Marianne et Jean-Claude Jaillette condamnés à propos de l’affaire Séralini : pourquoi ?
Au CRIIGEN, on n’a pas le triomphe modeste : Victoire du Pr Séralini, de son équipe et du CRIIGEN dans deux procès !! proclame leur communiqué du 25 novembre(1). Le premier hourra concerne une simple mise en examen, le deuxième concerne la condamnation du Journal Marianne et de son journaliste Jean-Claude Jaillette, pour un article datant de 2012, paru quelques jours après la publication de l’étude de Séralini sur la prétendue toxicité du maïs génétiquement modifié NK 603 et du RoundUp.
Fait étonnant, les juges n’ont pas suivi la procureure qui avait requis la relaxe : Come le rapporte la revue Agriculture et environnement, « Mme la procureure a estimé que Marianne avait tous les éléments à disposition et donc toute légitimité́– pour écrire qu’il s’agissait d’une fraude scientifique et d’une opération de médiatisation orchestrée », a confirmé maître Lauranne Favre, l’avocate de Marianne. Sur la forme, la procureure a tout d’abord évoqué́ le fait que Jean-Claude Jaillette n’était pas l’auteur des propos incriminés, l’hebdomadaire n’ayant que « rapporté des termes utilisés par des scientifiques américains et publiés dans le magazine Forbes ». Et sur le fond, elle a retenu l’excuse de bonne foi : prudence dans l’expression des propos ; absence d’animosité́ envers la personne de Séralini ; intérêt légitime de couvrir une affaire concernant la santé humaine ; et enfin, existence d’une base factuelle de données suffisamment documentée pour s’interroger sur la bonne conduite de l’étude (2).
Selon le communiqué du CRIIGEN, Marianne et Jaillette ont donc été condamnés « pour diffamation publique envers un fonctionnaire public (SIC !), et diffamation publique envers les chercheurs et le CRIIGEN présidé par le Dr. Joël Spiroux de Vendômois ».
« Le procès a notamment démontré que le seul et unique auteur de cette accusation de fraude, avant Marianne, était le lobbyiste américain Henry Miller dans le magazine pour milliardaires « Forbes » ». Outre le détestable procédé du déshonneur par association (« magazine pour milliardaires »), soulignons que le procès n’avait rien à démontrer en la matière : Jaillette avait déjà nommé les auteurs de cette accusation, Henry Miller et Bruce Chassy, effectivement publiée dans Forbes sous le titre « Scientists Smell A Rat In Fraudulent Genetic Engineering Study » (3) . C’est-à-dire, en gros : « un parfum de fraude [dans l’étude de Séralini] »… C’est à se demander dans ces conditions, pourquoi Séralini et le CRIIGEN n’ont pas directement attaqué les auteurs de cette accusation, et ont préféré se retourner contre ceux qui se sont contentés de rapporter ces propos.
La fraude scientifique peut prendre plusieurs formes
Selon les propos rapportés par Jaillette, l’étude de Séralini relevait de la « fraude scientifique où la méthodologie sert à conforter des résultats écrits d’avance ». C’est cela que le tribunal a jugé diffamatoire.
Dans le sens courant, la fraude suppose l’intention de tromper. Elle est particulièrement difficile à établir en matière d’expérimentation scientifique, sauf à prendre un chercheur « la main dans le sac », à prouver que les données ont été falsifiées ou inventées de toute pièce. Dans le cas qui nous intéresse, il ne s’agit pas de cela.
Une étude peut être conçue de telle façon qu’elle aboutisse à des résultats correspondant à ce que ses auteurs veulent démontrer, à présenter les données de manière trompeuse ou parcellaire, en écartant toutes celles qui ne vont pas dans le sens de la conclusion préétablie. Cette inconduite diffère de la simple erreur de traitement ou d’interprétation des données, dans la mesure où elle constitue une faute éthique. Tel est le sens de l’accusation rapportée par Jaillette à l’encontre de l’équipe du CRIIGEN . Celle-ci était-elle donc diffamatoire ? Chacun pourra en juger à travers quelques exemples tirés de cette étude.
A chacun de se faire une opinion !
Revenons donc sur quelques points essentiels du protocole choisi pour l’étude et sur la manière bien singulière d’interpréter et de sélectionner les résultats.
