Patrick Moore dit de Paul Moreira : « un c... fini », par Wackes Seppi

Publié le par Anton Suwalki

À propos de « Bientôt dans votre assiette (de gré ou de force) »

« Bientôt dans votre assiette (de gré ou de force) » [1] est un « docu-investigation » de M. Paul Moreira diffusé pour la première fois le 1er septembre à 20h45 sur Canal+ pour le magazine 90 minutes. Cette œuvre, diffusée sur une chaîne cryptée, laissera essentiellement des traces sur la toile et sera sans nul doute périodiquement rediffusée. Un décryptage n'est par conséquent pas inutile. D'autant plus qu'il s'y prête à merveille au vu de son caractère manichéen et potache.

Hôtel Renaissance, Bruxelles, 22 janvier 2014

Europabio, invariablement présenté par l'altermonde comme le lobby des multinationales des biotechnologies, de l'agrochimie et des semences (selon M. Moreira : « au service de Monsanto, Syngenta, DuPont, bref, tous les grands noms des OGM »), organisait ce jour-là une réunion de haut niveau sur les bénéfices des plantes GM pour les consommateurs [2]. Format très habituel pour les réunions bruxelloises des organisations représentatives d'intérêts : une demi-journée, suivie ici d'un buffet. Le Corporate Europe Observatory en a toutefois une vision très différente [3].

Paul Moreira, c'est le réalisateur du « docu investigation ». Il traîne dans les couloirs de l'hôtel avec son équipe de tournage. On peut s'en étonner : le CEO n'a-t-il pas insinué que l'événement avait été organisé en toute discrétion, pour être à l'abri des regards – et des caméras – indiscrets ?

Patrick Moore, c'est le co-fondateur de Greenpeace (les adeptes contestent) et ancien dirigeant qui en est sorti avec fracas lorsqu'il a considéré que l'organisation avait « évolué vers l'extrémisme et des programmes politiquement motivés » (selon la vision manichéenne et militante de M. Moreira : M. Moore est « passé à l'ennemi »). Aujourd'hui, il milite avec énergie pour le riz doré et, avec d'autres, accuse Greenpeace de crime contre l'humanité.

M. Moreira obtient donc la possibilité de s'entretenir avec M. Moore, présenté en incrustation dans son docu-menteur comme « consultant pro-OGM ». C'était sans nul doute – la réaction de M. Moore en témoigne – au sujet du riz doré. Mais M. Moreira essaie de piéger M. Moore sur le glyphosate (RoundUp) en Argentine. Avec un sens de la grossièreté certain... M. Moore, excédé, finit par l'envoyer paître et lâche : « complete jerk » ([1] deuxième partie, à 25 :11).

M. Moreira a dû être ravi du compliment : il l'a gardé pour son docu-menteur, avec une traduction en sous-titre...

Hôtel Renaissance, Bruxelles, 22 janvier 2014 (2)

Restons sur le riz doré. Pour M. Moreira, c'est « la réponse de l'industrie transgénique au problème des carences en vitamines A chez les enfants du Tiers Monde ». Problème : le riz doré a initialement été un projet de la recherche publique et reste porté par celle-ci... mais M. Moreira n'en a cure...

M. Moreira a quand même filmé M. Moore expliquant pourquoi l'attitude de Greenpeace est un crime contre l'humanité. Mais quel est le poids de cette explication pour le téléspectateur face à un « journaliste » au commentaire ouvertement dénigrant tant sur la forme que sur le fond ? Un personnage pour qui M. Moore « soutient notamment l'industrie nucléaire, minière et transgénique » et « trouve aussi le changement climatique épatant » [4] ? En bref, face au truc du déshonneur et du discrédit par association ?

Hôtel Renaissance, Bruxelles, 22 janvier 2014 (3)

Sur la conférence d'Europabio. M. Moreira affirme aussi que le Ministre britannique de l'environnement Owen Paterson – l'un des orateurs – serait « un peu gêné d'être filmé ainsi dans un événement organisé par l'industrie transgénique ». Tellement gêné que, d'une part, il s'est déplacé à Bruxelles – de son plein gré – et que, d'autre part, son intervention a été rendue publique sur le site gouvernemental [5]. Mais que ne faut-il pas faire pour accréditer la thèse du grand complot et des petites cachotteries ?

