Quand un herbicide fait vendre du papier

Publié le par Anton Suwalki

Quel journal peut bien titrer « L'intoxication d'un agriculteur par un herbicide de Monsanto jugée maladie professionnelle » ? Une revue agricole ? Perdu , il s’agit d’une dépêche publiée sur le site du Nouvel Observateur (1).

 

Il est très rare que la presse généraliste s’intéresse aux maladies professionnelles et au sort particulier d’individus qui galèrent parfois pour faire reconnaître les maux dont ils souffrent comme maladies professionnelles. A moins qu’elle n’y flaire un parfum de scandale (comme ce fut le cas pour les victimes de l’ amiante) ou une occasion d’accrocher les lecteurs sur les thèmes à la mode. Comment se fait-il donc que le Nouvel Obs s’intéresse aux malheurs de cet homme ?

 

Si le produit incriminé avait été « naturel » ou bien fabriqué par l’entreprise Tartempion, le Nouvel Obs n’aurait probablement pas relaté l’affaire. L’intérêt qu’y porte ce journal se comprend dans les 3 mots-clés du titre : intoxication + herbicide + Monsanto. Le syllogisme enfantin et quasi subliminal dans l’air du temps qui fait la fortune de certains. Le Nouvel Obs colle ici à la campagne anti-pesticides des écologistes , et fût-ce sous forme allusive, à la campagne anti-OGM, en soulignant qu’il s’agit d’un produit de Monsanto.

 

Rien de surprenant à ce qu’un agriculteur qui considère que sa maladie est la conséquence de son activité professionnelle engage une procédure pour la faire reconnaître comme telle. Bien que les faits qu’il relate évoquent davantage les suites d’un accident du travail qu’une maladie professionnelle.

 

Le problème est que ce monsieur, Paul François, agriculteur en Charente, a déjà communiqué sur le sujet, et raconté des choses bien surprenantes et que son témoignage ressemble plus à une croisade verte qu’à une simple plaidoirie contre les lourdeurs des procédures . Il a bien sûr trouvé des oreilles complaisantes. Celles des anti-OGM , qui se jettent comme des chiens sur un os dès qu’un fait pourrait accuser la firme qui incarne les diaboliques OGM.

 

L’agriculteur avait été interviewé par Ouest France en 2009 (2), et le journaliste avait rapporté ses propos tels quels, sans procéder à aucune vérification, même élémentaire…

 

Lisons son récit :

«  Ma vie a basculé le 27 avril 2004, à 40 ans. Ce jour-là, la chaleur cogne sur les 240 ha de mon exploitation céréalière, à Bernac (Charente). Après avoir pulvérisé sur mes cultures de maïs un désherbant chimique, je veux vérifier que la cuve ayant contenu le produit a été bien rincée par le système de nettoyage automatique. Quand j'ouvre le récipient, les vapeurs du Lasso (nom commercial de l'herbicide, fabriqué par Monsanto), mises sous pression par la chaleur, surgissent et me chauffent tout le corps. »

 

 

L’accident tel qu’il est décrit est-il seulement vraisemblable ? J’ai posé la question à des agriculteurs. Voici la réponse de Pierrick , qui paraît conforme aux lois de la physique :

 

« Impossible, une cuve de pulvérisateur ne peut pas monter en pression. Une cuve à besoin d’une prise d’air pour pouvoir se vider librement, si elle était hermétique la dépression créée à l’intérieur de la cuve l’empêcherait de se vider. La pulvérisation ne pourrait pas être régulière . Rien ne doit compromettre le débit de la pompe. »

 

 

L’agriculteur n’aurait pris aucune précaution particulière , par manque d’information sur la dangerosité du produit qu’il manipulait. Il a donc porté plainte contre Monsanto.

 

« Les fabricants ne disent pas tout sur la dangerosité de leurs produits. Si j'avais su que le Lasso était à ce point volatil, si cette propriété avait été indiquée sur l'étiquette, j'aurais mis un masque avant d'ouvrir la cuve. »

Or, si le Lasso n’est plus commercialisé en France , sa fiche technique en anglais (3) comporte toutes les indications de sa toxicité, des précautions d’utilisation , en particulier le fait qu’il ne faut pas en respirer les vapeurs.

De toutes façons, toujours selon Pierrick :

« Comme tous mes collègues, je sais que des produits phyto peuvent être dangereux. Peu importe le fabricant, les premières règles de bons sens sont d’éviter tout contact avec la peau, inhalation ou ingestion. Pas un paysan ne mettrait la tête dans la cuve du pulvé pour la contrôler. Et ce quel que soit le produit et le fabricant (il me semble bien que le succès médiatique de cette affaire soit liée au nom du fabricant). »

Tout à fait d’accord avec la remarque entre parenthèses !

