Huile de palme : pourquoi tant de haine ? A propos du livre d’Emmanuelle Grundmann (1ère partie)
« Je n’achèterai plus jamais d’aliment contenant de l’huile de palme. Elle est responsable de la déforestation, de la disparition des derniers orang-outang, c’est une huile hydrogénée mauvaise pour la santé, et ça enrichit les multinationales » .
Ces propos tout en nuances m’ont été récemment tenus par un « consommateur citoyen ». Même pas besoin de le torturer pour qu’il avoue ses sources. Il venait de voir le documentaire de France 5 : « Palme : une huile qui fait tâche » (1). La leçon a été bien retenue, semble-t-il !
Lorsque les écologistes inventent un nouvel objet à détester, on peut s’attendre à un véritable matraquage médiatique. Concernant le palmier à huile, la machine infernale est lancée, et ça ne fait que commencer.
1ère partie :
Dans la foulée de ce documentaire, citons un talk-show sur RTL-B, une émission de la Tête au carré sur France Inter, avec pour invité principal Emmanuelle Grundmann, auteur d’un livre intitulé Un fléau si rentable : vérités et mensonges sur l’huile de palme (2).
Cette biologiste naturaliste et documentariste est l’auteur de plus de quinze ouvrages, essentiellement consacrés aux primates et aux forêts. La voici donc qui s’intéresse à la culture du palmier à huile et à l’industrie de l’huile de palme. Nous avions publié sur Atlantico (le seul média en ligne qui ait accepté la publication) une tribune traitant de la communication relative à la parution de ce livre (3):
« Notons tout d’abord que l’éditeur présente ce travail sur l’huile de palme comme "la première enquête documentée, rigoureuse et impartiale sur ce nouvel or 'vert' qui fait le tri entre les vérités et les mensonges qui polluent le débat." De fait, nous ne sommes pas en mesure de discuter du contenu détaillé de cet ouvrage à paraître, mais sa supposée crédibilité et son impartialité tant vantées a priori par l’éditeur apparaissent d’ores et déjà très douteuses, et laissent craindre le pire. »
Un pari, certes, mais en définitive pas très risqué. A son crédit, Emmanuelle Grundmann prend soin d’adopter un ton plus posé, loin de la grossièreté et des borborygmes d’une Marie-Monique Robin. Pour le reste, on est plus que réservé sur sa capacité à démêler la vérité des mensonges, à peser le pour et le contre.
Beaucoup d’informations totalement erronées
Tout d’abord, Emmanuelle Grundmann semble avoir essentiellement débriefée par ce qu’elle appelle pudiquement les « ONG », telles que la WWF ou Friends of the earth, dont nos lecteurs connaissent la très grande objectivité. Ensuite, il y a dans le lot des informations facilement vérifiables de telles énormités que le doute est permis concernant tout le reste. Citons quelques exemples :
- Les holdings Palmia et Sifca auraient ainsi investi 154 milliards de dollars dans la construction d’une raffinerie à Abidjan, mise en service en 2010. Comme la plupart des journalistes, Emmanuelle Grundmann n’a aucun sens des ordres de grandeur réalistes : 154 milliards de dollars, c’est 6 fois le PIB ivoirien, ou l’équivalent d’une cinquantaine de plateformes pétrolières en mer très profonde ! Au cours actuel de l’huile de palme et avec une production de 418 000 tonnes par an (4) , et à supposer que le vil exploiteur ne paie même pas ses salariés, cela fait seulement… quelques centaines d’années pour espérer amortir l’installation (ne parlons même pas de profit). On savait qur les multinationales étaient très,très méchantes, mais on ignorait qu'elles étaient aussi peu perspicaces en matière investissement ! Qui a soufflé cette ânerie à Emmanuelle Grundmann ? On ne le saura pas.
- Les thèmes environnementaux de la déforestation, qui intéressent tant l’auteur amie des primates et à la fibre écologiste, sont aussi maltraités. « Aujourd’hui, le palmier à huile représente un dixième des terres cultivées de la planète », affirme l’auteur. Elle s’est simplement trompée d’un facteur de 1 à 10, si on en croit les statistiques de la FAO (5) ! Ces chiffres lui ont-ils été soufflé par les ONG ? « (..) dans le cas de l’Indonésie, 56% de l’extension de ces cultures se font au détriment des forêts ». Autre information douteuse dont Emmanuelle Grundmann se garde bien de donner la source. Doit-on d’ailleurs comprendre 56% actuellement ? ou bien 56% depuis l’essor de la culture du palmier à huile ? Chacun comprendra le chiffre dont le sens qu’il voudra. Or si l’auteur admet que « l’huile de palme pourrait devenir une ressource lipidique durable si elle était par exemple cultivée sur des terres dégradées », il semble que ce soit majoritairement le cas, comme l’indique Alain Rivasi, spécialiste de l’huile de palme au CIRAD :
« Sur les 21 millions d’hectares de forêt primaire qui ont disparu en Indonésie entre 1990 et 2005, seulement 3 millions correspondent à la création de palmeraies . Quid des 18 millions restant ? Les concessions forestières sont accordées par les pouvoirs publics d’abord pour l’exploitation du bois. Lorsqu’elles ne sont pas replantées, les surfaces déforestées sont laissées en friche jusqu’à ce qu’elles deviennent des savanes dégradées qui seront, ou non, reconverties pour des activités agricoles. (6) » 3 millions d’hectares sur 21, cela fait 15%. Et à tout prendre, ne vaut-il pas mieux des palmeraies que des savanes dégradées ?