Le comble est atteint quand il affirme qu'un membre de son équipe va être « sérieusement encadré » – en marge d'un événement dans lequel il est manifestement un intrus ; en fait, on lui a rappelé, maladroitement, les règles de la bienséance journalistique ou, sur le plan juridique, les règles du droit à l'image. Et quand on lui demande où il va – il est manifestement dans les locaux privés – il aligne deux propos contradictoires : il serait invité ; et il aurait l'autorisation du service de presse. Et alors qu'il est filmé par son caméraman, il répond : « Je n'ai pas de caméra, j'ai le droit de me balader pour voir les intervenants... » M. Moreira a manifestement tous les droits... surtout celui de prendre les téléspectateurs pour des blaireaux. Du reste, il ajoute, fanfaron : « ...Est-ce que je suis en train de filmer ? »

Idem quand il dit que : « Quand les débats commencent, les portes se ferment ». Ben oui ! C'est le cas pour toutes les réunions... Et, sans vergogne, jouant au Soviet au pays de Tintin, il enregistre (prétendument – c'est un mensonge grossier, vu la qualité du son) à travers la porte.

On peut aussi pointer du doigt la grossièreté de l'abordage d'un représentant de Pioneer dans, semble-t-il, une bouche de métro. Le téléspectateur est incité à croire que ce monsieur fuit, alors qu'il ne fait qu'ignorer un importun malpoli...

« Un c... fini »

On pourrait passer un temps certain à éplucher le docu-menteur pour relever tous les trucs minables employés par M. Moreira pour faire avaler ses thèses aux téléspectateurs. Le fond du propos est aussi nul que le comportement infantile de l'auteur.

M. Moreira a eu les honneurs d'une page sur Télérama [6]. Très instructive sur sa connaissance du dossier...

« Alors que le discours officiel consiste à dire que la culture extensive des OGM ne présente aucun risque sur les humains, ce qu'on voit sur le terrain est assez choquant. On y découvre par exemple des camions d'épandage qui pulvérisent des produits interdits comme l'atravine [sic, mais on admettra que c'est la faute du rédacteur]. » Voilà donc quelqu'un qui maîtrise manifestement et la langue française, et son sujet, avec une « culture extensive » et des « camions d'épandage ». Cela peut paraître de la chicanerie ; mais c'est une illustration simple de l'inculture abyssale de l'auteur.

On peut aussi développer : le maïs transgénique tolérant le glyphosate a précisément pour conséquence de substituer celui-ci, entre autres, à... l'atrazine. On n'utilise pas l'atrazine sur le soja (d'ailleurs, le soja est très sensible aux effets résiduels de l'atrazine appliquée sur maïs). Et l'atrazine... n'est pas interdite en Argentine [7].

Comment passer pour un fin limier auprès des lecteurs et des téléspectateurs : « C'est l'un [sic] des découvertes de cette enquête : la puissance des lobbys OGM et les gouvernements américains successifs qui mobilisent tout l'appareil d'Etat en faveur des industries transgéniques. Ils se sont mis au service de Monsanto et des autres. C'est devenu un enjeu économique stratégique, au même titre que le pétrole ou les armes. On en a eu la preuve avec la révélation par Wikileaks de câbles de la diplomatie américaine... » Une découverte ? Mme Marie-Monique Robin doit être ravie, elle qui nous bassine sur ce sujet depuis des années ! Enfin... chez M. Moreira, on franchit un degré dans l'outrance car c'est « tout l'appareil d'Etat... » La puissance ? Une seule plante transgénique cultivée en Europe, et encore, presque exclusivement en Espagne et au Portugal... Wikileaks ? On en a été abreuvé depuis fin novembre 2010. Et M. Moreira – comme beaucoup de complotistes et de manipulateurs médiatiques – feint d'ignorer que les ambassades ont aussi vocation à promouvoir le commerce extérieur de leurs pays respectifs.

« ...Depuis, Obama s'est engagé à mieux étiqueter les produits alimentaires et indiquer la part d'OGM... » Merveilleux sens du coq-à-l'âne ! Procédé classique de désinformation : passer le plus vite possible d'un sujet à l'autre, accumuler les arguments, sans explications, saouler le lecteur.

« C'est une mesure normale qui ne devrait pas poser problème. » Si, justement...

