La transition écologique à l’épreuve de la réalité : le cas Erscia, par Ailanthus Invictus
Dans un précédent article, j’avais mis en évidence les failles importantes du scénario Négawatt. Ces failles concernent tous les aspects du scénario : agronomie, sylviculture, technologie et économie. Bien entendu, l’acceptabilité sociale du projet est aussi totalement illusoire, car il repose sur une gestion extrêmement stricte des massifs forestiers et de l’espace agricole, ne laissant aucune possibilité de choix aux stakeholders.
Pour autant, le développement de l’énergie biomasse bois est possible en France sans changer le mode d’exploitation des forêts et sans dérapage des prix du bois, et donc a priori sans provoquer de crispation sociale. La Finlande est un bon exemple de développement harmonieux de la filière bois énergie, le bois est à l’origine de 23% de leur production d’énergie primaire. La filière s’appuie sur le recyclage du bois en fin de vie et la combustion des déchets de scierie ou de fabrication de cellulose. La quasi-totalité des installations sont des cogénérations produisant de la chaleur pour un usage domestique et/ou industriel.
On pourrait dont s’attendre à ce que les militants pro-transition énergétique soutiennent activement les projets de centrales biomasse associées à une valorisation du bois, par exemple pour la construction, un traitement des déchets bois et une implantation géographique au cœur de massif forestier pour limiter le transport du bois. Pourtant il n’en a rien : en France le projet Erscia fait face à l’opposition d’activistes soutenus par France Nature Environnement et EELV.
Un projet modèle récolte une opposition hystérique …
Le projet Erscia est pourtant sur le papier le projet typique d’une transition vers une économie sans énergie fossile : aux cœurs d’un massif forestier sous-exploité à hauteur de 2.6M de m3 rien que pour le bois énergie, un vaste projet de sciage de résineux (le bois le plus utilisé pour la construction bois), de cogénération bois (avec un rendement de 65% minimum d’après l’arrêté préfectoral) et une production de granulés bois à destination du marché français et belge. Pour rappel, l’UE importe chaque année plus deux millions de tonne de granulés de bois. La centrale de cogénération sera alimentée par du bois recyclé et les déchets de scierie (écorces) qui ne peuvent être valorisés en granulés. Un système cohérent, intégré dans son environnement forestier et industriel, il est difficile de critiquer ce projet sans mauvaise foi.
Les opposants ont rapidement acquis à leur cause l’habituel contingent d’écologistes des salons parisiens, ainsi que des locaux issus de la filière bois, toujours prompts à défendre plus ou moins clairement l’immobilisme. Bien évidemment, les arguments des opposants sont constitués du ramassis standard d’âneries et de mensonges écolos-bobos. Face à ce déchainement, l’entrepreneur a carrément décider de porter plainte en diffamation et de refuser catégoriquement de participer à une table ronde qui, à n’en pas douter, aurait tourné au pugilat.
… pendant qu’un projet absurde reçoit soutient actif des écologistes
En étudiant les résultats du dernier appel d’offre CRE un autre projet interpelle : la centrale biomasse de Provence. Ce projet est l’exemple typique de ce qu’il ne faut t pas faire. La puissance du projet est énorme, 150MW d’électricité, c’est plus du double de la plus grande unité en service en France. Installée en Gironde, la centrale de Dalkia à Facture s’appuie sur le vaste et dynamique massif forestier des Landes et fournit de la chaleur à une usine de pâtes à papier, qui l’alimente à son tour en liqueur noir et déchet d’écorçage. La situation est très différence en PACA : le massif forestier local est déjà surexploité, on se demande bien sur quelle filière le député EELV François-Michel Lambert compte s’appuyer pour nous assurer qu’Eon achètera localement le bon million de tonne de bois prévu pour alimenter son monstre. J’ai des idées, mais je doute que l’installation de quelques centaines de milliers d’hectares de plantation de clones d’eucalyptus ou de peupliers irrigués à la place des forêts classées Natura 2000 soit compatible avec le programme d’EELV.
Ce projet est aussi une calamité énergétique. Aucune valorisation de la chaleur n’est prévue, aucun procès industriel n’est rattaché, ni réseau de chaleur domestique. C’est donc 450MWh de chaleur qui partiront en fumée (en vapeur), soit assez de chaleur pour chauffer 180 000 foyers de 100m3 aux normes de 2005 et 720 000 aux normes de 2013. Ce projet est 100% politique : il vise à redonner du travail aux employés d’une tranche de la centrale au charbon de Gardanne qui doit fermer sous peu. Eon profite des tarifs élevés de l’électricité bois dans le cadre des appels d’offre CRE et de la fébrilité des politiciens face à tout plan social. Les conséquences de ce projet sont faciles à prévoir :
Un assèchement de la ressource locale en bois, donc une monté rapide des prix et des dérives dans l’exploitation forestière.
