Opinion : des mesures « anti-terroristes » inefficaces et liberticides

Publié le par Anton Suwalki

Opinion : des mesures « anti-terroristes »  inefficaces et liberticides

Il y a quelques semaines, la France a subi les attentats les plus sanglants de son histoire, malgré les mesures adoptées en janvier à la suite de l’attentat contre Charlie Hebdo et la prise d’otages de l’Hyper-Cacher de la porte de Vincennes. Des mesures qui venaient s’ajouter à un arsenal juridique déjà très copieux : une quinzaine de lois anti-terroristes ont été votées depuis 1986. Il est loin le temps où la gauche dénonçait Charles Pasqua, le ministre de l’intérieur qui prétendait « terroriser les terroristes ». Lui-même n’aurait peut-être pas imaginé que cette gauche, aujourd’hui au gouvernement, ferait voter un jour une telle panoplie de mesures « sécuritaires ».

Le terrorisme que l’on combat aujourd’hui puise sa source dans le fondamentalisme religieux, et ses actes barbares sont dans la plupart des cas commis par des individus fraichement convertis, pour la plupart d’anciens délinquants assez givrés pour imaginer se racheter une vertu en tuant un maximum de « mécréants ». Mais notons que du côté de ceux qui ont en charge de les combattre, nombreux sont les convertis récents à l’idéologie et aux politiques sécuritaires. Et comme tous les fraîchement convertis, ils ont tendance à en faire trop, des fois qu’on douterait de la sincérité de leur conversion. Inutile donc, de leur demander pourquoi leur politique sécuritaire n’a pas permis d’empêcher ces attentats. Leur réaction à l’échec, c’est l’escalade d’engagement. Si ça ne marche pas, c’est qu’il faut encore plus de mesures dans ce sens. État d’urgence reconductible-autant dire État d’exception- conférant aux préfets des pouvoirs exorbitants, surveillance encore accrue d’Internet, et dernières lubies en date (entre autres) : Interdire les systèmes de cryptage des emails, la wifi en libre accès, ou le routeur Internet Tor. Si techniquement cela s’avérait possible , le prétendu pays des droits de l’homme dépassera bientôt la Chine en matière d’atteinte aux libertés publiques et individuelles ! Et tout ça avec la bénédiction de la quasi-totalité du parlement, et avec l’approbation d’une très large majorité de l’opinion publique.

C’est d’ailleurs bien là le problème. Utilisant l’émotion créée par ces tueries, une posture de fermeté et l’annonce de nouvelles mesures sécuritaires ne pouvaient qu’être bien accueillies, même si celles-ci menacent davantage les citoyens pacifiques que des assassins fanatisés.

Lutte contre l’ « Imam Google » et surveillance de masse

« Aujourd'hui 90% de ceux qui basculent dans des activités terroristes au sein de l'Union européenne le font après avoir fréquenté internet ». Ainsi s’exprimait en février Bernard Cazeneuve, pour justifier le blocage de sites Internet, mesure considérée par les experts en cyber-sécurité comme une dérisoire ligne Maginot. Oui, monsieur Cazeneuve, il est également notoire que 100% des gagnants du Loto ont tenté leur chance ! En admettant, que ce chiffre de 90% ne soit pas fantaisiste, il ne s’agirait de toute façon que d’un constat a posteriori. Pourtant, le ministre de l’intérieur entend partir de ce constat pour censurer des sites, et lutter avec Xavier Bertrand contre l’ « Imam Google » stigmatisé et autres fléaux de la technologie moderne.

A ce titre, la loi Renseignement adoptée définitivement en Juin légalise donc une surveillance de masse : Les services de renseignement sont désormais autorisés à utiliser des systèmes « IMSI Catcher » qui permettent dans un rayon donné de récupérer l’intégralité de données contenues dans les téléphones portables (liste de contacts, communications, connexions) utilisés dans ce rayon. Tout cela, à l’insu de leurs utilisateurs, il va sans dire. La Loi Renseignement française autorise l’État à implanter des boîtes noires chez les fournisseurs d’accès Internet :des algorithmes balayeront l’ensemble des données des internautes dans le but d’identifier des suspects. Pour se justifier, le gouvernement met en avant que sa loi vise à donner un cadre légal à des pratiques, qui pour la plupart, existaient déjà, et comble de la mauvaise foi, affirme que sa Loi Renseignement protègera mieux les libertés individuelles !

Même en admettant un instant que les pandores à qui on donne ces pleins pouvoirs de surveillance de masse n’aient pas l’intention de les détourner de leur finalité (lutter contre la menace islamiste ou d’autres menaces terroristes), on ne peut que s’inquiéter d’un dispositif qui met la population entière sous surveillance pour tenter de neutraliser quelques centaines d’individus.