« Seul l'Etat du Vermont a réussi à l'imposer [l'étiquetage], mais il est en but [sic] à un méga-procès des industriels qui invoquent le droit au silence et se positionnent sur le terrain des libertés publiques ! C'est du Kafka, ou de la poésie ! » Un méga-procès ? M. Moreira feint de croire qu'il existe une justice à plus d'une dimension, qui permet de but en blanc de faire un mini- ou un méga-procès. Les industriels ? Ou M. Moreira ne sait pas et fait de l'esbroufe ; ou il sait et fait de l'enfumage. Les plaignants sont quatre associations professionnelles menées par la Grocery Manufacturers Association, l'association des producteurs de produits d'épicerie [8]. Mais il est vrai que ce sont des industriels... Le droit au silence... ? Les quatre associations contestent la constitutionnalité de la mesure. Le droit de garder le silence – en ne mettant pas sur l'étiquette une opinion avec laquelle elles sont en désaccord – n'est qu'un élément de la plainte [9]. M. Moreira a dû collecter quelques bribes d'information et – en bon désinformateur plutôt que journaliste – tente de discréditer le tout par un argument sur une partie.

« Un c... fini » (2)

Cet article dans Télérama nous a un peu éloigné de l'œuvre télévisuelle. Il faut y revenir, en commençant par le titre : « Bientôt dans votre assiette » ? Quoi, au juste ? Le glyphosate et d'autres herbicides ? Le soja transgénique ? Les deux ? Inutile de chercher à préciser : la mouvance anti-OGM et anti-pesticides prétend que c'est déjà le cas (on rappellera cependant que le maïs et le soja sont essentiellement destinés à l'alimentation animale et que l'huile de canola transgénique ne se distingue pas de son homologue conventionnelle, tout comme les dérivés alimentaires des autres espèces, telle la lécithine de soja). Et dire que M. Moreira a voulu servir la soupe à cette mouvance...

Il y a quelque chose de pourri au Royaume du Danemark

Notre « reporter » va « enquêter » au Danemark... chez une vieille connaissance du mouvement anti-OGM... le soja transgénique y est plus agressif qu'en France... Nous pouvons nous associer aux remarques de M. Suwalki [10]. Mais reprenons sous un autre angle.

Les plantes transgéniques – essentiellement colza (canola), cotonnier, maïs et soja, portant des événements Bt (résistance à des insectes piqueurs/suceurs et foreurs) et/ou HT (tolérance à un herbicide) ont été cultivées par 18 millions d'agriculteurs sur 175 millions d'hectares (plus de trois fois la superficie de la France) dans le monde en 2013 [11]. Le soja transgénique a représenté 79 % de la production mondiale ; les principaux pays exportateurs le cultivent sur plus de 90 % de la surface. Les animaux dont la ration est équilibrée en protéines par du soja ont donc neuf chances sur dix de consommer du soja transgénique. Cela comprend des animaux de laboratoire, suivis avec une grande attention, et des animaux à grande longévité comme les reproducteurs.

Et M. Ib Borup Pedersen et son porcher seraient quasiment les seuls à avoir observé des problèmes massifs de santé avec les rations comportant du soja transgénique ? Dont des diarrhées qui disparaîtraient en deux jours d'alimentation « conventionnelle » [12] ? Des problèmes que même Carman et al. (dont le producteur de porcs Howard Vlieger) n'ont pas identifiés dans leur étude sur 168 porcs au départ de l'essai et 145 à l'arrivée [13] ? Des problèmes que quasiment personne n'a cru bon d'examiner plus en détail, même dans un Danemark et une Europe peu favorables, sinon hostiles, aux OGM ?

M. Pedersen est devenu une vedette largement médiatisée par le monde de l'anti-OGMisme après la publication d'un petit article dans Effektivt Landbrug en avril 2012 [14]. Son histoire tourne en boucle depuis plus de deux ans, quasiment sans mise à jour, ce qui devrait rendre tout observateur averti suspicieux. Mais dilettantisme ou militantisme, ou encore cynisme, oblige, M. Moreira ne s'est pas posé la question. Et c'est sans vergogne qu'il a infligé un hoax aux téléspectateurs.

Il commente, sans se rendre compte que c'est fort juste si on le prend au premier degré : « À lui tout seul, Pedersen a semé un sérieux doute au Royaume du Danemark. » Un doute sérieux resté quasiment sans suite...

