L’étude sur les souris nourries au maïs MON810xNK603 ,par Ryuujin
Une étude autrichienne publiée en Octobre 2008 était censée montrer que les souris nourries au mais GM MON810xNK603 se reproduisaient moins bien que les souris nourries au maïs classique. La surmédiatisation prématurée de ces résultats, avant que les spécialistes ne l’examinent étaient plus que suspecte. L’analyse de Ryuujin (merci pour sa contribution)de cette étude confirme largement ces soupçons.
Anton Suwalki
L’étude sur la reproduction des souris nourries au maïs MON810xNK603 : une tempête dans un verre d’eau ?
Par Ryuujin
Il est un moyen aisé de faire la part entre ceux qui informent, et ceux qui désinforment. Les premiers expliquent, quand les seconds assènent, par exemple, des arguments d’autorité.
Il est bien plus commode de lancer des « telle étude prouve telle chose » que d’argumenter réellement : les journalistes scientifiques eux même lisent rarement les études en question se contentant de leur résumé ou de leurs conclusions, et le lecteur lambda n’ira généralement même pas jusqu’à vérifier qu’elle existe bien.
Les militants anti-OGM nous ont donc habitués aux citations d’études inexistantes, ou au détournement de conclusions d’études réelles.
Suite à une étude Autrichienne testant l’effet d’un maïs OGM, le MON810xNK603 sur 4 générations de souris, le Monde du 18/11/2008 (1) titre ainsi : « Les souris nourries au maïs MON 810-NK 603 se reproduisent moins bien que les autres », mais explique ensuite que sur deux protocoles expérimentaux testés, un seul a montré des différences entre le groupe de souris mangeant du maïs, que ces différences ne sont pas interprétables pour l’instant, et que l’étude en question n’est pas validée.
Libération titre le même jour « Des souris nourries aux OGM moins fertiles », expliquant cette fois-ci qu’il s’agit de « résultats provisoires » (2), que l’étude doit être répétée, mais qu’elle montre que « des souris femelles nourries au maïs transgénique (OGM) peuvent être affectées par des problèmes de reproduction », et que « les souris testées qui ont pu finalement donner naissance à des petits ont mis bas des souriceaux d’un poids nettement inférieur à la normale », avant de relayer les demandes d’interdiction du MON810 (une autre variété de maïs OGM) de Greenpeace.
Le Canard Enchainé du 19/11 titre lui « Les OGM, c’est la santé » et explique que « plus les pauvres bêtes avaient consommé du MON810, moins elles étaient fertiles. Avec en prime des souriceaux rachitiques… ».
Le rapport en question ayant été rendu public (3), nous vous invitons à aller vérifier vous-même ce qu’il en est.
Voyons d’abord si les conclusions relayées par la presse sont bien celles de l’étude citée. :
- Tout d’abord, il s’agit bien du MON810xNK603, et non du MON810, et il n’y a pas eu de tests concernant des quantités croissantes de maïs OGM contrairement à ce qu’indique le Canard Enchaine, visiblement bien mal renseigné.
- Ensuite, l’étude en question ne montre pas de différence entre le poids des souriceaux des groupes nourris au maïs OGM, et non-OGM.
o Pour ce qui est des résultats du premier protocole, jetez donc un coup d’œil aux pages 41 et 42 et aux pages 49 et 50. Ce premier protocole compare les résultats de trois groupes de souris : un groupe qui consomme 33% du maïs OGM, un groupe qui consomme 33% d’un maïs de même lignée que le maïs OGM, mais non-transgénique (ISO), et un groupe d’une variété de maïs Autrichienne (REF). En l’occurrence, la différence entre les groupes « OGM » et « ISO » pour ce qui est du poids des souriceaux est généralement inférieure à l’écart-type des deux groupes (représenté par la barre noire surmontant les courbes), c'est-à-dire qu’il y a moins de différence entre les rats nourris au maïs OGM et ceux nourri au maïs « ISO » qu’entre les différents rats ayant le même régime alimentaire. En outre, cette différence entre les groupes OGM, et « ISO » est inférieure à celle observée entre les groupes « ISO », et « REF ». Ce qui signifie qu’il y a plus de différence entre l’effet de deux variétés de maïs non-OGM qu’entre l’effet de la variété OGM en question et celui de son homologue non-OGM. Conclusion : le premier protocole ne met en évidence aucune différence entre l’effet du maïs OGM, et non-OGM pour ce qui est du poids des souriceaux. Nous ne parlerons plus par la suite de ce protocole : il n’a permis de mettre en évidence aucune différence.
o Pour ce qui est du second protocole, jetez donc un coup d’œil aux pages 79 et 80. Même constat.
Aucun des deux protocoles ne met en évidence d’effet de la consommation de maïs OGM sur le poids des souriceaux : il est donc faux d’affirmer que les souriceaux nourris au MON810xNK603 sont plus rachitiques.
