La Décroissance, ou la gauche réactionnaire, par Luc Marchauciel
Une petite devinette pour commencer : à quel endroit pouvait-on lire en décembre 2009 les lignes suivantes ?
" Notre société fait de nous des individus hors-sol. Nous devenons à l'instar des tomates sous serre des humains sans racine. Il est même malvenu d'être né quelque part, d'avoir une identité. N'en déplaise à Cohn-Bendit et aux membres de la jet-set, nous sommes quelques milliards à avoir besoin de racines. Ne nous laissons pas intimider et osons dire que cette mondialisation est une "immondialisation", qu'elle est sale, qu'elle détruit les humains et la planète. Osons l'antimondialisme. "
Vous avez une idée ?
National-Hebdo ?
Présent ?
L'Action Française ?
Une publication quelconque des Jeunesses Identitaires ?
Bien essayé, mais non.
En fait, le journal qui a publié cette prose vert-de-gris s'appelle La Décroissance[1], et il ne se revendique pas de l'extrême droite, mais plutôt de la gauche et de la mouvance dite "altermondialiste ". On peut d'ailleurs remarquer ici que cette mouvance a dû se battre pendant toute une décennie pour faire admettre par les journalistes qu'il fallait utiliser pour la désigner l'étiquette "altermondialiste " et non "anti-mondialisation", façon de prendre acte de son internationalisme viscéral et de son choix d'une autre mondialisation plutôt que du refus de la mondialisation. Peine perdue, car voici qu'un journal très en vogue dans ce milieu remet au goût du jour l'"antimondialisme ", dans un encadré intitulé "La relocalisation contre le mondialisme ".
Précisons toutefois dès le début de cet article qu'une formule telle que : "Osons le local sans les murs ", ou d'autres passages de cet encadré, ne relèvent en rien d'une idéologie xénophobe et d'extrême-droite. La référence à l'extrême droite (ou à Proudhon par la suite) fait allusion à un discours passéiste omniprésent, et pas à une quelconque forme de xénophobie ou d'antisémitisme, qui sont évidemment totalement absents du discours décroissant. Mais il ne faut pas s'étonner si dans une fraction de l'extrême droite, celle qui s'abreuve à la pensée d' Alain de Benoist et qui s'auto-qualifie d'"identitaire", on peut estimer que :
"Le concept de décroissance déploie des idées plus qu’intéressantes et nombreuses d’entres-elles convergent avec les idées et les valeurs défendues par les identitaires. (...) l’axiome central et novateur de la décroissance, que partagent pleinement les identitaires, réside sans conteste dans la remise en cause du dogme progressiste."[2]
L'objet de ce texte est donc de montrer, en parcourant le numéro de décembre du journal La Décroissance, que le dérapage sur l'"antimondialisme", qui peut provoquer un appel d'air vers l'extrême-droite, ne relève pas que de la maladresse, mais qu'il prend ses racines dans un mode de pensée que l'on peut qualifier d'authentiquement "réactionnaire ". J'entends ici "réactionnaire " au sens propre du terme, à savoir une sorte de volonté de faire tourner la roue de l'histoire à l'envers, en expliquant à tout bout de champ que "c'était mieux avant "[3] et en dénonçant à longueur de colonnes les dangers du Progrès. Ces thématiques sont traditionnellement celles de la droite conservatrice de type pétainiste, et on ne laboure pas sans risques ces terres antimondialistes et traditionnalistes, même si c'est pour y cultiver de la Décroissance bio écocitoyenne... I
Voici donc, en piochant de-ci de-là, ce que l'on peut lire dans La Décroissance, en se limitant volontairement à ce numéro de décembre 2009. Je précise que j'ai naturellement choisi de mettre l'accent sur ce qui me hérisse le plus le poil. Dans le gloubiboulga qui constitue la pensée décroissante, chacun pourra éventuellement retrouver ses petits, et je peux partager par exemple un rejet du capitalisme, du gâchis et des inégalités qu'il engendre, ou encore une certaine apologie du calme et de la tranquillité. Je ne veux pas recopier ici tout le journal, il est disponible en kiosque, mais pointer tout ce qui selon moi construit une cohérence réactionnaire qui explique ce dérapage sur l'"antimondialisme".
C'était mieux avant, quand il n'y avait pas tout ce tout.
Plusieurs articles du numéro de décembre viennent illustrer la Une de saison, sur laquelle un Père Noël hilare vide dans la poubelle son sac de cadeaux (voiture, console de jeux, téléphone portable, ordinateur, avion, mais aussi montre ou verre de vin !), sous le titre "Trop de tout". Car c'est cela le fonds de commerce de la Décroissance globale : nous souffririons de produire trop de tout. De tout, vraiment ? D'armes ou de 4X4 pour citadins, très certainement. Mais ce "de tout" pour lequel les décroissants veulent aller vers le moins englobe donc aussi la nourriture, les transports en commun, les vélos, les livres, les appareils électro-ménagers, etc. ? Ceux qui un peu partout dans le monde sont privés de "presque tout" apprécieront.
