Belpomme nous prend pour des poires bio
La peur du cancer fait vendre : après Séralini, Servan-Schreiber, David Khayat vient de publier un livre au titre racoleur : Le vrai régime anti cancer (1),
Dominique Belpomme, lui aussi investi sur ce créneau porteur du marché littéraire se devait de rappeler son existence au monde …et Le Monde du 8 juin lui donne donc une tribune pour le remettre dans la course:
Existe-t-il un vrai régime anti-cancer et si oui quel est-il ? (2)
L’individu y fait preuve d’un talent incomparable pour tirer la couverture vers lui, quitte à réinterpréter à sa guise les données scientifiques et les dires des uns et des autres pour les faire coller à ses thèses.
Comment discréditer un concurrent qui dit la même chose que vous :
« Faisant suite au livre Anti cancer (Robert Laffont, 2007) de David Servan-Schreiber, l'ancien directeur de l'Institut national du cancer (l'Inca), David Kayat a crée un trouble dans l'opinion en intitulant son livre Le vrai régime anti-cancer (Odile Jacob, 2010), signifiant par là que seul le régime qu'il préconisait avait un effet "anti-cancer". Pourtant la publication des résultats de l'étude européenne EPIC, la plus importante étude épidémiologique connue à ce jour dans le domaine de la nutrition, dément formellement les affirmations des uns et des autres, en démontrant par les chiffres que manger des fruits et légumes ne protège d'un cancer que de façon marginale. Ainsi ces résultats s'opposent-ils aux allégations de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) affirmant que manger chaque jour cinq fruits et légumes différents protège du cancer et, indirectement, confirment les travaux de l'Association pour la recherche thérapeutique anticancéreuse, l'Artac (sa chose à lui)»
Belpomme fait donc endosser à Khayat la célèbre recommandation de l’OMS, alors que celui-ci émet sur ce sujet comme sur bien d’autres un avis très proche du sien :
«Le lien entre prévention et fruits et légumes est finalement bien moins impressionnant qu’on aurait pu le penser (..)Tiens donc ! Pour éviter le cancer, il faut qu’on se gave de fruits et légumes tous les jours sans d’ailleurs bien savoir lesquels, et pourtant, les plus grands experts mondiaux nous affirment qu’il est impossible de conclure de façon irréfutable que ceci sert réellement à quelque chose…»(1)
Technique imparable de Belpomme : Je prête à mon concurrent une position qu’il n’a pas, « formellement infirmée » par une étude récente, qui confirme ce que je dis depuis longtemps et, « indirectement » ,les travaux de l’ARTAC… Vous voyez bien, moi seul suis crédible.
Ce que dit l’étude EPIC, et ce que ne dit pas Belpomme :
Or si l’étude en question (3) relativise très largement la contribution globale des fruits et légumes à la prévention du cancer - diminution du risque de l’ordre de 3% par portion de 200g de fruits et légumes absorbées (4) , elle ne remet absolument pas en cause l’intérêt des fruits et légumes pour l’équilibre alimentaire, la prévention d’autres maladies, notamment les maladies cardio-vasculaires. Un fait que Belpomme occulte de façon irresponsable dans ses interventions médiatiques, et qui remet en cause leurs bénéfices à cause des pesticides.
Et surtout, l’étude EPIC n’apporte ,même indirectement, aucune eau au moulin de Belpomme qui croit pouvoir conclure que ses résultats « confirment les travaux de l'Association pour la recherche thérapeutique anti-cancéreuse, l'Artac, indiquant que ce sont les substances chimiques cancérigènes (pesticides, nitrates, additifs, etc.) présentes dans notre alimentation qui sont les véritables agents responsables des cancers ». Nous avons ici un détournement sans vergogne des conclusions de l’étude. Rappelons que Belpomme (que les académies et instituts compétents ne semblent pas prendre au sérieux (5)), qui prétend à tout va que 75% des cancers dans les pays développés sont dus à la pollution, n’a pour autre instrument de mesure que son flair et pour argument fort le « bon sens » :
« [Mais], d'ores et déjà, le bon sens devrait prévaloir. Depuis Hippocrate, tous les médecins savent que manger des aliments de mauvaise qualité est nuisible à notre santé. Or c'est tout le contraire qu'on voudrait nous faire croire : qu'on peut vivre sans maladie dans un environnement pollué. »
Ca, c’est de la science dure !
