Retour sur le mystérieux rapport Le Maho (1)

Publié le par Anton Suwalki

Nous revenons ici sur l’argumentaire du mystérieux rapport Le Maho  « réponse à l’analyse réalisée le 30 Janvier 2008 par la société Monsanto de l’avis sur la dissémination du maïs MON 810 rendu par le comité de préfiguration d’une haute autorité sur les organismes génétiquement modifiés ». Nous vous conseillons de relire également l’article de Gil Rivière Wekstein mis en lien sur Imposteurs mardi 30 Septembre (0). Merci à Philippe pour son aimable relecture du texte qui suit et pour ses suggestions.

 

 

 

1) Les leçons d’humilité qu’Yvan Le Maho ne s’applique pas à lui-même

 

Dans une récente tribune libre coécrite avec Marc Dufumier et Pierre Henri Gouyon publiée dans le Monde (1), YLM se plaignait de la prétendue hégémonie des biologistes moléculaires :

 

« Tant que nos collègues biologistes moléculaires prétendront qu'ils peuvent seuls régler les problèmes de la planète  en ignorant les avertissements qui leur arrivent de l'ensemble des autres disciplines ils ne seront pas crédibles. »

 

L’oppression des autres disciplines par les biologistes moléculaires est bien entendu tout à fait imaginaire et la mise au point comme l’évaluation des OGM fait appel à une très large palette de compétences (biochimistes généticiens toxicologues allergologues agronomes etc…).

 

YLM exprimait de nouveau ses états d’âme lors des Entretiens sur la biodiversité à Nancy :

 

« Il y a un certain nombre de scientifiques qui s’expriment devant le grand public – on en connaît un certain nombre –, qui en fait sont certainement compétents dans leur discipline mais qui croient probablement avoir l’expertise pour connaître tous les sujets dans tous les domaines  », déplore-t-il, avant de conclure : « Il faudrait peut-être un petit peu d’humilité et plus de responsabilité » 

 

YLM , dont la spécialité est pour le moins éloignée de la transgénèse végétale, semble par contre se sentir apte à embrasser à lui seul l’ensemble de la problématique des OGM et à invalider l’avis des experts de toutes les disciplines de la CGB, de l’AFSSA, de l’EFSA et de ceux représentés au Comité de préfiguration de la Haute autorité sur les OGM (CPHA) qui ont désavoué les conclusions du rapport. Il faut croire qu’être spécialiste des animaux polaires confère à YLM une compétence universelle, à la différence des biologistes moléculaires qui eux doivent faire preuve d’humilité !

 

Défendant la valeur du rapport fourni par le CHPA, YLM nous assure :

 

« Au plan scientifique, le CHPA avait les mêmes compétences que la CGB ou l’AESA,  mais rassemblé en sus des experts du monde socioéconomique ».

 

Comme si les compétences d’un organisme se définissaient par la somme des compétences individuelles de ceux qui la composent ! YLM occulte les conditions dans lesquelles le CHPA a du travailler, sous pression politique et dans la précipitation. Mais surtout, il faut avoir un certain aplomb pour couvrir un rapport de l’autorité de ceux qui l’ont désapprouvé !

 

2) Un bien étrange méthode 

 

Yvan Le Maho censé répondre ici à la critique faite par Monsanto du rapport du CPHA  ne juge pas une seule fois nécessaire de citer textuellement celle-ci. Chargé quoique de façon non officielle de défendre ce rapport, il affirme que  « seules les références les plus pertinentes avaient été retenues », ce qui a le mérite d’occulter que les seules références retenues comme "pertinentes" étaient celles au service d’une thèse que souhaitait défendre le gouvernement. C’est ce qu’on appelle un biais de publication. YLM avoue au passage implicitement l’amateurisme de la manœuvre  en faisant allusion aux « inévitables erreurs lors de la transmission de ces références » . En clair, l’enjeu politique était tellement plus important que l’enjeu scientifique que le CHPA n’a pas hésité à remettre un brouillon.

 

YLM considère par ailleurs comme inopportune la revendication de l’entreprise de prendre en compte l’ensemble des publications pour se faire une idée des risques. « Cela signifie en cas de résistance apparue récemment de la part d’un ravageur il faudrait prendre en compte toutes les publications des années antérieures en les considérant comme des faits atténuant la portée des derniers résultats obtenus ? C’est oublier le caractère évolutif des processus biologiques (..) »

 

Personne ne nie le caractère évolutif  des processus biologiques, mais par contre, YLM inverse volontairement la question. Quelques études soigneusement sélectionnées dont la pertinence et la portée ne sont même pas discutées par l’auteur suffiraient-elles à jeter par-dessus bord tous les acquis précédents ? C’est omettre comment fonctionne le processus d’élaboration des connaissances ! Par contre, usant d’un effet « bi-standard » dont raffolent les anti-OGM, YLM ne voit aucun problème à défendre des « affaires » qui ont fait long feu mais qui sont présentées par le CHPA comme des faits nouveaux, comme l’effet du maïs BT sur le papillon monarque (2) ou l’étude de Chapella et Quist sur la dissémination de maïs GM au Mexique (3) . N’est-ce pas ce qu’on appelle de la mauvaise foi épistémologique ?

