Cotonnier Bt en Inde : pour en finir avec les rumeurs
Vague de suicides en Inde à cause des OGM ? Des milliers d’internautes dont on connaît l’absence totale d’esprit critique réinventent périodiquement une nouvelle vague de suicides avec pour « preuve » la même vidéo qui circule sur la toile depuis des années (1). Élaborée par Vandana Shiva et autres nostalgiques de l’Inde rurale traditionnelle misérable, relayée par l’andouille héritier de la couronne britannique, et par l’ensemble des activistes anti-OGM, cette mystification survit à tous les faits, et s’est même imposée au conseil économique et social des Nations Unies, qui prétendait dans sa session d’avril-mai 2008 que l’introduction des semences OGM (de cotonnier Bt) « avait exacerbé l’extrême pauvreté des petits paysans indiens » (2). Ne reculant devant aucune outrance, les Amis de la Terre ont qualifié le phénomène de « génocide OGM »(3).
Pour le cotonnier Bt, dont l’adoption par les paysans indiens tend à devenir universelle, les anti-OGM ont perdu la partie. Leur activisme sur place se dressent donc désormais essentiellement contre l’aubergine Bt. D’où la pseudo-expertise effectuée par Séralini pour le compte de Greenpeace (et démontée sur ce site) afin de retarder son autorisation (4). Mais si la légende du « génocide OGM » causé par les semences de cotonnier Bt ne sert plus à grand chose en Inde, elle continue à alimenter utilement la propagande dans les pays occidentaux. Celle-ci revient en France sous une forme édulcorée dans un article du Monde du 26 avril (5)qui titre sur « les promesses non tenues du coton OGM en France », et en profite pour faire la publicité pour l’appel à un moratoire de la « Coalition pour une Inde sans OGM ». Et mine de rien, l’auteur reprend la thèse du suicide du aux OGM.
L’occasion était trop belle pour Marie-Monique Robin qui reprend du service sur le blog d’Arte(6). Les promesses paraît-il non tenues deviennent chez elle « La fin des OGM en Inde ? ». Au passage, la cruche juge utile de fanfaronner de la sorte : « Mauvaise nouvelle pour les lobbyistes qui s’acharnent sur ce Blog » . A en juger par cee triomphalisme haineux, ce qui serait une tragédie si c’était vrai (les OGM ruinent les paysans indiens et les poussent en masse au suicide) est manifestement une bonne nouvelle pour elle !
La misère rurale, elle, existe bien en Inde et conduit certains au suicide. Selon toutes les données statistiques et les études disponibles, les OGM n’en sont pas la cause, mais plutôt un facteur d’atténuation, même si les OGM ne permettent pas toujours d’en sortir. Loin des discours caricaturaux que MMR & autres bidonneuses prêtent à leurs ennemis, nous n’affirmons pas que les graines de cotonnier GM sont des « semences miracles » (7) , qu’elles protègent de tous les aléas qui affectent les récoltes, mais qu’elles ont très significativement contribué à l’amélioration des revenus des paysans indiens, des petits comme des grands. Ce qui est l’explication la plus logique à l’expansion continue du cotonnier Bt en Inde depuis son introduction en 2002. Nous reprenons ici un par un les éléments de ce mensonge planétaire, et les objections malhonnêtes formulées lorsqu’on met les menteurs devant les faits, en espérant contribuer à faire éclater enfin la vérité.
Affirmation centrale : l’introduction du coton Bt en Inde a poussé à la ruine de nombreux paysans et provoqué une épidémie de suicides dans les années qui ont suivi.
