Séralini, OGM, pesticides : Saison 17 , Épisode 1

Publié le par Anton Suwalki

Séralini, OGM, pesticides : Saison 17 , Épisode 1

Modification du 14/08/2015 ( erreur de ma part) : cf note 7

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Comme le fait remarquer Jean-Yves Nau(1), tous les auteurs de feuilletons cherchent le mouvement perpétuel. Avec le temps, il devient difficile de renouveler l’intérêt du public avec les mêmes personnages : les TOC de Monk, les rapports de voisinage entre les Lepic et les Boulay, au bout d’une dizaine de « saisons » (comme on dit désormais des séries télévisées), finissent par lasser les plus inconditionnels. Le feuilleton scientifique du CRIIGEN , Séralini, OGM, pesticides , qui entame sa 17ème saison (2) échappera-t-il à cette « loi des séries » ?

Surfant sur les peurs de l’époque (OGM, pesticides) , le genre était porteur, et jusqu’à présent, le groupe a bénéficié d’une formidable promotion dans presque tous les médias qui comptent. Faisant oublier la piètre qualité du scénario et des acteurs. Le premier épisode de cette 17ème saison, qui démarre avec une publication dans la revue scientifique en libre accès Plos One, utilise ces mêmes ficelles, terriblement usées, qui assuraient jusque là le succès du feuilleton.

Le contexte de ce nouvel épisode

Celle étude, on la voyait venir. Il s’agit de justifier a posteriori celle de 2012 sur les rats nourris au maïs génétiquement modifié NK608 (+RoundUp), publiée dans Food and Chemical Toxicology, puis dépubliée par l’éditeur, et enfin republiée en 2014 dans une revue confidentielle, Environmental Sciences Europe.

Parmi les innombrables critiques qu’on pouvait faire à celle-ci, l’absence totale de référence à des témoins externes : la fréquence des tumeurs parmi les rats de l’expérience (en particulier parmi les rates) était conforme à la fréquence d’apparition spontanée de ces tumeurs, rendant illégitimes les conclusions de l’équipe. D’autre part, la taille des échantillons de l’expérience (10 rats par groupe) étaient cinq fois plus petits que celle recommandée pour ce genre d’étude sur deux ans (50 rats par groupe).

Séralini et ses collègues durent improviser des réponses à ces critiques, quitte à « démontrer » ces réponses plus tard. On avait vu quelque auparavant Séralini répondre à d’autres critiques par un sophisme risible: les mâles et les femelles, c’est pas pareil(3). Puis en fournir « la preuve » quelques mois plus tard.

A propos des témoins externes concernant les tumeurs spontanées, la réponse s’est construite en plusieurs temps. D’abord en suggérant que les cages des rats libéraient des substances toxiques. Puis en attaquant une autre étude sous prétexte que la nourriture des rats témoins était « contaminée » par du maïs génétiquement modifié NK 603, dont il avait échoué à prouver la toxicité (4). Cette étude est donc la suite pathétiquement triviale du feuilleton. Cette fois-ci, Séralini remet en cause toutes les études de toxicologie in-vivo basées sur des rongeurs, à part les siennes, il va sans dire.

Communiquer, c’est dramatiser

Avant même sa publication sur le site de Plos One, Séralini et son équipe annoncent dans un communiqué avoir démontré que « les tests pour la commercialisation de produits chimiques et d’ OGM sont faussés par l’ alimentation des rats de laboratoire » (5).

« L’équipe du Professeur Gilles Éric Séralini de l’Université de Caen, soutenue par le CRIIGEN, a analysé avec des méthodes normalisées et avec l’aide de laboratoires accrédités la nourriture des animaux de laboratoire (…) . Les résultats sont accablants : tous les lots de croquettes contiennent des concentrations non négligeables de plusieurs de ces produits, à des niveaux susceptibles de causer des pathologies graves et de perturber le système hormonal ou nerveux des animaux. Cela masque les effets secondaires des produits testés. Par exemple, les résidus du principal pesticide du monde, à base de glyphosate et d’adjuvants très toxiques, tel le Roundup et ses génériques, ont été détectés dans 9 des 13 régimes, et 11 d’entre eux contenaient des OGM avec lesquels ce Roundup est amplement utilisé. »

Allons bon, les tests seraient faussés depuis plus de 50 ans, et des générations de toxicologues n’y auraient vu que du feu ? Avouons que si c’était vrai, cela serait énorme….