La valeur diagnostique d’un test de dépistage expliquée à Bernard Cazeneuve

Bernard Cazeneuve devrait se faire expliquer quelques rudiments de statistiques médicales, à peu près à la portée de tout le monde, même d’un ministre de l’intérieur ! La mesure de l’efficacité d’un test de dépistage d’une maladie s’applique en effet parfaitement au problème du dépistage des terroristes (cf figure ci-dessus).

Posons que le test appliqué par les services de renseignement est positif lorsque le ou les algorithmes utilisés pour surveiller les internautes identifient un suspect. Admettons qu’il y ait sur le territoire français 3.000 individus déterminés et en mesure de commettre des attentats dans les semaines ou les mois à venir. Cela paraît énorme mais admettons. Admettons aussi que les « radars » de Cazeneuve permettent d’identifier 90% d’entre eux à partir de la surveillance de masse qu’il a mise en place. Une fois encore, cela paraît beaucoup, mais admettons. Jusque là, le test de dépistage paraît efficace, puisque 2 700 des 3 000 individus dangereux ont été repérés. Ce sont les vrais positifs.

Il reste à évaluer les faux positifs : ceux qui par exemple suivraient des sites Internet islamistes sans la moindre sympathie pour la cause qu’ils défendent, mais tout simplement pour se rendre compte par eux-mêmes, pour comprendre, sans se contenter de ce que les médias autorisés en disent… Il n’est pas difficile d’imaginer que sur 36 millions d’individus de 15 à 60 ans n’ayant strictement rien à voir avec le terrorisme, le test soit positif dans un cas sur 1000.

Dans les filets anti-terroristes de Cazeneuve, nous auront donc 2 700 vrais positifs susceptibles de passer dans un futur proche à l’acte. Il n’est déjà pas sûr que l’on dispose de moyens suffisants pour passer à une surveillance rapprochée de 2700 personnes. Mais surtout, nous aurons 36 000 faux positifs, c’est-à-dire 36 000 personnes diagnostiquées comme dangereuses alors qu’elles ne le sont pas. Dans ce cas de figure, la valeur prédictive des tests de dépistage, la proportion d’individus réellement dangereux rapportée au nombre total de positifs est de seulement 7,5%. Ils sont noyés dans une masse d’innocents dont la surveillance détournera des moyens considérables. D’un autre côté, il y aura toujours ces 300 faux négatifs, ceux qui sont assez malins pour ne pas se faire repérer, a priori les plus dangereux.

Ces estimations sont-elles exagérées ? Récemment, le premier ministre a reconnu qu’il y avait 20.000 fiches « S », c’est-à-dire 20 000 personnes fichées par les services de renseignement pour « menace à la sureté de l’État ». Un nombre qui a explosé ces dernières années. Et qui se rapproche dangereusement des 36 000 et quelques évoquées plus haut.

Le ministre de l’intérieur pourra donc toujours se féliciter d’une pêche si abondante : c’est aussi glorieux que de pêcher le thon avec des filets à écrevisses. Combien de ces faux positifs, combien d’innocents risquent d’être inquiétés? A tout prendre, l’idée qu’un coupable reste dans la nature m’est moins pénible que le fait qu’un innocent soit en prison.

Ca n’a pas marché ? Qu’importe, on en rajoute une couche !

Tout l’arsenal « sécuritaire » déjà mis en place par l’État n’aura donc pas permis d’empêcher les attentats sanglants du 13 Novembre. Enfermé dans sa démagogie et dans une réelle escalade d’engagement, le gouvernement n’a pas fait la moindre autocritique à propos de sa stratégie anti-terroriste et trace tranquillement la voie vers un état d’exception permanent où les détenteurs du pouvoir exécutif, sans avoir de compte à rendre à personne, s’arrogent le droit de surveiller tout le monde, de décréter le couvre-feu, d’interdire toute manifestation, etc.…

A côté de cela, il y aura toujours mille occasions pour un terroriste déterminé de commettre un massacre : par exemple, devant ce tribunal barricadé où je me suis rendu mardi dernier. A coup sûr, l’institution était bien protégée, mais pas les 300 personnes faisant la queue à l’entrée pendant plus d’une heure pour pouvoir y rentrer…

Parmi les derniers avatars de la lutte anti-terroriste : interdire la wifi en libre accès dans les espaces publics. Soit encore et toujours des mesures pénalisant le plus grand nombre en termes de liberté. Le gouvernement souhaiterait aussi bannir les systèmes de cryptage des données, quitte à donner un petit coup de pouce à la cybercriminalité.

