La rhétorique façon Marie-Monique Robin, par Wackes Seppi
Elle s'était faite plutôt discrète, pendant un temps, sur le front de l'activisme. Il y eut, certes, quelques billets « engagés », mais cela ressemblait au minimum syndical et au réflexe conditionné. Il y eut aussi, début avril 2013, l'épisode hilarant de l'annulation d'une projection de son film « Moissons du futur » à Haguenau, attribuée à une « censure », elle-même issue de « pratiques antidémocratiques de la FDSEA » [1] ; l'antipathie, largement partagée dans le monde alter et anti, pour le syndicalisme majoritaire du monde agricole valait bien une histoire de conspiration...
Puis il y eut une rechute. Comme nous suivons de près ses histoires extraordinaires, voici un pas très bref récit.
« Sacrée Légion »
Mme Robin écrit...
Il y avait eu, en janvier 2013, cette Légion d'honneur qui lui avait été attribuée sur le contingent du Ministère de l'écologie de Mme Delphine Batho. La bonne nouvelle a été annoncée au son des trompettes de la renommée [2]. Mme Marie-Monique Robin était manifestement honorée, flattée, ravie, enthousiasmée.
C'était parfaitement son droit ; c'était même faire honneur à sa Légion d'honneur. Mais quand on s'est construit un personnage, il est difficile de se débarrasser des oripeaux. Il a donc fallu se justifier :
« Je veux donc solennellement mettre en garde tous ceux qui ne l’ont pas encore eue : la Légion d’Honneur peut vous arriver sans crier gare. C’est la surprise du Chef (de l’État) ! »
Puis, avec force circonlocutions, « expliquer » que, tout bien considéré, après bien des tourments et de nombreux conseils à hue et à dia, elle allait l'accepter [3]. En fait, l'annonciation avait déjà été faite par Marie-Monique, avec des accents faussement cornéliens, dans son premier billet sur le sujet :
« Et ceux qui pensent que je ferai allégeance se trompent. Fidèle à Albert Londres, je garderai ma liberté de parole en continuant de "porter la plume dans la plaie"… »
Honni soit qui mal y pense ! Il est difficile de dire ce qu'il y a de plus impudique et choquant dans le flot de justifications et de flatteries à un narcissisme et une immodestie zeppelinesques. Mais citons tout de même :
« En l’espèce, j’estime que le fait d’avoir proposé une journaliste d’investigation qui régulièrement épingle dans ses enquêtes la collusion des pouvoirs économiques et politiques dans des dossiers délicats honore Delphine Batho. Je lui sais donc gré d’avoir ainsi reconnu la pertinence des enquêtes que j’ai menées [...] »
Mme Robin honorant, somme toute, Mme Batho... Vanitas vanitatum et omnia vanitas...
Après avoir philosophé sur les deux options à sa disposition – se faire remettre la breloque par Mme Batho soi-même ou par une autre personne déjà décorée – Mme Robin a choisi (c'est elle qui l'écrit, il faut la croire) la seconde, avec une cérémonie à Notre-Dame-des-Landes (et bus affrété depuis Paris). Et cela a donné lieu à une nouvelle série de billets sur l'extraordinaire événement : Mme Robin acceptant l'honneur d'être épinglée par un gouvernement qu'elle honnit [4] (et par des fans qui se sont sentis trahis).
Ce qui est plus extraordinaire, ce sont les accommodements avec la réalité, et ce, sur des points qui seraient mineurs s'ils n'étaient symptomatiques d'une dérive. Elle écrit ainsi le 1er mai 2013 :
« Comme je l’ai écrit sur ce Blog, j’ai découvert dans le Journal Officiel du 2 janvier que j’avais été nommée Chevalier de la Légion d’honneur... »
On imagine Mme Robin lectrice assidue du JO... Mais le 4 janvier 2013, c'était :
« La nouvelle est arrivée sous forme d’un SCUD électronique. J’étais dans le métro, en train de lire Adieu à la croissance de l’économiste Jean Gadrey. Mon I Phoneme signale l’arrivée d’un SMS. "Félicitations pour cette légion d’honneur. Bises", m’écrit Frédérique, ma cousine [...] Je rétorque illico : "???". Réponse de Frédérique : "Il y a un article dans Le Courrier de l’Ouest qui dit que tu es promue au grade de chevalier de la légion d’honneur. Je t’ai scanné et envoyé l’article" ».