- Qui dit déforestation dit bilan carbone , et Emmanuelle Grundmann n’hésite pas à affirmer « [qu’] en 2010, la déforestation pour de nouvelles plantations de palmiers a résulté dans l’émission de 140M de tonnes de CO2. Des taux records (sic ! 140 M est un « taux ») qui ont placé l’Indonésie dans le peloton de tête des pays émetteurs de gaz à effet de serre, derrière les États-Unis et la Chine ». Là encore, on se gratte la tête devant une telle énormité. L’Indonésie n’est même pas dans les 10 premiers émetteurs mondiaux en termes d’émissions totales, mais encore elle n’est même pas dans la moyenne mondiale en terme d’émissions de Co2 par habitant (respectivement 1,7 tonne et 4,4 tonnes) (7) . Comment peut-on être journaliste en 2013, et écrire de pareilles âneries, à une époque où toutes ces informations sont aisément disponibles ?
Un petit complot en veux-tu ? En voilà !
Un bon livre écologiquement correct ne va pas sans un petit couplet complotiste. En Indonésie toujours, « la majeure partie des feux de forêts de 1997-1998 est imputable à une (..) cause : le palmier à huile, de manière directe ou indirecet. Il est d’abord intéressant de noter que lors du dernier grand El Niño en 1982-1983, les feux étaient sinon inexistants, du moins rares, Le fait qu’il n’y ait eu à cette époque aucune compagnie exploitant le palmier à huile relève-t-il de la simple coïncidence ?».
Non, répondra de lui-même le lecteur, avant même de lire les très minces preuves à charge. Là où la question insidieuse devient comique, c’est lorsqu’on sait que les incendies de 1982-1983 étaient tout sauf rares : « L'Est-Kalimantan a enduré une très longue période de sécheresse de juin 1982 à avril 1983. La superficie des forêts brûlées est évaluée à environ 3,6 millions d'hectares. Aucun incendie de cette ampleur n'avait eu lieu auparavant. Des saisons sèches prolongées se sont renouvelées en 1987, 1991, 1994 et 1997, et les surfaces touchées par les feux de forêt se sont élevées respectivement à 49 323 ha en 1987, 118 881 ha en 1991, 161 798 ha en 1994 (Deddy et Brady 1997), et 263 992 ha en 1997. (8) »
Soit selon ces estimations , en 1982-1983, plus de 13 fois l’ampleur des dévastations de 1997-1998 . A la limite , si coïncidence il fallait y voir, ça serait pour se demander si les compagnies exploitant le palmier à huile n’ont pas au contraire mis toute leur énergie à empêcher les feux de forêt !
Inutile de donner dans l’angélisme, et admettons tout de même la plausibilité de feux de forêts criminels dont auraient été responsables des compagnies exploitant le palmier à huile : on peine déjà à comprendre la notion de responsabilité « indirecte » évoquée par Emmanuelle Grundmann. Mais surtout, sur quoi reposent ses accusations ? L’analyse (sans la moindre référence indiquée) de cartes satellitaires et « de nombreux témoignages » (sic !), indiqueraient que de 50 à 80% des feux de Bornéo étaient imputables à l’expansion des palmiers à huile. « De nombreux témoignages » ! Voilà ce qu’on appelle la précision journalistique. Notons que l’on a peu de raison de donner du crédit à ces chiffres, compte tenu de toutes les carabistouilles précédemment relevées.
Emmanuelle Grundmann se base par ailleurs sur l’ « étude » d’un certain Christian Gönner (9), ethnologue qui sait faire parler le bon sens indigène : « Ces feux ne tombent pas du ciel », pontifie-t-il. Faut-il le souligner ,aucune preuve solide à l'appui de ses allégations... C’est probablement dans l’œuvre de ce monsieur qu’Emmanuelle Grundmann a pêché l’info selon laquelle « Pendant [El Niño] 1982/83 il n’y avait pas de compagnies palmistes et pas de feux,et [en 1997-1998] il y avait ces compagnies et il y a eu ces feux ».
Quand on est journaliste, pourquoi se fatiguer à vérifier une information ?
A suivre
Anton Suwalki
Notes :
(2) Éditions Calmann-Levy
(4) http://www.afrik.com/l-huile-de-palme-l-autre-poumon-economique-de-la-cote-d-ivoire,31179
(7) http://www.iea.org/co2highlights/co2highlights.pdf
(8) http://www.fao.org/docrep/003/x2095f/x2095f0s.htm
(9) http://www.fire.uni-freiburg.de/iffn/country/id/id_24.htm