Faux. Comme le relève une étude de l’IFPRI (8), l’augmentation des suicides des paysans remonte aux années 1990, bien avant l’introduction des OGM. Entre 2002 et 2006, le taux de suicide des paysans, de toute façon beaucoup plus faible que celui de l’ensemble de la population a oscillé autour de 1,5 pour 100.000, avec un pic en 2004 légèrement supérieur à celui de 2002. En 2003, 2005 et 2006, le nombre de suicides de paysans est inférieur à 2002. Les registres disponibles ne mentionnent bien sûr pas si les paysans en question cultivaient du coton Bt ou traditionnel, ce qui permet aux auteurs de la légende de raconter ce qu’ils veulent. Mais si l’endettement et la ruine est la cause principale présumée du suicide, alors on peut estimer que le fait de cultiver des OGM a prévenu des suicides plutôt qu’il n’en a causé : selon les auteurs de l’étude de l’IFPRI mentionnée, qui n’excluent pas pour autant des difficultés locales pour ceux-ci, les gains pour les cultivateurs d’oGM sur la période s’échelonnent selon les états entre +40% et +176%. Dans une étude plus récente (9 table 2 p 47) , une estimation basée sur un panel de paysans qui cultivaient des cotonniers non-BT en 2004-2005 et cultivent le cotonnier BT en 2006-2007 estiment à plus de 200% les retours nets.
La mécanique infernale à l’origine du prétendu désastre : le coût beaucoup plus élevé des semences BT et l’augmentation de l’emploi de pesticides.
Vrai pour les semences BT effectivement plus chères. Mais celles-ci représentent moins de 15% des coûts moyens de l’agriculteur. Faux pour les pesticides, puisque les toxines Bt exprimées dans le cotonnier GM évitent d’épandre des insecticides contre les ravageurs ciblés par ces dernières, en particulier le vers rosé ou Pink boll worm . Globalement, les coûts par acre de plantes Bt étaient en 2004-2005 supérieurs de 10% à ceux d’une exploitation traditionnelle, cette différence étant probablement liée à des effets de structure : en effet, les coûts du panel mentionné plus haut ont baissé de 18% à prix constants après l’adoption du cotonnier Bt (9 cf tables 1 et 2 p 47).
De toute façon, un comptable honnête présente toujours des comptes à deux colonnes, avec les ressources et les emplois. Les rendements supérieurs du cotonnier BT aboutissent à un revenu net moyen plus de deux fois supérieur.
Objection (reprise par le Monde) : l’augmentation des rendements observée après l’introduction du cotonnier Bt en Inde était due à une meilleure irrigation et à des conditions météorologiques favorables, et non aux qualités de celui-ci. La productivité devrait maintenant régresser, l’annonce de mauvais rendements en 2011 dans l’état d’Anda Pradesh en étant le signe précurseur.
Mauvaise foi évidente combinée à une incompréhension des qualités des plantes BT, qui n’ont pas en soi pour vocation d’augmenter les rendements . Aucun miracle météorologique ne pourrait expliquer le fait que les rendements aient doublé dans les années qui ont suivi l’introduction des OGM. Quant au pourcentage de surfaces irriguées de plantation de cotonnier , il n’a pas augmenté (9 cf graphique 5 page 51). Cependant, les progrès des rendements ne sont certainement pas imputables au seul caractère Bt, mais en grande partie aux hybrides performants utilisés qui ont remplacé les variétés locales. Si les semenciers proposent plus de 800 hybrides incorporant un ou deux gènes Bt, ça n’est pas pour le fun, mais pour offrir une gamme la plus large possible adaptée à des conditions de culture très différentes. Il est vrai que pour MMR, dont les compétences en agronomie sont internationalement reconnues : « les OGM, - qui sont des créations de laboratoire, sans aucun rapport avec les réalités agronomiques du terrain ( les tests pratiqués en champs représentent de véritables farces, ainsi que je l’ai aussi révélé) » . « Une farce » qui dure parfois 5 ans …Qu’est-ce qu’on aime rigoler dans le milieu des OGM !…
Rappelons qu’une année où la pression des ravageurs est très faible ou nulle, le caractère spécifique des plantes Bt n’apporte aucun avantage en terme de rendements par rapport à la même variété non transgénique. Son efficacité dans la protection des plantes se traduit en termes de rendements d’autant plus que la pression des ravageurs est forte en limitant les pertes de récolte et en terme de coût pour les épandages de pesticides.
Affirmation des Cassandres : les problèmes des OGM s’accumulent , apparition de résistance des vers roses, de maladies etc... Ainsi, selon le directeur du CIRC cité par le Monde : « La productivité dans le nord de l'Inde devrait décliner en raison de la baisse du potentiel des semences hybrides, de l'apparition du problème du virus de la frisolée sur les nouvelles semences hybrides génétiquement modifiées et d'un haut niveau de vulnérabilité aux parasites suceurs (les variétés non génétiquement modifiées étaient résistantes) » .