Comme toujours, ces communiqués à destination de journalistes dont la plupart ne liront pas l’étude, sont écrits dans un style destiné à faire le buzz. Et une fois de plus, cela semble marcher. Le 18 juin, Séralini bénéficie même d’une interview dans l’émission de France Inter La tête au carré.

Censure ?

La publication de l’article prévue le 17 Juin dans Plos One est finalement reportée. C’est une aubaine pour Séralini qui peut une fois de plus se poser en victime, avec la complaisance active de Mathieu Vidard. En réalité, l’étude une fois publiée (6) montre encore qu’il n’en est rien. Rien n’a été censuré dans le texte . Seules quelques lignes du résumé, relatives aux supposées conséquences de leurs découvertes ont du être changées par les auteurs .

Initialement : « Ce travail invalide l'utilisation de témoins externes (les données historiques) dans les tests réglementaires. Ils consistaient à comparer les effets toxicologiques à des rats témoins d'autres expériences. Ces rats témoins en effet sont nourris de différents mélanges de polluants. Ceci remet aussi en question l'utilisation de 50 rats par groupe en cancérologie, ce qui permettait d'augmenter la puissance statistique perdue à cause du bruit de fond élevé des pathologies ».

Des conclusions qui demeurent de toute façon dans le texte, l’affirmation que la consommation chronique de ces régimes peuvent être considérée comme dangereuse pour les rats de laboratoire étant maintenue. Quelle censure impitoyable !

Autre modification obtenue par l’éditeur : dans la version initiale de l’article, les auteurs ne déclaraient aucun conflit d’intérêts. Dans l’article publié, la liste des financements ponctuels et réguliers du CRIIGEN et de Séralini est rallongée et mentionnée dans la rubrique conflits d’intérêts… L’équipe, toujours prompte à insinuer des conflits d’intérêts chez les autres, devrait louer le soucis de transparence de Plos One….

Des résultats qui suggèrent presque exactement le contraire des conclusions des auteurs

Mais en quoi consistait réellement cette étude, bien évidemment « d’une ampleur exceptionnelle », selon ces modestes auteurs ? Ils ont confié à des laboratoires agréés la recherche de résidus de polluants (pesticides, métaux lourds, PCB..) dans 13 échantillons de croquettes pour rats de laboratoire actuellement commercialisés dans le monde , et se sont contentés d’interpréter les résultats .

-Première manipulation : avoir ajouté à la liste des présumés polluants des aliments issus d’OGM autorisés à la consommation, car reconnus comme sans danger pour la consommation animale et humaine. Passons.

-Deuxième constat qui s’impose : Sur 262 pesticides testés, seuls 9 ont pu être détectés et mesurés (7) dans un ou plusieurs des régimes. C’est très peu.

-Les résidus maximum en glyphosate+ AMPA , correspondent (pour les animaux de laboratoire ) à des doses journalières 16 fois inférieures aux doses journalières admissibles (DJA) calculées pour la sécurité alimentaire humaine.

-La plus forte quantité de résidu trouvée concerne un insecticide organophosphoré , le Pirimiphos methyl, présent en particulier dans les croquettes de deux fabricants italiens. Ceci correspondrait à une dose maximum pour les animaux de laboratoire égale à 22,5 fois la DJA . Voilà qui commence en effet à être, comme dirait Séralini, « non négligeable », surtout si on omet de se souvenir comment est calculée la DJA :

A partir de l’expérimentation animale (généralement sur des rats), on détermine le seuil de consommation en dessous duquel aucun effet négatif n’est observé (NOAEL). La DJA est obtenu en divisant par 100 cette dose qui combine une facteur 10, pour tenir compte d’une éventuelle sensibilité plus grande de l’homme par rapport au modèle animal, et un deuxième facteur 10 pour tenir compte d’une éventuelle sensibilité intra-espèce plus grande (de sujets humains plus sensible que d’autres). Ainsi, la teneur mesurée en Pirimiphos methyl (un insecticide organophosphoré) dans les croquettes les plus « contaminées » par ce produit est inférieure au quart du seuil de dose sans effet négatif observable chez les animaux testés (cf. figure ci-dessus).

