Non, l’épidémie de Covid_19 n’est pas comme une banale grippe
Le 18 février 2021, sur Imposteurs

Alors que les estimations de décès dus à la Covid-19 en France sont de 64 759 fin 2020, et atteignent 74 601 au 28/01/2021(1), on a vu passer beaucoup de messages sur les réseaux sociaux relativisant la gravité de cette épidémie : ce n’est plus la thèse de la grippette avancée par Raoult en février dernier, mais certains continuent à soutenir qu’au pire, nous aurions subi une épidémie de gravité analogue à celle de la grippe saisonnière de 2017. Une telle thèse est malheureusement soutenue par des personnalités identifiées comme faisant partie du monde médical.

Une vidéo dont j’ignore qui en est l’auteur,  circule sur un « média indépendant » et défend cette thèse au moyen d’une analyse statistique qui se veut pointue (2), en se fondant sur les données de mortalité publiées par l’INSEE. 

Résumé de la présentation : « Je vous avoue que je ne m’attendais absolument à ce que j’ai découvert. J’étais complètement scotché. En faisant cette comparaison vous allez voir qu’il ne faut plus dire que la Covid-19 est un peu plus mortel qu’une grippe. La Covid-19 est en fait moins mortel qu’une grippe. La seule raison pour laquelle nous avons eu une surmortalité plus forte en 2020 qu’en 2017, c’est uniquement que parce que les gens sont plus vieux. »

 Voyons donc cette analyse, pas aussi pointue qu’au 1er abord.

Pour étayer sa thèse révolutionnaire, l’auteur se base donc sur une comparaison des décès journaliers survenus en France entre le 16/12/2016 et le 18/02/2017, correspondant à la grippe saisonnière 2017, et ceux survenus entre le 01/03/2020 et le 04/05/2020, correspondant selon lui à l’épidémie de Covid-19. Il ne fait donc aucun cas des estimations respectives des décès dus à la grippe (14 400 en 2017 (3)) et de ceux dus à la Covid-19 (25 204 au 04/05/2020). Même en admettant que ces estimations sont à la louche, on remarque que les morts estimés de la Covid-19 dépasse de 75% ceux de la grippe ! Cela fait quand même beaucoup ! 

Alors pense-ton vraiment que partir des données de mortalité journalières brutes (toutes causes confondues) est plus juste que ces estimations ? C’est douteux, mais encore faudrait-il traiter correctement ces données.

Des données tronquées

Les deux périodes choisies par l’auteur paraissent « équitables ». Dans les deux cas, on a 65 jours. En réalité, ça n’est pas pertinent, car l’épidémie de covid-19, sans même parler de la 2ème vague, ne s’est pas arrêtée pile au bout de 65 jours, juste pour permettre au vidéaste de superposer les deux courbes.  Un mois après (le 04/06/2020), on déplorait 3 865 morts de plus, toujours selon les estimations précitées !

La « démonstration »

Concentrons-nous néanmoins les plages retenues par notre brillant conférencier, qui appuie sa démonstration sur les courbes suivantes :

On n’est alors pas loin d’être convaincu devant le chevauchement des deux courbes à deux reprises, et surtout un bilan de seulement 1,3% de décès supplémentaires pour 2020. Mais contrairement à ce qui est dit, cela ne fait évidemment pas 1,3% de décès de plus « pour la Covid par rapport à grippe » ! On est sur la mortalité totale, pas sur la mortalité imputable à chacune des épidémies (et heureusement) !

Avec beaucoup d’audace, le vidéaste achève de nous de scotcher définitivement en calculant l’effet du vieillissement de la population sur la mortalité (un phénomène qui mérite évidemment d’être pris en compte). Une fois cet effet pris en compte, il pense avoir démontré que « la seule raison pour laquelle nous avons eu une surmortalité plus forte en 2020 qu’en 2017, c’est uniquement que parce que les gens sont plus vieux. ». Et il va même plus loin : , A cause de l’effet démographique la grippe de 2017 aurait selon ses calculs fait 8500 décès de plus que la covid-19 si elle était intervenue en 2020. En fait, tout ceci est complètement faux.