Mais à ceux-ci, comme aux autres, La Décroissance propose la "simplicité volontaire". Ainsi, chaque mois le journal nous présente un portrait d'un de ces héros qui se prive volontairement. Ce mois-ci, page 7, c'est Jean-Yves qui s'y colle. Et Jean-Yves est quelqu'un de bien parce qu'"Il vit sans voiture, sans télévision,sans téléphone portable, sans... Sa richesse est celle de la relation et du don, sa force, celle de la liberté". Tin tin tin ! Jean-Yves, sculpteur de son état, nous dit gagner 350 euros par mois, mais c'est encore trop à son goût : "De toute façon, j'aimerais ne rien gagner du tout. Mon rêve serait de n'avoir aucun revenu, 0". Bon, mais comment il fait Jean-Yves ? Ben, en fait, des gens lui donnent des trucs, un copain l'emmène en camion pour récupérer son bois (car le camion, voyez-vous, ça peut quand même être utile à l'occase). En échange, Jean-Yves donne énormément. Il donne énormément de cours de sculpture (enfin, de "grattage sur bois", tient-il à préciser). Et comment s'intitule cet article à propos de Jean-Yves ? "Un précurseur" ? "Un modèle pour nous tous" ? "Un gars bien" ? Non. "Un prophète", plutôt, pour ne pas trahir cette empreinte de religiosité qui imbibe la Décroissance.
Si Jean-Yves est le praticien de la simplicité volontaire mis en avant ce mois-ci, Paul Ariès en est le théoricien systématique numéro après numéro. Paul Ariès est "politologue", c'est à dire qu'il est à la manière des chroniqueurs insupportables qui peuplent les médias un type qui n'est spécialiste de rien mais qui donne son avis sur tout, le plus souvent en brassant du vide. "Politologue", c'est en quelque sorte un genre de philosophe pompeux dont on comprendrait toujours ce qu'il dit. Et, ce mois-ci, Paul Ariès excelle encore une fois dans l'art de la politologie, dans son long papier intitulé "Besoin de rien envie de toi (Peter et Sloane, 1984)". Car Ariès semble avoir piqué le truc de son compère sociologue-philosophe Philippe Corcuff, qui aime citer dans la même phrase Merleau-Ponty et Alain Souchon[4].
Donc : on a "trop de tout" et de toute façon on a "besoin de rien". Car, sous le patronage de nos deux tourtereaux bêlant qui ont ensuite trahi la cause de la simplicité volontaire en chantant "C'est la vie de château avec toi", le maître à penser du journal élève le niveau et vise les cimes de la généralisation philosophique :
"Nous devons organiser l'éloge du vide face au constat du trop-plein. Le vide est en effet nécessaire en toute chose... L'invention du zéro a permis de penser le vide et de multiplier les constructions intellectuelles. Le silence est la mesure incontournable en musique. Toute croyance religieuse se bâtit également sur une relation à l'absence : dans le christianisme, c'est le tombeau du Christ ; dans l'Islam c'est la chaise vide qui rappelle que l'on attend le douzième Imam".
La démonstration mathématico-théologique est éblouissante, le lecteur en conviendra aisément. Qu'il sache que celle-ci fait partie du dernier paragraphe, intitulé "Éloge du vide", un titre-programme qui a des airs de mise en abyme, tant ce vide que revendique Paul Ariès décrit parfaitement le contenu de son argumentation. En ce sens, rarement auteur aura été aussi cohérent....
Évidemment, en conclusion, Paul Ariès ne rate pour rien au monde la tarte à la crème anthropologique des "sociétés traditionnelles qui avaient tout mieux compris que nous autres Modernes aliénés"[5]. Sans que l'on ne sache généralement, et en tout cas ici, quelles sont ces "sociétés traditionnelles", qui ne sont ni nommées ni situés dans le temps ou dans l'espace, ce qui permet de les amalgamer en une catégorie fourre-tout bien pratique et à qui l'on peut faire dire en gros ce que l'on veut :
"Les sociétés traditionnelles acceptaient le vide avec sérénité car elles privilégiaient la cohésion sociale sur la concurrence. On ne craignait pas le vide car chacun avait la certitude d'occuper une place"
Effectivement, dans la société d'Ordres qui a existé "traditionnellement" en France sous l'Ancien Régime, par exemple, chacun savait très bien quelle était sa place et qu'il ne pourrait pas en bouger. C'était bien rassurant. Surtout pour les 2% qui constituaient la noblesse et le clergé et que les 98 autres % nourrissaient par leur travail.On se demande bien pourquoi ces imbéciles de gueux ont semé la zone en 1789-1793, alors que tout était pourtant si bien réglé. Sans doute étaient-ils aveuglés par les Lumières qui vantaient le progrès et le changement. Car la Décroissance n'aime pas le progrès, et s'en prend par exemple p. 4 à François Hollande qui, le salaud, défend ce que la décroissance appelle "le catéchisme de l'idéologie progressiste". La formule est belle et La Décroissance devrait essayer de la breveter, Benoît XVI voudra peut-être l'utiliser. En attendant, La Décroissance met tout le monde dans le même sac progressiste :
"Droite et gauche n'ont plus dans la tête que la perspective d'une société d'opulence même si, pour cela, il leur a fallu casser les cultures et les résistances populaires".
