dose encore inférieure. Si ces plantes cultivées couvrent 10 % de la surface et qu'elles sont autant aspergées que les mauvaises herbes, c'est 0,01 gramme par mètre carré de plantes cultivées. À dix plantes cultivées par mètre carré (grosso modo un maïs), c'est 0,001 gramme ou 1 milligramme par plante... au moment du traitement.
Il a dit : « éponges » ?
Sur le plan médiatique, M. Séralini joue évidemment sur la métonymie. Une éponge... c'est gorgé... Et sur l'ignorance et les peurs alimentées (l'ignorance et les peurs) par un flot continu de désinformation. Une observation simple suffit : il est quasiment impossible de trouver un article ou une émission où l'on commence par expliquer à quoi servent les pesticides.
Et le glyphosate ?
Sur le plan agronomique, le glyphosate est un outil de choix pour les agriculteurs et la société. Il a une bonne efficacité, est souple d'emploi, vite dégradé (ce qui permet de semer derrière lui), et il a un profil toxicologique et écotoxicologique très favorable [8]. Ce n'est pas pour rien qu'il est devenu le premier herbicide au monde, et que certains utilisateurs en abusent. Qu'il soit aujourd'hui vilipendé par la secte anti-OGM – qui trouve là un autre point d'attaque contre leur cible favorite – n'y change rien ; autrefois, il était du reste (presque) encensé.
La création de variétés transgéniques le tolérant a transformé le glyphosate en herbicide sélectif pour ces variétés.
La plupart des autres herbicides sélectifs ne sont utilisables que dans une fenêtre étroite : en particulier, la plante cultivée et les mauvaises herbes doivent être à des stades précis de développement. Sélectifs, ils n'agissent pas sur toutes les mauvaises herbes, ce qui entraîne souvent l'emploi d'un cocktail d'herbicides. Le glyphosate, lui, est à large spectre et peut être appliqué pratiquement à n'importe quel moment. On peut donc comprendre l'engouement des agriculteurs pour les espèces et variétés tolérant le glyphosate – dans les pays dans lesquels elles ont été autorisées à la culture.
Les prédicateurs de l'apocalypse ont fait grand cas de la résistance acquise aux États-Unis d'Amérique par l'amarante de Palmer et annoncé la « stérilisation » de milliers d'hectares ainsi que la ruine des agriculteurs. La résistance est un phénomène normal qui peut survenir avec tout herbicide ; on connaît d'autres résistances au glyphosate de par le monde, du reste acquises dans des champs non OGM [9]. Ces résistances sont gênantes, mais l'agriculteur (ou le gestionnaire d'un golf par exemple) n'est pas sans solution. Et on peut contrôler ces plantes devenues résistantes par d'autres méthodes agronomiques, et à l'aide d'autres herbicides (le dicamba par exemple dans le cas de l'amarante).
Sur le plan toxicologique, le glyphosate laisse des résidus dans les plantes[10], ce qui a amené à l'établissement de limites maximales de résidus [11].
Ces limites sont très élevées pour le maïs et le soja, et quelques autres plantes, ce qui est le reflet du bon profil toxicologique de la matière active. Les dépassements sont très improbables ; et on peut donc dormir tranquille.
À moins de croire les balivernes des prêcheurs d'apocalypse, dont l'inévitable M. Séralini. Celui-ci s'est fait une spécialité de baigner des cellules humaines isolées dans des solutions nutritives contenant soit du glyphosate, soit une formulation commerciale comportant des surfactants (des molécules facilitant la pénétration du glyphosate dans la plante). Les cellules n'apprécient évidemment pas ; le résultat serait sensiblement le même avec par exemple du liquide vaisselle, lequel contient des tensioactifs de même nature que les surfactants. Inutile de décrire les conclusions de M. Séralini... ni le tapage médiatique... ni les avis des agences de sécurité sanitaire.