Selon Paul François, le malheureux agriculteur victime du Lasso :

« Mon procès a révélé au grand jour que les fabricants de produits phytosanitaires sont autorisés par la loi à garder secret tout ingrédient qui entre à moins de 7 % dans la formule. »

Un secret tellement bien gardé que je n’ai trouvé aucun texte règlementaire faisant référence à ce droit au secret, qui serait bien sûr aberrant, au moins s’il concernait le dossier d’autorisation de mise sur le marché. Car , à moins d’être totalement stupide ou corrompue, l’autorité chargée de définir les exigences documentaires d’un dossier d’AMM ne considérera pas un seuil magique de 7% : 7% de « monoxyde de dihydrogène » ou 7% d’arsenic ne pèsent évidemment pas le même poids dans la formule !

« J'apprends aussi que les tests pour homologuer les produits portent sur chaque composante, mais ne mesurent pas la toxicité du mélange. »

Faux, cette « restriction » ne vaut que pour les tests de toxicologie chronique , des tests de toxicologie aigüe et sub-chronique étant effectués sur les formulations commerciales du produit (donc du mélange). Une procédure plutôt rationnelle, finalement. Or, selon les dires propres de cet agriculteur, («Ma vie a basculé le 27 avril 2004 »- c‘est quand même très précis !-), son intoxication par le Lasso, si ce produit est bien la cause de sa maladie, relèverait d’une exposition aigüe.


Quelle «
loi du silence » (cf l’article d’Ouest France) Paul François veut-il donc briser ? Il semble avoir lui-même plutôt choisi la « loi du vacarme médiatique » , en mettant son témoignage douteux au service d’une cause douteuse.
Anton Suwalki


Notes:
(1)http://tempsreel.nouvelobs.com/depeches/societe/20100128.FAP5262/lintoxication_dun_agriculteur_par_un_herbicide_de_monsa.html
(2)http://www.ouest-france.fr/actu/actuDet_-Malade-des-pesticides-je-brise-la-loi-du-silence-_3639-874424_actu.Htm
(3)http://sinat.semarnat.gob.mx/dgiraDocs/legamb/Lazo.pdf