Il faudrait écrire un courrier au journal pour demander à Paul Ariès qu'il soit un peu plus explicite et qu'il n'hésite pas à révolutionner l'histoire sociale en nous citant plus précisément des exemples de ces "résistances populaires" à la perspective d'une "société d'opulence". J'ai beau être historien de formation et avoir un peu bossé sur les mouvements sociaux, je n'ai pas en tête d'images de manifs aux cris de : "Plus de liberté, moins de pain !" ou encore de grèves réclamant "moins de tout".
Mais nul doute que le politologue va nous sortir ça de sa besace....
C'était mieux avant, quand il n'y avait pas tous ces objets
Venons-en maintenant à quelque chose de moins spirituel et de plus concret. Car, Paul Ariès n'a pas peur de balancer des noms et de citer précisément la cause de notre malheur, de notre oppression.
Le grand capital ? Les religions ?
Mais, non, vous n'y êtes pas : "les objets".
"Ce "trop de tout" est d'abord celui des objets qui nous emprisonnent. Un chiffre : on estime qu'un logement moyen contient en moyenne 10 000 objets contre 300 au XIXe siècle."
Oh putain, en voilà un chiffre qui fait peur ! 10 000 objets, ma bonne dame, mais où va-t-on ?
Oui, non, parce que c'est vrai qu'a priori, on serait tentés de répondre à Paul Ariès : "so what ?" En quoi est-ce là un truc qui "nous emprisonne" [rien que ça !] ? Là aussi, on voudrait savoir.
Ce qui est sûr, c'est que dans la vision décroissante du monde, les objets ne servent jamais à rien et doivent être jetés à la poubelle. Ainsi, chaque mois, dans la page "On arrête les bêtises ?" (qui n'est malheureusement jamais une autocritique à la mode maoïste, ça aurait au moins le mérite d'être drôle), on a droit à la rubrique "La saloperie que nous n'achèterons pas ce mois-ci", qui voue aux gémonies un objet du quotidien. Ce mois-ci, c'est la teinture pour cheveux qui en prend pour son grade, vu que l'"on trouve rarement mieux que notre couleur naturelle de cheveux ; les artifices ont plutôt tendance à nous enlaidir". Bref, la nature c'est bon, l'artificiel c'est caca, on connaît la chanson. Acceptons donc notre nature, et arrêtons de nous raser, de nous épiler, de nous parfumer, de nous maquiller, de nous tatouer, de nous piercinguer, de nous coiffer, de nous couper les ongles, etc., et nous serons tous et toutes beaucoup plus sexys, selon les canons décroissants. D'ailleurs, on le sait bien, dans le sociétés traditionnelles que kiffent les Décroissants, les tatouages, bijoux, teintures de cheveux et autres parures sont notoirement absents, les musées sont souvent plein de ce vide...
Sinon, cette fixette sur la teinture pour cheveux a l'air étrange au premier abord, mais, comme le rappelle Pierre Vandrille dans son exposé présenté lors d'une conférence de Lutte Ouvrière, les décroissants se posent de graves questions existentielles à propos des cheveux et des shampoings...[6] Ceci dit, ce n'est peut-être pas là le plus ridicule : un jour j'ai lu dans cette rubrique que l'ordinateur est une saloperie qu'il ne faut pas acheter. L'article en question, comme l'avouait son auteur, était bien entendu rédigé sur un ordinateur...
Voilà pour la chronique "conso" mensuelle. Pour la théorie de tout ça, il faut se reporter au texte déjà évoqué de Paul Ariès, en pages 2 à 4.
Je glisse sur les considérations métaphysiques du type :
"Nos excès ont des conséquences redoutables dans tous les domaines ; ils brouillent les repères de sens ; ils sabordent notre relation au temps (...)"[7]
"nous ne possédons pas nos objets, ce sont eux qui nous possèdent"
pour en venir à l'essentiel, avant que tout le monde ne dorme à poings fermés.
Voici donc le côté un minimum pratique de la chose, à partir du rapport à l'électro-ménager de LA femme - dont on apprend que, dans les années 1950, c'était elle qui "détenait les cordons de la Bourse" (dixit Ariès) :
" Une foule d'objets vont donc être inventés prétendument pour lui faciliter la vie ; avec le pernicieux argument de la libération, on va lui vendre des aspirateurs, des robots, des cuisinières hyper-sophistiquées, des cuisines intégrées, des frigidaires américains, etc. "
Bref, que des horreurs, dont une est même américaine, c'est vraiment effrayant .
On peut remarquer que :
1) Tiens, c'est marrant, il n'a pas cité le lave-linge dans sa liste, c'est bizarre.
2) "Prétendument", dit-il. Là, on aimerait bien que Paul Ariès, visiblement spécialiste ès tâches ménagères, nous explique en quoi l'aspirateur, la cuisinière et le frigo ne facilitent pas la vie. En tout cas, moi, ça me plairait vraiment beaucoup d'avoir une démonstration sur ce thème.
3) Elle est vraiment neuneue, la femme des années 1950 : on lui propose des objets qui ne servent à rien, et comme une conne, elle les achètent !
4) Comme dans l'épisode biblique de la Genèse, c'est par la femme que le péché arrive et se diffuse à l'homme. Cette idiote croque d'abord la pomme du serpent et ensuite achète le robot ménager du publicitaire, c'est pas Dieu possible d'être à ce point incapable de résister à la tentation ! Et après, c'est nous les hommes qui en subissons les conséquences, alors qu'on y est pour rien (notamment dans le domaine des tâches ménagères, si vous voyez ce que je veux dire...).
