Comment manipuler les enfants au nom du développement durable
C’est vendu sur les présentoirs de la poste à 4 euros 50. Il s’agit d’un cahier de la collection Les docs des incollables destinée aux 10-14 ans. Il s’intitule : le développement durable, tout comprendre d’un coup d’œil.
Quand on a lu le cahier et qu’on réalise que cette brochure est le fruit du « partenariat durable » de La Poste et de la WWF pour « un courrier responsable », on comprend tout en effet. La Poste entend se positionner sur le créneau de l’écologiquement correct et participer à la diffusion de ce discours simpliste , stéréotypé et bêtement moralisateur. Il n’est absolument pas question d’amener les enfants à réfléchir - ne parlons pas de « tout comprendre en un coup d’œil »!- mais de transformer les consommateurs « responsables » en herbe en petits perroquets savants.
Ceux-ci apprendront à parler le jargon mièvre et à ressasser les formules toutes faites censées résumer la philosophie écologiste, où « durable » est conjugué à toutes les sauces, où le tourisme est paraît-il « solidaire », où le commerce est « équitable », où les individus agissent selon une démarche « citoyenne active»…
A l’évidence , nos chers enfants en apprendront bien davantage -espérons-le- dans leurs cours de SVT et de géographie sur les questions qui sont (mal)traitées ici.
Dans les deux premières pages, consacrées à la Terre, un milieu vivant et fragile, les « experts » auteurs du livre abordent dans des encadrés de deux ou trois lignes une dizaine de thèmes tels que l’ « effet de serre », « la biosphère », « une petite histoire de la planète » , « la Terre en mouvement », qui n’apprendront strictement rien aux jeunes lecteurs et qu’ils ne sauront de toute façon pas relier aux problèmes relatés ailleurs. « La Terre dispose de richesses naturelles de différentes natures (sic) :l’eau, indispensable à la vie, le pétrole source d’énergie, mais aussi le poisson, source d’alimentation ». Quelle révélation ! C’est tout ?
Même si l’objectif de ce cahier pédagogique semble être de former les futurs citoyens à consommer « responsable» dans une optique de « développement durable », comme on dit dans le jargon du capitalisme vert, la philosophie antihumaniste de la WWF qui préfère la nature immaculée à l’humanité, transparait dans de nombreux passages.
Ainsi, il s’agit de protéger la banquise non pas à cause des conséquences que cela pourrait avoir pour l’homme, mais pour protéger l’ours polaire. Le jeune lecteur apprendra également dans ce raccourci saisissant que : « L’exploitation des ressources naturelles est une activité vitale pour les êtres vivants. Dans la nature, ils n’utilisent que ce dont ils ont besoin. L’homme, à la différence de la plupart des autres êtres vivants, exploite les ressources naturelles au-delà de ses besoins, notamment en raison de l’industrie (pêche, agriculture, exploitation des énergies, etc..). » On suppose donc que les besoins de l’homme, c’est ceux que la pêche, la chasse et la cueillette lui permettaient de satisfaire de manière aléatoire, aux temps bénis où il ne savait prélever sur la nature que ce que celle-ci voulait bien lui accorder, comme les autres êtres vivants. Pour La Poste et la WWF, les besoins produits de la culture et satisfaits grâce aux progrès de la civilisation et des techniques n’en sont pas vraiment ! Question : a-t-on vraiment besoin de La Poste (même responsable) ?
Une page est consacrée à l’empreinte écologique, WWF oblige. Nous avons démontré que ce concept est outrancièrement simpliste, donc anti-scientifique, et qu’il est de plus basé sur des calculs falsifiés (*). Qu’importe, les chiffres sensationnalistes biaisés dont on bombarde déjà les adultes frapperont d’autant plus facilement les jeunes esprits : « L’homme n’est pas le seul à vivre sur Terre. Si l’on considère qu’il faut réserver un quart de la surface aux autres espèces, alors il ne reste plus que 3 terrains de foot disponibles en moyenne. Aujourd’hui, pourtant, un Européen en a besoin de 10. » . Il est donc selon les néo-écologistes de la poste indispensable de « réduire notre empreinte écologique, pour transmettre aux générations futures une Terre capable de subvenir à des besoins raisonnables ». Une fois encore, on ne nous dira pas quels critères objectifs permettraient de définir des besoins « raisonnables » ! Par contre, en bons manipulateurs des jeunes esprits, les auteurs suggèrent ce qui est déraisonnable à l’aide d’un petit dessin, où un petit garçon fait un geste de rejet devant les images d’une usine, d’un immeuble, d’une voiture (qui rejette une grosse fumée noire), d’un hamburger-frites, et d’une boite de Coca !
Comment faire passer un discours simpliste autrement qu’accompagné d’images suggestives, moralisatrices et culpabilisatrices? Sur la page suivante, on voit un mère tancer un garçon qui a laissé un robinet d’eau ouvert… Sur la même page consacrée à l’eau, on apprend que 9 pays dans le monde disposent de 60 % des réserves d’eau douce, 40% pour tous les autres pays. Sauf qu’histoire de forcer le trait, la représentation en camembert a été déformée, et les 40% n’apparaissent que comme un petit 20%…
Si le terme de « forêt, poumon de la terre » n’est pas prononcé, le jeune cerveau à conquérir n’échappera pas au fond du message trompeur : « les arbres captent de grandes quantités de CO2 dans l’atmosphère et diminuent d’autant l’effet de serre. Les forêts ralentissent ainsi le réchauffement climatique ».
Les pages consacrées à l’énergie sont aussi révélatrices de la démarche. Les énergies renouvelables sont décrites de manière « neutre », sans aucune mention de leurs inconvénients et de leurs insuffisances. Concernant les énergies fossiles, est mentionné le fait qu’elles sont non renouvelables et qu’elles émettent de grandes quantités de CO2, pas les autres nuisances qu’elles occasionnent. Concernant l’énergie nucléaire , il n’est pas mentionné qu’elle n’émet qu’une quantité infime de CO2. Par contre « elle génère des déchets dangereux qu’on ne sait pas éliminer ». Voilà une belle démonstration d’objectivité !
Le comble du manichéisme est atteint dans la page consacrée à l’agriculture. Chose curieuse, l’encadré d’une phrase consacré aux OGM ne comporte aucun jugement négatif, mais il est exprimé dans un langage que des gamins n’ayant aucune connaissance en biologie ne comprendront pas : « un OGM est une plante (ah bon, il n’est d’OGM que végétaux ?) dont le patrimoine génétique a été modifié par l’homme pour lui donner de nouvelles propriétés ou caractéristiques, pour mieux résister aux insectes par exemple ».
A part ça, le petit incollable doit assimiler le préjugé basique des écologistes : chimique=mauvais, naturel=bon. « L’agriculture intensive est source de pollution en raison de l’utilisation d’engrais, de pesticides, des émissions de gaz à effet de serre . L’agriculture biologique respecte les produits (ce qui ne veut rien dire) et l’environnement (ce qui relève davantage de la légende urbaine que de la réalité)».
On apprend à la fin de ce cahier qu’il a été réalisé « avec l’aide d’une équipe d’experts ». Experts en quoi ? A part en bourrage de crane, on ne voit pas….
Anton Suwalki
(*)