Prosélyte bio :
Personne ne s’en étonnera, ces pensées profondes débouchent sur un plaidoyer en faveur du bio :
« les substances chimiques cancérigènes (pesticides, nitrates, additifs, etc.) présentes dans notre alimentation qui sont les véritables agents responsables des cancers. D'où l'intérêt théorique du bio puisque les aliments certifiés "bio", en principe, n'en contiennent pas. (…)
Cependant un tel avantage du "bio" vient d'être récemment contesté par deux ex-chercheurs de l'Institut national de recherche agronomique (INRA) affirmant qu'étant donné la valeur nutritionnelle équivalente du "bio" et du "non-bio", le "bio" ne peut pas être considéré comme étant meilleur pour notre santé (Les Cahiers de la nutrition et de la diététique, avril 2010). Cette allégation est péremptoire et non fondée scientifiquement, puisque dans leur analyse de la littérature scientifique, ces deux ex-chercheurs de l'Inra n'ont pas tenu compte des contaminants et additifs présents dans les aliments "non-bio".»
En réalité, ce sont les allégations de Belpomme, qui n’ont strictement aucune valeur. Allégations qui reposent uniquement sur la superstition :
« naturel »=bon
« chimique » (de synthèse) = mauvais
Contrairement à ce qu’affirme Belpomme, une douzaine d’additifs alimentaires sont autorisés pour les conserves bio, et les pesticides autorisés en agriculture bio (pyrèthres, sulfates de cuivre, huile de neem, roténone -récemment interdite-) sont très loin d’être sans danger. Pour le bio comme pour le conventionnel, tout est bien sûr question de dose. Mais peut-être le professeur n’a-t-il jamais entendu parler de LMR (limite maximale autorisée) ?
L’étude citée (Léon Gueguen, Gérard Pascal) , qui tire des conclusions analogues à celles d’une récente étude britannique (6), a bel et bien étudié les résidus de pesticides dans les produits issus de l’agriculture conventionnelle : Il faut croire que Belpomme ne l’a pas lue.
La synthèse des éléments comparatifs…:
- avantages pour le bio sur certains points (ex, davantage de vitamine C dans les légumes et fruits)
- avantage pour le conventionnel sur d’autres points (ex, céréales plus riches en protéines, moins de mycotoxines)
…ne font pencher la balance ni dans un sens ni dans l’autre.
Belpomme a tout faux et, au fond, il doit le savoir, si on se réfère à sa conclusion désopilante :
« S'il n'y a effectivement pas de preuve scientifique démontrant que manger "bio" protège contre ces affections ou maladies, il n'y a, non plus, aucun argument pour affirmer le contraire, à savoir que manger "bio" ne protège pas » (sic !)
Le bonhomme a probablement pris des cours de logique auprès de José Bové.
Anton Suwalki
Notes :
(1)http://hebdo.nouvelobs.com/sommaire/dossier/098208/le-vrai-regime-anti-cancer.html
http://www.liberation.fr/societe/0101642529-cancer-couacs-en-cuisine
sur le blog doutes à gogo :
http://www.doutagogo.com/article-les-colporteurs-anti-cancer-51078008.html
(3) Fruit and Vegetable Intake and Overall Cancer Risk in the European Prospective Investigation Into Cancer and Nutrition (EPIC)
(4) avec toutefois une bénéfice supérieur pour les personnes fumant ou fortes consommatrices d’alcool
(5) Lire « les causes du cancer en France » :
http://www.academie-sciences.fr/publications/rapports/pdf/cancer_13_09_07.pdf
(6) Nutritional quality of organic foods: a systematic review
American Journal of clinical nutrition (2009)