Gilles-Éric Séralini en Australie et aux Philippines : une tournée qui tourne court
Un article de Wackes Seppi
Le professeur Gilles-Éric Séralini, récipiendaire du titre fort convoité de « scientifique international de l'année 2011 » décerné par le marchand de vrais-faux parchemins International Biographical Centre of Cambridge (Royaume-Uni) [1], a fait une tournée en Australie et aux Philippines du 25 février au 8 mars 2012 pour répandre la bonne parole anti-OGM et anti-pesticides en compagnie de M. Jérôme Douzelet, restaurateur [2] et accessoirement membre du Conseil d'administration du CRIIGEN.
La tournée les a amenés à faire des conférences dans les Universités de Sydney, Canberra, Adélaïde et Perth ; devant des chefs de cuisine et le public à Sydney, Perth et Margaret River ; puis à Manille et à l'Université de Los Banos aux Philippines. Précisons : dans des salles mises à disposition dans des Universités (c'est une technique habile que de louer une salle dans un lieu emblématique – par exemple à l'UNESCO en France – et de communiquer ensuite comme si le prestigieux propriétaire de la salle était l'organisateur de l'événement).
Le site du CRIIGEN fournit un « Compte rendu et réponses aux critiques des lobbys des biotechnologies » [3] avec un lien, erroné, vers des photos dont certaines sont très instructives [4].
Ce titre est tout un programme !
Et il ne peut qu'exciter la curiosité : en effet, à titre de compte rendu et de réponses, le lecteur a droit à une série d'agressions et de récriminations ineptes qui frôlent le délire de persécution :
« Les critiques qui se sont manifestées suite aux interventions du Pr. Séralini en Australie sont de manière peu surprenante celles des compagnies de biotechnologies et de leurs défenseurs déjà condamnés en diffamation contre lui. Ces pseudo-scientifiques épluchent en permanence son CV, ses récompenses, mais ne prennent pas la peine de lire ses publications scientifiques évaluées par des pairs dans des revues internationales, qui étayent le propos de ses conférences. [...] »
Comme chacun sait, il y a eu une seule affaire de diffamation, et ce, en France et non en Australie. Elle constitue du reste une victoire à la Pyrrhus pour M. Séralini [5].
Par ailleurs, il y a des scientifiques – traités avec mépris de« pseudo-scientifiques » – qui ont bien pris la peine de lire au moins une publication de M. Séralini, et d'y répondre. C'est par exemple le cas de ceux de Monsanto. M. Séralini peut difficilement le nier puisqu'il a répondu (ou prétendu répondre) à la réponse [6].
Les agences de sécurité des aliments – celle de l'Australie et de la Nouvelle-Zélande, FSANZ, en tête – ont aussi été prise à partie, avec des accusations manifestement diffamatoires :
« Les agences sanitaires comme FSANZ en Australie ou la FDA aux Etats-Unis, ou l'EFSA en Europe, où figurent les membres de ces lobbys, comme il a été démontré par de nombreux journalistes, ne publient que des opinions sur des sites Web. Cela n'est pas assez pour atteindre la communauté scientifique internationale qui au contraire félicite régulièrement le Pr. Séralini. Par contre ces agences qui se disent indépendantes attendent les scandales sanitaires et la preuve par les morts (3000 pour le médicament Mediator autorisé par ce type d'agences) pour prendre en compte les alertes qui vont bien souvent à l'encontre des intérêts commerciaux dont ils semblent se faire les serviteurs. [...] »
Il est vrai que lesdites agences n'ont pas été tendres avec les « travaux » de M. Séralini, littéralement démolis [6].
Cela a encore été le cas lors de la tournée. En effet, M. Séralini a aussi participé à une émission radio d'un quart d'heure en Australie dans laquelle M. Paul Brent, Chief Scientist de FSANZ lui a donné la contradiction [7]. Ayant été interrogé sur ses critiques envers les travaux de M. Séralini, M. Brent a répondu que les agences sanitaires avaient unanimement conclu qu'ils étaient viciés dans leur conception, certainement surinterprétés et même mal interprétés ; que de nombreux chercheurs de renom l'ont écrit ; et – en guise d'estocade – que M. Séralini le savait très bien.
