Vandana Shiva, docteur en pipeaulogie (1)
Dans le cadre du « Monde Festival », Stéphane Foucart organisait un débat entre le physicien Etienne Klein et l’icône du monde altermondialiste Vandana Shiva sur le thème « La science peut-elle aller contre le progrès ? ».
Nous ignorons si le journaliste avait choisi le thème et les intervenants, ou si c’était une commande de son patron. Mais ce genre de débat suscite forcément un malaise. D’abord à cause du titre. Si on désigne en effet la science comme l’activité de production de connaissances objectives sur le monde fondée sur une méthode rigoureuse et universelle, la question n’a pas de sens, à part à considérer que la connaissance n’est pas en soi un progrès.
Ensuite, le malaise vient de ce qu’on fasse débattre un véritable scientifique avec Vandana Shiva, dont l’approche du monde est tout sauf scientifique, et pour qui le progrès…est synonyme de grand bond en arrière. Question science, VS se présente comme « physicienne quantique », une prétention démystifiée par notre ami Wackes Seppi (1). Espérons pour elle, qu’Etienne Klein, qui lui, s’y connaît plus qu’un peu en physique quantique, n’aura pas eu la cruauté de tester la profondeur de ses connaissances en la matière (2).
On ignore pourquoi la vidéo du débat n’a pas été mise en ligne par le Monde , contrairement à celle des autres débats. On a seulement droit à une vidéo d’une courte interview de la diva Shiva, et à un bon concentré d’âneries (3). Dernière invention en date : La militante anti-OGM craint une disparition du patrimoine culinaire indien du fait de la fusion de Bayer et de Monsanto !!!!
Nous nous baserons sur une interview antérieure, publiée en ligne, assez longue pour que VS ait le temps de déployer ses compétences… en pipeaulogie. Dans un article ultérieur, nous analyserons ses propos sur la génétique et la conception (risible) qu’elle a de la science, ainsi que ses délires sur « la démocratie de la planète Terre ».
Ici, nous nous attacherons à ses affirmations en matière d’agriculture. Logiquement, on attend beaucoup d’une pareille savante qui paraît-il, travaille sur le sujet depuis plus de 30 ans. On est vite fixé sur son expertise. On a soit des affirmations hautement douteuses mais invérifiables, soit des affirmations vérifiables… et totalement fausses.
VS: « Les partisans de l’agriculture intensive ont tort sur un principe au sujet duquel je travaille depuis trente ans : à savoir que l’on pourrait produire davantage de nourriture avec des produits chimiques. La révolution verte en Inde a permis de produire davantage de blé, bien sûr, mais en faisant disparaître les légumineuses et certaines semences ! ».
Première sottise, il n’y a aucun rapport entre le fait de produire « avec des produits chimiques » et le fait que les légumineuses et certaines semences [auraient] disparu.
Deuxième sottise : on ne pourrait donc pas produire plus avec des produits chimiques. Avant la révolution verte, 39% de la population indienne était sous-alimentée. De nos jours, 15,2% de la population souffre de la faim. C’est encore beaucoup trop, certes. Mais compte tenu de la croissance de la population, qui a presque triplé entre temps, cela veut dire que l’agriculture indienne a été en mesure de nourrir à leur faim plus de 800 millions d’individus supplémentaires. N’importe quel individu doué de raison comprend que c’est grâce à la révolution verte , et entre autres aux produits « chimiques », que cela a été possible.
Troisième sottise : les légumineuses auraient disparu. N’importe quoi ! Selon les données de la banque mondiale, entre le début des années 1960 et aujourd’hui (5) la production indienne a augmenté de:
- 30% pour les pois chiches
- 102% pour les haricots secs
- 176% pour les lentilles
- 198% pour les haricots verts
- 441% pour les petits pois
La production de soja, quasi inexistante en 1960, est aujourd’hui supérieure à 12 millions de tonnes. Seul le tonnage de pois secs a diminué (de 31%).
Voilà donc ce que VS appelle la disparition des légumineuses !
Mieux encore, la production a augmenté plus vite que la population pour la majorité des produits, suggérant un accès à une nourriture plus diversifiée pour les indiens (6).