Ce qui est vrai :De fait, les protéines Bt n’offrent semble-t-il pas le même niveau de protection pour le coton que pour les autres plantes Bt, et en 2009, on a effectivement noté dans certains districts de l’état du Gujarat une augmentation de la résistance des vers roses, dans les champs plantés avec des semences Bollgard I développées par Mahyco & Monsanto. Ce premier cotonnier Bollgard n’exprimait que la protéine Cry1Ac. Ce phénomène on ne peut plus naturel et prévisible : les OGM n’ont pas le pouvoir magique d’arrêter l’évolution. Il s’agit simplement de prévoir ces phénomènes, de les retarder et d’en limiter l’ampleur avec des pratiques culturales appropriées. Ensuite, le Bollgard II qui contient deux transgènes produisant les protéines Cry1Ac et Cry2Ab, et qui supplante désormais le Bollgard I, réduit considérablement les possibilités d’apparitions de résistance. Il ne les supprime pas. Mais incriminer les OGM à cause des risques d’apparition de résistance est aussi stupide que de refuser aujourd’hui un médicament au prétexte qu’un jour, il sera peut-être inefficace contre la maladie qu’il combat.
Enfin, Mr Kranthi devrait un peu revoir sa documentation concernant le virus de la frisolée avant de l’imputer « aux semences hybrides génétiquement modifiées ». Un mal présent en Inde dès la fin des années 80 (10), à une époque où le mot OGM était peut-être inconnu de ce monsieur. Et un mal contre lequel les OGM pourraient peut-être contribuer à lutter : c’est du moins ce qu’escomptent des chercheurs pakistanais et canadiens (11) . Mais nul doute que si les recherches aboutissent, ces OGM feront l’objet des mêmes campagnes de dénigrement.
Petits paysans & OGM: argument souvent entendu, et pas seulement à propos de l’Inde , les OGM, de toutes façons ne profiteraient (à la limite) qu’aux gros agriculteurs. MMR nous le ressert dans son dernier torchon : « ce modèle agroindustriel , gourmand d’intrants, ne convient absolument pas à l’Inde, où l’immense majorité des paysans sont de petits producteurs exploitant rarement plus qu’un hectare » .
Elle s’empresse de rajouter « Je souligne, au passage, que ce modèle est aussi à l’origine de l’effondrement des revenus des grands céréaliers américains ». Logique vertigineuse : Si ça ne marche pas en Inde, c’est parce que les exploitations sont petites, mais ça ruine aussi les gros exploitants aux USA…
C’est faux : les revenus ont augmenté en Inde quelle que soit la taille de l’exploitation (9 figure 1 p 47). De plus, l’emploi et les revenus de la main d’œuvre salariée a également augmenté (12). En particulier pour les femmes.
Il est facile de comprendre pourquoi l’objection des anti-OGM ne tient pas la route : la « technologie Bt » est entièrement incluse dans la graine, et n’engendre aucun coût fixe supplémentaire qui impliquerait des seuils de taille pour être rentable. Toutes choses égales par ailleurs, que l’on plante 10 m2 ou 500 hectares en Bt amène les mêmes bénéfices proportionnels.
Bilan de l’ « échec » du cotonnier Bt en Inde : En 2011, soit la dixième année après leur introduction, les cultures Bt atteignent 10,6 Millions d’hectares, soit 12,8% de plus qu’en 2010. Elle représente 88% des surfaces totales, cultivées par 7 millions d’agriculteurs (13). C’est en dernière analyse le démenti le plus cinglant aux bobards anti-OGM. Il reste à examiner leurs dernières contorsions pour tenter de sauver leur légende.
Il y a moins de deux ans, MMR contestait les statistiques qui traduisaient ce succès et un progrès constant des cultures d’OGM, au motif que « Le problème, et il est de taille, c’est que l’ International Service for the Acquisition of Agri-biotech Applications (ISAAA) est tout sauf une source fiable. Dans un article, publié le 15 février 2008, intitulé « Les surfaces cultivées en OGM ont augmenté de 12 % en 2007 », Le Monde soulignait que l’ISAAA est un "institut basé aux États-Unis et financé par des organisations comme la Fondation Rockefeller ou la société Monsanto”. » (14) Et de proclamer dans ses réunions que les cultures OGM avaient commencé à décliner, sans avoir , cela s’entend, la moindre source à citer pour appuyer son bobard.