Mais, en vrai, je me demande si tous ces objets diaboliques, en libérant du temps qui a pu être consacré à autre chose, n'ont pas quand même un peu contribué au processus d'émancipation des femmes. Pas beaucoup certes, non, mais peut-être un tout petit peu quand même. En tout cas, on ne voit pas bien comment ils auraient pu avoir l'effet inverse.
Cela n'empêche pas Paul Ariès de regretter ce qu'il appelle "Un art de vivre perdu" :
"L'enfantement de cet homme nouveau est passé par la perte de toute cette richesse, que ce soit pour cuisiner, s'occuper de la maison, coudre, bref tout ce que l'on appelait l'économie domestique".
"qui se souvient qu'il y a encore quarante ans, on confectionnait encore une bonne part des habits à la maison ou qu'on bricolait plutôt que d'aller chez Ikéa ?"
Je ne sais pas si il y a quarante ans, en 1970 donc, "on" [en général, peu importe les catégories sociales] fabriquait ses habits à la maison, j'ai même un peu de mal à y croire, mais peu importe, la question est : en quoi cela était-il mieux ? Et si c'était si mieux que ça, pourquoi a t -"on " arrêté de le faire ? Parce qu'"on " est de fieffés fainéants qui préférons la facilité ? Quant au bricolage, il faudrait vérifier, mais il me semble que, plus qu'une évolution dans le temps, il révèle une distinction entre classes sociales. "On " bricole beaucoup plus dans la classe ouvrière, aujourd'hui comme hier, non ?
Continuons :
"Les plus de 50 ans se souviennent encore que leurs grand-parents refusaient souvent la "modernité". L'électricité était installée avec parcimonie, notamment dans les chambres à coucher, même par mon grand-père maternel, bien qu'il fut électricien ".
Et que faut-il conclure de cette anecdote fascinante ? L'électricité dans les maisons, et dans les chambres à coucher, a-t-elle amélioré les conditions de vie, oui ou non ? Après des décennies d'expérience et sur la base l'ensemble des connaissances accumulées, y a-t-il la moindre raison de regretter ce développement de l'électrification ? Les bénéfices constatés ont-il oui ou non excédé les "risques" possibles ? Poser la question c'est y répondre....
Sauf que visiblement, selon Ariès, il est toujours bon de souffler sur les braises technophobes, ça a l'air d'être une question de principe. Dans ce même numéro de La Décroissance, un cahier central est offert au réseau "Sortir du nucléaire". Le reste du canard, juste répartition des tâches, se charge donc d'expliquer que la bougie, c'était vachement mieux,...
Sauf que, cette nostalgie du temps d'avant, ce n'est en réalité pas ce que pensent les gens qui ont connu "cet art de vivre perdu" que regrette Ariès (qui ne se mouille pas beaucoup, vu que lui dispose de l'ordinateur, de l'électricité et tutti quanti). Il se trouve que j'ai mené avec mes élèves un travail d'enquête dans leurs familles, et notamment auprès de leurs grands-parents, à propos de différents points du programme de 3e, dont celui du développement de la société de consommation dans les Trente Glorieuses. Ce qui est marrant, c'est que les vieux ne vont pas du tout, mais alors pas du tout dans le sens du regret de l'art de vivre perdu. Tous les témoignages insistent au contraire sur le fait que la vie est beaucoup plus facile aujourd'hui qu'avant, on ne voit pas poindre le moindre regret pour le temps du lavoir, des veillées au coin du feu en s'éclairant à la bougie et des déplacements limités par l'absence de transports performants. J'ai interrogé moi aussi ma grand-mère dans le cadre d'un entretien biographique, et lorsque je lui ai demandé en conclusion quel est le changement qui l'avait le plus marquée, elle m'a clairement répondu : "la machine à laver". Et je n'ai pas senti, depuis son corps affaibli par l'âge et le travail, de pointe de regret dans la voix....
Un complément à tout cela est apporté pages 8 et 9 sous un titre prometteur (et sous la signature collective de la rédaction, semble-t-il) : Un programme de sortie de crise. Ah, ça tombe bien, parce qu'on a vraiment besoin d'un truc de ce genre, ces temps-ci. Sauf que, ce "programme" des décroissants, s'il est organisé en chapitres aux titres ronflants – "L'autonomie contre la dépendance" ; "Se refuser comme consommateur" ; "Se refuser comme producteur" [ qui a dit : "parasites" ?] ; "Le ralentissement contre la vitesse" ou même l'écolo-psychanalytique "Le jardin planétaire contre le refoulement de la nature" - , ne comprend en tout et pour tout me sembl-t-il qu'une seule mesure concrète : la suppression du TGV (parce que la vitesse, c'est mal, et parce que le TGV fait disparaître les TER, - y a pas moyen d'avoir les deux, ne me demandez pas pourquoi).
À défaut de trucs concrets et éventuellement applicables, on est bombardés de pensées profondes du type :
"Le forçat du travail et de la consommation est entrainé à dire oui. Il faut positiver ! Conséquence : les parents ne savent plus dire non et frustrer leurs enfants alors que la frustration est indispensable à toute culture."