VS : « [l’inde] achète désormais des pois jaunes du Canada de médiocre qualité. Leur teneur en protéine est de 7 % contre 35 % chez ceux que l’on cultivait en Inde ». On suppose que les pois jaunes en question sont des pois secs. L’inde produit de l’ordre de 660 000 tonnes de pois secs. Peut-être en importe-t-elle, mais la teneur en protéines (7%) du pois canadien est hautement improbable. .
VS : « Le contrôleur général national a expliqué que ces importations massives entraînaient de la corruption. Quand je cultive des produits de bonne qualité dans mon jardin, aucun homme politique ne peut prendre de l’argent, mais quand du soja et des légumineuses sont importés en grande quantité, alors les pots-de-vin sont énormes. Pourquoi ne pas raconter l’histoire dans sa totalité ? »
Raisonnement vertigneux ! « Quand je cultive des produits de bonne qualité dans mon jardin, aucun homme politique ne peut prendre de l’argent » . En admettant que ça soit vrai (on peut aussi prélever des impôts en nature), que change le fait que les produits que je cultive soit de bonne ou de mauvaise qualité ?Le pire est d’imaginer que le retour (ou le maintien) à une agriculture vivrière misérable est préférable à la lutte contre la corruption. Par ailleurs, comment les habitants des gigantesques bidonvilles indiens pourraient-ils cultiver leurs jardins ?
VS : « La diversité des récoltes permet de produire davantage de nutriments par hectare. Si le blé est cultivé avec de la moutarde, par exemple, il contiendra davantage de nutriments que s’il est cultivé seul. Or l’agriculture intensive, c’est la monoculture, et les monocultures sont des systèmes à faible productivité. » Là encore, une affirmation non vérifiable : on cherchera en vain une référence à des expériences agronomiques permettant d’affirmer que la culture associée de blé et de moutarde augmente la teneur en nutriments du premier. De plus, VS prouve qu’elle ne sait rien des difficultés de gérer plusieurs cultures en même temps. Et elle associe monoculture (et donc spécialisation spatiale) et faible diversité des récoltes, ce qui n’a rien à voir. Un pays peut avoir à la fois des territoires agricoles très spécialisés et une grand variété de cultures. Et comme le montrent les données de la Banque Mondiale, l’Inde a plutôt diversifié ses cultures depuis la révolution verte.
VS : « En sortant de ce système, le paysan n’est pas obligé de dépenser de l’argent pour acheter des semences ou des engrais à [l’entreprise américaine] Monsanto, il n’a pas à s’endetter. Et, au final, il produit des aliments sains, pas des denrées que les marchés du monde entier achètent à bas coût. »
Ah ! Monsanto, bien sûr ! Le bon vieux réflexe pavlovien ! Monsanto, qui sauf erreur, s’est désengagé depuis longtemps du marché des engrais. Pour VS, l’alternative à « ce système », c’est de revenir à la misère rurale séculaire.
VS :« L’agriculteur n’est plus aujourd’hui qu’un acheteur de produits chimiques. Il est passé du statut de producteur à celui de consommateur. Dans le langage de l’industrie, le maïs et le blé ne sont définis que comme des matières premières. » Comment peut-on accumuler autant de niaiseries en si peu de mots ? L’agriculteur n’est plus producteur, il est juste là pour « consommer »des produits chimiques. Dans le langage de l’industrie ( laquelle ?) le blé ne sont définies que comme des matières premières ? Et qui produit ces « matières premières » , sinon l’agriculteur, en partie grâce aux produits chimiques qu’il achète ?
Comme il fallait s’y attendre, Vandana participe à la mascarade du Tribunal International censé juger Monsanto pour « crimes contre l’humanité » (7). A l’époque des procès de Moscou, VS et ses acolytes auraient aisément pu remplacer Vychinski. Le pays du mensonge déconcertant (8), dans les semaines à venir, ce sera la Hollande. Raison de plus pour dénoncer les impostures de Shiva, docteur en pipeaulogie.
Anton Suwalki
A suivre…
(1) http://seppi.over-blog.com/
(2) VS a également le titre de « scientific advisor ». Défense de rire.
(5) moyenne sur 5 ans
(6) pas forcément pour tous, malheureusement
(7) http://www.monsanto-tribunal.org/
(8)Dix ans au pays du mensonge déconcertant, un livre d’Ante Ciliga