De Schutter, l'agroécologie et l'imposture politique et médiatique, par Wackes Seppi
Cela fait maintenant plus de quatre mois que le monde « alter » et « anti » bruisse d'une excellente nouvelle : « l’agroécologie peut doubler la production alimentaire en 10 ans ». Parole d'Olivier De Schutter, le rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à l’alimentation ! Et tout ce beau et gentil monde – essentiellement urbain ou rurbain, et nourri philosophiquement au mythe de la bonne agriculture familiale, préférablement biologique, économe en intrants et respectueuse de notre Bonne Mère Nature – de s'extasier. Ou, pire, de vilipender l'agriculture dite productiviste et les industries agro-alimentaires qui, pourtant, le nourrissent matériellement, ce beau monde, à (relativement) bon prix. Dans le genre hyperbolique, Mme Marie-Monique Robin écrivait le 8 mars 2011 sur son blog que M. De Schutter « a présenté un rapport sur l' "agroécologie" comme l'unique solution de nourrir le monde » [1]. Rien que ça !
Mais est-ce bien vrai ?
Un résumé de rapport très nuancé
Il y a bien un rapport, sobrement intitulé « Rapport du Rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation, Olivier De Schutter » et soumis au Conseil des droits de l'homme [2]. Sur ce point, nous ne sommes pas escroqués.
Mais ce rapport de 23 pages n'est pas aussi affirmatif. Selon le résumé :
« S’appuyant sur un examen approfondi des publications scientifiques qui ont vu le jour au cours des cinq dernières années, le Rapporteur spécial présente l’agroécologie comme un mode de développement agricole qui n’entretient pas seulement des liens conceptuels solides avec le droit à l’alimentation mais qui a aussi produit des résultats avérés, permettant d’accomplir des progrès rapides dans la concrétisation de ce droit fondamental pour de nombreux groupes vulnérables dans différents pays et environnements. L’agroécologie offre en outre des avantages qui peuvent compléter ceux qui découlent de méthodes conventionnelles mieux connues comme la culture de variétés à haut rendement. De plus, elle contribue de manière importante au développement économique dans son ensemble.
« Le présent rapport défend l’idée que la transposition de ces expériences à une plus grande échelle est le principal défi à relever aujourd’hui. [...] » [3].
Difficile, donc, d'y trouver une affirmation péremptoire. Il en est de même pour le corps du texte, même si on y trouve des exemples de progrès – pas forcément dus à l'agroécologie – a priori extravagants. En revanche, le résumé restreint son affirmation sur les « progrès rapides » aux seuls « groupes vulnérables ».
Un communiqué de presse scandaleux
En vérité, bien peu de commentateurs auront lu le rapport. L'information minute se nourrit de communiqués de presse, de prémâchés à copier-coller. Et le communiqué de presse est un formidable véhicule pour la désinformation à l'adresse des experts du CTRL-C – CTRL-V et, en bout de ligne, du vulgum pecus. Rien de plus efficace, aussi, pour créer ou entretenir une idéologie, des convictions ou une foi. En l'occurrence, M. De Schutter et ses amis ont fait très fort dans le bidonnage, avec la complicité ahurissante du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme [4].
Cela commence par le titre du communiqué :
« Rapport ONU : L’agroécologie peut doubler la production alimentaire en 10 ans ».
Le fait est que ce n'est pas un « Rapport ONU », mais le rapport d'un « expert » [5] indépendant [6], sur lequel la Commission des droits de l'homme prend des actions limitées, lesquelles n'incluent pas l'adoption, elle seule susceptible de conférer le label « rapport de l'ONU » [7].
Ces gens ont créé un double drame. D'un côté, ils ont promu une chose, qualifiée d'agroécologie, en la revêtant indûment du sceau de la respectabilité et de la crédibilité que lui confère, pour les gogos, l'expression « rapport ONU » (les lecteurs avertis savent que l'ONU n'a aucune compétence en matière d'agriculture et que l'agence onusienne de référence est la FAO [8]). De l'autre, ils ont violé l'indépendance des experts et ainsi porté atteinte au principe fondamental qui sous-tend leur action, au risque de saboter un des rares mécanismes qui permettent à l'ONU de s'affranchir quelque peu des blocages « diplomatiques ».
Sur le fond, la première phrase du communiqué de presse vient déjà prouver combien le titre est gonflé aux sens premier et second du terme :
« En à peine 10 ans, les petits agriculteurs peuvent doubler la production alimentaire des régions vulnérables en recourant à des méthodes de production écologiques, affirme un nouveau rapport de l’ONU. » (Les italiques sont de nous.)
Et cette phrase ne s'appuie sur rien dans le rapport : pas de trace autre que très spécifique, en effet, des 10 ans, ni du doublement de la production.