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V
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G
<br /> Oui, mais ça pose plusieurs questions:<br /> <br /> <br /> 1. il semble que bp d'agriculteurs ne se protègent pas, notamment pour la raison expliquée dans l'article<br /> <br /> <br /> 2. apparemment, ça n'était pas indiqué sur les produits<br /> <br /> <br /> 3. pourquoi ce produit a-t-il été interdit à l'étranger bien plus tôt qu'en France?<br />
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I
<br /> Il avait pas mis de masque ni de tenue de protection. Mais comme c'était pas écrit sur l'emballage le juge a condamné Monsanto ! <br /> <br /> <br /> Voir l'article du Figaro.<br />
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G
<br /> "A travers son cas, Paul François veut attirer l'attention sur l'état de santé des agriculteurs français, nombreux à souffrir de maladies dues aux produits qu'ils manipulent, sans oser en parler.<br /> "Ils passent sous silence leurs problèmes de santé, le nez qui saigne, les yeux qui piquent, le mal de tête… Ils laissent filer, mais les intoxications chimiques finissent par provoquer des<br /> maladies graves", dit-il.<br /> <br /> <br /> Et de résumer brutalement : "Des paysans sont en train de crever dans leur coin." La raison de leur silence ? Les agriculteurs se laissent enfermer par un sentiment de culpabilité, analyse M.<br /> François. Selon lui, ils se sentent visés par des reproches sur l'utilisation de produits nocifs pour l'environnement et la santé. Du coup, ils n'osent pas évoquer leurs problèmes de santé, de<br /> crainte d'alimenter la polémique. "Ils meurent, et en plus on les accuse, s'indigne-t-il. On les stigmatise, mais les firmes agrochimiques, elles, continuent d'engranger des bénéfices !""<br /> <br /> <br /> http://www.lemonde.fr/planete/article/2011/12/12/paul-francois-un-paysan-charentais-affronte-monsanto-devant-la-justice-francaise_1617372_3244.html<br />
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E
<br /> Combien d'agriculteurs n'ont aucun masque ou tenue de protection chez eux? Connaissant bien le monde agricole, je sais qu'ils sont nombreux. Aussi, ce qui est arrivé à cet agriculteur n'a rien<br /> d'étonnant. S'il n'y avait pas le diabolique Monsanto mêlée à cette histoire, la presse n'en aurait pas fait ses choux gras.<br /> <br /> <br />
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B
<br /> Pour Yahoo! News, ce sont des robots qui agrègent automatiquement les actualités, il n'y a pas de vérification humaine derrière.<br /> <br /> <br />
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L
<br /> Anton,<br /> <br /> Je suis parfaitement d'accord avec toi sur la façon dont beaucoup de journalistes exercent leur métier. J'en pense même certainement encore plus de mal que toi ! Sur ce cas particulier je<br /> voulais simplement dire que celui du Nouvel Obs n'était pas le seul et que le premier coupable est probablement à rechercher du côté du rédacteur de la dépêche de l'Associated Presse.<br /> <br /> Cordialement.<br /> <br /> <br />
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S
<br /> Cet agriculteur semble avoir été surpris par une bouffée d'air surchauffé et chargé des vapeurs du produit incriminé. Il y a eu contact cutané(s'il faisait très chaud, il n'était pas très<br /> couvert)et, peut être, inhalation.<br /> La "pathologie" qui suit et dont il a fait l'affaire de sa vie a vraisemblablement une composante psychologique, invérifiable et inévaluable, que les experts ne se sont pas permis de contester. Il<br /> y a des maladies professionnelles reconnues, et il y a des cas qui, tout en n'y entrant pas, sont accordés au bénéfice du doute. Comme il est probable que c'est la compagnie d'assurance qui prend<br /> le préjudice en charge, un appel de la société Monsanto ne remettra pas en question ce jugement; <br /> <br /> <br />
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A
<br /> @Laurent : Certes à l'origine il y a les dépêches, mais comment les journaux en ligne filtrent-ils l'information ? Et puis il y a cet article d'Ouest France où la version de l'agriculteur est prise<br /> pour argent comptant, alors qu'il n'y a pas besoin d'être spécialiste des pesticides ou utilisateur professionnel (agriculteur) pour trouver déceler des choses suspectes dans le récit. Apparemment,<br /> il y a quand même beaucoup de MMR en puissance parmi les journalistes , à savoir qui reproduisent n'importe quelle info sans vérifier qu'elle soit vraie dès lors qu'elle confirme leur préjugé. On<br /> en avait eu la preuve éclatante lors de l'affaire du RER D, quand le petit monde des éditorialistes s'indignait à propos d'une agression antisémite ....qui n'avait pas eu lieu. Il faut croire que<br /> les lois de l'audimat interdisent toute régulation et réduisent à néant toute vélléité de respect d'un minimum de déotonlogie professionnelle ! C'est bien triste. <br /> <br /> <br />
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L
<br /> La Tribune ( http://www.latribune.fr/depeches/associated-press/l-intoxication-d-un-agriculteur-par-un-herbicide-de-monsanto-jugee-maladie-professionnelle.html )<br /> a donné le même titre à son article. News Yaooh aussi. Les trois articles reprennent de façon plus ou moins complète une dépèche de l'AP. Il semble donc qu'il faille imputer le titre à cette<br /> agence de presse et ne pas trop charger, pour une fois, le Nouvel Obs.<br /> <br /> En tout cas, merci pour cet article très intéressant. <br /> <br /> <br />
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C
<br /> Voilà la fiche sécurité du lasso. Tout les composants ne sont pas identifiés. La réglementation européenne n'oblige pas à indiquer sur ces fiches la formulation complète, Il y a des<br /> critères indiquant les composants à indiquer.<br /> <br /> <br />
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P
<br /> Côté Mc Do il y a aussi ce procès intenté par une femme qui s'est retrouvé à l'hopital après avoir glissé sur une frite...<br /> C'est la nouvelle mode, on met en avant sa propre bêtise pour récupérer des sous...<br /> Ca devient n'importe quoi !<br /> <br /> <br />
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A
<br /> @Cultilandes : je ne connaissais pas l'affaire du Mcdo, c'est vrai que c'est un peu énorme ! Concernant cet agriculteur , il dit "Si j'avais su, j'aurais porté un masque". Moi ça me fait un peu<br /> penser à un type qui achèterait une Porsche, aurait un accident, et porterait plainte contre le constructeur qui ne l'avait pas prévenu que c'était dangereux de rouler à 250km/h...<br /> <br /> <br />
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C
<br /> Cette affaire me rappelle la condamnation de Mac Donald suite à la plainte d'une cliente de drive-in qui avait eu un accident en voiture parce qu'elle s'était brûlé la cuisse en renversant le café<br /> qu'on venait de lui servir très chaud! Les bidons ne sont plus assez grands pour y écrire tout ce que la loi impose. De puis quelques années, sur chaque bidon, est collé un blister en plastique<br /> contenant une notice de plusieurs feuillets. Et souvent les conseils prodigués vont au-delà de ce qu'impose la loi. Principe de précaution - parapluie! Mr Paul François serait donc parmi les rares<br /> agriculteurs à lire entièrement les notices avant d'utiliser les produits? Avait il donc seulement un masque au moment de l'accident? Car il s'agit d'un accident. La maladie est la conséquence de<br /> l'accident. Le Lasso a été l'herbicide le plus utilisé dans le monde pendant de nombreuses années. Combien d'accidents y a t'il eu?<br /> <br /> <br />
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