Une autre équipe s'est aussi fait une spécialité de faire des recherches sur les produits écologiquement incorrects, qui ne plaisent pas à leur idéologie et qui, de surcroît, permettent de trouver des financements. MM. Aziz Aris et Samuel Leblanc, de l'Université de Sherbrooke au Canada, ont donc cherché des traces de pesticides associés à des OGM dans le sang maternel et foetal [12]. Le glyphosate n'a pas été détecté dans le sérum des femmes enceintes, mais chez deux femmes non enceintes sur 39 – ce dernier résultat étant fort curieux car on n'a pas détecté le métabolite AMPA. Dans la discussion, ils suggèrent que cela pourrait être expliqué (« may be explained ») par une absence d'exposition, l'efficacité de l'élimination ou les insuffisances de la méthode de détection.
« ...may be explained » ? Voilà une autre expression que l'on trouve dans la publication de Séralini et al. En langage direct, c'est « je n'en sais foutrement rien ». Mais, ce qui importe ici, c'est que, en accord avec d'autres études, MM. Aris et Leblanc n'ont rien trouvé dans le sang.
Se passer d'herbicides ?
Malgré tout, les « éponges à pesticides » et autres inepties médiatiquement percutantes feront des dégâts encore bien longtemps. On peut craindre que le courant ne s'inverse pas avant les premières difficultés à assurer la sécurité alimentaire des Français – que ce soit par le fait d'une production amputée par des contraintes « écologiques » devenues insupportables ou d'une réduction importante du pouvoir d'achat. Se pose donc la question de savoir si on pourrait se passer d'herbicides.
La réponse est évidemment oui. Reste à savoir à quel prix.
La bien-pensance n'a que faire du prix. L'avenir, c'est donc l'agriculture dite biologique ou agroécologique (ce dernier terme méritant d'être défini)... des rendements réduits au bas mot d'un tiers, sinon des deux tiers (moyenne du blé « conventionnel » en France : bon an mal an 70 quintaux à l'hectare ; du blé « biologique » : autour de 32 [13]).
Des recherches intéressantes sont faites, par exemple à l'INRA ; mais la communication de l'INRA n'est pas sans reproche, l'écologiquement correct l'emportant sur l'agronomiquement raisonnable [14]. Cela témoigne à notre sens d'une inquiétante dérive de l'INRA. Il n'est donc pas surprenant que de nombreux commentateurs oublient de faire état des avertissements sur les limitations [15].
Sur le terrain, des conseils pratiques sont donnés [16]. Les itinéraires culturaux tiennent de plus en plus compte des attentes sociétales. Mais l'écologie de salon et de ville, y compris au niveau ministériel, n'en a cure.
Ce qui est dramatique, c'est que le respect de l'environnement ne se mesure pas simplement en tonnes de pesticides économisées. Le glyphosate – et les OGM le tolérant – sont un outil de grande valeur pour une agriculture plus respectueuse de l'environnement et, en particulier des sols. Ils facilitent en effet les techniques culturales simplifiées (sans labour), les semis sous couvert, etc., techniques bénéfiques pour la vie du sol et permettant de limiter l'érosion.
« Malhonnêteté voire crime intellectuel » ?
C'est l'expression de M. Séralini que nous avons citée ci-dessus.
Il faut qu'il se l'applique à lui-même. Et que nous analysions brièvement les fondements de sa haine pour les herbicides et le Roundup.
Au-delà des critiques qui fleurissent dans la presse (surtout étrangère...) sur les carences et déficiences de son « étude », quelle a été, par exemple, la concentration en glyphosate du maïs OGM qu'il a donné à ses rats ? Il est certes précisé dans sa publication, sous « matériel et méthodes » qu'un champ de maïs NK603 a reçu trois litres de glyphosate à 540 g/l ; mais ce n'est manifestement pas suffisant. C'est même d'une indigence crasse, et on se demande comment les reviewers ont pu laisser passer ça.
Selon Le Monde, « [p]our les auteurs, la construction génétique de l'OGM entraîne la modification d'une enzyme (dite ESPS synthase) impliquée dans la synthèse d'acides aminés aromatiques ayant un effet de protection contre la cancérogénèse. Le fait que la production de ces acides aminés soit réduite pourrait expliquer, selon les auteurs, les pathologies plus fréquemment observées chez les rats exposés à l'OGM seul. » [17].
