Pierre-Henri Gouyon charge le site Imposteurs sur France Culture
L’honorable professeur Pierre-Henri Gouyon a parlé d’Imposteurs ce vendredi 13 décembre dans l’émission Science publique de France Culture (1) : Peut-on rire de la science ?
Partie de la désopilante manifestation annuelle de la remise des Ig Nobel (2), cette émission devait naturellement dériver de la fantaisie vers des questions plus sérieuses. La raison d’être des Ig Nobel n’est-elle pas en premier lieu de faire rire les gens, mais aussi de les faire réfléchir ?
Il y fut donc discuté de la recherche « improbable », mais aussi de la recherche éminemment sérieuse malgré les sujets a priori loufoques auxquels elle semble parfois s’intéresser (tels que la physique du spaghetti), des travers actuels de la publication scientifique , notamment liés aux choix éditoriaux des grandes revues scientifiques, ou aux défaillances du processus de relecture par les pairs.
L’actualité récente imposait sur ce dernier sujet un petit point sur l’affaire Séralini. Discussion d’emblée verrouillée par Gouyon, et on comprend pourquoi : troquer en cours d’émission sa casquette de scientifique sérieux, volontiers goguenard à propos de célèbres impostures telles que la mémoire de l’eau, pour coiffer celle de membre du CRIIGEN, et probable initiateur d’une pétition en défense de Séralini (3) , c’est un exercice de haute voltige rhétorique.
Ce genre de grand écart finit peut-être par devenir terriblement douloureux pour les adducteurs, ce qui expliquerait que Gouyon ne figure pas parmi la liste des signataires d’une nouvelle pétition qui proteste cette fois contre la dépublication de l’étude de GES, initiée par la désopilante Dr Mae-Wan Ho (4).
Et Imposteurs, là-dedans ? Manifestement, la charge soudaine de P.H Gouyon contre notre site n’est pas étrangère au traitement que nous avons réservé à l’affaire Séralini. Pourtant, les auditeurs de France Culture n’en sauront rien, puisque, répétons-le, il souhaitait autant que possible éluder le sujet.
Démarre alors une discussion autour du canular de Sokal. Jean Bricmont, présent sur le plateau, embraye sur les positions du relativisme postmoderne (5) critiquées par Sokal et lui-même dans Impostures Intellectuelles.
En guise de réponse, Gouyon, prudent, n’attaque pas frontalement Jean Bricmont, préférant faire dévier le débat vers une critique du « scientisme », qui serait selon lui l’excès inverse du relativisme :
« Le relativisme absolu est inacceptable, mais de l’autre côté, on observe l’excès inverse, et ça, ça n’est pas toujours bien reconnu chez les scientifiques. Il y a par exemple à partir de cette histoire un site qui s’est fabriqué , qui s’appelle Imposteurs.com, et qui est un site de défense forcenée de toute technologie. Et si jamais vous critiquez la moindre technologie, c’est que vous êtes un imposteur. Donc ce scientisme absolument échevelé qu’on peut voir chez les défenseurs de ce genre de choses n’est prétendument absolument pas idéologique. C’est à dire, que si jamais vous défendez les gaz de schiste, les OGM et le nucléaire, etc.. c’est uniquement pour des raisons scientifiques, et il n’y a absolument aucune idéologie derrière. Or ça, je pense que ça n’est évidemment pas vrai. »
Gouyon nous semble doublement à côté de la plaque.
Premièrement parce que la « défense forcenée de toute technologie », si jamais cette posture existe, n’est pas l’inverse de la position relativiste qui voit dans la science une narration comme une autre.
Deuxièmement, parce qu’il ne peut illusionner grand monde en présentant une version euphémisée des positions de certains de ses alliés idéologiques pour l’opposer à une version caricaturée d’Imposteurs : Bové, Séralini, le CRIIGEN, seraient-ils seulement « critiques » des OGM ? La bonne blague ! De notre côté, avons-nous jamais énoncé que toute technologie est bonne a priori, quel que soit l’usage qu’on en fait ? Avons-nous jamais dit que toute critique de la moindre technologie relevait de l’imposture ? Ce que nous faisons patiemment et, autant que possible, rigoureusement, c’est la démonstration que les dangers allégués ou les conséquences prétendument catastrophiques des technologies les plus décriées relèvent le plus souvent de mythes inventés pour les besoins de la propagande « anti ». La technophobie ne repose sur aucune donnée scientifique, elle ne repose que sur les mensonges fabriqués par une petite minorité et sur la crédulité du plus grand nombre envers ces mensonges. Face à ce constat que nous faisons, Gouyon n’a pas grand-chose à nous opposer, et préfère donc utiliser la bonne vieille recette rhétorique de l’homme de paille. Et feint de voir dans la critique de la technophobie, une technophilie « échevelée ». Pour lui, les choses ne peuvent être que blanches ou noires.
Pour nous, la critique en soi d’une technologie n’a pas de sens, seul en a éventuellement la critique de son application. Cela vaut, autant pour les OGM, le nucléaire ou les gaz de schiste que pour l’antique marteau, très utile pour enfoncer des clous, mais qui peut aussi servir à défoncer des crânes. La problématique du séquençage de l’ADN n’est pas très différente : elle a permis de sortir des centaines d’innocents des prisons, ouvre des voies thérapeutiques immenses, mais la liste des abus possibles est également longue. Faut-il au nom de ces possibles abus interdire à la connaissance de progresser, et condamner a posteriori Franklin, Crick et Watson ?
Autre attitude rationnelle que nous essayons de défendre, contrairement aux alliés de Gouyon : Une technologie n’est pas bonne ou mauvaise en soi, elle peut-être une meilleure (ou moins mauvaise) solution à moment donné, compte tenu des ressources disponibles, et de son efficacité comparative. C’est particulièrement évident en matière énergétique. Avant d’être une ressource énergétique décriée, le charbon a été un formidable moteur du développement industriel, et a en outre permis à la forêt européenne, surexploitée avant la révolution industrielle, de regagner de la surface jusqu’à nos jours. Nous essayons toujours de considérer les technologies au regard de la balance avantages/inconvénients, ce que ne font jamais les pourfendeurs des OGM, des gaz de schiste, du nucléaire… Pardon, Mr Gouyon, il ne faut pas dire « pourfendeurs », mais « critiques ».
Merci tout de même d’avoir parlé d’Imposteurs dans cette émission, cher professeur. Après tout, les auditeurs pourront se faire d’eux-mêmes une opinion.
Anton Suwałki
Notes :
La liste des invités :
Evelyne Heyer, professeur en anthropologie génétique au Muséum National d'Histoire Naturelle et commissaire général du Musée de l'Homme.
Pierre-Henri Gouyon, professeur au Muséum National d'Histoire Naturelle, à l'Agro Paris-Tech et à Sciences Po
Jacques Treiner, physicien, professeur à Sciences-Po Paris et ex-professeur à l'Université Pierre et Marie Curie
Jean Bricmont, professeur de physique théorique à l'Université de Louvain (Belgique).
Oulmann Zerhouni, doctorant contractuel au Laboratoire Interuniversitaire de Psychologie de Grenoble.
(2) http://www.improbable.com/ig/
(3) c’est en tout cas lui qui l’a fait parvenir à Sylvestre Huet de Libération
relire à propos de cette pétition :
(4) http://www.i-sis.org.uk/Open_letter_to_FCT_and_Elsevier.php
(5) relativisme qui, dans sa version la plus radicale, affirme que la nature, la réalité objective du monde ne jouent aucun rôle dans la résolution des controverses scientifiques.