La réaction venimeuse n'est donc pas une surprise. Mais ce qui est surprenant, c'est que M. Séralini puisse penser qu'un lecteur doté d'un minimum de bon sens va gober une « réponse » d'une telle balourdise. Limitons-nous au plus simple : qui peut croire, en effet, que publier uniquement sur des sites Web n'est pas suffisant pour atteindre la communauté scientifique internationale ?
À supposer que ce soit vrai, s'agissant des publications... En fait, M. Séralini se trompe – ou plutôt trompe délibérément ses lecteurs. La meilleure preuve en est qu'il lui arrive de citer des articles publiés dans des journaux scientifiques par des auteurs signant collectivement par une référence à l'EFSA [6] [8] !
Et une réponse à quoi, au juste ? Ceux qui n'ont pas suivi les faits et méfaits de M. Séralini s'interrogeront en vain à la lecture de ce texte irrationnel mis en ligne sur le site du CRIIGEN ; les autres savent les blessures intimes qui lui ont été infligées de longue date. Les agences sanitaires ont en effet répondu à ses « alertes » avec cruauté pour l'égo d'un chercheur ; et du reste aussi avec promptitude contrairement à ce qu'il affirme. Une cruauté requise par les circonstances, en l'occurrence la piètre qualité de ses arguments [6]. C'est ce qu'avait rappelé M. Brent.
M. Séralini a aussi été ulcéré par des remarques sur ce qu'on peut appeler ses liens d'affaires ou, pour utiliser un jargon qu'il adore, ses conflits d'intérêts :
« Enfin ceux qui critiquent en Australie les liens entre le Pr. Séralini et le "business homéopathique" n'ont encore certainement pas lu les articles où ce chercheur teste en fait des extraits de plantes de manière non homéopathique sur la détoxification cellulaire. Les stupidités vont bon train dans les pays où le dollar ou les OGM essaient d'être rois. »
Cette « réponse » est, en fait, grandiose : elle ne dément pas les liens mais, au contraire, les confirme implicitement ! Nous avons déjà eu l'occasion d'analyser cette situation en détail [9].
Et, à propos de relations d'affaires, la tournée intitulée « tout ce que vous devez savoir sur les aliments GM » a été organisée par un consortium anti-OGM et anti-pesticides, notamment Greenpeace [10] qui en a assuré le financement [11].
En résumé, la virée n'a pas été une partie de plaisirs.
C'est ce qui ressort aussi de la presse agricole australienne [10]. À Perth, l'étape la plus rude, le Directeur du WA Agricultural Biotechnology Centre de la Murdoch University, Mike Jones, n'a pas hésité à utiliser les techniques de « décrédibilisation » si chères à M. Séralini et à d'autres activistes. Il s'est en effet servi habilement du faux parchemin de « scientifique international de l'année 2011 » posté, « avec fierté » selon les termes du Pr Jones, sur le site du CRIIGEN [12]. Et d'ajouter : « Vous devez vraiment vous interroger sur sa crédibilité scientifique s'il peut être abusé par cette arnaque [...] Je conseille donc à ceux qui écouteront Gilles-Éric Séralini de ne pas se laisser abuser par ses polémiques anti-OGM. »
Et d'ajouter encore : « Si c'était moi, je ferais enlever le certificat immédiatement, mais il y est toujours et je suis sûr qu'il n'a pas été évalué par des pairs. » Pour rappel : il y est encore [1]...
Agrifood Awareness Australia Limited (AFAA), une entité de communication créée par l'industrie n'a pas été en reste sous la signature d'un éminent professeur de l'Université de Melbourne, M. David Tribe [13]. C'est elle qui a évoqué les liens du « chercheur français discrédité Gilles-Éric Séralini » avec le « business homéopathique ».