La cas des époux Thomsen qui, selon M. Moreira, auraient dû abattre 650 bêtes en septembre 2013, est fort différent : par extraordinaire, cet événement n'a apparemment laissé aucune trace. Et les époux Thomsen continuent de donner du soja GM à leurs vaches... À se demander si l'événement a réellement eu lieu et, au minimum, s'il y a un lien avec le soja GM.

C'est en fait M. Moreira qui amène les époux Thomsen sur ce terrain. Et, manifestement, ils ne répondent pas spontanément. M. Thomsen disant que personne ne leur a dit ce qu'ils devaient faire, c'est franchement pathétique... Mme Thomsen disant, du bout des lèvres, qu'elle a entendu parler d'autres cas au Danemark, ce n'est pas convaincant...

M. Moreira n'en a eu cure : l'image de Mme Thomsen se cachant les yeux et se bouchant les oreilles pour accuser le gouvernement danois d'inaction était trop belle... Il corrige, certes, dans la foulée [15]. Mais que vaut le poids des mots face au choc de l'image ?

Où sont dès lors l'honnêteté intellectuelle, la déontologie, le respect de la personne interviewée ? Notre diagnostic : les époux Thomsen ont été honteusement instrumentalisés.

Argentine : l'insupportable instrumentalisation des handicaps congénitaux

Cap sur l'Argentine. Le reportage commencerait plutôt bien s'il n'y avait cet affligeant persiflage. Le soja – surtout transgénique – a été un formidable moteur pour le redressement économique du pays. Le bruit de tiroir-caisse qui ponctue le chiffre des recettes avancé par M. Alejandro Mentaberry (65 milliards de dollars EU entre 1996 et 2011), puis l'image du feu d'artifice, relèvent de l'indigence intellectuelle et surtout morale quand on sait la détresse dans laquelle les Argentins avaient été plongés par la crise. Du reste, M. Mentaberry n'est pas « Monsieur OGM » au Ministère des sciences, mais le chef de cabinet...

La conversion de larges zones vers les cultures d'exportation, le passage aux techniques simplifiées que permettent le glyphosate et l'intensification technique ont certes eu un effet négatif sur l'emploi agricole. Encore faut-il rester objectif : dans la province de Chaco – dans lequel se déroule l'essentiel du reportage –, le soja a conquis... 7 % de la superficie, l'emploi du glyphosate y étant plutôt modeste [16].

Et est-ce raisonnable de décrire cette évolution par un campement de fortune devant la Casa rosada ? Un campement organisé par un mouvement de piqueteros, très marqué politiquement ? L'Argentine est un pays qui a une des plus basses proportions de population rurale au monde ; certainement la plus basse comparée au poids de son agriculture. Ce n'est pas, là, minimiser les drames humains, mais les remettre dans une partie du contexte. Mais M. Moreira veut choquer, matraquer le téléspectateur...

Et c'est bien le but de ces images poignantes, insistantes, indécentes, d'enfants handicapés, de parents déboussolés.

Alors que les parents de la petite Nadia Perez disent ne pas connaître la cause du handicap, M. Moreira la suggère aux téléspectateurs en embrayant sur la peur des habitants d'un tracteur « qui répand soit de l'eau – encore une preuve de l'incroyable absence de maîtrise du sujet, pour ne pas dire inculture –, soit du RoundUp, le glyphosate de Monsanto » (du RounUp, rien que du RoundUp ; et de Monsanto, évidemment, alors que le glyphosate est devenu une molécule générique) ; en interrogeant une personne âgée faisant du gardiennage pour une exploitation agricole – réputée ne pas être commode alors qu'elle se révèle très urbaine – comme si elle était experte ; en revenant sur la famille de la petite fille Nadia, et un père qui se sent coupable d'avoir laissé sa famille être « contaminée par les agrotoxiques » (en fait, le père dit : « plaguicidas », pesticides), ainsi qu'une mère qui dit en avoir respiré quand elle était enceinte.

M. Moreira enfonce le clou en suggérant que le gouvernement argentin « a dû discrètement subventionner des centres d'aide aux enfants handicapés ». Discrètement ? Quelle blague ! Il y en aurait donc quatre dans la ville de Sáenz Peña (en fait Presidencia Roque Sáenz Peña). Mais M. Moreira oublie de dire que la ville compte plus de 76.000 habitants (plus de 88.000 pour le département).

