Séralini : le prix de l’outrance et de l’aveuglement
Depuis ce jour de septembre 2012 où Gilles-Eric Séralini et ses collègues du CRIIGEN ont fait exploser leur bombe médiatique en rendant publique leur consternante étude sur les rats nourris au maïs GM NK603 et au RoundUp, de l’eau a coulé sous les ponts. Certes, le coup médiatique a porté ses fruits, et GES peut ainsi continuer sa campagne pour les « détoxifiants » de Sevene Pharma (1) dans les milieux déjà acquis à sa cause anti-OGM. Et quoi qu’il arrive, il sait qu’il trouvera toujours l’oreille complaisante d’une partie des médias si avides de vendre de la peur, du scandale, du complot et des martyres.
Sur le plan scientifique, le compte n’y est pas. Le fait qu’il ait récusé d’avance le jugement des agences d’expertise tels que l’EFSA (2) au motif comique que les spécialistes ont autorisé un OGM sur des bases dont il prétend avoir démontré « le laxisme » (3) prouve qu’il savait parfaitement que ses conclusions étaient irrecevables. Mais peut-être ne s’attendait-il pas à un tel déluge de critiques de la part de la communauté scientifique. Et il a beau mettre en avant « tout un réseau de 300 chercheurs qui [le] soutiennent au niveau européen » (4), il sait très bien que ceux-ci ne sont pas du tout représentatifs des spécialités concernées par son étude et qu’ils font de toute façon partie de sa tribu (5). Bref, la consécration médiatique est là (6), mais au prix d’un isolement sur le plan scientifique auquel le professeur n’est pas indifférent, comme l'atteste l’affaire dérisoire du prix du « Scientifique international de l’année 2011 » (7). Isolement qui doit se faire ressentir dans son environnement professionnel immédiat.
Cela pourrait expliquer l’escalade auquel se livre GES qui va d’outrance en outrance : jeudi dernier, il inventait « le canard à l’insecticide » (1). 3 jours plus tard, il se livrait à une ahurissante diatribe dans La Provence (4). Le point de non-retour semble atteint.
"Le réseau mafieux des OGM"
13 agences d’évaluation scientifique sur le plan international (8), les représentants de 6 académies françaises, et plusieurs centaines de scientifiques qualifiés de tous pays qui se sont exprimés à titre individuel ou collectif, ont conclu que l’étude de Séralini présentait d’énormes défauts méthodologiques, des interprétations biaisées, et des conclusions irrecevables. La première explication de cette convergence qui vient à l’esprit de tout être rationnel est qu’effectivement, l’étude ne doit pas valoir un kopeck. Pas pour GES, dont l’égo interdit toute autre explication qu’un complot orchestré par Monsanto ! « Les méthodes utilisées contre mes recherches sont bien au-delà du simple débat scientifique. J'ai mis au jour un véritable réseau mafieux » (4). Car bien sûr, les méthodes qu’il a lui-même utilisées sont tout à fait dans les clous du débat scientifique honnête ! Comme l’est le fait de proclamer à des journalistes que les détracteurs de son étude font tous partie d’un réseau mafieux !
Pourtant, si on en croit les preuves insignifiantes qu’il avance en soutien de cette thèse, il n’a en fait rien mis à jour, mais s’est contenté de reprendre à son compte les ragots de la toile : « Oui, l'Efsa, qui a invalidé mes résultats, comporte dans son organigramme nombre des scientifiques qui ont travaillé pour Monsanto, ses satellites, son agence de biotechnologie Ilsi. Et son ancienne présidente, Diana Banati, vient d'ailleurs de démissionner pour prendre des responsabilités au sein de l'Ilsi. » .
Monsanto, ses satellites, son agence de biotechnologie (sic)… Amalgame qui n’est pas sans rappeler le loup de la fable …
- Si ce n'est toi, c'est donc ton frère.
- Je n'en ai point.
- C'est donc quelqu'un des tiens
… à ce détail près que GES essaie de se faire passer pour l’agneau !
Rappelons qu’à notre connaissance, Diana Banati, en tant que directrice de l’EFSA, n’a jamais eu son mot à dire dans les avis émis par le panel scientifique biotechnologie de l’agence. Et que le « laxisme » de cet organisme est une fable complètement démentie par les faits (9).
« un chercheur ex-salarié de Monsanto, Richard E . Goodman, d'éditeur associé, est devenu responsable des articles sur les biotechnologies et les OGM dans la revue Food and Chemical Toxicology, qui a publié mon étude en septembre 2012. Il a donc la haute main désormais sur ce que peut "sortir" la revue. » ….
De l’aveu même des médias qui ont inventé cette affaire, Richard Goodman a quitté Monsanto depuis 2004 (10). On peut s’interroger sur la mentalité qui voit dans tout individu ayant travaillé pour une entreprise donnée un simple pantin dont l’ancien employeur continuera à tirer les ficelles des années après (11).