Selon une des organisatrices de l'événement à l'Université de Perth, le débat a été « robuste » et le Pr. Jones avait réussi à jeter le doute sur les remarques faites au cours de la réunion.
C'est que le public n'était pas – comme c'est souvent le cas dans ce genre de réunions convoquées par des activistes – entièrement acquis à la cause de l'orateur.
Rural Press a voulu en savoir davantage à l'issue de la réunion. Mais M. Séralini n'était plus disponible pour répondre : selon son article, M. Séralini avait annulé son dernier engagement prévu à Perth pour raison de santé et était en train de quitter l'Australie quand on avait essayé de le joindre.
Voilà donc l'explication des « réponses » pitoyables d'un Séralini piteux et dépité.
Cela dit, si un accès de Schadenfreude peut nous faire du bien, il ne faut pas sous-estimer l'impact que M. Séralini a pu avoir en Australie et aux Philippines. Les activistes sont en effet passés maîtres dans l'art de la propagande. Mais l'épisode de Perth montre qu'il y a moyen d'y répondre.
Wackes Seppi
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[1] Selon le site du CRIIGEN, « Certains "bons esprits" ont critiqué l'International Biographical Centre" IBC, et du coup le diplôme reçu par le Pr. Gilles-Eric Séralini. Pour éviter les polémiques inutiles, le Pr. Séralini a décidé de retirer cette mention de son CV. » Le précieux (US$325) parchemin reste cependant visible sur le site :
http://www.criigen.org/SiteFr//index.php?option=com_content&task=blogcategory&id=56&Itemid=75
[2] Selon le site du CRIIGEN, M. Douzelet « a développé dans son établissement "Le Mas de Rivet" ... une cuisine raffinée, naturelle, biologique, avec des valeurs du terroir, des produits et services de qualité autour de son équipe familiale de direction. Pierre Rabhi, Jean-Paul Jaud, à qui il a offert le cadre de son hôtel pour le tournage de "Severn, la voix de nos enfants" et Gilles-Eric Séralini y sont passés avec plaisir.
http://www.criigen.org/SiteFr//index.php?option=com_content&task=view&id=357&Itemid=104
[3] http://www.criigen.org/SiteFr//index.php?option=com_frontpage&Itemid=73
[4] Le lien correct est :
http://www.flickr.com/photos/79123951@N07/sets/72157629830513273/
C'est aussi sur la base de ce genre de détail que l'on doit s'interroger sur la crédibilité – notamment scientifique – du CRIIGEN et de son héraut.
[5] Voir sur ce site la série Séralini c. Fellous : la science politisée, la justice instrumentalisée, les masques tombent !, particulièrement :
[6] Voir le dossier en annexe de la pétition de soutien à M. Séralini :
http://sciencescitoyennes.org/IMG/pdf/Annexe-support-Seralini_etal_2010.pdf
[7] À partir de 8:50 :
http://www.abc.net.au/radionational/programs/latenightlive/are-gmos-safe3f/3858030
[8] Voir par exemple Genetically modified crops safety assessments: present limits and possible improvements :
http://www.enveurope.com/content/23/1/10
[9] Voir notamment La probité scientifique à dose homéopathique :
[10] Voir notamment Anti-GM speaker draws fire :
[11] Concerns on GM food testing continue :
http://www.abc.net.au/science/articles/2012/03/09/3447730.htm
[12] Cette « distinction » était également mentionnée dans la biographie de M. Séralini distribuée en Australie :
http://www.gefree.org.nz/assets/pdf/Seralini-Douzelet-Bio.pdf
Mais il est à noter qu'elle a été supprimée sur le site de Greenpeace Australia :
http://www.greenpeace.org/australia/Global/australia/True_food/Seralini_Bio.pdf
Et c'est précisément le Département du commerce de l'Australie occidentale qui avait attiré l'attention sur les arnaques de l'International Biographical Centre of Cambridge :