Le communiqué de presse aligne une belle série de déclarations manifestement contestables, en partie attribuées à Olivier De Schutter, désigné par son nom, par « Rapporteur de l'ONU » ou encore par un « expert de l'ONU » correct en jargon onusien mais terriblement trompeur en langage courant. Celles-ci s'inscrivent dans le contexte d'un dénigrement de l'agriculture conventionnelle :
« L'agriculture conventionnelle accélère le changement climatique, repose sur des intrants coûteux et n’est pas résiliente aux chocs climatiques. Elle n’est tout simplement plus le meilleur choix pour l’avenir. »
Voici deux exemples relativement simples.
Premier exemple :
« L’agroécologie est au contraire reconnue par un nombre croissant d’experts pour son impact positif en termes de production alimentaire, de réduction de la pauvreté et d'atténuation du changement climatique. Même le Malawi, un pays qui a lancé il y a quelques années un important programme de subvention des engrais chimiques, met désormais en œuvre des programmes agroécologiques. Ceux-ci bénéficient à plus de 1,3 million de personnes qui ont vu les rendements de maïs passer de 1 tonne/ha à 2-3 tonnes/ha. » (Propos de M. De Schutter.)
N'insistons pas sur le « nombre croissant » : ça commence par le passage de un à deux...
Pour le Malawi, selon le rapport, il s'agit d'agroforesterie utilisant des arbres qui fixent l’azote, et il est fait référence à une publication unique, de Dennis Philip Garrity et al [9]. Le texte ci-dessus (le communiqué de presse) laisse entendre, par le mot « désormais », que le Malawi remplace un programme par un autre ; que le nouveau programme a déjà déployé ses effets ; que les rendements ont doublé ou triplé. Le rapport est plus respectueux de la réalité [10] : pas d'indication de désengagement du programme engrais (et semences améliorées) ; programme d'agroforesterie en cours de déploiement ; données de rendement issues de la recherche et non de la réalité au champ.
Du reste, M. De Schutter fait aussi l'impasse sur les leçons à tirer de l'extraordinaire efficacité du programme engrais [11].
Deuxième exemple :
« Le rapport souligne aussi que les projets agroécologiques menés en Indonésie, au Vietnam et au Bangladesh ont réduit de 92% l'utilisation d'insecticides pour le riz, permettant aux agriculteurs pauvres de faire d’importantes économies financières. »
Le rapport décrit quant à lui les résultats (prétendument) obtenus par des fermes-écoles... On est loin de l'agroécologie [12].
Un argumentaire de bonimenteur
Nous ne ferons pas ici une analyse détaillée du rapport car ce serait bien trop fastidieux. La partie III – Contribution de l’agroécologie à la mise en oeuvre du droit à l’alimentation – se rapproche du style des plaquettes publicitaires.
« Le présent rapport – est-il dit en introduction dans la partie précédente – suggère que le développement des pratiques agroécologiques peut simultanément accroître la productivité agricole et la sécurité alimentaire, améliorer les revenus et les moyens de subsistance ruraux et renverser la tendance vers la disparition d’espèces et l’érosion génétique. » Difficile de contester : tout est dans un « peut » correctement interprété. Du reste, l'agriculture que l'on appellera ici « conventionnelle » par défaut, le peut aussi ; et le fait.
De fait, regrettablement, le rapport « ratisse large » en attribuant à l'agroécologie ce qui ne relève pas d'elle (par exemple les fermes-écoles, comme on l'a vu plus haut) ; ne présente que les avantages perçus, sans préciser les limitations et notamment les coûts ; et ce, sur la base d'une sélection unilatérale de références bibliographiques, dont certaines sont également unilatérales, certaines manifestement dithyrambiques, et certaines peu pertinentes.
Le rapport affirme notamment que l'agroécologie «gagne par ailleurs du terrain dans des pays aussi différents que les États-Unis, le Brésil, l’Allemagne et la France » en citant A. Wezel et al. [13]. Mais ces auteurs discutent essentiellement le sens du mot « agroécologie », en soulignant qu'il n'a pas d'acception communément admise, sans faire le point sur sa mise en oeuvre en pratique. C'est très grave car cette grossière erreur (volontaire ?) se traduit par de la désinformation.
« Il est prouvé que ce type de technique à faible utilisation d’intrants externes, qui préserve les ressources, peut accroître considérablement les rendements. » Et de citer trois études – pas une de plus – sur des projets de développement avec des statistiques plus que flatteuses . Mais, surprise, toutes proviennent d'une seule équipe, celle de Jules Pretty [14].
