Quand un herbicide fait vendre du papier
Quel journal peut bien titrer « L'intoxication d'un agriculteur par un herbicide de Monsanto jugée maladie professionnelle » ? Une revue agricole ? Perdu , il s’agit d’une dépêche publiée sur le site du Nouvel Observateur (1).
Il est très rare que la presse généraliste s’intéresse aux maladies professionnelles et au sort particulier d’individus qui galèrent parfois pour faire reconnaître les maux dont ils souffrent comme maladies professionnelles. A moins qu’elle n’y flaire un parfum de scandale (comme ce fut le cas pour les victimes de l’ amiante) ou une occasion d’accrocher les lecteurs sur les thèmes à la mode. Comment se fait-il donc que le Nouvel Obs s’intéresse aux malheurs de cet homme ?
Si le produit incriminé avait été « naturel » ou bien fabriqué par l’entreprise Tartempion, le Nouvel Obs n’aurait probablement pas relaté l’affaire. L’intérêt qu’y porte ce journal se comprend dans les 3 mots-clés du titre : intoxication + herbicide + Monsanto. Le syllogisme enfantin et quasi subliminal dans l’air du temps qui fait la fortune de certains. Le Nouvel Obs colle ici à la campagne anti-pesticides des écologistes , et fût-ce sous forme allusive, à la campagne anti-OGM, en soulignant qu’il s’agit d’un produit de Monsanto.
Rien de surprenant à ce qu’un agriculteur qui considère que sa maladie est la conséquence de son activité professionnelle engage une procédure pour la faire reconnaître comme telle. Bien que les faits qu’il relate évoquent davantage les suites d’un accident du travail qu’une maladie professionnelle.
Le problème est que ce monsieur, Paul François, agriculteur en Charente, a déjà communiqué sur le sujet, et raconté des choses bien surprenantes et que son témoignage ressemble plus à une croisade verte qu’à une simple plaidoirie contre les lourdeurs des procédures . Il a bien sûr trouvé des oreilles complaisantes. Celles des anti-OGM , qui se jettent comme des chiens sur un os dès qu’un fait pourrait accuser la firme qui incarne les diaboliques OGM.
L’agriculteur avait été interviewé par Ouest France en 2009 (2), et le journaliste avait rapporté ses propos tels quels, sans procéder à aucune vérification, même élémentaire…
Lisons son récit :
« Ma vie a basculé le 27 avril 2004, à 40 ans. Ce jour-là, la chaleur cogne sur les 240 ha de mon exploitation céréalière, à Bernac (Charente). Après avoir pulvérisé sur mes cultures de maïs un désherbant chimique, je veux vérifier que la cuve ayant contenu le produit a été bien rincée par le système de nettoyage automatique. Quand j'ouvre le récipient, les vapeurs du Lasso (nom commercial de l'herbicide, fabriqué par Monsanto), mises sous pression par la chaleur, surgissent et me chauffent tout le corps. »
L’accident tel qu’il est décrit est-il seulement vraisemblable ? J’ai posé la question à des agriculteurs. Voici la réponse de Pierrick , qui paraît conforme aux lois de la physique :
« Impossible, une cuve de pulvérisateur ne peut pas monter en pression. Une cuve à besoin d’une prise d’air pour pouvoir se vider librement, si elle était hermétique la dépression créée à l’intérieur de la cuve l’empêcherait de se vider. La pulvérisation ne pourrait pas être régulière . Rien ne doit compromettre le débit de la pompe. »
L’agriculteur n’aurait pris aucune précaution particulière , par manque d’information sur la dangerosité du produit qu’il manipulait. Il a donc porté plainte contre Monsanto.
« Les fabricants ne disent pas tout sur la dangerosité de leurs produits. Si j'avais su que le Lasso était à ce point volatil, si cette propriété avait été indiquée sur l'étiquette, j'aurais mis un masque avant d'ouvrir la cuve. »
Or, si le Lasso n’est plus commercialisé en France , sa fiche technique en anglais (3) comporte toutes les indications de sa toxicité, des précautions d’utilisation , en particulier le fait qu’il ne faut pas en respirer les vapeurs.
De toutes façons, toujours selon Pierrick :
« Comme tous mes collègues, je sais que des produits phyto peuvent être dangereux. Peu importe le fabricant, les premières règles de bons sens sont d’éviter tout contact avec la peau, inhalation ou ingestion. Pas un paysan ne mettrait la tête dans la cuve du pulvé pour la contrôler. Et ce quel que soit le produit et le fabricant (il me semble bien que le succès médiatique de cette affaire soit liée au nom du fabricant). »
Tout à fait d’accord avec la remarque entre parenthèses !
Selon Paul François, le malheureux agriculteur victime du Lasso :
« Mon procès a révélé au grand jour que les fabricants de produits phytosanitaires sont autorisés par la loi à garder secret tout ingrédient qui entre à moins de 7 % dans la formule. »
Un secret tellement bien gardé que je n’ai trouvé aucun texte règlementaire faisant référence à ce droit au secret, qui serait bien sûr aberrant, au moins s’il concernait le dossier d’autorisation de mise sur le marché. Car , à moins d’être totalement stupide ou corrompue, l’autorité chargée de définir les exigences documentaires d’un dossier d’AMM ne considérera pas un seuil magique de 7% : 7% de « monoxyde de dihydrogène » ou 7% d’arsenic ne pèsent évidemment pas le même poids dans la formule !
« J'apprends aussi que les tests pour homologuer les produits portent sur chaque composante, mais ne mesurent pas la toxicité du mélange. »
Faux, cette « restriction » ne vaut que pour les tests de toxicologie chronique , des tests de toxicologie aigüe et
sub-chronique étant effectués sur les formulations commerciales du produit (donc du mélange). Une procédure plutôt rationnelle, finalement. Or, selon les dires propres de cet agriculteur,
(«Ma vie a
basculé le 27 avril 2004 »- c‘est quand même très précis !-), son intoxication par le Lasso, si ce produit est bien la cause de sa maladie, relèverait d’une exposition aigüe.
Quelle « loi du
silence » (cf l’article d’Ouest France) Paul François veut-il donc briser ? Il semble avoir lui-même plutôt choisi la « loi du vacarme médiatique » , en mettant son
témoignage douteux au service d’une cause douteuse.
Anton Suwalki
Notes:
(1)http://tempsreel.nouvelobs.com/depeches/societe/20100128.FAP5262/lintoxication_dun_agriculteur_par_un_herbicide_de_monsa.html
(2)http://www.ouest-france.fr/actu/actuDet_-Malade-des-pesticides-je-brise-la-loi-du-silence-_3639-874424_actu.Htm
(3)http://sinat.semarnat.gob.mx/dgiraDocs/legamb/Lazo.pdf