Une production d’électricité très couteuse car reposant sur un rayon d’approvisionnement énorme (les promoteurs admettent déjà qu’ils auront recours à l’importation de granulés) et sans valorisation de la chaleur. Le tarif accordé sera forcément très élevé.
Le maintien d’une centrale au charbon très polluante, qui profitera de la situation pour se faire oublier.
Un bon cas concret pour les opposants aux développements du bois énergie qui se feront un plaisir de l’exhiber au besoin.
Pourtant l’opposition au projet est bien mince. Si Erscia fait face à une mobilisation active de militants extrémistes relayés dans la média sphère écolo-bobo,,, ce n’est pas le cas d’Eon. Ce constat paradoxal nécessite des explications.
L’écologie, c’est surtout une attitude.
Le premier élément qui explique cette situation est la pauvreté de l’expertise technique des leaders écologistes. On ne rappeler jamais assez que l’écologie politique, c’est surtout de la politique. Pour s’en convaincre, il suffit d’écouter notre ministre de l’environnement qui nous a expliqué il y a peu que les poissons élevés en France, essentiellement des espèces carnivores, ne consomment pas de viande. Si la tête ne pense pas, le reste du corps écologiste ne pense pas non plus. Les militant et sympathisants ne font en général que relayer les poncifs de la propagande écologiste : couper les arbres, c’est mal, la viande c’est mal, les OGM ça donne le cancer au rat, on pourrait tous manger bio etc. L’écologie politique produit très peu de pensée intéressante en France. Ce qui va motiver leurs réactions face à un projet n’est pas la pertinence écologique du projet, mais bien leur névrose anti-humain, leur « haine de soi » ainsi que le ressentiment contre tel ou tel agent économique.
L’écologiste ne se (re)produit pas hors sol.
La pensée écologiste s’appuie toujours sur les caractères culturels locaux. Ces caractères profonds des peuples ont été mis en évidence par Gustave le Bon ou encore Serge Tchakhotine. En France, la pensée écologiste est gauchisante et s’appuie essentiellement sur la lutte contre l’industrie et les projets de grande taille. L’origine de cette attitude est difficile à cerner, mais Thomas Philippon avance une thèse intéressante dans son essai « Le capitalisme d’héritier » : le capitalisme français privilégie l’héritage et la reproduction des inégalités sociales, provoquant une exacerbation des tensions sociales et un sentiment d’injustice qui ne faiblissent pas depuis le début de la révolution industrielle. Cette haine de l’industrie et des « grandes entreprises » est contrebalancée par un a priori sympathique envers toute activité syndicale. On voit donc les mêmes militants ou politiciens trainer dans la boue les « forces du capitalisme », mais défendre avec férocité les employés de ces même entreprises au premier plan social venu. C’est exactement ce qu’il se passe dans le projet Eon : pour protéger l’emploi d’une polluante centrale au charbon, les syndicats et les politiciens, y compris écologistes, sont prêts à remballer leurs principes ou à fermer les yeux sur l’évidence.
Tout changer, mais surtout ne rien changer
Le conservatisme explique aussi la différence de réaction face aux deux projets. L’attitude des écologistes ressemble bien plus à un délire ultralibéral bien connu qu’un choix écologique: ce que les anglo-saxons appellent « not in my backyard ». Cela consiste à exiger l’absence totale de perturbation directe ou indirecte de son petit espace personnel (que ce soit sa propriété ou un lieu de week-end champêtre possible) au nom de la propriété tout en exigeant d’avoir accès à tous les avantages de la vie moderne écologique. C’est bien cette attitude qui est à l’œuvre chez nos opposants au projet Erscia. Etant une nouvelle activité industrielle, il ne peut se prévaloir du parapluie syndical et va perturber le tissus social et économique local. A l’inverse le projet de Gardanne, aussi absurde qu’il puisse être au plan écologique et technologique, permettra le maintien d’une activité industrielle déjà en place. Il n’est donc nullement étonnant de voir mêmes les militants qui applaudissent et brandissent le scénario Négawatt être les premiers à lutter contre un projet qui s’inscrit typiquement dans le cadre du scénario parce qu’il est porté par un industriel, tout en acceptant sans broncher un projet absurde mais soutenus par des syndicats et qui maintient l’ordre établi.
Ce conservatisme pose un problème de fond : il empêche la transition écologique qu’ils soutiennent et la transforme en source de pensée réactionnaire. Quand on constate les dérapages agressifs des opposants à l’aéroport de Nantes, excusés par certains leaders de l’opinion écologiste médiatique, on peut légitimement se demander où est la limite entre protection de l’environnement et dérives fanatiques violentes que l’on observe déjà chez les mouvements animalistes.