Vient l'estocade : l'infirmière en chef de l'une de ces institutions, Mme Marisa Gutman, précise que « la majorité de nos patients viennent des zones rurales fortement exposées aux agrotoxiques ».

La preuve est donc faite pour M. Moreira : une visite dans une famille, une visite dans une institution pour enfants lourdement handicapés, une déclaration (invérifiable) sur l'origine géographique des enfants avec une caractérisation de la zone rurale, donc une relation géographique devenant par magie un lien de causalité suggéré... l'affaire est pliée...

M. Moreira donne certes aussi la parole au directeur d'une institution qui dit qu'il y a plus d'enfants handicapés mais suggère que c'est peut-être parce qu'ils sont moins dissimulés (on peut aussi ajouter, sur la base des déclarations de Mme Gutman, qu'il y a plus d'institutions pour les accueillir). C'est la technique habituelle des désinformateurs pour se dédouaner : il y a le message principal et, au détour de la « démonstration », le message contraire... Non mais regardez... mais ils sont objectifs...

Argentine : où sont les preuves et les statistiques ?

M. Moreira affirme donc qu'« il y a trois fois plus d'enfants déformés dans le Chaco ». Nous n'avons pas pu vérifier. Quel sont du reste le sens de « déformés » et le deuxième terme de la comparaison ?

M. Suwalki a commenté quelques données statistiques sur ce site [10] sur la base de documents republiées par un site militant [17]. On peut légitimement s'étonner de l'effarante absence de rigueur – pour tout dire, de l'amateurisme éhonté – des « rapports » soumis au gouvernement du Chaco. C'est à croire que le militantisme anti-OGM et anti-pesticides – qui, toutefois, se limite en Argentine à une demande d'éloignement des traitements phytosanitaires des lieux habités – prospère sur le sophisme post (cum) hoc, ergo propter hoc, les anecdotes, et des « statistiques » séraliniennes.

M. Moreira interroge la pédiatre Maria del Carmen Seveso, dont il précise qu'elle est devenue une militante. Elle ose le mot « génocide ». M. Moreira la relance en badinant, visiblement indifférent à l'outrance du propos : « C'est un mot un peu fort, génocide, non ? » Mais la conversation – et l'outrance – est dans la boîte... c'est l'essentiel : il faut choquer...

On notera cependant que Mme Seveso n'a aucunement évoqué une cause pour cet état de fait. Un article de 2012 rapporte que, selon les spécialistes, il est pratiquement impossible de démontrer que l'exposition à une substance chimique peut avoir causé un cancer ou une malformation congénitale ; et que, selon elle, les résultats dans le Chaco montrent la nécessité d'une investigation rigoureuse par le gouvernement [18]. Question : Mme Seveso a-t-elle été instrumentalisée ?

Ce qui n'empêche pas M. Moreira d'aller interroger M. Mentaberry – en excipant de déclarations de médecins – sur la relation de cause à effet entre pesticides et problèmes de santé. Il obtient ce qu'il recherche : une ou deux phrases qui lui permettent de faire avancer sa thèse. En prime, il nous délivre un commentaire dont on doit se demander si c'est de la mauvaise foi caractérisée ou de la bêtise abyssale : « Des combinaisons de produits chimiques !? C'est la première fois que j'entends dire ça ! [...] Jusqu'à maintenant je croyais que le RoundUp de Monsanto [...] était le seul répandu dans les champs »...

Quel contraste avec un article de la BBC du 14 mai 2014 – qu'il aurait donc pu consulter. La journaliste, Mme Linda Pressly, a, elle, interrogé une personne vraiment compétente, et directement impliquée, le Dr Antonio Morante [19], Ministre de la Santé de Chaco (et né à Avia Terai, un des lieux de tournage). Mais voilà ! Celui-ci a dit : « Mais nous avons aussi beaucoup de cas dans des régions où ils n'utilisent pas de pesticides. Nous devons donc traiter cela avec rigueur scientifique – c'est ce que nous faisons cette année. » Et c'est ce que M. Moreira omet de signaler... théorie du complot et de l'omerta oblige.

Pour les pesticides, il ne sait pas ; pour la désinformation, il sait...