Mémoire défaillante ou besoin compulsif de se mettre en scène ? La question serait triviale si les descriptions ostentatoires de Mme Robin dans le feu de l'action journalistique et investigatrice n'abondaient pas dans ses livres et si les mises en scène ne débordaient pas d'emphase au point de susciter le doute, y compris et surtout sur le fond.
Mme Robin répond...
Ce qui est plus extraordinaire encore, c'est la réponse à un commentaire, certes peu amène, pointant cette, disons... discordance :
« Je ne comprends rien à ce que vous écrivez, cher Wackes Seppi. Effectivement, si vous allez sur le JO, vous verrez que j'étais dans le contingent de Mme Batho, mais cela ne veut pas dire que c'est elle qui m'avait proposée pour la fameuse légion. Cela pouvait être une association, des citoyens lambda ou moi même! A la mi janvier, celle-ci m'a écrit un courrier me confirmant que c'était elle qui m'avait proposée... Votre mauvaise foi vous perdra... »
« Votre mauvaise foi vous perdra... » ? Parole d'experte ?
« Sofia Gatica molestée et arrêtée par la police »
Mme Robin écrit...
Il y avait aussi le tournage de son prochain film, « Sacrée croissance ! » (et livre – Mme Robin ne manque jamais de rappeler que ses œuvres sont des diptyques) [5] :
« Baptisé provisoirement “Sacrée croissance!”, ce nouvel “opus” explorera les limites du dogme de la croissance économique illimitée, alors que tous les signaux sont au rouge: pénurie annoncée des énergies fossiles et minerais, réchauffement climatique, destruction accélérée de la biodiversité, progression de la pauvreté et du chômage, menace d’implosion du système financier “pourri jusqu’à la moelle”, comme me l’a dit Herman Daly, un économiste américain que j’ai interviewé lors de mon tournage récent aux États Unis. »
Et donc, alors qu'elle était en tournage au Népal (a priori pour apporter sa propre contribution à la définition du bonheur), elle apprend que :
« Sofia Gatica a été maltraitée par la police, puis arrêtée, après une manifestation sur le site de Córdoba où Monsanto veut installer la plus grande usine de RoundUp du monde » [6].
C'était l'occasion de se rappeler au bon souvenir de ses fans avec la copie d'un billet d'août 2012, et de se mettre en scène avec l'égérie de la lutte contre Monsanto, les pesticides et les OGM en Argentine. Le recyclage a des vertus...
En fait d'usine de RoundUp, il s'agit d'une usine de triage, de traitement et de conditionnement de semences. Mme Robin corrigera dans un nouveau billet, dans lequel elle affirmera que Mme Gatica a été « a été violemment frappée à la tête par la police, puis hospitalisée » [7].
Mme Robin répond...
Nous avons contesté cette version. Mme Robin a répondu (également en modifiant et complétant son – second – billet) :
« Vous pouvez consulter ce site qui montre la violence de l’intervention policière sur le site de la future usine de Monsanto: [...]. Et ici, les violences policières dont a été victime Sofía: [...] » [8].
En fait, il s'agit de la même vidéo de 2:15... Et elle ne montre pas du tout que Mme Gatica a été frappée à la tête, ou que la police a été violente envers les manifestants.
Mais, prise sur le fait pour une, disons... approximation, Mme Robin a préféré faire dans l'escalade d'engagement. Ce n'est pas la première fois.
« Coup de gueule »
Mme Robin écrit...
Mais revenons en arrière. Le 31 août 2013, Mme Robin publie un « Coup de gueule » [9] :
« Ce soir je suis en colère car j’ai reçu des nouvelles terribles de Colombie... »
On entrevoit rien qu'à cette phrase l'énorme travail d'investigation qui a été réalisé... On imagine la journaliste d'investigation disposant d'un vaste réseau de correspondants et d'informateurs... accrochée dans son salon à son téléphone, oups ! I Phone... Plus prosaïquement, le Monde avait publié, avec l'AFP, un article détaillé et bien documenté la veille [10].
La Colombie a vécu de violentes manifestations paysannes dans la seconde moitié du mois d'août. Le mouvement de protestation s'est étendu le 28 août à d'autres catégories sociales, en solidarité mais aussi pour faire valoir leurs propres revendications.
Mme Robin en a profité pour mettre ces événements à sa propre sauce, essentiellement l'anticapitalisme (sous couvert de contestation des accords de libre-échange), l'antiaméricanisme et l'antimonsantisme.