Ce sont les portées qui sont plus légères dans le groupe OGM que dans le groupe ISO dans le cadre du second protocole. Pourquoi sont-elles plus légères alors que les souriceaux ne sont pas plus petits ? Parce qu’elles comptent moins de souriceaux.
Certains journalistes qui n’ont visiblement pas pris la peine de lire le rapport en question ont cru présenter deux conclusions, alors qu’ils n’en avaient qu’une : une natalité plus faible dans le groupe nourri au maïs OGM dans le cadre de la seconde expérience.
Il y avait pourtant une seconde conclusion soulevée par la seconde expérience, et de taille ! Mais elle aura échappé aux journalistes. Sans doute parce qu’elle est mentionnée dans la discussion, et non dans la conclusion.
La conclusion pointe le fait que des différences statistiquement significatives ont été observées entre les deux groupes (OGM et ISO). Un nombre plus faible de naissances dans le groupe OGM (844 contre 1035, soit 18% de différence), mais aussi une mortalité plus faible dans le groupe OGM que dans le groupe ISO.
Page 77 ; nombre de souriceaux morts dans le groupe nourri au maïs non-OGM, par générations : 16, 19,
32, 38, total : 105.
Et dans le groupe nourri au maïs OGM : 2, 19, 2, 24 total : 47.
105 souriceaux morts dans le groupe non-OGM, soit 10.1% de mortalité, contre 47 morts dans le groupe OGM soit 5.6%, donc 47% de mortalité en plus dans le groupe nourri au maïs non-OGM. Il n’est pas écrit noir sur blanc que cette différence est significative, mais le contraire n’est pas indiqué non plus, alors que cela était le cas pour le premier protocole, et cette différence est commentée au même titre que d’autres différences significatives dans la discussion page 85.
Qu’apprend-on donc en faisant simplement l’effort d’aller vérifier les conclusions de l’étude citée ? Que ce qui en est dit dans la presse est faux, et soigneusement sélectionné, par le soin de l’auteur qui passe sous silence ce problème de mortalité, et par le manque de compétence des journalistes qui relayent l’information sans avoir pris le soin de lire le rapport en question.
Que faut-il donc en penser ? Soit on prend les conclusions de cette étude pour argent comptant, et alors si on est honnête, on ne parle pas que d’une baisse de la fertilité chez les souris nourries au MON810xNK603, mais aussi de la baisse de mortalité constatée, soit on jette sur cette publication un œil critique. Attelons-nous à cette tâche.
Les auteurs de ce rapport restent en fait particulièrement prudents. Ils parlent de résultats préliminaires, concluent non pas qu’ils ont trouvé quelque chose d’inquiétant sur le maïs en question, mais qu’il faudrait faire plus d’études sur le sujet etc.
Cette prudence n’est pas nécessairement gratuite ; une analyse du rapport montre en fait qu’il est bâclé.
- Il contient des erreurs de calcul : regardez donc le tableau 59 : dans la troisième portée nourrie au maïs OGM, il y avait 213 souriceaux à la naissance, il y en a 207 après sevrage, mais il n'y a que 2 souriceaux morts. 213-207 = 6, quatre souriceaux manquent donc à l’appel. Que sont-ils ? Sont-ils portés disparus, ou morts-vivants ? Ou alors ils sont morts de façon anormale (par exemple suite à une mauvaise manipulation), et ont été retirés de l’étude sans qu’aucune explication ne soit donnée ?
- Et justement, parlons de souriceaux morts : la mortalité des souriceaux nourris au maïs non-OGM lors de la seconde expérience est anormalement élevée. Ces souriceaux auraient-ils été maltraités ? Si c’est le cas, peut-on vraiment comparer deux groupes traités différemment ?
- Comme le souligne James C. Lamb (4), l’inventeur du protocole utilisé, la façon dont certains chiffres sont calculés est curieuse. Même tableau, même colonne : logiquement, lorsqu’on divise le nombre de souriceaux par groupe (Sum of pups at weaning/group) par le nombre de couples ayant eu une portée par groupe (Deliveries/group), on obtient le nombre de souriceaux par couple (Number of pups at weaning/pair). Et bien cela ne marche pas pour la troisième génération du groupe nourri au maïs OGM : la valeur affichée devrait être 9,41 (207/22) et non 9,06.
Idem pour la quatrième génération ; on devrait trouver 8,65 souriceaux par couple au sevrage en moyenne, et non 7,21. D’où vient la différence ? Les auteurs ont compté les couples n’ayant pas eu de portée comme s’ils avaient eu une portée de zéro souriceaux. Pourquoi pas, mais cela va sous-estimer le nombre de souriceaux par portée etc. Il aurait été plus intéressant de faire également les calculs en distinguant les couples qui ne se sont pas reproduits des autres.