"Perdre le contact avec la nature, c'est pourtant perdre le contact avec soi-même, puisque nous faisons aussi partie de la nature ! (...). Nous violons notre propre chronobiologie. Nous saccageons la planète. Nous vivons hors du temps et hors sol."
"La première des décroissances doit être celle des inégalités. Non seulement parce que le mode de vie des riches est insoutenable, mais parce qu'ils donnent le mauvais exemple aux classes inférieures" [ça doit vouloir dire : "classes populaires"]
"Les objecteurs de croissance campent du côté du politique contre l'économique [?] , du côté des institutions contre les machines [????]"
Je voudrais retenir ici un passage très significatif, dans la partie "L'autonomie contre la dépendance":
"La société industrielle nous prive du pouvoir sur notre vie. Nous devenons les terminaux de systèmes technoscientistes. Que savons-nous de l'eau potable que nous buvons ? Que savons-nous de l'utilisation de nos impôts ? Que savons-nous faire de nos mains ? Le citoyen, devenu un consommateur, est dépossédé au profit des experts."
Ce passage, que certains pourront peut-être trouver séduisant ou pertinent, est en fait, je crois, un concentré explosif de questions mal posées. Ici, l'ennemi est manifestement la science et l'industrie, qui seraient responsables d'un recul du contrôle populaire au profit des experts.
Ce qui fascinant, c'est l'aspect totalement a-historique et a-social de la pensée Décroissante, qui se focalise sur les dangers des technosciences. Quel était le pouvoir sur sa vie du paysan métayer en 1820, avant la généralisation de la société industrielle ? Certainement moins important que celui du propriétaire terrien qui l'exploitait. Dans le monde décroissant, il n'y pas de classes sociales, il n'y a qu'un "on" citoyen, menacé de partout par la modernisation. Il existe en fait des mécanismes économiques de subordination qui rendent les travailleurs plus dépendants, et l'histoire sociale française est effectivement marquée par une résistance particulièrement forte des ouvriers à la prolétarisation, afin de maintenir une parcelle d'autonomie[8]. Mais le problème est-il les technosciences... ou le capitalisme ?
En ce qui concerne l'utilisation de nos impôts, on en sait certainement beaucoup plus aujourd'hui qu'il y a deux siècles. La société est beaucoup plus transparente – mais aussi plus compliquée - , c'est comme ça. Le développement des moyens de communication modernes doit y être pour quelque chose...
Que veulent savoir les décroissants à propos de l'eau potable qu'ils boivent ? Si elle est potable ? La courbe de l'espérance de vie depuis le début de la société industrielle devrait nous donner une indication à ce sujet (entre autres) : De 1900 à 2000 l'espérance de vie en France est passée de 40 à 78 ans [9]!
Quant à devoir s'en remettre aux experts faute de pouvoir tout faire soi-même, c'est vieux comme... la division du travail au néolithique, non ? Et le phénomène s'accentue mécaniquement au fur et à mesure que l'humanité développe ses connaissances et son contrôle de la nature. L'idéal de l'honnête homme du XVIIIe siècle, celui qui est au courant de toutes les choses de son temps, est aujourd'hui totalement inaccessible, le savoir étant devenu infiniment trop vaste. Un biologiste contemporain est probablement largué dans la plupart des domaines de pointe de sa discipline, sauf celui dans lequel il est lui-même expert. Et alors ? Que faut-il faire ? Mettre en place un service public de l'expertise au service de la population, des procédures de contrôle entre experts... ou alors revenir en arrière, loin en arrière, quand il y avait beaucoup moins de choses à savoir et que chacun pouvait espérer accéder à l'ensemble des connaissances de son époque ?
Enfin, si Paul Ariès et les décroissants veulent savoir faire plus de choses de leurs mains, qu'est-ce qui les empêche d'aller faire un stage en mécanique pour apprendre à réparer un moteur, ou même de passer un CAP de menuiserie plutôt qu'un Master en sciences politiques ? Au moins pourraient-ils alors produire quelque chose d'utile à autrui. Parce que, en l'état, je ne vois pas quel bénéfice tirer de la consultation de leurs productions théoriques indigentes et passéistes.
C'était mieux avant, dans les salles de classe
Ce qui, en tant qu'en enseignant, a attiré mon attention sur ce numéro de La Décroissance, c'est l'annonce en Une d'un article consacré à "Philippe Meirieu, pas écolo et mauvais pédago". Réglons tout de suite la question de la première partie de la charge : Meirieu est candidat aux élections régionales sur une liste des Verts, et, comme tout sectaire qui se respecte, l'Objecteur de Croissance déteste avant tout celui qui lui ressemble le plus, et pérore inlassablement sur le thème : "C'est moi le vrai, lui c'est un faux". Mais bon, ça, c'est leur problème....