Cela a été facilité et amplifié par une dose de désinformation – dans le plus pur style robinien – gobée avec ravissement, sous la forme du « documental 9.70 » de Victoria Solano, dont une version pour la toile avait été mise en ligne dès le 5 août 2015 [11]. Ce « documentaire » montre notamment la destruction de 62 tonnes de semences illégales de riz à Campoalegre (Huila).
La Résolution 970 (le « 9 point 70 » de Mme Solano est un jeu de mots pour rappeler le « nine-eleven » des états-uniens) de l'Instituto Colombiano Agropecuario (ICA – Institut colombien de l'agriculture et de l'élevage) est la dernière version du texte fondamental qui régit – excusez du peu, depuis 1976 – la production et le commerce des semences [12]. Elle avait été promulguée le 10 mars 2010, sans avoir fait de vagues à l'époque.
Donc, selon Mme Robin,
« des dizaines de milliers de Colombiens [...] se sont lancés dans les rues pour dénoncer cette violation d’un droit humain fondamental : celui de se nourrir soi-même. »
Une grandiloquence pour s'arrimer à la rhétorique d'Olivier De Schutter...
Mais où est la violation de ce droit (normalement énoncé comme un droit des peuples et non des individus) ? C'est que :
« ...la Colombie a signé un "accord de libre échange" avec les États Unis qui est récemment entré en vigueur [et qui] contient une clause qui oblige les paysans à cultiver des "semences certifiées", c’est-à-dire produites par les "sélectionneurs"» comme … Monsanto ou Syngenta. »
Erreur et manipulation grossières. Erreur car l'Accord de libre-échange ne prévoit rien de tel [13]. Il eût du reste été difficile pour les états-uniens d'imposer une telle obligation vu qu'elle... n'existe pas chez eux. Manipulation car les deux noms jetés en pâture avaient pour but exclusif d'attiser la flamme du fan-club ; à moins que ce ne fût l'effet d'un réflexe conditionné. Au demeurant, les semences ne sont généralement pas produites par ces méchantes multinationales, mais par des agriculteurs-multiplicateurs ; et 85 % des semences certifiées sont produites par des entreprises nationales en Colombie.
Poursuivons :
« Pour remplir cette "clause", l’Institut agroalimentaire colombien a publié un texte – la résolution 970- qui menace d’amendes et de poursuites judiciaires tout paysan qui continuerait de faire ce qu’il a toujours fait : garder une partie de sa récolte pour ensemencer ses champs. »
C'est quintuplement faux. Bis repetita, il n'y a pas de « clause ». Les responsables de l'ICA ont expressément et formellement démenti tout lien entre les deux textes (ce qui en dit long sur le travail d'investigation et la déontologie journalistique...) [14]. La résolution n'est pas une nouveauté ; ce n'est que la cinquième révision de la résolution 1226 du 8 août 1976, d'un texte vieux de 37 ans. Elle ne contient pas de disposition pénale. Et elle permet l'utilisation des « semences de ferme » en son article 15, certes dans des conditions restrictives (et difficilement applicables).
Mme Robin répond...
Nous avons pointé les erreurs et contre-vérités. Réponse de Mme Robin :
« Wackes Seppi est de retour! Vous pouvez le trouver sur de nombreux blogs et sites, comme celui de Greenpeace, car il oeuvre à temps complet pour l'agrobusiness. En d'autres termes, c'est une petite main de l'industrie... »
Un saut direct dans la case « ultime stratagème » de Schopenhauer...
Et Nexus reprend !
Nexus, ce bimensuel qui se sous-titre « Science & Alternative » – lire « charlatanisme » – a repris l'essentiel du discours dans son numéro de novembre-décembre 2013 sous le titre « Monique Robin avec les paysans colombiens ».
On pourra sourire du titre : « avec les paysans colombiens »... devant son ordinateur...
Mais ce qui est plus choquant, c'est que Nexus a pris la peine de corriger l'orthographe défaillante de Mme Robin, mais pas de consulter les commentaires qui leur auraient pointé les erreurs et contre-vérités. Mais, après tout, ils répondent aux attentes de leur lectorat... Et il faut bien se rendre service entre gens du même monde...
« Mensaje para mis amigos colombianos »
Mme Robin a cru bon d'envoyer dans la foulée un « message à mes amis colombiens » [15]. Elle « met à leur disposition » le chapitre entier des « Moissons du futur » qu'elle a consacré dans cet opus (tiens donc, pourquoi ?) à l'ALENA. Livre dans lequel elle « démontre que l'agroécologie pourrait alimenter alimenter le monde bien mieux que l'agriculture industrielle, fondée sur les dénommées "semences certifiées". » Notez le conditionnel... Et la couverture du livre : deux coquelicots – une mauvaise herbe ou, en politiquement correct, une «adventice – sur fond vert flou, quelle meilleure illustration pour ce miracle auquel seule une minorité croit.