 

Celle-ci atteint son comble lorsque YLM écrit par exemple : « Pour ce qui concerne les tests de comparaisons en champs des des densités des insectes dans les champs de maïs BT versus non BT (ouf que c’est lourd !), la difficulté permanente reste dans le raccourci systématique selon lequel l’absence d’effet significatif mis en évidence est interprétée comme une absence d’effet, en ne discutant que rarement de la puissance des tests effectués ».

 

Cette laborieuse tirade en dit long sur la curieuse méthode Le Maho.

 

1)A chaque fois qu’un test de comparaison est mené et quel que soit le domaine étudié, on s’intéresse et on discute évidemment de la puissance des tests réalisés contrairement à ce qu’il affirme.

 

2) YLM semble si à cheval sur la méthodologie et la puissance des tests statistiques qu’on ne peut que s’étonner qu’il cite l’étude  (ou plutôt le réexamen) de Séralini des effets sur les rats du maïs MON 810, les résultats de celui-ci ayant été très largement invalidés car considérés comme fondés sur une analyse statistique non pertinente et sans signification biologique (4) ! Ajoutons la mention faite dans ce texte à une note rédigée pour le compte du Collectif Aquitaine sans OGM sur la base de « travaux » réalisés sous contrôle d’huissier ! C’est peut-être ce qu’YLM considère comme un test puissant ?!!!!

 

3) YLM affectionne les études menées en laboratoire et/ou basées sur la modélisation mathématique mais rejette avec mépris la validité d’essais en conditions réelles , les seuls qui en définitive sont à même de valider les premiers. Ainsi les modélisations de flux polliniques (Klein 2003,  Brunet 2006)  sont mises en avant alors qu’elles ne permettent en aucun cas d’en déduire l’importance de flux géniques. A l’inverse il ignore les essais permettant d’évaluer dans la réalité des flux géniques (fécondation d’un maïs conventionnel par un pollen de maïs OGM…ou l’inverse !) et de déduire les mesures qui permettent de réduire ces phénomènes à des niveaux fortuits(5). La méthode appliquée par YLM est la même dans le cas des expériences de laboratoire sur la faune non cible (lombric, trichoptères etc…) alors que le modèle de laboratoire diffère considérablement des conditions de vie naturelle et que là encore, les études en champs n’ont pas abouti à constater de tels problèmes.

 

4) « l’absence d’effet significatif mis en évidence est interprétée comme une absence d’effet » .

 On n’interprète absence d’effet significatif comme… absence d’effet significatif, un point c’est tout !  Le rapport Le Maho est parsemé de remarques analogues …parfaitement ineptes. Exemple : « En fait comme le remarque Domingo (2007) dans la conclusion de sa récente revue sur la toxicologie des plantes transgénique, la question reste posée des travaux scientifiques démontrant l’innocuité des plantes transgéniques ». Doublement absurde, parce que 1/ la question de l’innocuité des OGM ne peut se poser qu’au cas par cas, les gènes introduits et les caractères conférés n’ayant strictement rien à voir d’un OGM à un autre : plantes RR, plantes BT, papaye résistante à un virus, riz doré etc… Comment YLM peut-il parler de l’innocuité en général ?   2/ On pourrait s’attendre à ce qu’un  directeur de recherche au CNRS ne demande pas comme un José Bové qu’on lui prouve l’innocuité. Demander qu’on démontre l’inexistence d’un risque est une injure à la logique et n’importe quel étudiant ayant quelques rudiments de statistiques sait qu’aucun outil statistique ne permet de le faire !

 

(A suivre)

Anton Suwalki


Notes :

(1)  et commentée sur Imposteurs par Philippe Joudrier :

http://imposteurs.over-blog.com/article-20408974.html

(2)  dont de nombreuses études en champs ont établi que celui-ci n’avait que peu à craindre :

http://www.plantphysiol.org/cgi/content/full/127/3/709#B3http://www.plantphysiol.org/cgi/content/full/127/3/709

(3)  dont la publication avait été retirée de la revue « Nature » , ce qui est arrivé deux fois dans l’histoire de la revue !

(4)  qui soit dit en passant portait sur le maïs MON 863 , et non sur le MON 810.

CF Notamment l’avis de l’AFSSA du 26 Avril 2007 et celui de la CGB du 15 Juin 2007

 

(5)quelques exemples :

 

 

http://www.ogm.gouv.qc.ca/envi_maisgm.html

http://www.springerlink.com/content/w1627886480r1xr8/?p=c20289b2f78b46a1ac57e1d23e8cda25 

http://www.blackwell-synergy.com/doi/abs/10.1111/j.1467-7652.2006.00207.x

http://www.agpm.com/iso_album/guide_des_bonnes_pratiques_agpm.pdf

 

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