« Cela va encore plus loin. Mes données biographiques sur Wikipédia sont systématiquement "révisées" avec des éléments pour me dénigrer par un autre lobbyiste lié à l'industrie biotechnologique. »
Encore une fois, quelle preuve a-t-il que celui ou ceux qui révise(nt) sa fiche Wikipédia fait ou font partie du lobby des biotechnologies ? Aucune, bien sûr. Le seul fait d’y lire quelques vérités déplaisantes a valeur de preuve pour lui.
A propos …
« Mais ne travaillez-vous pas pour des entreprises comme Auchan ou Sevene Pharma ?
G-E S. : Je ne suis pas payé par ces entreprises, ces groupes, je teste leurs produits. Mon indépendance est totale. »
Le critère de l’ « indépendance totale » serait donc, aux yeux du professeur, le fait de ne pas être payé par… Ce qui est déjà fort discutable, puisque ces entreprises financent ses travaux. Pourtant, a-t-il mis en évidence, ne serait-ce que pour un seul individu, du « réseau maffieux », une rémunération par Monsanto qui affecterait son indépendance ? La réponse étant clairement non, on remarquera que GES applique une fois de plus un double standard.
Mais à propos, tout le monde se souvient un article du Figaro qui mentionnait que « le directeur [de Sevene Pharma] nous précise que le laboratoire de recherche de Caen (dirigé par le Pr Séralini, NDLR) a perçu deux fois en 2012 des rémunérations de prestations pour des conférences auprès des professionnels de santé, plus une rémunération en 2011 pour une formation de biochimie auprès de (ses) visiteurs médicaux(12)».
Une information que l’intéressé n’a pas songé à démentir lors de sa réponse incendiaire au journal (13). Un oubli ?
Subornation de rats témoins
Jamais, GES n’admettra que le rejet de son étude est justifié. Cette obstination se manifeste dans la perte de tout sens de la mesure lorsqu’il s’agit de caractériser ses détracteurs : « [leur] bêtise n’a parfois d’égal que l’ignorance crasse du sujet (13) », « mafieux », etc.. assortie de justifications de plus en plus extravagantes de ses résultats.
« On ne peut pas comparer statistiquement des nombres entiers (14)» , assurait-il doctement à ceux qui lui reprochaient d'avoir occulté l'analyse statistique qui aurait démontré que ces résultats n’étaient pas significatifs.
Dans son interview à La Provence, il reconnaît au moins implicitement ce dernier point, mais il sort de son chapeau une autre explication qui vaut son pesant de cacahuètes :
« Dans mon "droit de réponse" couché sur papier, je démontre que la firme s'appuie sciemment sur des bases faussées pour assurer que nos rats "traités" avec ce maïs OGM NK603 et avec le pesticide associé Roundup ne développent pas plus de tumeurs que les rats de l'échantillon témoin. »
Notons l’amalgame obsessionnel qui transforme les données scientifiques, les études disponibles en « la firme » (Monsanto), manie le flou artistique qui consiste à employer « nos rats traités » suivis de « les rats de l’échantillon témoin ». Parle-t-il des rats de son expérience, ou des données disponibles sur la propension des rats de laboratoire à développer spontanément des tumeurs, qui est en effet analogue à celle des groupes les plus touchés dans son expérience ?
« Pouvez-vous préciser pourquoi ces bases sont faussées ?
G-E S. : Eh bien, tout simplement parce ce que cet échantillon témoin est lui-même, et depuis longtemps, exposé aux pesticides et que les croquettes consommées par les rats ne sont pas bio mais sont contaminées par les OGM. Ils mangent des résidus d'OGM depuis l966 (15) au moins, les pesticides sont présents depuis les années 1930. Je leur ai mis sous le nez ces éléments en séance contradictoire au Parlement. Lorsqu'on sait cela, on comprend que les rats témoins ont en fait les mêmes caractéristiques que nos rats traités. »
Selon cette nouvelle affirmation, on croit comprendre qu’il parle des rats témoins en général. Or chaque étude étant menée dans des conditions expérimentales spécifiques, possède ses propres rats témoins. La comparaison avec les données scientifiques externes est une manière de vérifier qu’il n’y pas quelque chose qui cloche dans les résultats du groupe témoin d’une étude donnée et fausse ainsi l’expérience.
GES admet donc au minimum que ses rats traités ont les mêmes caractéristiques que les rats témoins dans les autres études, mais procède subtilement à une inversion - les rats témoins ont les mêmes caractéristiques que nos rats traités)- pour induire le lecteur dans l’idée que « les » rats témoins sont aussi malades que « ses » rats traités… parce que les premiers mangeraient aussi des croquettes « contaminées » par les OGM (ou les pesticides), ce qui constitue une nouvelle preuve de la validité de sa thèse ! On hésite entre hilarité et admiration, devant cette rhétorique vertigineuse.