Mais c'est le début de son chapitre des « Moissons du futur » qui nous interpelle, l'extraordinaire dénigrement du président Salinas de Gortari :
« Vêtu d’un costume bleu, il avait l’air tout petit à côté de ses deux grands voisins du Nord, un peu comme une pièce rapportée qu’on rajoute au dernier moment sur la photo de famille. Il semble que ce fut aussi l’impression de mes collègues de l’Associated Press qui ont couvert l’événement. Quand j’ai consulté leurs rushes (les images brutes), j’ai découvert qu’ils avaient très peu filmé le discours de Carlos Salinas de Gortari, préférant faire de longs plans de coupe sur Bush et Mulroney, pendant qu’il parlait. [...] » [16.
Technique classique chez Mme Robin : les « amis » sont systématiquement présentés sous un jour favorable ; les autres...
« Nouvelles de Monsanto, Colombie et des Déportés du libre échange »
Mme Robin écrit...
Mme Robin a en quelque sorte remis le couvert le 16 octobre 2013 [7]. Elle avait donc eu quelques six semaines pour s'informer.
Elle écrit dans son compte rendu de la deuxième marche contre Monsanto, organisée par le collectif des Engraineurs, ayant « réuni plus d'un millier de personnes » et restée inaperçue en dehors du monde alter et anti :
« Benjamin Sourice de Combat Monsanto a donné une bonne nouvelle : après les violentes manifestations qui se sont déroulées en Colombie en août et septembre (voir sur ce Blog), le gouvernement a annoncé la suspension pour deux ans de la "Résolution 9 .70" qui interdisait aux paysans de garder une partie de leur récolte pour la resemer, l’année suivante. »
On ne peut que conclure à une escalade d'engagement, même si l'article 15 de la Résolution 970 (et non « 9.70 ») n'est pas des plus limpides et qu'il n'était pas clairement établi, juridiquement, que la résolution ne s'applique pas aux variétés indigènes, régionales ou créoles [17]. Elle ne pouvait plus ignorer, en effet, que l'affirmation en cause avait été largement démentie.
C'est aussi une escalade d'engagement par omission. Car l'ICA avait entre-temps lancé une consultation publique en précisant les modifications qu'il comptait apporter à la réglementation [18]. Mais la nécessité de maintenir l'ardeur combative – largement salonarde – du monde alter et anti vaut bien quelques silences...
Ensuite, ça dérape franchement :
« Cette "résolution", qui vise à protéger les "droits de propriété intellectuelle" sur les semences détenues par les multinationales de l’agrobusiness, comme Monsanto ou Cargill, faisait partie du "package" compris dans l’Accord de Libre Échange que la Colombie a signé avec les États Unis et qui vient d’entrer en vigueur. »
Petit pas de côté avec la notion de « package », qui permet de se sortir du piège de la « clause » introuvable de l'Accord de libre-échange ; mais escalade avec la référence à la propriété intellectuelle (en agitant comme il se doit l'épouvantail des multinationales, la Cargill états-unienne étant opportunément substituée à la Syngenta helvétique).
Escalade particulièrement stupide puisque le texte de la résolution n'y fait aucunement référence et que la protection des obtentions végétales est organisée dans un autre cadre. Mais que ne ferait-on pas au nom de l'activisme...
Enfin, la poire pour la soif :
« Aux termes de cette "résolution", plusieurs centaines de tonnes d’aliments ont été détruites en Colombie, au motif qu’ils avaient été produits avec des semences non certifiées. »
De la pure invention !
Le hoax de la destruction d'aliments, figurant en bonne position dans le « Documental 9.70 », avait pourtant été démenti par l'ICA, notamment dans une lettre officielle envoyée le 30 août 2013 à Mme Solano pour lui demander d'apporter des rectifications au « documentaire » [19]. Lettre du reste vaine puisque celui-ci a fait l'objet d'une diffusion virale sur la toile.
Ce qui avait mis le feu aux tempes des activistes, et qui constitue un moment fort du « Documental 9.70 », c'est la destruction par les forces de l'ordre, sous le contrôle de l'ICA, de 62 tonnes de semences de riz à Campoalegre (Huila). C'était le 24 août... 2011, après une mise sous séquestre quelque deux mois auparavant. La mesure avait été justifiée à l'époque par des considérations phytosanitaires et n'avait donné lieu à aucune critique dans l'opinion publique.