« Des combinaisons de produits chimiques !? » Le petit reporter se remet en route dans un scénario à la Tintin. Il repère par un heureux hasard un pulvérisateur laissé en bord de champ ; par un heureux hasard sans personne autour ; par un heureux hasard chargé de bidons divers et variés, aux étiquettes curieusement défraîchies ; et par un heureux hasard de bidons de glyphosate, d'atrazine et de 2,4-D. Et celui qui venait tout juste de découvrir les « combinaisons » pontifie : « Le mélange de tout ça, c'est super-dangereux » ! Mais il est vrait que ce serait un mélange étonnant et détonant... les agriculteurs doivent se tordre de rire... Mais l'essentiel n'est-il pas d'impressionner le téléspectateur ?

C'est forcément suivi de l'inévitable couplet sur l'agent orange – baptisé « herbicide militaire » – et la guerre du Vietnam, avec évidemment l'image d'un pauvre enfant vietnamien. L'agent orange était un mélange de 2,4-D et de 2,4,5-T, et la dioxine est un contaminant du 2,4,5-T quand celui-ci est produit à haute température. Le 2,4-D ne contient pas de dioxine et reste un des herbicides les plus utilisés dans le monde. M. Moreira évacue le problème : « Aujourd'hui, les autorités sanitaires américaines affirment que le 2,4-D était le composant le moins dangereux de l'agent orange ». Quand le fait dérange, on le transforme en propos vague attribué à une autorité à la crédibilité susceptible d'être mise en doute...

Moyennant quoi, M. Moreira retourne au Danemark – enfin grâce aux prodiges du montage –, chez M. Pedersen, qui a eu des porcelets déformés. Superbe amalgame ! M. Pedersen a eu des porcelets déformés ; M. Pedersen a vu des images d'enfants déformés en Argentine ; M. Moreira a asséné les enfants déformés du Vietnam... C'est donc que...

Sauf que le 2,4-D n'est pas utilisé sur le soja (et pour cause... il le détruit) et qu'il est peu persistant...

« Ces types sont honnêtes »... Eux, oui !

Il fallait enfoncer le clou : Monsanto cacherait la réalité dans ses publicités à la gloire du RoundUp car le glyphosate aurait perdu son efficacité, et il faudrait donc utiliser des cocktails de plus en plus puissants. La vraie réalité est plus subtile [20], mais qu'importe... M. Moreira s'adresse à des béotiens...

Lorsqu'on dit, par exemple, que le sorgho d'Alep (Sorghum halepense) est devenu résistant au glyphosate en Argentine, il faut comprendre que cette résistance n'est pas ubiquiste mais limitée à certaines régions et certaines parcelles, en l'occurrence dans la province de Salta. Et, contrairement à ce que M. Moreira laisse entendre, les résistances ne sont pas confinées aux « champs transgéniques » (d'ailleurs, il y a eu une résistance au glyphosate en France, de l'ivraie raide (Lolium rigidum), apparue en 2005 dans des vignes et vergers).

M. Moreira se rend donc à l'INTA, l'Institut national des technologies agricoles, de Cordoba. La mise en condition commence : « Ces fonctionnaires du gouvernement argentin sont les relais des multinationales transgéniques auprès des paysans argentins » et sont « de fervents supporters des OGM ». Puis il interroge deux agronomes – aux fonctions inconnues – en prenant toutefois soin de préciser en incrustation qu'ils sont pro-OGM.. Mais, au montage, cela est précédé de son affirmation que, le glyphosate ne venant plus à bout des mauvaises herbes, « il faut rajouter trois, quatre ou cinq produits chimiques », ajoutant que « les prochaines graines sont prévues pour résister à des combinaisons encore plus toxiques »... il ne fait pas dans la dentelle... mais dans le délire... Délire du reste absurde : pourquoi rajouter des produits à une substance qui n'est plus efficace ?

Le téléspectateur est donc mis en condition... classique. Puis M. Moreira pousse M. Hector Rainero dans ses retranchements sur les risques des « cocktails », et pousse un cri de joie : « Ces types (sic) sont honnêtes... en quelques phrases ils viennent de m'avouer qu'ils sont dans le flou !» Généralisation plus qu'abusive ! M. Rainero n'est du reste pas toxicologue mais malherbologue...

Argentine : des statistiques douteuses ?