Ainsi, la conclusion qui devrait s’imposer est presque exactement l’inverse de celle de Séralini et son équipe : la nourriture actuellement utilisée en expérimentation animale est a priori sûre, et n’occasionne certainement pas un bruit de fond tel que cela fausserait les tests de toxicité règlementaires.

RoundUpophobie

Selon les auteurs, le RoundUp est le principal pesticide détecté dans les échantillons de croquettes. Deux « erreurs » de vocabulaire qui ne doivent rien au hasard.

-Ce qui a été détecté, ce n’est pas le RoundUp, mais le glyphosate commercialisé en France par au moins une dizaine d’entreprises, depuis qu’il n’est plus protégé par un brevet. Parler de RoundUp permet de désigner le diable Monsanto.

-En fait de « principal » pesticide retrouvé dans les croquettes, c’est seulement celui le plus fréquemment retrouvé (dans 9 des 13 échantillons), mais correspondant à des doses pour les rats de laboratoires ridiculement faibles (cf plus haut , au maximum 16 fois moins que les DJA humaine). 9 fois rien ou presque rien, c’est toujours pas grand chose, sauf pour Séralini, qui manie à merveille l’effet bi-standard (8) : ainsi, 22 fois la DJA, c’est dangereux, mais 16 fois moins… c’est également dangereux !

« Le glyphosate induit la croissance de cellules cancéreuses du sein par des voies oestrogéniques, à des niveaux aussi bas que 0,1 ppb [NDLR = 1 partie pour 10 milliards], de même que le fait le RoundUp à des niveaux comparables pour la croissance de fibro-adénomes mammaires in vivo. »

Comment, dans ces conditions, estimer la dangerosité d’une quantité 3700 fois supérieure ? Réponse : aucune. Dans son étude de 2012, la dose intermédiaire de RoundUp, 1 million de fois supérieure à ces 0,1 ppb, induisait moins de tumeurs que chez le groupe contrôle chez les mâles, et un niveau comparable au groupe témoin chez les femelles (dose B sur le graphique ci-dessous). On peut donc accueillir ces nouveaux résultats par un haussement d’épaule.

Les additions salées de Séralini

Les valeurs des quotients de risque (Dose maximum pour les rats/DJA pour les hommes) de chaque sorte de résidu sont ensuite additionnées par Séralini, conformément affirme-t-il aux recommandations des lignes directrices de l’agence américaine EPA (9): Les croquettes les plus contaminées seraient celle d’un fabricant italien, dont la somme des quotients de risque atteint 40,5 (dernier tableau ci-dessous).

Mais le menu justifiait-il une addition si salée ?

« Un facteur de sécurité 100 (..) est généralement appliqué pour le calcul de la DJA. Il prend en considération la variabilité intra-espèce (x10) et la variabilité inter-espèce (x10). Puisque nous sommes dans tous les cas au dessus de 10 , ces régimes peuvent représenter un risque pour quelques espèces ou pour quelques animaux dans les espèces, ce d’autant que nous n'avons pas mesuré tous les contaminants possibles ».

Avouons que ce raisonnement à rebours partant des DJA humaines pour spéculer sur l’éventuel risque pour les animaux de laboratoire est complètement surréaliste !

De plus, cette approche de l’EPA (la somme des quotients de risque) peut être conçue comme ayant une valeur d’alerte, lorsque plusieurs substances nocives présentes dans un régime dépasse individuellement la DJA. On ne peut pas conclure, comme le font implicitement Séralini et ses collègues que :

1 ( Pirimiphos methyl) + 1 ( Piperonyl butoxide) + 1 (Deltamethrin)+1 (Glyphosate)+ 1 (Pb)= 5 Pirimiphos methyl= 5 Piperonyl butoxide ,etc..