Mme Robin répond...
Ce déploiement de contre-vérités pouvait difficilement rester sans réponse. Et Mme Robin y a répondu avec l'habituel ad hominem compulsif, mais aussi, pour une fois, une tentative d'aborder le fond.
« Quel déploiement d'énergie Wackes Seppi pour réécrire l'histoire! A moins que , dans votre grande naïveté, vous ignoriez les longues tractations, souvent secrètes, qui précèdent la signature d'accord de "libre échange". Pour avoir le "triste" privilège de signer l'accord avec les États-Unis, les pays du sud, à qui on fait miroiter des merveilles, doivent montrer patte blanche et accepter toute une série de conditions préliminaires, censées montrer leur "bonne foi". parmi elles: l'obligation de signer la convention de l'Union des Protections d'Obtention Végétales et la reconnaissance des droits de propriété intellectuelle sur les semences. Ca fait partie du "package". L'astuce est d'obtenir cet engagement AVANT la signature de l'accord, ce qui permet à des petits malins comme vous, mon cher WS (votre nom est vraiment trop dur à mémoriser) que cela n'a rien à voir!... »
Superbe théorie de la conspiration qui, d'une part, signe l'aveu de la fausseté des allégations précédentes sur le contenu de l'Accord et, d'autre part, fait superbement « pschitt » !
Les pays de la Communauté andine des Nations (à l'époque Bolivie, Colombie, Équateur, Pérou et Vénézuela) ont adopté la Décision 345 établissant des dispositions communes pour la protection des droits des obtenteurs de nouvelles variétés végétales le 21 octobre 1993 [20]. À l'évidence, les travaux d'élaboration de cette décision ont commencé avant (en juin 1992, sauf erreur). La Colombie avait été un des moteurs du projet par intérêt stratégique national : c'est un des leaders de la production de fleurs coupées, notamment de roses, et, pour le rester, il fallait pouvoir disposer des variétés les plus performantes techniquement et économiquement, et donc nouer des rapports de confiance avec les obtenteurs.
Cette décision appelait des textes d'application nationaux consistant à définir l'administration compétente en matière de protection et à préciser deux points de droit (durée de la protection et extension de la protection aux variétés essentiellement dérivées) pour lesquels l'accord n'avait pas pu se faire pendant les négociations. La Colombie a mis le régime de protection en application par le décret No 533 du 8 mars 1994 [21]. Elle a choisi les options qui la mettaient en conformité avec l'Acte de 1991 de la Convention internationale pour la protection des obtentions végétales, soit le texte le plus récent.
La Colombie a déposé son instrument d'adhésion à l'Union internationale pour la protection des obtentions végétales (UPOV) le 13 août 1996. Elle l'a fait sur la base de la version de l'Acte de 1978, et non de celui de 1991, bien que sa législation fût conforme à ce dernier, en raison de l'activisme de certaines « organisations » dont l'intérêt premier est d'entretenir leur fond de commerce.
Les négociations en vue de la conclusion d'un accord de libre-échange avec les États-Unis d'Amérique ont été initiées en mai 2004 [22].
Mme Robin a donc l'audace de soutenir que les USA ont imposé en catimini à la Colombie l'obligation de protéger les droits des obtenteurs et d'adhérer à l'UPOV plus de dix ans avant l'ouverture des négociations... Que, le régime de protection ayant été institué sous une forme commune à cinq pays, ils ont imposé cette obligation aux cinq pays (ou une majorité d'entre eux)...
Du reste, la Décision 345 précitée prévoit expressément, à l'article 26, le droit de ressemer, sauf pour les plantes fruitières, ornementales et forestières. C'est une disposition plus restrictive, du point de vue des utilisateurs de semences, que ce qui s'applique aux États-Unis d'Amérique en vertu de l'article 113 de la loi sur la protection des obtentions végétales (applicable aux plantes reproduites par voie sexuée, pour lesquelles se pose le problème des semences de ferme) [23].
Mais Mme Robin n'aura sans doute aucun mal à prétendre que le méchant Uncle Sam est capable d'imposer à d'autres des règles qu'il se refuse à s'appliquer...
C'est que Mme Robin a l'expérience :
« Vous tombez mal, car en travaillant sur les négociations préliminaires à l'ALENA, j'ai découvert le même processus. je vous recommande donc de lire mon livre Les moissons du futur. Mais j'imagine que vous en êtes incapable, car vos pauvres "arguments" pourraient être ébranlés et vous perdriez votre job. Je vois en tout cas que vous faites bien votre boulot, car votre patron vous a gardé depuis six ans que je vous lis!! »
Là encore, ça fait un « pschitt » triplement retentissant.