Pourquoi tout ceci est faux :

Une chose aurait dû lui mettre la puce à l’oreille. On parle de grippe « saisonnière », causant des décès supplémentaires sur une période précise de l’année. De façon générale, toutes causes confondues, il y a en moyenne des écarts de mortalité considérables d’un mois sur l’autre. Le tableau ci-dessous, calculé avec les données publiées par l’INSEE sur la période 2015-2020, est parlant (4):

On a donc sur la période près de 14 500 décès de plus en janvier qu’en juin, qui correspond au mois où la mortalité est la plus faible. Rien que ceci suffit à jeter le doute sur la méthode retenue dans la vidéo qui consiste à comparer directement deux périodes différentes de l’année.

 

Mais observons les valeurs maximales : 2017 apparait une seule fois, en janvier. L’année 2020 correspond à la mortalité maximale en mars, avril, août, septembre, octobre, novembre et décembre, avec pour certains des écarts à la moyenne considérable.

De là à penser que l’épidémie de Covid-19 en est en grande partie responsable…Mais allons plus loin. Pour pouvoir vraiment comparer les périodes retenues par le vidéaste, calculons la mortalité corrigée des variations saisonnières (saisonnalité mensuelle, ici). Il faut souligner que la méthode inclut la tendance à l’augmentation de la mortalité du fait du vieillissement de la population.

 

Le résultat est sans appel :

On observe bien le pic important de janvier 2017, au cœur de l’épidémie de grippe saisonnière (il y avait eu un 1er en janvier 2015), mais deux pics beaucoup élevés qui correspondent exactement aux pics de la 1ère et de la 2ème vague de Covid-19 (respectivement avril et novembre 2020) selon les données collectées par Our World In Data. En décembre 2020, la surmortalité est encore très importante !  

 

Les thèses de cette vidéo s’effondrent.

 

Non, les décès n’augmentent pas mécaniquement du seul fait du vieillissement de la population. Non, la mortalité ne devient pas, systématiquement plus forte pendant les épidémies (« tous les ans, aussi bien de grippe que de coronavirus », selon notre conférencier). Toutes les épidémies ne se valent pas. La mortalité des seules grippes saisonnières est très variable d’une année sur l’autre (par exemple de l’ordre de 3700 pour la saison 2019-2020, contre 14 400 pour la saison grippale 2016-2017 qu’il a pris comme référence pour relativiser l’épidémie de Covid-19). Si ses thèses étaient crédibles, on aurait dû déplorer au moins quelques centaines de morts de plus de la grippe 2019-2020 qu’en 2016-2017.

 

L’auteur de cette vidéo semble considérer les virus (pour ne parler que des épidémies d’origine virale) que comme les déclencheurs (accomplisseurs ?) d’une fatalité démographique, quelle que soit leur nature, leur virulence propre, et les armes prophylactiques ou curatives qu’on peut leur opposer. Il se plante dans les grandes longueurs.

 

 

Anton Suwalki

 

 

 

 

  1. https://ourworldindata.org/coronavirus
  2. https://www.quartierlibre.tv/quartierlibre/grippe-vs-covid-qui-est-vraiment-le-plus-mortel/?utm_source=Telegram&utm_medium=partners&utm_campaign=quartierlibre
  3. https://www.santepubliquefrance.fr/maladies-et-traumatismes/maladies-et-infections-respiratoires/grippe/documents/bulletin-national/bulletin-epidemiologique-grippe-semaine-9.-saison-2016-2017
  4. Données absentes pour décembre 2020, complétées avec les données journalières, qui subiront donc vraisemblablement quelques corrections.
  5. https://www.santepubliquefrance.fr/maladies-et-traumatismes/maladies-et-infections-respiratoires/grippe/documents/bulletin-national/bulletin-epidemiologique-grippe.-bilan-de-la-surveillance-saison-2019-2020

 

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