1/ des groupes de 10 rats
Pour des études de cancérogénicité ou de toxicité chronique sur deux ans , l’OCDE recommande 50 rats par groupe testé (4). Les groupes constitués par Séralini comportaient chacun 10 rats, comme dans les études à 3 mois. Il était extrêmement improbable dans ces conditions de trouver des différences statistiquement significatives entre les différents groupes. Le professeur caennais ignorait-il cela ? Nous noterons l’absence totale dans sa publication de tests statistiques basiques, sur la mortalité des rats ou la fréquence des tumeurs… Forcément, ces résultats n'étaient pas. singificatifs. Pourtant ils ont été commentés comme s’ils l’étaient.
2/ un groupe témoin pour 9 groupes testés
Les études bien conduites nécessitent un groupe contrôle pour chaque groupe testé, par exemple si on teste la consommation de maïs génétiquement modifié à 11% et à 33% du régime, on compare ses effets à deux groupes nourris avec le maïs non transgénique le plus proche (« isogénique ») à 11% et à 33% du régime . Il aurait en outre fallu un autre groupe témoin, nourri avec un régime standard de rat de laboratoire. Or dans l’étude de Séralini, on a pour chaque sexe 9 groupes testés (maïs NK603, RoundUp, maïs NK603 + RoundUp) à un seul groupe témoin. Comment pouvait-il ignorer qu’il multipliait ainsi les opportunités de commenter des différences qui ne sont en réalité que du bruit?
3/ Des données cruciales non publiées
Les données brutes que l’équipe avaient refusé de communiquer lors de la première publication de l’étude, sont finalement consultables sur le site d’Environnemental Sciences Europe qui a republiée l’étude (5). On notera toutefois l’absence de données cruciales, telles que celles concernant la croissance des animaux, ou leur consommation de nourriture ou de liquide. Séralini et son équipe assurent pourtant avoir contrôlé ces paramètres tout au long de l’expérience. Pourquoi ne pas avoir publié ses données, d’autant plus importantes que les animaux étaient à deux par cage, et que les problèmes de coexistence peuvent affecter leur comportement et leur développement ? Pour les rats ayant bu un breuvage contenant du RoundUp, à des concentrations extrêmement différentes selon les groupes (6), la censure de ces données interdit de savoir quelle quantité de RoundUp chaque rat a absorbé, et il est totalement impossible d’étudier un quelconque lien entre des pathologies et des doses réellement consommées.
Comment expliquer que l’étude « la plus longue et la plus détaillée » jamais réalisée sur le sujet aux dires de ses auteurs, ne comporte pas ces données basiques ? S’agit-il d’un oubli, ou d’une volonté de cacher quelque chose ?
4/ Des rats témoins qui « meurent de vieillesse » plus jeunes que les groupes testés
L’équipe rapporte une « espérance de vie » calculée pour chaque : 624 +/- 21 jours pour les mâles, 701 +/- 20 jours pour les femelles. Notons que pour comparer la mortalité des groupes , c’est la valeur basse de la fourchette qui est retenue. En quoi ce choix est-il justifié ? Ne serait-ce pas parce que chez les mâles, la mortalité passe de 3 à 6 chez le groupe témoin si on prend la valeur haute de la fourchette ?
L’équipe a par ailleurs expliqué qu’ « au-delà de cette durée de vie moyenne, les nouveaux décès ont été considérés comme largement dus au vieillissement ». Un raisonnement qu’un médecin trouverait bien curieux : si l’espérance de vie masculine est de 79 ans en France, dit-on qu’un décès suite à un pneumonie est due à une infection pour un homme de 79 ans, mais qu’elle est due à la vieillesse s’il a 80 ans ?
Cette approche singulière des causes de décès présente un sérieux avantage : au terme de l’expérience, 9 des 10 mâles du groupe témoin sont morts : un seul groupe traité fait pire.
Même en admettant le choix très douteux pour comparer la mortalité des rats, on notera que Séralini choisit de ne commenter que les résultats défavorables aux rats traités, et d’ignorer ceux qui leur sont favorables. Ce que les anglophones appellent faire du « cherry picking ».
5/ Vous avez dit « éthique » ?
Certaines femelles de l’expérience, il a été rapporté que certaines présentaient d’énormes tumeurs allant jusqu’à 25% de leur poids corporel. Or, toute la littérature disponible en matière d’éthique de l’expérimentation animale, préconise l’euthanasie pour des rats atteints de tumeurs au delà de 10% de leur poids (7). Séralini, ou les responsables du laboratoire qui a accueilli l’expérience, pouvaient-ils ignorer cela ? Prolonger la souffrance de ces rats n’apportait aucun élément supplémentaire sur le plan scientifique : mais cela permettait de présenter ces photos monstrueuses qui ont fait le tour du monde.