Tout ça n’est que pure élucubration. La composition de la nourriture des témoins dans des études de nourrissage est soigneusement contrôlée et documentée. GES devrait savoir que des études concordantes (16) datant de plusieurs décennies existent et confirment la très forte propension de rats utilisés dans son étude à développer des tumeurs : on peut dans ces conditions totalement exclure l’explication opportuniste d’une nourriture « contaminée par les OGM ».
« Au bout du compte, au-delà même du procédé utilisé contre mes travaux, cela remet en cause l'ensemble des recherches basées sur ces échantillons de rongeurs. On a construit dans le monde entier des études faussées, notamment pour affirmer l'absence de toxicité des OGM. Et Monsanto ne veut pas communiquer les données biologiques sur les échantillons de rats témoins.
Avec ce type de modèle "infecté", on a bâti un comparateur unique sur le modèle de la pensée unique. Et nos résultats sont parfaitement valides. 90 à 100 % des rats "traités" ont développé des tumeurs. Vous imaginez les milliers de produits dangereux pour notre santé qui se sont vus ainsi délivrer des certificats d'innocuité ? »
Comme quoi, les adeptes de la haute-voltige rhétorique ne devraient pas travailler sans filet. Tôt ou tard, c’est la chute assurée. Voilà que l’ensemble des recherches basées sur ces échantillons de rongeurs seraient remises en cause. Sauf la sienne, bien sûr ! On apprend donc que Monsanto refuserait pas communiquer les données biologiques sur les échantillons de rats témoins. Ce qui est absolument grotesque, puisque toute étude de ce type suppose comparaison des résultats biologiques des groupes traités et des rats témoins. Certes, seule une partie des résultats est publiée dans l’article scientifique consacré à une expérience donnée. Mais en tant qu’ancien membre du CGB, GES n’ignore pas que les données de base de l’étude, que lui refuse justement de fournir, sont accessibles aux experts. Sur quelles données s’est donc appuyé GES pour ré analyser l’étude sur le MON 863 (17) ( ou d’autres OGM), pour conclure à des signes de toxicité hépatique et rénale ? Comment est-il arrivé à déceler de tels signes dans des études basées sur « un modèle infecté » qui explique selon lui « que les rats témoins ont en fait les mêmes caractéristiques que nos rats traités » ?
Fluctuat nec mergitur, dit la célèbre devise. A l’évidence, notre célèbre professeur fluctue beaucoup, mais n’est pas loin de mergiturer!
Anton Suwalki
Notes :
(3) Ce qui signifie pour résumer : je démontre que j’avais raison lorsque j’affirmais qu’ils avaient tort, donc seuls ceux qui étaient d’accord avec moi ont une légitimité pour examiner mes preuves. On voit où veut en venir ce Mozart de la rhétorique lorsqu’il réclame une « expertise contradictoire » !
(4)http://www.laprovence.com/article/edition-marseille/2372541/le-reseau-mafieux-des-ogm.html
(5)http://www.ensser.org/about/board-and-staff/
(6)Et encore, tous les médias n’ont pas foncé dans le mur
(7)http://www.agriculture-environnement.fr/a-la-une,6/seralini%E2%80%89-le-prix-de-l-ego,771.html
(8)http://www.marcel-kuntz-ogm.fr/article-nk603-110296439.html
(10) http://www.infogm.org/spip.php?article5414
(11)On notera le commentaire exquis d’Inf’OGM (note 10)
« Cette nomination est d’autant plus surprenante que cette revue a déjà dans son comité de rédaction un expert en sécurité sanitaire des OGM avec José L. Domingo, professeur de toxicologie et santé environnementale. Malheureusement pour l’industrie, dans deux études (Domingo 2007 ; et Domingo et Bordonaba 2011), il a exprimé son scepticisme par rapport à l’innocuité sanitaire des OGM.
Cette nomination pose de nombreuses questions quant à l’objectivité de cette revue. Monsanto a désormais une bonne courroie de transmission au sein de la revue pour décourager la publication d’études qui seraient contraire à ses intérêts économiques. »
Bien sûr, le fait que Domingo, à l’inverse, ait supervisé la relecture de l’étude de Séralini sans rien trouver à y redire, ne pose aucune question !!!
(13) http://www.criigen.org/SiteFr//index.php?option=com_content&task=view&id=464&Itemid=1
(15) On ose espérer qu’il s’agit d’une coquille et que GES voulait dire 1996…
(16) on peut citer des études datant des années 70, bien avant la création de la première plante génétiquement modifiée..
http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/521452
http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/558099
(17) New Analysis of a Rat Feeding Study with a Genetically Modified Maize Reveals Signs of Hepatorenal Toxicity, Archives of Environmental Contamination and Toxicology, May 2007