On a le droit de changer d’avis, bien sûr. Mais une conversion aussi brutale aux vertus de l’état policier a de quoi laisser pantois. Quelle part ce revirement doit-il à la démagogie et au cynisme ? Difficile de croire à la sincérité d’un ministre qui s’offusquait de la publicité faite par le maire de Béziers à l’armement de sa police municipale alors que cette mesure a obtenu l’autorisation de ses services et que lui-même accélère sa généralisation.

Dans ce revirement, on peut aussi imaginer que la panique joue un certain rôle. Du coup, nous voilà passés sans transition du discours angélique à la répression la plus aveugle, néanmoins pas toujours totalement assumée, ce qui n’est pas rassurant. On vient ainsi d’apprendre que le ministère de l’intérieur interrogeait le conseil d’État sur la possibilité d’interner des fichés « S » dans des camps de rétention. Proposition formulée par l’opposition, précise-t-on au ministère, ce qui est la preuve qu’on n’est pas vraiment fier de cette idée. Il y a deux ans, le gouvernement vantait les alternatives à la prison pour prévenir la récidive des délinquants. Aujourd’hui il envisage d’emprisonner des gens potentiellement dangereux selon ses balises internet, mais qui n’ont jusqu’à présent commis aucun crime, sinon éventuellement par la pensée…

Anton Suwalki

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V
Dans le sens courant, la fraude suppose l’intention de tromper.
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A
Bonjour, pour ceux qui s'interessent plus en détail à l'ineficassité des boites noire vous pouvez lire un de mes article ici :http://omnos.fr/?p=477
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D
@vincent<br /> Dès qu'il s'agit du climat, les contributeurs de Wiki sont particulièrement partiaux vis à vis des scientifiques qui contestent la théorie dominante.<br /> Avant d'afficher votre mépris, renseignez vous un minimum.
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A
Bonne remarque et c'est le raisonnement d'expert de Bruce Schneier dans "Beyond fear"<br /> un livre ni libertaire ni théatro-sécuritaire.<br /> https://www.schneier.com/books/beyond_fear/<br /> <br /> Sinon la vrai cause du succès des terroriste c'est le substrat social de soutien passif.<br /> Serge galam a fait un modèle très intéressant, et qui raisonne bien avec les attentats de paris, qui explique l'importance de ce substrat<br /> http://arxiv.org/abs/cond-mat/0404265<br /> <br /> une poigné de terroristes (ou d'illuminé, de businessmen, d'idéologues, de commerciaux) est capable d'atteindre son but ultime en traversant le tissus social et tout les obstacles, grace a l'aide de gens qui "laissent faire".<br /> http://arxiv.org/abs/cond-mat/0404265<br /> <br /> Ces gens laissent faire, aident de façon minimale (logement, valise, transferts, non dénonciations) parce qu'il ont été convaincu par un drapeau idéologique agité par le terroriste.<br /> <br /> le terrorisme moderne agite pas mal de drapeau et le réseau de percolation peut être assez dense pour êter passant , même si la probabilité d'aide est faible par individu.<br /> <br /> <br /> la bonne manière de lutter est de s'attaquer au soutien passif, en détruisant la séduisance de certains drapeau (en informant sur les horreurs), en détruisant leur pertinence (genre arrêtre de bomberdre des innocents, faire la paix, faire la justice), en rendant les sources officieles crédibles (en évitant de tenir des thèses conspirationistes débiles dans Le Monde, juste par anti-poutinisme ou anti-assadisme ou pro-greenisme)...
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A
Une des caracteristique du prisme conspirationisme, mais aussi du prisme médiatique actuel, est de ne considérer les information que par leur origine.<br /> <br /> c'est une vision "tribale". "tu es avec nous ou contre nous".<br /> et la réaction a une information se fait comme dans les culture tribales en ignorant tout ce qui n'est pas de "son camp".<br /> <br /> Ma vision est que le conspirationnisme se développe dans l'underground, car il s'impose en surface.<br /> <br /> sinon avez vous des critiques sur l'approche ?<br /> notamment en regardant comme les attentats du 13/11 ont été soutenu par un étrange réseau de complicité, et de non opposition, dans le cadre d'une idéologie mélangeant plein de drapeaux.
V
Qui est Serge Galam?<br /> <br /> "Il met en cause la théorie de l'origine humaine des changements climatiques et invite à la réflexion scientifique avant de prendre des mesures de grande ampleur qui risquent, en étant une mauvaise réponse à un problème mal posé, d'amplifier les choses."<br /> http://www.wikiberal.org/wiki/Serge_Galam<br /> <br /> Ça commence bien…