Terminons cette séquence en revenant sur la question des « ... trois fois plus d'enfants déformés dans le Chaco ». On trouve assez fréquemment des références à un quadruplement des cas (de certains cas), plus précisément de 19,1 pour 10.000 naissances en 1997-1998 à 85,3 pour 10.000 en 2008-2009 [16] [17] ; M. Suwalki en a fait une critique. La lecture de la source [17] soulève un doute : ces chiffres représentent-ils les cas de la province de Chaco, ou les cas admis aux soins intensifs de l'Unité néonatale de l'Hôpital Perrandoin de Resistencia, rapportés au nombre total provincial des naissances ?

Nous penchons pour la deuxième hypothèse – et, partant, pour un maniement irréfléchi de statistiques. Il y a lieu de souligner ici que les documents en cause avaient pour objectif de faire appliquer les mesures existantes et de faire prendre des mesures plus sévères pour l'utilisation de pesticides près des habitations.

Cette opinion se fonde entre autres sur l'incidence apparente très basse des malformations congénitales. Celle-ci semble être de l'ordre de 255 pour 10.000 en Argentine, proche de l'incidence européenne selon une étude de 2010 [21]. Celle-ci présente des statistiques pour 27 anomalies, ventilées par régions. La région du Nord-Est, à laquelle appartient le Chaco, ne semble pas se distinguer significativement des autres. Selon un autre document, l'incidence des anomalies majeures serait de 176 pour 10.000 naissances [22].

L'opinion se fonde aussi sur un article selon lequel les chiffres (19,1 et 85,3 pour 10.000 naissances) n'incluent pas ceux des institutions de santé privées [23]. Le quadruplement apparent – pendant une décennie marquée par la crise – peut donc aussi s'expliquer par un phénomène de transfert du privé vers le public. Pour résumer : les chiffres sont très suspects.

Argentine : de l'emploi « judicieux » des « bonnes » statistiques

Faisons un détour par la province de Cordoba, autre haut lieu de la contestation de l'agriculture moderne. La France agricole (numéro du 12 septembre 2014) a été piégée lorsqu'elle a publié une brève : « Mortalité alarmante liée aux cancers ». En bref, les décès causés par les cancers seraient deux fois plus élevés que la moyenne argentine dans les zones « agro-industrielles », en fait (cela n'avait pas été précisé) de la province de Cordoba. Une « information » que l'auteur de la brève a dû pêcher sur GMWatch [24] ou sur Natural News (un site qui vaut la visite pour ses extraordinaires publicités pour les charlataneries) [25], ou encore directement à la source [26].

Sans surprise, ces articles citent les activistes les plus médiatisés, notamment M. Damián Verzeñassi, cet universitaire qui déploie des moyens considérables (« ce n'est plus une enquête épidémiologique, mais un peplum » selon un Moreira décidément bien inspiré...) pour mener des enquêtes dont il s'abstient de publier les résultats. Lequel Verzeñassi ose critiquer les gouvernements et les industriels argentins qui « n'arrêtent pas de demander des études sur ce qui a déjà été prouvé »...

Où est le loup ?

Dans l'utilisation des mortalités plutôt que des incidences. Il se trouve que celles-ci ne se recoupent pas avec celles-là [27]. La mortalité serait la plus importante dans la Pampa gringa où on utiliserait le plus de PGM et de pesticides (on peut se poser des questions à ce sujet au vu d'un autre document [16]). Mais la mortalité dépend de plusieurs facteurs dont le type de cancer et les possibilités d'accès à la détection et aux soins.

En fait, l'incidence des cancers dans la province de Cordoba est similaire à celle du reste du monde [28]. Et c'est la capitale de la province qui détient le record des incidences...

...Sans nul doute l'effet des PGM, pesticides, et notamment du glyphosate (ironie)...

Wikileaks, Séralini, TAFTA...

Non ! Pitié ! Ça suffit ! Basta !

Wackes Seppi

 

Communiqué judiciaire

Par jugement du 27 juin 2019,le tribunal correctionnel de Paris a condamné Stéphane Adrover, directeur de publication du site « Imposteurs », et André Heitz, auteur d’un article intitulé « Patrick Moore dit de Paul Moreira… » pour avoir publiquement injurié et diffamé  Paul Moreira dans le cadre de cet article publié le 9 novembre 2014  sur le site « Imposteurs » au sujet  du documentaire « Bientôt dans vos assiettes (de gré ou de force) » réalisé par Paul Moreira et diffusé le 24  septembre 2014 sur Canal +.