6/ Une sélection de photos très "gore", sans aucune valeur informative
La série de photos publiées dans l’article est caractéristique de la méthode. Sont présentées 3 photos de rates atteints de tumeurs énormes, une pour chaque type de traitement. Ce procédé consiste à suggérer la nocivité du régime suivi par les rats traités, alors que rien n’indique que les individus sélectionnés sont représentatives du groupe traité. Par ailleurs, aucune photo pour le groupe contrôle, dont deux rates ont pourtant été euthanasiées. Pourquoi empêcher que l’on fasse la comparaison?
Pour les autres photos (organes, microscopie électronique), des clichés rats de groupe témoin « sains » sont opposés à ceux de rats de groupes traités, atteints de pathologie. Pas davantage que les autres, ces photos nous indiquent la représentativité des rats choisis pour chaque groupe. Mais le doute s’accroit encore lorsque l’on s’aperçoit que l’équipe à du sélectionner deux mâles et deux femelles différentes dans les groupes contrôle. On peut légitimement soupçonner qu’aucun rat témoin n’était suffisamment présentable sous toutes ses coutures pour illustrer la bonne santé des rats nourris sans OGM…
7/ Des interprétations visiblement fondées sur des préjugés
Tout comme les interprétations concernant la mortalité ou les tumeurs, les experts ont relevé de nombreuses lacunes dans la présentation, l’analyse et l’interprétation des données biochimiques. Des éléments qui pourraient plaider en faveur de l’erreur par amateurisme des auteurs (8). Concentrons-nous toutefois sur les résultats de la table 3. Ces résultats, censés illustrer des dysfonctionnements rénaux chez les femelles traités, sont présentés sous forme d’augmentation ou de diminution par rapport au groupe témoin, sans se référer aux valeurs moyennes et aux variations normales habituellement observées dans ce type d’expérience. Les auteurs partent donc du principe sans aucun fondement que les données biochimiques observées dans le groupe témoin sont « bonnes ».En conséquence, tout écart positif ou négatif par rapport à ces valeurs est interprété comme un dysfonctionnement. Si ça n’est pas de la mauvaise foi, l’équipe aura au minimum été aveuglée par ses préjugés.
Votre conclusion ?
A l’issue de ce billet, nos lecteurs seront peut-être partagés sur l’accusation de fraude reprise dans Marianne, qui vaut au journal et à Jean-Claude Jaillette une condamnation en première instance pour diffamation. Certains seront convaincus , « au-delà de tout doute raisonnable », que cette étude a bien été conçue de manière à conforter des résultats écrits d’avance. D’autres penseront que le faisceau d’indices ne suffit pas, et que la présomption d’innocence doit prévaloir. Je serai par contre étonné qu’on remette en cause la légitimité même de se poser la question, ce qui reviendrait d’ailleurs à approuver la condamnation de Jaillette et Marianne. N’y a-t-il pas là « une base factuelle de données suffisamment documentée pour s’interroger sur la bonne conduite de l’étude », comme évoqué plus haut ?
A ceux qui pensent que les preuves ne sont pas assez robustes, je me permettrai de poser la question autrement : quelle est la probabilité que dans les années qui viennent, le CRIIGEN publie une nouvelle étude sur les OGM (ou tout thème connexe) dont les résultats ne viendraient pas conforter le message matraqué depuis celle de 2012 : « les OGM sont des poisons ? »
Anton Suwalki
Notes :
- http://www.criigen.org/actualite/80/display/Victoire-du-Pr-Seralini-de-son-equipe-et-du-CRIIGEN-dans-deux-proces-
- http://www.agriculture-environnement.fr/a-la-une/article/relaxe-requise-dans-l-affaire-seralini-vs-marianne
- http://www.forbes.com/sites/henrymiller/2012/09/25/scientists-smell-a-rat-in-fraudulent-genetic-engineering-study
- Test guideline n° 451 et n° 453 (OECD 2009)
- http://www.enveurope.com/content/26/1/14
- respectivement 50 ng/l, 400 mg/l et 2,5 g/l !
- Pour plus de détails, on peut consulter notamment le site de l’Association française des sciences et techniques de l’animal de laboratoire : http://www.afstal.com/
- d’autres éléments vont dans le sens de l’amateurisme, tels que la description imprécise des pathologies, sans recourir aux nomenclatures conventionnelles, ou encore l’utilisation de pléonasmes grossiers, tels que « « néphropathies rénales », « saignements hémorragiques »…