Un nouveau tabloïd : Sciences et Avenir
Un article de Wackes Seppi
Dans un billet précédent, de la propagande bio dans Sciences et Avenir, M. Anton Suwalki avait décortiqué l'indigence journalistique de la revue précitée sur son « dossier » sur l'agriculture biologique du numéro de septembre 2011. Et, en conséquence, intellectuelle et surtout morale : quelle que puisse être notre conviction personnelle sur l'agriculture biologique, force est en effet de constater que le supertitre La vérité sur le bio en couverture annonçait en fait de grossières contre-vérités.
En face, chez Science & Vie, le lecteur a été gratifié d'un excellent article sur le responsable de l'hystérie en défense de l'agriculture biologique, Escherichia coli, la bactérie dont une souche avait été impliquée dans la crise des graines germées qui a fait une cinquantaine de morts et, probablement, quelques centaines de victimes handicapées à vie.
Mais Sciences et Avenir récidive dans son numéro d'octobre 2011.
Haro...
Un titre unique accrocheur en couverture : Exclusif – Valium, Lexomil, Témesta, Xanax... Ces médicaments qui favorisent Alzheimer.
L'article correspondant, Haro sur les benzodiazépines, reproduit essentiellement le point de vue du prof. Bernard Bégaud. « Haro » est un mot qui résume à lui seul l'orientation de l'article.
Il est impossible, même pour un spécialiste de l'épidémiologie, d'affirmer sur la base de l'article – sur la base des affirmations du prof. Bégaud – que prendre des traitements anxiolytiques et des somnifères de façon chronique favorise le risque d'entrée dans la maladie d'Alzheimer et l'augmente de 50 %. Le problème est, d'une part, que l'article est extrêmement alarmiste et donc, forcément, sujet à caution ; et, d'autre part, que l'étude épidémiologique sur laquelle il se fonde n'a pas encore été publiée, et donc soumise à l'examen critique par les pairs. Les lecteurs de ce blog verront là une stratégie classique chez certains chercheurs militants anti-OGM (ou plutôt militants chercheurs).
L'alarmisme est peut-être justifié, peut-être pas... Mais le lecteur rationnel ne peut que s'interroger en voyant que, d'une part, l'étude à paraître est qualifiée de « véritable bombe » par l'auteur lui-même et que, d'autre part, on précise qu'elle « s'ajoute à une série de huit autres menées depuis une dizaine d'années dans le monde dont quatre soulevaient déjà un doute légitime ». Quatre ? Seulement ? Alors que deux autres concluaient à des altérations de la cognition (ce qui est certes un effet secondaire indésirable) et les deux dernières, à un effet protecteur ? On peut par conséquent être en désaccord avec le prof. Bégaud lorsqu'il affirme qu'un corpus de neuf études dont une majorité de cinq va dans le sens d'une association entre la consommation au long cours de tranquillisants et somnifères et la maladie d'Alzheimer est un signal d'alerte très fort. Soyons précis : l'alerte est peut-être justifiée, mais l'affirmation précitée ne l'est pas.
L'orientation journalistique – un sensationnalisme de très mauvais aloi pour une revue de vulgarisation scientifique – s'exprime en l'occurrence par un simple point d'exclamation : Sciences et avenir – oubliant la deuxième étude allant dans le même sens, peut-être pour cause de nationalisme car elle émane de l'INSERM – écrit : « Une autre réalisée en Suède, affirmait même que les benzodiazépines protégeaient du déclin cognitif ! » Ce point d'exclamation est tout simplement choquant et témoigne du parti pris du rédacteur.
Un parti pris conforme à la ligne éditoriale puisqu'on le retrouve dans l'éditorial : « Avant même que nos lecteurs prennent connaissance de notre enquête – quelle enquête ? –, nous ressentons déjà, nous journalistes, l'effet de souffle de cette bombe. » Quel lyrisme ! L'effet de souffle, c'est probablement l'effet sur le tirage de la revue, Alzheimer faisant partie des angoisses de la population.
Cette orientation journalistique s'exprime aussi par les commentaires fort désobligeants sur les politiques et les autorités sanitaires. On ne réclame pas l'élégance aux auteurs de l'article, mais au moins la mesure. Or il n'est pas légitime de dire que « [c]ette affaire est une vraie bombe, mais les décideurs n'ont pas l'air de le réaliser », lorsque l'étude qui prétend démontrer la gravité de la situation n'a pas encore été publiée. Et est-ce que « [n]e pas agir traduit une immaturité incroyable » est l'expression mesurée d'un scientifique ? Une pression fort discutable, voire intolérable, sur les autorités sanitaires ? Une bouffée de populisme racoleur après l'affaire du Mediator ?
C'est d'autant plus choquant que le législateur a mis des limites à la prescription d'anxiolytiques et d'hypnotiques. Ces limites ne sont apparemment pas respectées par les médecins prescripteurs, mais leur existence même démontre que l'attaque est inappropriée.
