Réponse de Christine Noiville et Jean-Christophe Pagès au sujet de l’article « Le regard sévère porté par une syndicaliste sur le fonctionnement du HCB »
J’ai reçu mercredi 23 un message de madame Christine Noiville, Présidente du comité économique, éthique et social du Haut Conseil des biotechnologies . Celle-ci estime en effet que l’article cité ci-dessus comporte une série d’inexactitudes. Voici donc sa réponse coécrite avec Jean-Christophe Pagès, président du comité scientifique du HCB. Je laisse ouverts les commentaires, et comptant sur la courtoisie de chacun.
A.S
Haut Conseil des biotechnologies.
Réponse de Christine Noiville et Jean-Christophe Pagès à l’article d’Anton Suwałki intitulé « Le regard sévère porté par une syndicaliste sur le fonctionnement du HCB ».
Mis en place il y a deux ans, le Haut Conseil des biotechnologies (HCB) a pour mission d’éclairer le Gouvernement sur toute question relative aux biotechnologies. Il constitue aussi une originalité institutionnelle puisqu’il est composé de deux collèges : un comité scientifique (CS) qui se prononce sur les impacts des biotechnologies sur l’environnement et la santé publique ; un comité de « parties prenantes » (CEES) qui examine les impacts des mêmes biotechnologies, mais cette fois aux plans éthique, économique et social.
Enjeux citoyens
Ce faisant, le législateur a reconnu qu’en matière d’OGM notamment, les choix politiques ne se réduisent pas à des questions strictement scientifiques, si importantes soient elles. Bien d’autres interrogations sont en jeu, qui imposent une lecture citoyenne plus ouverte (possibles bienfaits des OGM comme alternatives à des pratiques agricoles polluantes, création de monopoles facteurs d’une potentielle dépendance des agriculteurs, etc.). Ce sont ces questions qu’examine le CEES. Il les aborde dossier par dossier puis rend des recommandations qui, jointes à l’avis scientifique, fournissent aux pouvoirs publics un croisement d’éclairages. Chacun conviendra de l’importance d’une telle mission.
Pour rendre compte de la diversité des enjeux de société, le législateur a choisi de composer presque exclusivement le CEES de représentants d’organisations professionnelles, d’associations, de syndicats, etc. Autant de « lobbies » entend-on parfois déplorer. Peut-être. Mais, outre que cette composition représente la société civile dans la diversité de ses préoccupations, le pari a été fait que ces parties prenantes débattent entre elles et en toute transparence, ce qui est sain. De fait, elles se parlent, confrontent leurs points de vue, identifient les espaces de convergence possibles et les oppositions irréductibles, réfléchissent ensemble pour la première fois à un système de coexistence entre cultures OGM et non OGM ou aux problèmes que pose la brevetabilité des inventions biotechnologiques... sujets complexes et décisifs jusqu’ici jamais abordés contradictoirement dans toutes leurs facettes.
Dialoguer avec les scientifiques
Jeune instance très observée, le CEES est régulièrement mis en cause. On lui reproche en particulier de s’immiscer dans les questions scientifiques alors que telle n’est pas sa mission. De fait, les parties prenantes n’ont pas la compétence pour réaliser une évaluation scientifique des OGM. Elles n’en ont pas moins la légitimé de questionner la parole scientifique car la science et les conclusions d’une expertise se doivent d’être accessibles aux interrogations de la société civile. Ce n’est pas un hasard du reste si le législateur a permis au CEES d’interroger les scientifiques du CS. Et c’est bien ce que font les parties prenantes : l’avis prend-il en compte les effets de l’OGM sur telle espèce non cibles ? Pourquoi telle publication scientifique récente largement médiatisée n’a-t-elle pas été estimée pertinente par le CS ? A ces questions de non-spécialistes, le CS répond sans tabous. Certains voient dans ce jeu de questions-réponses un mélange des genres préjudiciable à la portée des avis scientifiques. Or outre que les questions n’ont pas vocation à influer sur le contenu de l’avis du CS, on conviendra que cette interaction entre scientifiques et société civile est saine. Elle est source de débat, de transparence et d’approfondissement de l’expertise. Un seul exemple : c’est en dialoguant que CS et CEES se forgent une doctrine commune sur les OGM tolérants aux herbicides, estimant l’un et l’autre que l’évaluation de ces OGM comporte aujourd’hui des angles morts et formulant des propositions d’amélioration de l’expertise dans ce domaine.
Du débat à la « réconciliation » ?
Autre critique récurrente : le CEES ne parviendrait pas au consensus et, parce qu’il a choisi de ne pas voter, ne recommanderait aucune décision claire à nos décideurs. Une instance bien inutile, donc... Mais soyons raisonnable. D’abord est-il réaliste d’imaginer que quelques débats suffiraient à faire du HCB un lieu de réconciliation et de consensus après des années d’oppositions parfois frontales et pugnaces ? On le souhaiterait, mais cela reste en l’état bien ambitieux, on le sait bien. Cela remet-il en cause l’intérêt d’une réflexion collective éclairant sur les données disponibles, les convergences et les oppositions ? A l’évidence non.
Ensuite, c’est sciemment que le CEES a choisi de ne pas adopter ses recommandations par vote, car le vote est clivant, nuit au débat, conduit à la formation d’alliances peu constructives, aplatit l’analyse conduite par le CEES et, par son expression arithmétique, introduit un « pouvoir du dernier mot » qui dépasse le rôle d’un comité consultatif. Dès lors, ou bien un évident consensus ou une majorité manifestement très large se dégage des débats et les recommandations en prennent acte ; ou bien tel n’est pas le cas et elles se limitent à une instruction du dossier, analysant les avantages et inconvénients de l’OGM, les incertitudes, les espaces de convergence et de divergence entre les membres, sans comptabiliser les positions et sans chercher à arracher aux forceps un consensus de surface. Dans ce cas, la recommandation ne conduit pas alors à une « solution clés en mains » pour les pouvoirs publics ? C’est vrai. Mais souhaiter que la solution sorte « prête à l’emploi » du HCB ne reviendrait-il pas à amputer le politique de sa mission essentielle d’opérer les choix de société ? Le HCB est là pour éclairer le décideur sur la manière dont il peut « faire avec » les oppositions des parties prenantes, non pour se substituer à lui.
Un indispensable choix politique
Face aux points de vue éclatés que suscitent les biotechnologies, le législateur a eu le courage de mettre en place, aux côtés du Comité scientifique, une instance de débat et d’analyse socio-économique. C’eût été un leurre que d’y voir LA solution aux problèmes. Parce que la science, au travers des technologies, propose des outils mais pas les modèles d’une société, des choix politiques doivent être opérés in fine, par la représentation nationale. Au politique de construire sa décision, sur la base des données scientifiques, des données socio-économiques et des valeurs, forcément plurielles, des différentes composantes de notre société.
Christine Noiville, Présidente du CEES du HCB, et Jean-Christophe Pagès, Président du CS du HCB.