Défense de la santé au travail ou nucléophobie ?
Le magazine Santé et travail de juillet publie un article signé de son rédacteur en chef censé illustrer les méfaits du lobby nucléaire (1) . Pourquoi douter de l’existence de lobbies, et a fortiori d’un lobby nucléaire, soucieux de faire pression sur les pouvoirs publics afin qu’ils privilégient cette forme d’énergie par rapport aux autres ? L’annonce du lancement d’un projet de 600 éoliennes offshore (2) prouve toutefois qu’il est loin d’être le seul lobby influent dans le domaine. Mais ce journal traite de santé et de travail, pas d’organisation du marché et de concurrence. Quel est donc le rapport entre le lobby nucléaire et la santé au travail ? Obtiendrait-il de scandaleuses dérogations à l’obligation de protéger la sécurité et la santé des travailleurs ?
François Desriaux agite le fantôme de Tchernobyl
« (..) depuis Tchernobyl, beaucoup d'eau a coulé entre les piles du parc électronucléaire. On pourrait donc naïvement penser que ces temps sont révolus et qu'aujourd'hui cette industrie stratégique n'échappe pas aux règles démocratiques d'un État de droit. Ce serait sans doute aller un peu vite en besogne » . « On ne la fait pas à moi ! » dit en substance François Desriaux, l’auteur de l’article. Et, lui qui n’est pas naïf croit sans doute faire preuve d’esprit lorsqu’il nous recycle le bon vieux mensonge de Noël Mamère sur le mensonge du nuage de Tchernobyl (3) : « (..) nom de la sacro-sainte indépendance énergétique de la France, les nucléocrates se sont souvent sentis tout-puissants, allant même jusqu'à commander aux nuages radioactifs de s'arrêter aux frontières de l'Hexagone ». Comment prendre au sérieux quelqu’un qui commence par pousser le cri de ralliement des vrais-faux naïfs? L’auteur de cet article manie bien la rhétorique et recourt à l’effet d’impact du mot Tchernobyl . « Ils » ont triché, donc « ils » trichent encore, CQFD ! D’ailleurs, le gouvernement n’a-t-il pas « discrètement retiré les rayonnements ionisants de la liste des expositions susceptibles d'ouvrir droit à une retraite anticipée.» . Discrétion, secret, dissimulation …François Desriaux utilise le poids des mots pour amener les lecteurs à la conclusion qu’il souhaite. Tout le problème est que c’est lui qui triche sur Tchernobyl.
Les rayonnements ionisants
Venons en aux faits reprochés par le journaliste : «Deux exemples récents le démontrent. Le premier remonte au 30 mars dernier. Ce jour-là, le Journal officiel publie le décret " pénibilité ", rédigé en application de la réforme des retraites. Et là, surprise : les accros du JO découvrent que le gouvernement a discrètement retiré les rayonnements ionisants de la liste des expositions susceptibles d'ouvrir droit à une retraite anticipée. Au cabinet du ministre, on ne s'est pas bousculé pour répondre à nos questions [1]. Tout juste a-t-on expliqué qu'il existait déjà un dispositif conséquent de traçabilité pour les expositions à ces rayonnements. Sauf que cela n'a rien à voir avec la question de la compensation de la pénibilité. En outre, dans ces conditions, pourquoi ces rayonnements figuraient-ils dans la version du décret soumise à l'avis des partenaires sociaux au sein du Conseil d'orientation sur les conditions de travail ? » . Et oui, au fait, pourquoi et sur l’initiative de qui les rayonnements ionisants figuraient dans la première version du décret ? En dehors de surexpositions accidentelles (parfaitement traçables) , les rayonnement ionisants, compte tenu des limites d’exposition des travailleurs du nucléaire, sont-ils un facteur de pénibilité ? Participent-ils à un « environnement (de travail) physique agressif » , un des critères de pénibilité retenu dans le décret du 30 mars 2001(4) ?