L’URSS fut un projet politique et échoua, l’Euro est un projet politique qui détruit l’économie de la zone Euro, l’écologie sera un projet politique et à n’en pas douter autre fiasco
Au final la pensée écologiste française, qui prétend d’appuyer sur les limites de la biosphère et de la physique, s’articule en fait sur un schéma très différent :
-Repérer les idées qui permettent de produire de l’énergie sans nucléaire et éventuellement sans énergie fossile.
-Ignorer royalement les limites de ces technologies et exiger leur mise en place massive et immédiate, à grand coup de subventions et de scénarios bidon.
-Refuser toute implantation de ces technologies dans la mesure où l’échelle n’est pas nanométrique et/ou que la zone d’implantation n’est pas industrialisé ou qu’elle risque de provoquer des changements sociaux locaux, y compris positifs.
-Favoriser la délocalisation de la pollution dès que c’est possible en respectant un silence religieux sur l’impact écologique des produits énergétiques ou manufacturés importés.
C’est en gros l’historique de la filière solaire photovoltaïque: on subventionne à fond jusqu’à provoquer une bulle spéculative, on délocalise la production polluante en combinant normes strictes pour la fabrication locale et porosité des frontières aux importations chinoises subventionnées. Après quelques factures salées, l’état ferme le robinet des subventions, les entreprises font faillite, y compris les chinois puisque Suntech est aussi sur la paille, laissant la filière PV mondiale en ruine.
L’impact mental, social et économique de l’écologie politique est déjà cataclysmique
Ne discutez jamais de l’impact comparé de l’exploitation du gaz russe et du gaz de schiste avec un citoyen englué dans la propagande écologiste, il ne comprendra pas l’objet de la discussion. Le sympathisant écologiste français n’est pas un penseur, ni un calculateur : il réagit et agit en fonction de signaux idéologiques simples et de quelques mots clés. Il est paresseux et suffisant: l’immense majorité d’entre eux ignore que la forêt française est sous exploitée, mais dès qu’on lui agite une sucrerie, comme la sortie du nucléaire, il oublie et accepte un scénario qui prétend mobiliser des ressources forestières qui dépassent les limites biologiques. Essayez d’en convaincre un que la forêt est sous exploitée, il criera au scandale, même si Solagro, un des contributeurs au scénario Négawatt, cosigne l’étude IFN/Ademe sur lequel vous appuyez vos discours.
L’impact négatif de la pensée écologiste est déjà bien visible sur notre économie, mais elle l’est aussi sur l’environnement : nous exportons notre pollution. Elle provoque aussi des délires comme cet hallucinant projet d’éradication de la truite créole de l’Ile de Réunion. La France souffre d’autant plus que les écologistes locaux sont de piètre qualité et ressemble plus à des syndicalistes qu’a des militants visant à protéger l’environnement ou réduire notre dépendance malsaine à l’énergie fossile.
Dans ces conditions les exigences de transition écologique ne nous fait pas courir un risque d’effondrement de civilisation, quelques années de récession auront rapidement raison des pressions politiques, certains signes encourageant apparaissent déjà, c’est plutôt une farce permanente où l’absurdité de l’écologie politique s’exprimera au quotidien à travers les actions illogiques et tragico-comiques de ses militants. Espérons qu’il n’y ait pas trop de dégâts, et je souhaite bon courage aux élus et à l’entrepreneur qui soutiennent ce projet : l’issue de ce conflit dépasse bien évidemment le projet lui-même. Aucun pays moderne ne peut accepter de voir bloqués des projets d’avenir par quelques dizaines militants fanatiques et des ONG et un parti politique qui se trompe de combat.
Ailanthus Invictus
http://www.bioenergie-promotion.fr/25465/les-importations-europeennes-de-granules-de-bois-passent-les-2-millions-de-tonnes-en-2011/
http://www.lejdc.fr/nievre/actualite/pays/morvan/2013/03/30/erscia-la-ligne-floue-du-parti-socialiste-1496496.html
http://bourgogne.france3.fr/2013/02/21/sardy-les-epiry-nievre-le-directeur-d-erscia-france-porte-plainte-contre-les-opposants-au-projet-de-scierie-industrielle-203853.html
http://www.lejdc.fr/nievre/actualite/pays/morvan/2013/03/07/la-societe-erscia-ne-participera-pas-a-la-table-ronde-1467880.html
http://www.usinenouvelle.com/article/eon-confirme-son-projet-biomasse-a-gardanne-mais-lache-hornaing.N182984
http://www.dalkia.com/fr/actualites/communiques/2012-10-03,smurfit-kappa-centrale-cogeneration-biomasse.htm
http://www.laprovence.com/article/economie/1160146/centrale-de-gardanne-lavenir-sassombrit-au-pays-du-charbon.html
http://www.laprovence.com/article/economie/927621/gardanne-une-centrale-qui-fait-feu-de-tout-bois.html