Ce qui m'intéresse ici est la manière dont, page 9, Paul Ariès - encore lui - se livre à une charge contre le pédagogue Meirieu, sous le titre : "Meirieu contre l'école". Commençons d'abord par souligner le caractère parfaitement ridicule de cet intitulé, en précisant à ceux qui ne sont pas férus de questions d'éducation que Philippe Meirieu est un des pédagogues français importants des dernières décennies, et qu'il vient en gros du courant dit de l'"éducation populaire", consistant à élaborer des méthodes de travail fondées sur la mise en activité des élèves et sur une construction collective et coopérative du savoir. Je crois qu'on peut dire ça comme ça... On peut penser ce que l'on veut de la démarche de Meirieu, de tel ou tel point de ses analyses, de sa mdéarche globale ou de son passage au ministère Allègre, mais le présenter comme un opposant à l'école est un contresens particulièrement grotesque. Et particulièrement fort de café lorsque l'on sait que parmi les Pères Spirituels d'Ariès et de la Décroissance se trouve au tout premier plan le fameux Ivan Illitch, qui était lui un authentique opposant à l'école, qu'il présentait comme une simple institution de conditionnement des masses. Parmi ses publications figurait par exemple un texte très symptomatique,"Le potentiel révolutionnaire de la déscolarisation", paru au Seuil en 1971 dans le non moins symptomatique Une société sans école[10]. Et les partisans contemporains de la décroissance en général ne sont je crois pas les derniers à développer cette détestable pratique de l'éducation à domicile ou des écoles alternatives, qui évitent de mêler ses rejetons à ceux du commun. Alors, quand Ariès, le politologue touche à tout, vient faire la leçon à Philippe Meirieu sur le terrain de l'école, ça s'annonce prometteur....
En gros, la critique étalée ici ressemble comme deux gouttes d'eau à celles des plus conservateurs des intervenants de l'Education Nationale, comme le syndicat SNALC, les associations du type "Sauvez les Lettres " ou des bouquins boursouflés du genre La fabrique du crétin. Avec toutefois chez Ariès une petite touche de passéisme technophobe en guise de cerise sur le gâteux. Morceaux choisis :
"Cette proximité entre droite et gauche en matière pédagogique est symbolisée par le personnage de Philippe Meirieu, véritable gourou français du pédagogisme, importateur en France des méthodes qui ont prouvé leur dangerosité aux Etats-Unis (..)"
"Le pédagogisme dont Meirieu n'est que le représentant en France est en réalité l'idéologie bien-pensante élaborée aux États-Unis pour "massifier" la culture."
"une véritable macdonaldisation de la pensée "
Bon, on l'aura compris, ce qui affleure surtout ici, c'est à la fois une forme de xénophobie anti-américaine somme toute banale (puisque dire d'une chose qu'elle vient des États-Unis semble suffire à la disqualifier) matinée d'une espèce de racisme de classe (ce rejet de la "massification de la culture "), tous les deux étant fréquents dans les colonnes d'un journal où l'on caricature régulièrement le consommateur beauf tant honni sous les traits d'un gros à casquette. C'est un point commun entre La Décroissance et Nadine Morano : ils ont tous les deux un rapport pathologique aux gens qui portent des casquettes.
Lorsque Paul Ariès présente ce qu'est selon lui la pédagogie de Meirieu, il le fait d'une manière totalement déformée qui rappelle, au mot près, la prose des plus réactionnaires adversaires du dit "pédagogisme" :
"Ce pédagogisme sacrifie tout simplement l'idée même de transmission. Conséquence : il faut interdire aux profs de faire des cours magistraux, on va généraliser à la place une fausse participation qui transforme les cours en café du commerce avec cette incapacité actuelle à obtenir simplement le silence en classe, l'enseignant devient un animateur (comme on dit dans les textes officiels), on utilise même le travail en groupe, qui ne crée pas de coopération mais plutôt de l'hétérogénéité, au risque que les plus faibles tirent les meilleurs vers le bas "
Manifestement, Ariès confond la pratique actuelle de la majorité des enseignants avec celle de l'incompétent héros du film de Laurent Cantet Entre les murs. Mais qu'est ce qu'il en sait, Ariès, de ce qui se passe en vrai dans les salles de classe ? Sur quoi il se fonde pour balancer toutes ces âneries qui font, elles, effectivement penser au café du commerce - un soir où les clients auraient particulièrement abusé de la bibine ? Comment peut-on écrire un truc aussi idiot et oxymorique [ça se dit ?] que "le travail en groupe ne crée pas de la coopération " ? Comment peut-on à ce point reprendre à son compte un argument aussi élitiste et éculé que "les plus faibles tirent les meilleurs vers le bas " ? C'était mieux avant, c'est ça, quand les plus faibles n'avaient pas accès à l'école, avant cette satanée massification de l'enseignement, qui rappelle celle "de la culture venue des États-Unis " ? Cet aplomb, pour lequel la suffisance le dispute à l'ignorance, ne saurait étonner de la part de quelqu'un qui s'est fait une solide réputation de péroreur sur des thématiques qu'il ne maîtrise absolument pas. Le lecteur sceptique pourra se reporter par exemple à cette critique de l'ouvrage que Paul Ariès a publié aux très catholiques éditions Golias pour lancer l'alerte sur le péril sataniste en France (si, si, sans rire). La recension des erreurs factuelles est particulièrement croustillante :
http://www.obskure.com/fr/dossier-kulture.php?id=42
Bref, dans l'éducation nationale, le pédagogisme, voilà le grand Satan responsable de tous les maux :
"Philippe Meirieu sait bien en effet que le bilan de son idéologie pédagogique sectaire est effroyable en termes de niveau scolaire, parce qu'elle a rendu tout enseignement impossible dans nombreux établissements où ces méthodes font des dégâts."