L'argument présuppose en premier lieu une sorte de trouble obsessionnel compulsif des états-uniens. La partie de bras de fer secrète qui se serait produite avec le Mexique (et le Canada, également partie à l'ALENA ?) devait donc, selon la théorie, se répéter nécessairement avec la Colombie.
En second lieu, les négociations pour l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) ont commencé en 1986. Le traité a été signé à San Antonio (Texas), le 17 décembre 1992. Il est entré en vigueur le 1er janvier 1994 [24].
Le Mexique a adopté sa loi sur la protection des obtentions végétales le 3 octobre... 1996 [25]. Il a déposé son instrument de ratification de la Convention UPOV le 9 juillet 1998... Un instrument de ratification de l'Acte de 1978, qu'il avait signé le 25 juillet 1979, manifestant alors son intention de devenir membre de l'UPOV.
Les pressions secrètes – alléguées par Mme Marie-Monique Robin et prétendument antérieures à l'ouverture des négociations en vue de l'ALENA – ont donc été extrêmement efficaces, puisque les résultats attendus des pressions se sont matérialisés après l'entrée en vigueur de l'Accord... Crédible la théorie ? Non !
En troisième lieu, la question de la protection des obtentions végétales est expressément abordée dans le chapitre « propriété intellectuelle » de l'ALENA [26]. Curieux résultat, public, pour des négociations prétendument secrètes...
« Lectures et pétitions à signer! »
Mme Robin écrit...
Mme Robin a cru bon d'inclure « La charge de Matthieu Ricard contre Monsanto et Cie », article publié dans Le Point du 24 octobre 2013, dans son billet « Lectures et pétitions à signer! » du 30 octobre 2013 [27], avec évidemment une chaude recommandation :
« Enfin, Matthieu m’a montré un article qu’il a rédigé dans Le Point sur la farce que représente le World Food Prize, attribué récemment à un dirigeant de Monsanto. Inutile de préciser que je partage totalement son analyse ! »
Inutile de préciser que Mme Robin se met en scène : « ... Matthieu m’a montré un article... » disponible en kiosque. Mais il y a, là encore une manipulation : le Prix mondial de l'alimentation a été attribué à trois personnes [28], et non à une seule, Mme Mary-Dell Chilton, maintenant Distinguished Science Fellow de Syngenta Biotechnology, Inc., M. Robert T. Fraley, Executive Vice-President and Chief Technology Officer, Monsanto, et M. Marc Van Montagu, maintenant président-fondateur de l'Institute for Plant Biotechnology Outreach (IPBO), Gand, Belgique [29].
Cette focalisation sur Monsanto est d'autant plus détestable que le premier lauréat est en fait M. Van Montagu, qui, avec son collègue Jeff Schell (décédé en 2003), est le père de la transgénèse végétale fondée sur le plasmide Ti d'Agrobacterium tumefaciens.
Mme Robin répond...
L'article de M. Ricard est un superbe florilège d'« arguments anti-OGM que n’aurait pas reniés la mouvance de l’écologie politique la plus radicale », selon M. Marcel Kuntz, Directeur de recherches au CNRS. Celui-ci avait écrit une réponse que Le Point n'a pas daigné publier et qui a donc été mise en ligne ailleurs [30].
Nous avons pointé cet article dans un commentaire. Réponse de Mme Robin :
« Ah! Mr. Kuntz! Comme je l'avais révélé sur mon Blog ce Monsieur est très actif à l'Association Française pour l'Information Scientifique (AFIS) dont les liens avec Monsanto sont un secret de polichinelle pour tous les journalistes indépendants et sérieux. Voici ce que j'avais écrit sur mon Blog, au moment où Kuntz essayait de discréditer Le monde selon Monsanto [...] »
Encore et toujours l'ad hominem, ici sur la base du sophisme du déshonneur par association...
Et bien sûr, le billet qu'elle a mis en lien n'est que la régurgitation d'infâmes ragots qui ne démontrent en rien les prétendus liens [31]. « Comme je l'avais révélé » ? Mme Robin avait mis en ligne un courrier « fuité » d'un membre démissionnaire de l'AFIS, aigri et un brin malveillant, dans lequel il signalait avoir demandé « à la rédaction de Science et Pseudoscience que mes lettres où je demandais( avec courtoisie et sans mettre en cause a priori leur honnêteté scientifique…) que Marcel Kuntz et Louis-Marie Houdebine indiquent leurs liens avec Monsanto et ses filiales... »
Telle est la révélation du « secret de polichinelle » ! Mais c'est suffisant pour une chasse aux sorcières, un procès stalinien... et un ultime stratagème.