- Le premier protocole (celui qui n’a rien donné) inclue un témoin, qui permet de voir si les différences constatées entre les effets du maïs OGM et non-OGM sont inférieures, ou supérieures à celles observées entre deux maïs non-OGM. Cela n’a pas été fait dans la cadre du second protocole. Pourquoi ? Cette information est importante.
- Le problème de l’étude est que les données sont très variables d’une souris à l’autre. Il est donc difficile de savoir si telle ou telle différence entre deux groupes est due au caractère OGM ou non du maïs qu’il a consommé, ou à cette variabilité naturelle, c'est-à-dire à un tout autre paramètre (la présence ou non d’un mâle « cannibale » par exemple). Pour répondre à ceci, et mieux faire la part des vraies tendances et du « bruit », des variations aléatoires, on a en général recours à des tests statistique qui prennent en compte le fait que les données varient d’un individu à l’autre ; des ANOVA, des analyses de variance (5).
Pourquoi cela n’a pas été fait ici ? Ce type de test est pourtant l’un des premiers outils statistiques des biologistes.
- Aucun des garants d’un travail « propre » n’est présent ; cette étude semble avoir été menée sans tenir compte d’aucun des standards qui permettent d’en comparer les résultats avec les autres études déjà menées, et les études futures. Cette étude aurait du être réalisée avec des lignées d’animaux (de préférence des rats) dont on connaît l’historique pour s’assurer par exemple que la perte de fertilité n’est pas un phénomène naturel qui s’amplifie à mesure que les souris vieillissent et que les générations s’enchainent. Pour ce qui concerne les analyses de toxicologie, un cahier des charges doit être respecté pour garantir de bons résultats ; il n’en est pas fait mention dans le rapport…
Conclusion : il s’agit bel et bien de résultats préliminaires, qu’il faut encore analyser correctement pour en tirer la moindre conclusion.
Pour qu’il s’agisse d’une vraie étude scientifique, il faut que les résultats soient clairement présentés, qu’ils ne contiennent pas d’erreurs de calculs, que tous les choix soient justifiés (notamment, celui d’étudier le nombre de souriceaux par groupe et non par portée, celui d’écarter ou non un couple, ou des souriceaux de l’étude etc.), que les données sources soient accessibles à d’autres chercheurs pour être soumises à d’autres analyses et commentaires avant que les résultats ne soient publiés.
Que s’est-il donc passé pour qu’une étude aussi brouillonne et incomplète soit rapidement publiée et commentée par la presse, avant même d’avoir été soumise à l’évaluation de scientifiques indépendants ?
C’est bien simple : cette étude n’est absolument pas publiable en l’état ; elle ne prouve rien de précis. Elle ne pouvait donc pas être soumise à l’évaluation par des scientifiques.
Mais elle était nécessaire à l’Autriche, qui essaye depuis 2003 d’obtenir l’autorisation de définir des zones « sans-OGM ». L’Autriche avait argué qu’elle avait trouvé des preuves de la nocivité des OGM en question, ce à quoi l’EFSA a répondu par un rejet de la demande en l’absence des preuves évoquées. A la suite de quoi la demande a été examinée par la Commission Européenne, qui en a tiré les mêmes conclusions, puis à la court de première instance de la Commission Européenne, pour le même résultat.
L’Autriche a donc fait appel, et en 2007, la Court de Justice Européenne a également rejeté sa demande.
C’est dans ce contexte qu’arrive la publication hâtive de cette étude bâclée qui n’est pas même passée par le circuit normal pour une étude scientifique.
En l’absence de preuves scientifiques, l’Autriche cherchait peut être un semblant de preuve, et l’a trouvé. Cette étude a peu de chance de convaincre le moindre spécialiste, et encore moins ceux de l’EFSA, mais elle peut convaincre une population mal informée, et permettre à une entité politique d’éviter de perdre les voix des anti-OGM en les renvoyant à cette Europe qui n’accepte même pas les preuves qu’on lui envoie.
Décidemment, la France (qui a cet année envoyé un dossier vide pour justifier l’engagement de la clause de sauvegarde, avant de tout faire pour gagner du temps et éviter ainsi qu’il ne soit rejeté par l’Europe alors qu’elle en est présidente) fait des émules.
Il ne reste plus aux scientifiques pour être entendus qu’à informer du mieux qu’ils le peuvent, et à inviter les citoyens à mettre un peu leur nez dans les études en question, au lieu de se contenter de ce que les journalistes en disent.
Ryuujin
Notes
3) http://www.amisdelaterre.org/IMG/pdf/forschungsbericht_3-2008.pdf
4) http://www.gmobelus.com/news.php?viewStory=290
(5) L’analyse de la variance est une technique en statistique qui permet de déterminer si les différences de moyennes des groupes observés sont significatives ou pas. Voir par exemple : http://fr.wikipedia.org/wiki/Analyse_de_la_variance