Cependant, elle fera vendre... En tout cas, l'article de Sciences et avenir ne correspond pas à l'idée que l'on peut se faire de la vulgarisation scientifique.
Preuve de plus : le prof. Bégaud a affirmé que « [n]ous l'avions quasiment prédit dans le rapport sur le "bon usage des psychotropes", remis au Sénat et à l'Assemblée nationale en 2006 ». À l'évidence, la rédaction n'a pas vérifié, car l'affirmation se révèle fausse [1].
L'alarmisme est peut-être justifié, peut-être pas, écrivions-nous. Il a fallu se rabattre sur un journal d'information générale – ce qui est un comble – pour avoir un autre son de cloche. Le Messager (de Haute-Savoie) du 6 octobre 2011 a en effet reproduit le point de vue – incendiaire – du Dr Bernard Croisile, neurologue et chef du service de neuropsychiatrie au CHU de Lyon. Celui-ci mettait en garde contre l'effet d'annonce ; soulignait notamment que les chiffres avancés dans l'article devaient être pris avec des pincettes ; mettait également en garde face à de possibles biais statistiques ; et écrivait que « l’auteur met en évidence une association, un lien. Pas une explication. La nuance est majeure. De plus, comme il le concède lui-même, il ne fournit aucune explication physiopathologique. »
Ce point de vue, on le retrouve sur certains sites internet [2]... mais pas sur celui de Sciences et Avenir.
L'apparition de chrysomèles résistantes à la toxine Cry3Bb1 de Monsanto [3] aux États-Unis d'Amérique a été en quelque sorte saluée par M. Loïc Chauveau [4] dans Un insecte déjoue l'efficacité d'un OGM. Sous-titre accrocheur – Mauvaise nouvelle pour l'agriculture américaine [...] – et déclarations à l'emporte-pièce.
Non, M. Chauveau, l'étude de M. Gassmann et collègues ne montre pas que « son maïs [de Monsanto] n'a plus d'effets sur les chrysomèles, parasites ravageurs » (c'est nous qui soulignons). Elle montre qu'il y a des populations de chrysomèles devenues résistantes, au moins partiellement, mais toutes les chrysomèles ne sont pas devenues, en quelque sorte d'un seul coup, résistantes. Il est donc aussi faux d'écrire que « la toxine Cry3Bb1 est désormais inefficace ».
M. Chauveau succombe – c'est évident – à la propagande des anti-OGM et notamment de France-Nature-Environnement sur la rotation des cultures. Mais, à sa décharge et son honneur, à moitié seulement : en effet, il a fort justement souligné, en réponse à M. Jean-Claude Bévillard, de FNE, qu'il n'est pas simple d'introduire de nouvelles cultures dans les assolements.
Mais c'est là un bémol peu significatif, et il reste de gros progrès à faire dans la précision journalistique qui s'impose à une revue de vulgarisation respectable. Ainsi, qualifier le maïs Bt d'« insecticide » est fort incongru. Comme il est maladroit d'écrire que « [s]ans autorisation d'utilisation des OGM, ils [les agriculteurs] ne disposent que des seuls traitements larvaires » : la rotation est aussi une réponse au ravageur.
Petit articulet sur Monsanto, présenté comme étant en baisse à cause d'une action introduite (prétendument) à son encontre en Inde pour violation (alléguée) de la législation sur la biodiversité.
Des sites sectaires publient des insanités... Sciences et avenir les reprend sans une once de vérification. Il se trouve qu'une dénonciation, introduite devant la National Biodiversity Authority (NBA), a été dirigée contre Mahyco, l'Université des Sciences agricoles de Dharwad, et Sathguru Management Consultants (P) Ltd (qui agissait pour le compte d'un consortium d'institutions publiques et privées financé par l'USAID et dirigé par l'Université Cornell). Que Monsanto ait une part minoritaire dans Mahyco ne suffit pas à en faire la cible de la dénonciation. Mais les sites sectaires ne sont pas à une approximation près.
On peut donc s'arrêter à ce stade et conclure que Sciences et avenir a fait de la désinformation.
Mais on peut aussi continuer. Selon la désinfosphère, la NBA allait introduire une action judiciaire selon une décision prise le 20 juin 2011. Pas sûr : la décision est très ambiguë [5]. De plus, et surtout, l'accusation ne semble pas très solide [6].
Et, de toute manière, il faut être victime d'une animosité certaine envers Monsanto pour penser – et surtout écrire – qu'une telle accusation puisse constituer un « revers » pour la firme de Saint-Louis.
Incidemment, l'accord mis en cause par une « organisation non gouvernementale », Environment Support Group, avait pour objet la mise à la disposition des agriculteurs pauvres de variétés d'aubergine (brinjal) génétiquement modifiées pour résister à des insectes piqueurs et foreurs [7]. L'organisation prétend défendre « nos ressources naturelles et communautés dans les domaines de la justice environnementale et sociale »... [8]. Drôle de justice sociale.
