Revoir les conditions d'évacuation en cas d'accident dans une centrale nucléaire, par Jean Fluchère

Publié le par Anton Suwalki

Revoir les conditions d'évacuation en cas d'accident dans une centrale nucléaire, par Jean Fluchère

Lors de son départ à la retraite de l’IRSN, Monsieur Repussard, son Président a dit entre autres : il faut revoir les conditions d’évacuation en cas d’accident autour d’une centrale nucléaire française.

Ceci était dit à la lumière de l’expérience des éloignements de Fukushima pour tout ou partie des populations qui sont appelées à revenir sur une partie des zones évacuées.

Pourquoi ?

Parce que les études conduites par les Japonais et l’organisme de l’OMS qui s’occupent des risques des expositions aux rayonnements ionisants, l’UNSCEAR sont formels, il n’y aura dans ces populations aucun risque d’excès de cancer.

En revanche, 5 ans après, on observe un excès de mortalité de l’ordre de 1 600 sur 120 000 déplacés liés à des maladies psychosomatique.

Un déplacement est une perte de repère, d’emploi, de dispersion des familles, etc. qui induisent des maladies comme les dépressions graves, les addictions au tabac, à l’alcool, les maladies psychosomatiques habituelles comme les ulcères d’estomac et autres.

Ce qui pose vraiment la question : à partir de quel seuil de radioactivité faut-il exiger les évacuations sachant que par exemple, dans l’Etat du Kérala en Inde, les rayonnements telluriques dus au Thorium, le niveau de rayonnements ionisants est d’environ 50 milliSievert (mSv) par an et que c’est précisément dans cet état que l’espérance de vie est la plus élevée en Inde avec 72 ans.

Pour fixer les idées, les travailleurs des centrales nucléaires ne doivent pas prendre des doses annuelles de plus de 20 mSv, soit 2,5 fois moins qu’un habitant du Kérala.

Ayant été successivement, directeur du centre de formation du Bugey de 1976 à1982, puis directeur adjoint du site du Bugey de 1982 à 1988 et directeur de 1988 à 1995, J’ai donc conduit tous les chantiers post Three Miles Island (TMI) qui s’est produit en mars 1979.

Cet accident a révélé que ce qui était considéré comme l’accident le plus grave dans un réacteur à eau ordinaire pressurisée avait été dépassé puis qu’il y avait eu une fusion partielle du cœur, la partie fondue restant dans la cuve après remise en service du système de refroidissement.

Les exploitants des USA ont alors crée un organisme commun l’INPO, chargé du retour d’expérience de tous les incidents qui pouvaient affecter ce type de réacteurs dans le monde. Cet organisme était ouvert à tous les pays et EDF y a toujours disposé d’un ingénieur.

Les modifications entreprises sur les installations françaises sont allés beaucoup plus loin que celles préconisés par l’INPO.

1er temps : réduire la probabilité de fusion du cœur.

La démarche probabiliste est une démarche habituelle dans le domaine de la sûreté des installations nucléaires.

Nous avons réalisé pour ce faire, une série de modifications matérielles, organisationnelles, d’ergonomie des salles de commandes, d’amélioration des simulateurs d’entraînement du personnel de conduite pour la conduite en cas d’apparition d’un mélange bi-phasique, eau-vapeur, dans la chaudière nucléaire, refonte complète des procédures accidentelles, pris en compte des facteurs humains lors des situations stressantes etc.

Ces modifications étaient tellement importantes qu’il a fallu 10 ans à EDF pour les réaliser. Il va de soi que toutes ces modifications ont dû recevoir l’accord de l’autorité de sûreté.

Nous avons été les seuls au monde à remplacer les soupapes de sûreté du pressuriseur, modification matérielle très lourde, en prenant les soupapes de sûreté fabriquées pour de nos sous-marins nucléaires. Les soupapes Sebim.

En effet, toutes les soupapes à ressort fabriquées dans le monde ont été testées sur une boucle d’essais aux Etudes et Recherches et nous avons, suivant les tests, toujours réussi à les bloquer en position ouverte ce qui était l’origine de l’accident de TMI. Seules les SEBIM ont toujours résisté aux tests les plus rudes.

Sur le plan organisationnel, nous avons décidé de mettre un ingénieur de sûreté de quart au-dessus des équipes mais qui n’avait pour mission que la sûreté des installations et pas le management des équipes laissées sous les ordres du chef de quart.

Nous avons sur une boucle d’essai du CEA à Grenoble, fait des tests pour voir le comportement des pompes primaires au fur et à mesure du passage en biphasique avec des titres de vapeur de plus en plus importants.

Nous en avons tiré des courbes empiriques qui ont été intégrées sur les simulateurs d’entraînement. Et nous avons fait des sessions d’entraînement spécifiques de 3 semaines pour tous les personnels de conduite.

Durant ces sessions, un ergonome spécialiste du comportement des gens en situation de stress a fait d’abord des observations puis nous a donné des recommandations pratiques pleines de bon sens pour mieux comprendre le comportement des opérateurs en situation de stress.

Nous avons refondu, après test sur les simulateurs, toutes les procédures de conduite accidentelle avec une approche par états spécifiques de la chaudière et non plus un suivi séquentiel des évènements.

Cette approche est frustrante pour les opérateurs qui aiment bien fonctionner en chronologique. Mais les procédures chronologiques peuvent entraîner un mauvais diagnostic comme à TMI et seul l’état de la chaudière peut dire si les mesures palliatives sont efficaces.