Mais contrairement au dicton, les imbéciles aussi changent parfois d’avis, selon ce qu’ils ont à démontrer. Elle reconnaît désormais implicitement les faits, mais pour leur trouver une explication diabolique :
« Le dernier paragraphe de l’article du Monde confirme aussi ce que j’ai montré il y a déjà quatre ans : les semences traditionnelles et locales de coton ont quasiment disparu, rendant problématique une sortie du désastre transgénique. La raison ? Le rachat par Monsanto et consorts des compagnies semencières locales qui a permis de faire disparaître les semences locales, en imposant des semences transgéniques. Un sinistre tour de passe-passe qui permet, ensuite, aux lobbyistes de saluer la progression des OGM en Inde ! Or, cette progression ne signifie en rien l’adhésion des paysans indiens aux OGM, mais constitue, au contraire, la preuve que Monsanto et autres Bayer ont réussi leur holdup sur le pays. »
Mensonge tout aussi grossier que le précédent. Si les semences traditionnelles ont quasiment disparu, c’est parce que les agriculteurs n’en veulent quasiment plus. La réalité est que jusqu’à une période récente, la demande de semences Bt a toujours excédé l’offre légale, au point de créer de sérieux troubles lors de la distribution (15) et d’aboutir dès 2003, au développement d’un marché illégal (16) de semences non certifiées, avec notamment des lots d’hybrides F2 de moindre qualité (9 page 50). Si erreur il y a dans le taux et le rythme d’adoption des OGM en Inde, cela serait plutôt dans le sens d’une sous-estimation. Voilà ce que MMR appelle un hold-up.
Au regard de ces faits, ça n’est pas l’échec des OGM en Inde, mais l’échec des anti-OGM. Rien ne garantit que les progrès permis par l’introduction du cotonnier Bt se poursuivra de façon linéaire. Mais au regard du succès qu’il a rencontré auprès des principaux intéressés depuis 10 ans, le mythe du « génocide OGM » est sans aucun doute, une des plus sinistres plaisanteries inventées par le mouvement anti-OGM.
Anton Suwalki
Notes :
(2) Extrait du PV :
The Committee is deeply concerned that the extreme hardship being experienced by farmers has led to an increasing incidence of suicides by farmers over the past decade. The Committee is particularly concerned that the extreme poverty among small-hold farmers caused by the lack of land, access to credit and adequate rural infrastructures, has been exacerbated by the introduction of genetically modified seeds by multinational corporations and the ensuing escalation of prices of seeds, fertilisers and pesticides, particularly in the cotton industry.
(3) http://www.amisdelaterre.org/Legenocide-OGM.html
(4) l’analyse de Wackes Seppi
(6) http://robin.blog.arte.tv/2012/05/12/la-fin-des-ogm-en-inde/
(7) c’est MMR qui utilise des guillemets pour faire croire aux lecteurs que la formule est celle employée par les « lobbyistes » .
(8) http://www.ifpri.org/pubs/dp/ifpridp00808.asp
(9) http://epw.epw.in/epw/uploads/articles/17418.pdf
(10) http://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/j.1744-7348.1996.tb07319.x/abstract
(11) http://www.cotton247.com/news/ci/?storyid=1434
(12) http://wrap.warwick.ac.uk/3189/1/WRAP_Pink_0380313-hr-110510-gm_crops_and_gender_accepted_2.pdf
(13) http://www.isaaa.org/resources/publications/briefs/43/default.asp
(14) http://www.ogms.be/actualites/mme-marie-monique-robin-les-amis
(15) http://www.ogms.be/actualites/en-inde-les-agriculteurs-reclament
(16) se reproter par exemple à la note en fin d’article :
http://imposteurs.over-blog.com/article-26582952.html
http://imposteurs.over-blog.com/article-25655180.html
http://imposteurs.over-blog.com/article-26582952.html