« L’Associated Press confirme le désastre provoqué par les OGM en Argentine »
Le 3 novembre 2013, Mme Robin a éprouvé le besoin de détailler son programme à ses fans [32] ; elle est à Fortaleza (Brésil) :
« À peine rentrée dans ma chambre d’hôtel, j’ai dû répondre à une demande d’interview d’une journaliste argentine. Pour annoncer ma visite prochaine à Rosario, où je filmerai un programme exemplaire d’agriculture urbaine, elle voulait que je commente un article publié par l’Associated Press sur le désastre sanitaire et environnemental provoqué par les OGM de Monsanto. »
Toujours cette mise en scène : « ...j'ai dû répondre... elle voulait que je commente... ». Mais il y a plus sérieux.
L'Associated Press, ou plutôt deux de ses correspondants, sont en effet élevés au rang d'arbitres d'un débat passionnément entretenu par l'altermonde...
L'article en question avait été publié dans une obscure feuille états-unienne [33], ce qui en dit long sur son attractivité médiatique. Mme Robin et d'autres pourront cependant arguer que les grands journaux sont tous sous la coupe de Monsanto... On n'est pas à un complot près !
Il fait la part belle aux « preuves » anecdotiques et autres allégations non étayées. En fait, il est aussi condensé ; et devinez ce qui a été supprimé... [34].
Mais, quoi qu'on puisse penser du fond de l'article, le problème réside dans l'utilisation qui en est faite par Mme Robin. En effet, l'article incrimine fondamentalement l'usage inconsidéré des pesticides, sans prononcer à aucun moment les lettres « OGM »... et Mme Robin y voit la preuve de la nocivité... des OGM... et des OGM de Monsanto...
Parmi les personnages cités dans l'article figure M. Damián Verzeñassi, qui dirige le programme Environnement et Santé de l'Université de Rosario. Selon l'article, une étude épidémiologique sur 65.000 personnes de (la province de) Santa Fé qu'il a dirigée a montré des taux de cancers de deux à quatre fois plus élevés que la moyenne nationale, ainsi que d'autres désordres. La première partie de la phrase fait du sens si on considère que « deux à quatre fois » s'applique à différents types de cancers. M. Verzeñassi est cité comme disant : « Cela pourrait être lié aux produits agrochimiques » (notez le conditionnel...).
Ce qui est étrange, cependant, c'est qu'il n'y a aucune référence scientifique sur la toile pour une affirmation aussi inquiétante de sa part. En revanche, M. Verzeñassi y apparaît comme un militant [35].
Et donc :
« La semaine prochaine, je rencontrerai le professeur Damián Verzeñassi (le chercheur dont parle l’article de AP) qui organise , avec Antonio Lattuca, en charge du programme d’agriculture urbaine de Rosario, une projection des Moissons du futur, dans une salle de 500 personnes. »
Ce sera donc l'occasion pour Mme Robin de lui faire dire ce qu'elle a envie d'entendre. Elle pourra ensuite écrire : « Comme me l'a dit Damián Verzeñassi... » Et, plus tard : « Comme je l'ai révélé dans [...], Damián Verzeñassi m'a dit... » Technique dont elle use et abuse pour abuser les lecteurs crédules.
Un déplacement pour une projection pour 500 personnes (si elle fait salle comble) ? Pas tout à fait :
« Le même jour, le doyen de l’Université de Rosario me remettra une décoration qui me va droit au cœur : celle d’ "invitée d’honneur". »
Narcissisme, quand tu nous tient... The show must go on. L'imposture doit continuer.