Bref, tout est de la faute au pédagogisme de Meirieu. Voilà qui exonère à bon compte les suppressions de postes et les classes surchargées, les phénomènes de ghettos urbains, la misère sociale en général, etc., le tout en faisant totalement abstraction du contexte général de massification de l'enseignement. Au temps des grands - mères, qu'Ariès révère, une large partie de la population n'accédait pas à l'enseignement secondaire et notamment au lycée, et les problèmes se posaient donc bien différemment. Le hic, c'est qu'on a ouvert la porte à ces salauds de pauvres à casquette, alors après, forcément, les faibles ils tirent les meilleurs vers le bas, comme il dit, l'Ariès...
Un des ressorts de la massification de l'enseignement secondaire, bien plus qu'une farouche volonté de démocratisation émancipatrice de la part de couches dirigeantes prises d'une soudaine envie d'ouvrir les portes de leurs sanctuaires scolaires, est en fait la nécessité de l'élévation du niveau de formation de la main-d'oeuvre. Pourquoi donc ? À cause des mutations technologiques liées à ces satanées révolutions industrielles abhorrées par les décroissants. Et là, Ariès fait preuve d'une certaine cohérence dans sa pensée passéiste en se situant à la pointe d'un nouveau combat qui lui permet de contourner sur leur droite les plus réacs des réacs : le refus de l'informatisation de l'école :
"Le journal La Décroissance ne cesse depuis des années de condamner cette idéologie scolaire, dont l'informatisation de l'école est l'emblème."
[A propos de ce qu'il appelle "les mirages de la technoscience "] : "La prochaine étape de ce pédagogisme, c'est en effet la disparition du métier de prof, le remplacement de l'exemple humain par des machines (didacticiels, wifisation). Un "bon prof" est, selon les critères des IUFM, un accro des technologies informatiques ".
Putain, mais c'est "Terminator attaque l'école " ! Allo, John Connor, au secours, reviens vite, Meirieu est payé par Skynet et va donner le pouvoir aux machines, c'est effroyable !
La "prochaine étape " serait ainsi "la disparition du métier de prof", rien que ça ! Manifestement, ce n'est pas dans tous les domaines que les Décroissants sont adeptes de la sobriété volontaire, c'est le moins qu'on puisse dire.
Bon, de ce que j'en ai compris grâce à Google, la wifisation, c'est l'installation du wi-fi (Internet sans fil, quoi), et un didacticiel c'est un logiciel éducatif.... et il est où le problème ? On savait déjà que, dans la tête des technophobes, le wi-fi ça donne le cancer et plein de trucs terribles, on apprend ici qu'en plus ça fait disparaître les profs (par la faute du pédagogisme technophile, donc, pas par celle de de l'austérité budgétaire appliquée à l'Education Nationale).
Là où c'est très énervant, quand on est prof, c'est que l'on fait des efforts pour qu'à l'école on permette à tous les enfants d'accéder à un minimum de culture informatique, pour qu'ils se débrouillent au mieux dans le monde moderne. Pour qu'ils puissent plus tard, sait-on jamais, faire un journal, comme le font les décroissants, qui aux dernières nouvelles ne diffusent pas des papyrus ou des tablettes d'argile, et ne rédigent pas leurs âneries passéistes à la main sur des stencils qu'ils ronéotypent. Bref, à l'heure où l'enjeu est de suffisamment doter en ordinateurs les écoles délaissées pour qu'elles puissent réellement faire accéder les élèves à cette culture (problème qui ne se pose aucunement chez les bourgeois), le discours d'Ariès est juste insupportable.
Sur sa lancée, et s'appuyant su un livre d'une certaine Liliane Lurçat, qui a elle aussi le sens de la mesure et de la sobriété (Vers une école totalitaire ? L'enfance massifiée à l'école et dans la société, de Guibert, 1998), Ariés étend sa haine de la science jusqu'au domaine de la pédagogie :
"l'école de Meirieu n'est plus celle de la République, mais celle des sciences de l'éducation "
C'est limite pathologique, cette phobie chez les décroissants de tout ce qui ressemble de près ou de loin à de la science ! Sachez-le : ce qu'il faut mettre aux commandes de l'Education, c'est le politique, les valeurs, et certainement pas une compréhension raisonnée des champs du savoir et de leur mode de transmission. Peut-on tenir un discours plus idéologique que celui-là ? Même Chevènèment, qui avait en 1985 rétabli dans le secondaire les leçons de morale républicaine, sous le nom d'Education Civique, ferait figure de moderniste à côté de Paul Ariès. Il y a du Finkelkraut ou du Max Gallo chez cet homme-là, à n'en pas douter. À l'heure où, par exemple, les professeurs d'histoire-géographie s'efforcent de lutter contre les incursions du politique et les injonctions présidentielles pesant sur leur pratique (rôle "positif " de la colonisation, lettre de Guy Moquet, adoption de la mémoire d'un enfant victime de la Shoah...), il faut le dire clairement : la prose de Paul Ariès de fait un marchepied du pouvoir, et un ennemi du savoir.