Et, à défaut, demandent d’en prendre d’autres. Je pense que la France est le seul pays à avoir pris cette décision après des démonstrations sur simulateurs devant les Autorités de Sûreté.

2ème temps : la démarche déterministe.

Ceci était complètement nouveau dans l’approche de la sûreté des installations nucléaires.

En effet, une fois toutes ces modifications faites qui avaient pour objectif de réduire encore la probabilité d’occurrence d’une fusion de cœur, nous sommes passés dans une phase purement déterministe en disant : et si malgré tout cela, le cœur fond, traverse le fond de la cuve et s’arrête sous forme de corium sur le béton sacrificiel du fond de l’enceinte ?

Que se passe-t-il et qu’est-il nécessaire de mettre en place pour éviter les évacuations de populations qui sont extrêmement difficiles à organiser et stressantes pour les habitants.

Si le cœur fond totalement, il y a :

1. Un relâchement de tout l’hydrogène consécutif à l’oxydation rapide du zirconium du gainage du combustible. Cela se voyait sur les enregistrements de la pression enceinte à TMI, où l’on pouvait voir de petites surpressions rapides qui signaient de petites explosions d’hydrogène.

2. Le corium à 1 500 °C en tombant sur le béton sacrificiel de l’enceinte, entraîne une désagrégation de ce béton et une production de gaz, par définition incondensables avec l’aspersion enceinte. Donc une probabilité non nulle de remonter à une pression dans l’enceinte supérieure à sa pression de calcul.

Nous ne nous sommes pas trompés. C’est exactement ce qui s’est passé malheureusement à Fukushima

Pour faire face au risque d’explosion d’hydrogène, nous avons mis en place des recombineurs catalytiques et statiques qui re-mélangent l’hydrogène et l’oxygène pour faire de l’eau. Ces recombineurs passifs n’ont aucun besoin d’électricité pour fonctionner. Ils ont bien entendu été testés dans nos laboratoires des Etudes et Recherches en présence de l’autorité de sûreté.

Pour éviter d’aller au-delà de la pression de calcul de l’enceinte, nous avons mis en place un circuit de décompression avec un filtre à sable de granulométrie bien définie pour arrêter les aérosols notamment les césiums dont la demi-vie est de 30 ans et qui ont empêché et empêchent encore les retours des populations dans certaines zones autour de Fukushima. Ce césium n’a aucune affinité chimique et il se comporte comme un dépôt de poussières. Il est donc lessivé par les pluies sur les surfaces imperméabilisées.

La granulométrie a été définie après des essais faits à Cadarache pour voir quel était le sable le plus efficace. Une sablière particulière de région parisienne a été retenue.

Ces filtres contiennent 100 tonnes de sable par tranche.

Pour les mettre en place sur des installations déjà en exploitation, il a fallu construire des structures antisismiques particulièrement complexes.

Donc en France, si on résume seuls sortiraient, lors de l’ouverture contrôlée du système de décompression, les gaz rares, la fraction gazeuse des iodes soit 1/3 au maximum, en effet cet halogène a un comportement très particulier.

1/3 est un oxydant très agressif et vient se fixer sur les parties métalliques des composants internes à l’enceinte.

1/3 a une forme colloïdale et se comporte comme un aérosol,

1/3 seulement conserve sa forme gazeuse. Il a une demi-vie de 8 jours.

Les aérosols de toute nature resteraient bloqués dans le sable du filtre.

Si ces deux dispositifs avaient existé à Fukushima, les Japonais n’auraient pas pu éviter la fusion des 3 cœurs, mais ils n’y auraient pas eu les explosions d’hydrogène qui ont affecté les parties supérieures des bâtiments que nous avons vus en temps réel et lors des décompression des enceintes des réacteurs, la filtration aurait joué son rôle en empêchant la diffusion des aérosols.

Le seul impact aurait la diffusion des gaz rares qui ne posent aucun problème et ont des demi-vies très brèves, le 1/3 des iodes gazeux dont on se protège en saturant les thyroïdes par des comprimés d’iodure de potassium et il n’y aurait eu aucun rejet d’aérosols.

Or ce sont précisément ces rejets et la radioactivité de leurs retombées qui ont été la cause des déplacements de population, excessifs même dans certaines localités.

Le souhait de Monsieur Repussard signifiait en réalité : faut-il encore imaginer de déplacer des populations et si oui, à quel niveau de radioactivité ?

Et, de mon point de vue, avec la distribution des comprimés d’iodure de potassium que les populations vivant dans le rayon des 10 km des PPI connaissent et dont la protection civile a des stocks, je pense qu’il ne faut plus évacuer les populations mais les rassurer sur le fait que le peu de radioactivité du panache ne présente aucun risque sanitaire.

Revoir les conditions d'évacuation en cas d'accident dans une centrale nucléaire, par Jean Fluchère
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H
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F
Merci pour cet article passionnant. Parfaitement lisible malgré la technicité du sujet.
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O
En effet très intéressant, mais il manque à mon sens un volet à cet exposé : selon l'auteur, quel périmètre aurait dû être réellement évacué autour de Fukushima, et plus loin, autour de Tchernobyl, compte tenu des rapports de l'UNSCEAR et de l'OMS ?
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K
Merci très intéressant
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