Et, s'agissant de Sciences et Avenir, drôle de mensuel de vulgarisation scientifique.
P.S. : Sciences et Avenir a publié un Retour sur... les benzodiazépines dans son numéro de novembre 2011 avec une satisfaction non dissimulée puisqu'il s'intitule Une campagne d'information va être lancée.
Silence épais sur les critiques de l'article précédent et de la démarche du Pr Bernard Bégaud. La journaliste réussit donc l'exploit d'écrire au début de l'article :
« Dans une étude à paraître, [le Pr Bégaud] révélait en effet que 16 000 à 31 000 cas d'Alzheimer supplémentaires seraient – notez le conditionnel, après un « révélait » ! – attribuables chaque année à un usage chronique d'anxiolytiques et de somnifères, regroupés sous le nom de benzodiazépines »
et, à la fin :
« Pour Gérard Bapt, [...], “il faut maintenant des études de pharmacoépidémiologie pour connaître les effets au long cours de la prise de benzodiazépines”. Car seules ces dernières pourront confirmer – ou infirmer – le risque accru d'entrée dans la maladie d'Alzheimer noté par le Pr Bernard Bégaud. »
Notes :
[1] Voici ce que dit le rapport :
« 1. Les effets secondaires des psychotropes à base de benzodiazépines.
« L'impact délétère des benzodiazépines sur les performances cognitives, et en particulier sur la mémoire à court terme, a été mis en évidence par plusieurs études, même s'il n'est actuellement pas possible de conclure à l'existence d'un lien causal entre exposition aux benzodiazépines et détérioration cognitive. Les résultats de ces études conduites en population générale peuvent en tout cas être considérés comme un signal épidémiologique indiquant que des études complémentaires sont nécessaires. Du fait de la proportion importante de sujets exposés à ces médicaments, une augmentation, même minime, du risque de détérioration cognitive pourrait générer un nombre significatif de cas de démence, avec de larges répercussions sur la santé des populations âgées. »
Et, beaucoup plus loin, en relation avec l'étude relatée dans Sciences et avenir (c'est nous qui soulignons ci-après) :
« De ce fait, il n'est pas actuellement possible de conclure à l'existence d'un lien, a fortiori, causal entre exposition aux benzodiazépines et détérioration cognitive. Néanmoins, les résultats de ces études conduites en population générale, avec trois d'entre elles montrant une augmentation du risque de déficit cognitif chez les usagers, peuvent être considérés comme un signal épidémiologique indiquant que des études complémentaires et indépendantes sont indispensables. Du fait de la proportion importante de sujets exposés à ces médicaments, une augmentation, même minime, du risque de détérioration cognitive pourrait générer, par an, un nombre important (plusieurs milliers) de cas de démence, et donc avoir de larges répercussions sur la santé des populations. Comme l'exposition aux benzodiazépines est un facteur de risque modifiable, les enjeux sont d'autant plus importants en termes de santé publique et de responsabilité politique. »
[2] Par exemple : http://www.futura-sciences.com/fr/news/t/medecine/d/buzz-les-anxiolytiques-sont-ils-vraiment-en-cause-dans-les-cas-dalzheimer_33698/
[3] Field-Evolved Resistance to Bt Maize by Western Corn Rootworm, Aaron J. Gassmann, Jennifer L. Petzold-Maxwell, Ryan S. Keweshan, Mike W. Dunbar
http://www.plosone.org/article/info%3Adoi%2F10.1371%2Fjournal.pone.0022629#pone-0022629-g001
[4] Auteur d'un partie du « dossier » bio du numéro précédent.
[5] Voir les minutes de la session du 20 juin 2011 à :
http://www.nbaindia.org/docs/20th_Proceedings_10_08_2011.pdf
« A background note besides legal opinion on Bt brinjal on the alleged violation by the M/s. Mahyco/M/s Monsanto, and their collaborators for accessing and using the local brinjal varieties for development of Bt brinjal with out prior approval of the competent authorities was discussed and it was decided that the NBA may proceed legally against M/s. Mahyco/ M/s Monsanto, and all others concerned to take the issue to its logical conclusion. » (C'est nous qui soulignons.)
« May » indique à notre sens une éventualité. La suite du paragraphe se lit :
« Further, it was decided to proceed legally against the violaters in the case of export of embryos of Gir breed of cattle and Ongole breed bull and its semen to Brazil. »
« May proceed » est peut-être une tournure d'anglais victorien, mais elle contraste avec la formule directe de la phrase suivante (« it was decided to proceed »).
[6] On trouvera une brève analyse à NGO alleges ‘bio-piracy’ by Monsanto’s Indian subsidiary & its collaborators: True or false?
http://spicyipindia.blogspot.com/2011/08/ngo-alleges-bio-piracy-by-monsantos.html
[7] Pour le texte de l'accord :
[8] http://www.esgindia.org/about-us/index.html