L’additivité des risques n’est valable que pour les substances qui sont de nature à induire le même type d'effets , ce que Séralini ne documente nulle part, se contentant de spéculer sur des effets synergétiques, mais oubliant bien sûr de mentionner de possibles effets antagoniques de l’exposition simultanée à 2 ou plusieurs contaminants.

Conclusion : un très mauvais plaidoyer pro domo

Séralini a malgré lui démontré que les substances toxiques sont faiblement présentes dans les régimes actuellement utilisés pour les expériences , à des niveaux a priori sans effet pour les animaux. Concernant un éventuel changement de la nourriture des animaux, il ne dispose d’aucune donnée pour étayer la thèse selon laquelle ce changement expliquerait la variation au cours du temps de la fréquence des tumeurs chez les rats. Sa conclusion, « [nos résultats] infirment l'utilisation des données historiques » dans les tests , n’en est que plus décalée. Plus ridicule encore, la remise en question du nombre d’animaux par groupe testé afin d’augmenter la puissance des tests (10). En plus de la toxicologie, Séralini entend-il réinventer les statistiques ?

Ce très mauvais plaidoyer pro domo échoue donc à réhabiliter l’étude de 2012 , et elle est promise au même sort de simple baudruche médiatique.

Anton Suwalki

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Epilogue : des croquettes bio ? Chiche !

Dans les interviews qui ont suivi la publication de leur étude, les représentants du CRIIGEN n’omettent pas de proposer de recourir à des croquettes bio pour les animaux témoins des expériences. Comme c’est surprenant !

Autant dire qu’on ne voit pas spécialement d’objection à cela, du moment qu’ils procéderaient à une analyse systématique de tous les contaminants possibles, dont les nombreux pesticides « naturels » (11) : certains sont hautement toxiques. Séralini et ses collègues pourraient ainsi garantir une sécurité au moins égale à celle des croquettes « industrielles ». Il faudrait alors compter sans le financement du groupe Léa Nature et d’autres sponsors réguliers des études du CRIIGEN, afin d’éviter des conflits d’intérêts trop manifestes.

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Notes et références :

  1. http://jeanyvesnau.com/2015/06/29/cancers rats lobbies pesticides ogm et conflits dinterets une nouvelle saison de la serie seralini est annoncee/
  2. Le CRIIGEN a été créé en 1999.
  3. http://imposteurs.over-blog.com/article-34766192.html
  4. http://www.criigen.org/communique/89/display/Reponse-de-Delaney-et-al-sur-la-contamination-de-leurs-aliments-temoins-
  5. http://www.criigen.org/communique/94/display/Les-tests-pour-la-commercialisation-de-produits-chimiques-et-d-OGM-sont-fausses-par-l-alimentation-des-rats-de-laboratoire-
  6. http://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0128429
  7. les tableaux récapitulatifs de l’étude (tables 1 et 2) en dénombrent 8, car le glyphosate et son sous-produit de dégradation l’AMPA sont regroupés sans explication.ce qui après vérification semble légitime :http://www.fao.org/docrep/w8141e/w8141e0u.htm
  8. http://cortecs.org/materiel/leffet-bi-standart/
  9. http://www.epa.gov/oswer/riskassessment/ragsa/
  10. La puissance statistique d'un test est son aptitude à mettre en évidence une différence statistiquement significative (en toxicologie, entre un groupe testé et le groupe témoin) si cette différence existe vraiment. La puissance augmente évidemment avec la taille des groupes.
  11. https://www.youtube.com/watch?v=drh9KzVqMv0
Séralini, OGM, pesticides : Saison 17 , Épisode 1
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H
D’abord en suggérant que les cages des rats libéraient des substances toxiques.
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H
Nous continuerons néanmoins d’essayer de faire reculer ce mur.
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C
J'écoutais volontiers l'émission de vulgarisation scientifique de Mathieu Vidard, jusqu'à ce que n'importe quel individu se définissant comme "lanceur d'alerte" y obtienne systématiquement une tribune libre pour exposer ses thèses complotistes, si possible sans contradicteurs. C'est désormais une case horaire où la chaîne prend des airs Radio Pyongyang. Pour qui espère un minimum d'objectivité, l'émission est à éviter.
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