Conclusion :
La démarche passéiste du journal La Décroissance n'est pas une nouveauté de l'histoire. Il existe des textes datant de l'Antiquité et brodant sur le thème : "tout fout le camp » et "du temps de ma jeunesse c'était mieux"[11]. On dispose d'articles du XIXe siècle expliquant que les nouvelles technologies allaient ruiner la santé des gens. Par exemple, les opposants au train à vapeur expliquaient que le corps humain ne pourrait pas supporter une telle vitesse, du type 30 km/heure, et décrivaient des symptômes évoquant ceux ressentis aujourd'hui par les électro-sensibles.
Et les Décroissants ne sont pas non plus le premier exemple de rebelles réactionnaires. Je pense ici avant tout à certains "socialistes utopistes" qui, en opposition radicale à l'industrialisme socialisant de leur contemporain Saint-Simon, pouvaient élaborer des théories révolutionnaires tout en étant sur bien des aspects, y compris sociaux, d'authentiques conservateurs. Si la prose de La Décroissance peut faire souvent penser à celle de Charles Fourier, dont elle reprend le psychologisme abstrait et la volonté de vivre "autrement" à côté du monde, sa démarche évoque surtout celle de Pierre-Joseph Proudhon, qui était capable de tirades révolutionnairistes incendiaires tout autant que d'esclandres violemment réactionnaires. Précurseur de l'anarchisme, Proudhon était surtout l'auteur d'une théorie du corps social complètement rétrograde par rapport aux évolutions économiques de son temps, vantant les mérites de l'artisanat face au développement de la grande industrie. Le "small is beautiful" version relocalisation est largement une resucée des thèses de Proudhon, dont l'anticapitalisme, contrairement à celui de Marx, regardait déjà vers l'arrière plutôt que vers l'avant[12]. Jouissant encore aujourd'hui d'une popularité assez indécente, Proudhon a pourtant été le prototype du "vieux con" fort peu sympathique : plus xénophobe et mysogine que ne le réclamait son époque, Proudhon a été sur le plan "sociétal" surtout précurseur dans un domaine, celui d’antisémitisme.[13].
Les "briseurs de machine", tels les luddites du début du XIXe siècle dont se réclament par exemple les opposants aux OGM, rendaient les machines responsables des licenciements effectués par des "patrons" voulant gagner en rentabilité et en productivité. C'était là l'expression une vision du monde correspondant à un horizon borné par les possibilités de l'époque (fragmentation de la "classe" pas encore constituée, communications réduites, absence de mouvement structuré au moins à l'échelle nationale etc.). Depuis se sont développés la conscience de classe, le mouvement ouvrier, les journées de lutte internationales et tant d'autres phénomènes correspondant à un élargissement de l'horizon intellectuel, appuyé sur une adhésion au développement des sciences.
Tout ça pour en revenir au localisme et au refus du progrès technique ?
Il n'y a pas que du côté du Code du travail que la mode est au retour en arrière.
La Décroissance est un journal qui vous fait voyager dans le temps.
Pile deux siècles en arrière.
Luc Marchauciel
[1] Numéro 65, p. 8.
[2] Voir le lien suivant, merci à Anton Suwalki pour le tuyau) : http://ch.novopress.info/962/propos-d%E2%80%99un-identitaire-sur-la-decroissance/
[3] J'emprunte cette formule-leitmotiv à Fancis Cabrel, ou plutôt à la marionnettte de Cabrel dans les Guignols de l'Info. En vrai, je crois que Farncis Cabrel, même si sa musique ne m'intéresse guère, vaut beaucoup mieux que cette caricature, notamment pour avoir importé dans l'Hexagone des sonorités venues de la de country-rock états-unienne , ce qui le distingue de la xénophobie américanophobe véhiculée par la Décroissance.
[4] Voir à ce sujet son inénarrable compte-rendu du film Avatar : http://www.rue89.com/2010/01/03/avatar-contre-cohn-bendit-lecologie-doit-etre-anticapitaliste-132082
[5] La formule-résumé est de moi, ce n'est pas une citation.
[6] http://www.lutte-ouvriere.org/documents/multimedia/cercle-leon-trotsky-173/article/la-decroissance-une-doctrine-qui-8962
[7] Paul Ariès témoigne-t-il ici d'expériences éthyliques mal maitrisées ?
[8] Voir Gérard Noiriel, Les ouvriers dans la société française (Seuil, 1986)
[10] Cité dans Cyril DI MEO, La Face cachée de la Décroissance, L'Harmattan, 2006, p. 39. Un ouvrage à lire pour connaître le background intellectuel de la Décroissance.
[11] Je suis certain d'en avoir lus, mais je sais plus où, et je n'arrive pas à retrouver. Si quelqu'un a une référence ou même une citation, qu'il ou elle n'hésite pas à poster ça dans les commentaires.
[12] En 1846, Proudhon a publié un ouvrage intitulé Philosophie de la misère (un titre qui sonnerait très "décroissant" dans le contexte actuel). Marx lui a répliqué par un cinglant et ironique Misère de la philosophie.
[13] Il a élaboré une version racialiste de celui-ci qui allait au-delà des clichés judéophobes l'époque. Voir Michel DREYFUS, L'antisémitisme à gauche, histoire d'un paradoxe (La découverte, 2009).