Wackes Seppi
Notes :
[2] http://www.arte.tv/sites/fr/robin/2013/01/04/sacree-legion/
[4] http://www.arte.tv/sites/fr/robin/2013/06/11/journee-inoubliable-a-notre-dame-des-landes/
Et la série « Souvenir de Notre Dame des Landes »
[5] http://www.arte.tv/sites/fr/robin/2013/07/30/trailer-de-sacree-croissance/
[6] http://www.arte.tv/sites/fr/robin/2013/10/01/sofia-gatica-en-prison/
[8] Voici les liens vers les sites :
http://berthoalain.com/2013/10/01/conflit-mosanto-affrontements-a-malvinas-argentinas-cordoba-30-septembre-2013/
http://www.enredando.org.ar/2013/09/30/cordoba-sofia-gatica-golpeada-por-la-represion/
[9] http://www.arte.tv/sites/fr/robin/2013/08/31/coup-de-gueule/
[10] http://www.lemonde.fr/ameriques/article/2013/08/30/le-mouvement-de-colere-s-intensifie-en-colombie_3468712_3222.html
Voir aussi :
http://www.courrierinternational.com/revue-de-presse/2013/08/29/la-colere-gronde-chez-les-paysans
[11] http://www.youtube.com/watch?v=kZWAqS-El_g
Sous-titré en anglais :
http://www.youtube.com/watch?v=TkQ8U2kHAbI
[12] http://www.ica.gov.co/getattachment/03750a73-db84-4f33-9568-6e0bad0a507d/200R970.aspx
[13] http://www.ustr.gov/trade-agreements/free-trade-agreements/colombia-fta/final-text
[14] Voir, par exemple, du 26 août 2013, dont bien avant le « Coup de gueule » :
http://www.caracol.com.co/noticias/economia/el-ica-aclara-contenido-del-documental-970/20130826/nota/1958024.aspx
« Parmi les clarifications émises, nous réitérons que la résolution 970 ne fait pas partie des exigences des Traités de libre-échange, mais constitue une norme entièrement propre à l'ICA. Outre que cette résolution permet aux agriculteurs d'utiliser une partie de leur récolte de graines "améliorées" comme nouvelles semences. »
http://www.ica.gov.co/Noticias/Corporativas/2013/Comunicado-a-la-opinion-publica-%281%29.aspx
[15] http://www.arte.tv/sites/fr/robin/2013/09/02/mensaje-para-mis-amigos-colombianos/
[16] On trouvera le texte en français à :
http://www.arte.tv/sites/fr/robin/2013/06/19/non-a-laccord-de-libre-echange-americano-europeen/
[17] Voir par exemple :
[18] www.ica.gov.co/Noticias/Agricola/2013/En-consulta-publica-proyecto-de-resolucion-para-re.aspx
http://www.ica.gov.co/Noticias/Agricola/2013/Por-30-dias-mas,-el-ICA-amplia-el-plazo-de-la-cons.aspx
« Parmi les aspects remarquables de ce projet de résolution figurent :
Préciser expressément que la réglementation a uniquement pour objet de la production et la commercialisation de semences pour les semis de matériels améliorés, en supprimant les règles relatives à l'utilisation et au transfert à titre gratuit ;
Appliquer ses dispositions aux seuls producteurs, commerçants, chercheurs en amélioration des plantes, unités d'évaluation agronomique de cultivars améliorés, importateurs et/ou exportateurs de semences ;
Préciser que les semences indigènes, créoles ou locales sont exclues ;
Définir la réserve de récolte ou le "privilège de l'agriculteur", uniquement à l'égard des variétés protégées par un droit d'obtenteur sur le territoire national. »
[19] http://www.ica.gov.co/Periodico-Virtual/Files/Rectificacion-Victoria-Solano2.aspx
[20] http://www.comunidadandina.org/ingles/normativa/D345e.htm
[21] http://upov.int/upovlex/en/text.jsp?file_id=224431
[22] http://en.wikipedia.org/wiki/United_States%E2%80%93Colombia_Free_Trade_Agreement
[23] http://www.ams.usda.gov/AMSv1.0/getfile?dDocName=STELDEV3002796
[24] http://en.wikipedia.org/wiki/North_American_Free_Trade_Agreement
[25] http://upov.int/upovlex/en/text.jsp?file_id=224281
[26] https://www.nafta-sec-alena.org/Default.aspx?tabid=141&language=fr-CA
[27] http://www.arte.tv/sites/fr/robin/2013/10/30/lectures-et-petitions-a-signer/
[28] http://www.worldfoodprize.org/en/laureates/2013_laureates/
[29] http://www.ugent.be/we/genetics/ipbo/en
[31] http://www.arte.tv/sites/fr/robin/2008/03/21/les-liens-entre-lafis-et-monsanto-la-preuve/
[34] Pour des articles plus complets, avec la même citation de source, par exemple :
http://www.businessweek.com/ap/2013-10-20/argentines-link-health-problems-to-agrochemicals
[35] www.unr.edu.ar/noticia/4646/agrotoxicos-apreciaciones-tras-fallo-historico-en-arequito