Étrange. Selon les informations officielles, NK 603 comporte, en plus du gène « normal » qui n'a pas été touché ni enlevé, un gène (en deux exemplaires) qui code pour une EPSP Synthase un peu différente, qui n'est pas bloquée par le glyphosate [18]. D'autre part, sauf découverte prodigieuse de l'équipe, l'EPSP synthase n'existe pas chez les mammifères ; ce qui explique en partie le bon profil toxicologique du glyphosate, et le fait que la phénylalanine et le tryptophane sont dit « essentiels » car non synthétisés. En outre, il n'y a pas eu de dosage des acides aminés aromatiques. Et, enfin, cette hypothèse n'est pas évoquée dans l'article publié dans Food & Chem. Tox.
Il a dit « malhonnêteté voire crime intellectuel » ?
Wackes Seppi
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[1] On consultera en particulier le site du Nouvel Observateur, très en pointe sur ce sujet, et d'une extraordinaire partialité :
http://tempsreel.nouvelobs.com/ogm-le-scandale/
[3] http://imposteurs.over-blog.com/article-18357100.html
[4] Voir sur ce site :
[5] http://www.lalsace.fr/actualite/2011/03/16/les-voies-de-la-depollution-selon-le-professeur-seralini
[6] Il ne faut jamais oublier de préciser dans un monde qui s'est trouvé un extraordinaire bouc émissaire : le « Roundup de Monsanto ». On rappellera cependant que le brevet a expiré en septembre 2000 aux États-Unis d'Amérique (à priori à la même date en Europe), de sorte que « le Roundup de Monsanto » est l'expression d'une remarquable névrose de la part des activistes.
[7] D'une manière générale, les deux tiers des fruits et légumes ne contiennent pas de résidus de pesticides détectables, et un tiers en contiennent à un niveau inférieur à la limite maximale de résidu (LMR). Environ 3-4 % en contiennent au-delà de la LMR sans que cela ne constitue un risque pour la santé, sauf cas très particulier du style cure de cerises (pour le diméthoate). Les vérifications sur les produits dits biologiques sont lacunaires (données non fournies par certains pays ; recherches limitées aux molécules qu'on est censé ne pas trouver dans ces produits) ; environ 0,5 % des produits présentent néanmoins des dépassements de LMR, ce qui ne peut s'expliquer que par des fraudes, notamment des traitements d'urgence pour sauver les récoltes. Voir par exemple :
http://www.efsa.europa.eu/en/efsajournal/pub/2430.htm
[8] http://npic.orst.edu/factsheets/glyphotech.pdf
[9] http://www.weedscience.org/Summary/UspeciesMOA.asp?lstMOAID=12&FmHRACGroup=Go
[10] http://www.fao.org/docrep/009/a0209e/a0209e0d.htm
[11] http://e-phy.agriculture.gouv.fr/lmr/sublmr/191.htm
[12] Maternal and fetal exposure to pesticides associated to genetically modified foods in Eastern Townships of Quebec, Canada, Reprod Toxicol (2011), doi:10.1016/j.reprotox.2011.02.004
http://ddococktailhour.com/files/0/8/7/4/3/244299-234780/BTinpregnantwomen.pdf
On peut douter de la fiabilité d'une enquête par sondage.
Il faut écouter la vidéo et les explications de M. Nicolas Munier-Jolain pour comprendre la différence entre le techniquement faisable et le pratiquement et économiquement faisable.
[15] M. Sylvestre Huet fait exception en évoquant ces limitations et contraintes, mais à la fin de son article :
http://sciences.blogs.liberation.fr/home/2012/09/cultiver-sans-herbicides-possible-dit-linra.html
Mais qui y prêtera attention à la lecture du titre : « Cultiver sans herbicides ? Possible dit l'INRA » ?
[16] Par exemple :
http://draf.bretagne.agriculture.gouv.fr/corpep/IMG/pdf/doc_glyphosate_cle87af43-1.pdf
http://www.cetiom.fr/uploads/tx_cetiomlists/plaquette_glyphosate_avr09.pdf
[18] Voir par exemple :
http://www.hautconseildesbiotechnologies.fr/IMG/pdf/100205-Mais-NK603-Avis-CS-HCB.pdf