La patate douce est naturellement transgénique
Une équipe internationale de chercheurs a publié dans la revue PNAS (1) une étude sur la patate douce. En analysant de nombreuses variétés de patates douces cultivées (291 échantillons étudiés), ils ont découvert la présence dans leur génome de deux segments d’ADN d’une bactérie du sol, Agrobacterium. L’un deux était également présent dans les parents sauvages analysés, mais pas le second. Ces gènes bactériens ont donc été acquis après la domestication de la patate douce, et transmis à la descendance. La patate douce peut-être considérée comme un organisme naturellement transgénique, dans le sens où elle a incorporé des gènes étrangers sans autre intervention que celle de Dame Nature.
Ces transgènes sont exprimés dans tous les tissus de la plante, y compris dans le tubercule qui est la partie consommée de la patate douce. Il est possible que ces plantes aient été choisies par les agriculteurs, en raison des caractères intéressants qu’elles présentaient. Nos ancêtres auraient ainsi, sans le savoir, profité de la transgénèse naturelle .
La découverte faite par ces chercheurs n’a certes rien de révolutionnaire, mais elle peut s’avérer utile pour faire progresser le débat sur les plantes génétiquement modifiées.
Les OGM, c’est naturel, et c’est universel !
En 1907, un article paru dans Sciences décrivait l’origine bactérienne de la galle du collet, une maladie des plantes qui se manifeste par des excroissances tumorales au niveau du collet ou des racines. Il a néanmoins fallu attendre près de 70 ans pour que les mécanismes d’infection soient compris . Au milieu des années 1970, plusieurs études, dont celles de Marc Van Montagu et ses collègues, décrivent ces mécanismes : une bactérie du sol, Agrobacterium tumefaciens, est capable de transférer une partie de son « plasmide » (un ADN circulaire) dans les chromosomes de la plante (cf schéma). C’est l’expression de ces gènes qui entraine chez celle-ci la prolifération tumorale. En utilisant ces mécanismes , Marc Van Montagu et son collègue Jozef Shell ont créé en 1983 le premier tabac transgénique, résistant à un antibiotique.
Ces phénomènes de transferts horizontaux de gènes, connus dès les années 1960 pour les micro-organismes, étaient en fait très répandus : on les considère désormais comme l’un des mécanismes importants de l’évolution des espèces (sans doute de toutes les espèces). Une très récente étude (2) portant sur une étude détaillée de 26 espèces animales (dont l’homme) conclut : « Bien que la fréquence d'acquisition de gènes par transfert horizontal soit généralement inférieure chez les eucaryotes que chez les procaryotes. Entre des dizaines et des centaines de gènes étrangers sont exprimés chez tous les animaux que nous avons étudiés, y compris les humains. Il apparaît que, loin d'être un événement rare, ces transferts horizontaux ont contribué à l'évolution de nombreux, et peut-être de tous les animaux, et que le processus continue dans la plupart des lignées ».
A travers la patate douce, recadrer le débat sur les plantes génétiquement modifiées
Comme nous l’annoncions, cette étude sur la patate douce naturellement transgénique, apporte de la connaissance nouvelle sur une espèce végétale en particulier, mais ne constitue pas vraiment une surprise. Cependant selon les auteurs, cette découverte sur une plante consommée depuis des millénaires dans les pays tropicaux, pourrait modifier la perception actuelle du public sur le caractère prétendument non naturel des plantes génétiquement modifiées.
En effet, on imagine mal des personnes qui mangent de la patate douce depuis des décennies sans se poser de questions, la rejette tout d’un coup en découvrant qu’elle contient des gènes étrangers. Comment alors éviter de manger des produits issus d’espèces « non GM » ? Comment et où trouver un quelconque organisme « génétiquement pur » ? Il n’est même pas sûr que ce terme ait un sens … les organismes actuels sont constitués des gènes qui les ont précédés.
En utilisant la transgénèse, l’homme n’a fait que copier un mécanisme générant de la biodiversité qui est largement répandu dans la nature. Pourquoi accepter de manger des produits issus d’organismes naturellement transgéniques, et refuser ceux provenant d’une opération réalisée par l’homme, qui de plus est évaluée réglementairement de manière tatillonne ?
Comme trop souvent, ce genre de débat risque de se heurter au mur de l’irrationnel. Nous continuerons néanmoins d’essayer de faire reculer ce mur.
Anton Suwalki
(1) http://www.pnas.org/content/112/18/5844.full
(2) Crisp et al. Genome Biology (2015) 16:50
(Version PDF accessible à partir de Google Scholar)