Ces radiations ne sont ni perceptibles, ni susceptibles d’aboutir à une quelconque incapacité justifiant l’ouverture des droits à une retraite anticiper. Les 20mSv annuels qui constituent la dose maximale d’exposition des travailleurs du nucléaire correspondent à un débit de dose infime pour lesquels aucun effet sur la santé n’a jamais été identifié. Des effets sur la santé humaine n’ont été mis en évidence que pour des expositions à partir de 50 à 100 mSv et uniquement à haut débit de dose (5). Rappelons que les habitants du Kérala (dans le sud de l’Inde) sont soumis à une exposition naturelle allant jusqu’à 75 mSv par an sans le moindre effet constaté sur la santé.
On ignore donc qui a pris l’initiative de supprimer les rayonnements ionisants des critères de pénibilité, mais on comprend pourquoi : ils n’avaient rien à y faire. Si on est en droit d’exiger des normes de protection drastiques, il est malhonnête de faire comme si elles n’étaient pas protectrices.
Élagage près des lignes à haute tension
Autre motif du courroux de François Desriaux : « Le second exemple concerne la révision d'un décret sur la prévention des accidents du travail dans l'élagage des arbres à proximité des lignes à haute tension. Face à la recrudescence d'accidents mortels, les administrations du Travail et de l'Agriculture s'étaient attelées en 2010 à la rédaction d'un texte redéfinissant les distances de sécurité avec les lignes électriques. Un décret dont ne voulait absolument pas ERDF, car il allait entraîner une hausse des coupures de courant. Notre enquête menée l'an dernier avait montré toute l'énergie mobilisée par la société gestionnaire du réseau de distribution d'électricité pour amoindrir la portée du texte, allant même jusqu'à faire intervenir l'ancien conseiller de l'Élysée et porte-parole de l'UMP Dominique Paillé. »
Bel exemple de lobbying en effet, si l’histoire est vraie, et qui pose notamment le problème de la sous-traitance. Mais quel peut bien être le rapport avec le nucléaire ? En quoi une composition différente du bouquet énergétique protégerait-elle de ce genre d’intervention ? Le fait que l’électricité soit essentiellement produite par des centrales éoliennes, hydrauliques, ou photovoltaïques changerait-il quoi que ce soit au comportement du distributeur d’électricité? Dans le cas contraire, François Desriaux mettrait-il cela sur le compte de méchants « hydrocrates », « héliocrates », « zéphirocrates » échappant « aux règles démocratiques d’un état de droit » ?
De Tchernobyl à Fukushima
Finalement, le journaliste démontre surtout sa nucléophobie maladive. Ne reculant pas devant les amalgames les plus grossiers, il conclut : « Ces pratiques sont-elles susceptibles de changer, notamment après la catastrophe de Fukushima ? » . On démarre l’article avec le nuage de Tchernobyl, on le termine avec la catastrophe de Fukushima. François Desriaux nous aura au moins convaincu sur un point : il connaît par cœur le manuel du militant anti-nucléaire.
Anton Suwałki
Notes :
(1) http://www.sante-et-travail.fr/rayon-lobbying_fr_art_1098_54938.html
(2) http://www.enviro2b.com/2011/01/26/la-france-implantera-600-eoliennes-en-mer-dici-2015/
On appréciera le commentaire de NKM : « une victoire sur les climato-sceptiques et les grenello-sceptiques » qui tendrait à confirmer que la décision relève davantage de l’idéologie que d’un choix énergétique et économique rationnel.
(3) Nième réfutation de ce mythe anti-nucléaire :http://blogs.mediapart.fr/blog/yann-kindo/040511/tchernobyl-ce-que-le-figaro-disait-en-1986
(5) http://www.hps.org/documents/radiationrisk.pdf
“Radiogenic health effects have not been consistently demonstrated below 10 rem”
10 rem = 100 mSv