 

 

 

 

 

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[1] http://www.reportagestv.com/2014/09/03/special-investigation-bientot-dans-votre-assiette-de-gre-ou-de-force/

[2] Programme :

http://www.europabio.org/sites/default/files/growing_voices_event_programme_22_january_2014.pdf

Communiqué de presse (et accès aux exposés et photos) :

http://www.europabio.org/press/growing-voices-encourage-consumer-rethink-gm-crops-high-profile-guests-highlight-current-and

[3] http://corporateeurope.org/agribusiness/2014/02/biotech-lobby-shuns-consumers-gmo-consumer-benefit-event

[4] Le point de vue de M. Moore est exposé en détail ici :

http://www.epw.senate.gov/public/index.cfm?FuseAction=Files.View&FileStore_id=415b9cde-e664-4628-8fb5-ae3951197d03

M. Moreira en a extrait, en omettant le côté ironique, pastiche du GIEC : « Il est "extrêmement probable" qu'une température plus élevée qu'aujourd'hui serait bien meilleure qu'une plus fraiche. »

[5] https://www.gov.uk/government/speeches/owen-paterson-speech-at-europabio

[6] http://television.telerama.fr/television/alerte-aux-ogm-sur-canal,116246.php

[7] http://www.minagri.gob.ar/site/agricultura/index.php?edit_accion=noticia&id_info=140408130233

[8] http://www.burlingtonfreepress.com/story/news/politics/2014/06/12/gma-sues-vt-gmo-law/10389209/

[9] http://www.burlingtonfreepress.com/story/news/2014/06/12/lawsuit-against-vermont-gmo-law/10392197/

[10] http://imposteurs.over-blog.com/2014/09/diarrhees-porcines-et-desastre-sanitaire-argentin-a-propos-de-deux-allegations-anti-ogm.html

[11] http://www.isaaa.org/resources/publications/briefs/46/topfacts/default.asp

[12] http://www.isias.lautre.net/spip.php?article249

[13] http://imposteurs.over-blog.com/article-judy-a-carman-le-seralinisme-fait-une-emule-en-australie-119976261.html

[14] http://effektivtlandbrug.landbrugnet.dk/Artikler/10152/svineproducent-hoester-gevinst-af-gmo-fri-soja-#.VBdgH5R_uSo

[15] Le Centre danois pour l'alimentation et l'agriculture, Université d'Arrhus, a produit un mémorandum le 4 février 2014. Conclusion générale : il faut des études :

http://anis.au.dk/fileadmin/DJF/Notat_gmofoder__uk_version_Memorandum_on_The_feeding_of_genetically_modified_glyphosate_resistant_soy_products_to_livestock.pdf

[16] http://www.cedib.org/wp-content/uploads/2012/03/ARGENTINA-Millones-de-personas-fumigadas-y-expuestas-a-c%C3%A1nceres-y.pdf

[17] http://www.gmwatch.eu/files/Chaco_Government_Report_English.pdf

[18] http://www.radiodelmar.cl/rdm_2012/index.php/noticias2/2788-transgenicos-y-agroquimicos-cancer-y-enfermedades-congenitas-aumentan-en-argentina.html

[19] http://www.bbc.com/news/magazine-27373134

[20] http://weedscience.com/Summary/Country.aspx?CountryID=48

[21] http://www.scielo.org.ar/scielo.php?script=sci_arttext&pid=S0325-00752010000500006#ref

[22] http://www.sap.org.ar/docs/publicaciones/archivosarg/2013/v111n6a05.pdf

[23] http://www.encuentrodecolectividades.com/index.php?option=com_content&view=article&id=18560:chaco-datos-oficiales-se-multiplico-el-cancer-en-ninos-y-las-malformaciones-congenitas&catid=1:medio-ambiente&Itemid=368

[24] http://gmwatch.org/index.php/news/archive/2014/15506-cancer-deaths-double-where-gm-crops-and-agro-chemicals-used

[25] http://www.naturalnews.com/045874_cancer_rates_Argentina_agrochemicals.html

[26] http://www.pagina12.com.ar/diario/sociedad/3-249175-2014-06-23.html

[27] http://www.taringa.net/posts/ecologia/17853215/El-mapa-del-cancer-en-Cordoba-Argentina.html

[28] http://prensa.cba.gov.ar/salud/se-presenta-el-informe-sobre-cancer-en-la-provincia/

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