L'étude la plus récente a porté sur 40 projets de développement dans 20 pays d'Afrique. Mais onze ont été classés par les auteurs sous « amélioration des plantes et amélioration des systèmes » ; ce qui ne relève pas vraiment de l'agroécologie, tout comme, par exemple, les trois projets d'aquaculture. De fait, l'agroforesterie et la conservation des sols, et l'agriculture de conservation sont représentées par quatre projets chacune. Surtout, ces projets sont loin de constituer un échantillon représentatif [15]. Les chiffres produits dans les études citées de Pretty et al. avaient donc une signification (certes sujette à discussion) dans leur contexte. Mais ils suscitent des espoirs a priori exagérés lorsqu'ils sont jetés en pâture à un lectorat non averti, sans caveats et hors contexte. « En moyenne, le rendement des cultures avait plus que doublé (s’étant multiplié par 2,13) sur une période allant de trois à dix ans » n'est que très faiblement prédictif pour l'adoption généralisée des techniques considérées dans l'étude la plus récente.
Le document onusien (PNUE-CNUCED) présente des études de cas, ce qui permet de préciser les sources de biais. Il apparaît clairement que seuls ont été retenus les projets pour lesquels on a pu présenter des résultats paraissant remarquables [16]. Même pour ceux-ci, le lecteur sceptique reste pourtant sur sa faim car beaucoup de rapports sont très vagues et présentent des résultats peu crédibles (et encore, le plus souvent, sous forme narrative, sans données chiffrées). Beaucoup émanent des gestionnaires des projets ou d'autres intervenants ayant intérêt à ce que leur projet soit présenté de manière favorable.
Mais il y a deux objections encore plus sérieuses car plus générales et fondamentales.
En premier lieu, l'extrapolation – en particulier « l’agroécologie peut doubler la production alimentaire en 10 ans » – est extrêmement hasardeuse. Les projets sont majoritairement implantés dans des zones qui leur sont a priori favorables, et suivis de près, ce qui gonfle les résultats. Beaucoup d'entre eux ont aussi des caractéristiques trop spécifiques ; c'est notamment le cas de ceux qui ont pour objet de développer l'horticulture.
En second lieu, les rapports font état de ce que l'on voit (ou prétend voir), et pas de ce que l'on ne voit pas (ou que l'on ne veut pas voir).
Doubler la production ? Oui, mais à quel prix en termes d'intrants (par exemple, la matière organique utilisée en agriculture biologique doit bien provenir de quelque part...) et de main-d'œuvre ? On risque de se voir objecter que « l’agroécologie accroît la productivité au niveau local » ou que « l’agroécologie réduit la pauvreté rurale ». Mais c'est condamner les habitants des régions peu favorisées à un travail harassant et à la pauvreté, peut-être réduite, mais pauvreté quand même. Et le destin de la femme, notamment africaine, n'est pas de désherber à la houe.
Et ce que l'on ne voit pas, ou veut ne pas voir, c'est le résultat qui serait obtenu si d'autres méthodes étaient déployées, alternativement ou cumulativement. Et l'on retombe sur l'exemple parlant de l'emploi d'engrais minéraux au Malawi [17].
« Entre un mauvais et un bon Économiste, voici toute la différence : l'un s'en tient à l'effet visible ; l'autre tient compte et de l'effet qu'on voit et de ceux qu'il faut prévoir [18]. » Propos ancien que les auteurs de cette étude, ainsi qu'Olivier De Schutter, auraient dû méditer.
Leur argumentaire n'est pas contestable dans son principe tant qu'on s'en tient à la lettre : ce que M. De Schutter appelle l'agroécologie – et l'agriculture biologique pour ce qui est du document du PNUE et de la CNUCED – peut apporter des améliorations, même importantes. Mais, sitôt la lettre dépassée, il ne résiste pas à la critique. Et il est exécrable dès qu'on fait intervenir l'objectif implicite de réorienter le développement agricole et de dissuader les investissements dans, notamment, les engrais et les produits phytosanitaires ; en bref, dans une intensification qui a fait ses preuves dans le monde.
Des recommandations en retrait par rapport au narratif
De manière étonnante, les recommandations finales sont en retrait par rapport à la description dithyrambique de l'agroécologie. Au milieu des incantations obligatoires dans tout document onusien de cette nature (le changement climatique, la recherche participative, la promotion des femmes, etc.) on trouve en effet :
« Réorienter les dépenses publiques vers l’agriculture en accordant la priorité à la fourniture de biens publics tels que les services de vulgarisation, les infrastructures rurales et la recherche agricole, en tirant parti des atouts complémentaires des méthodes de sélection génétique des semences et des variétés et des méthodes agroécologiques, en allouant des ressources aux deux types de méthodes et en explorant les synergies comme celle qui résulte du lien direct établi entre la subvention d’engrais et les investissements agroécologiques dans l’exploitation agricole ("subvention à la durabilité") ».
Ce que l'on appellera ici, faute de mieux, « agriculture conventionnelle »n'est certes pas réhabilité, mais M. De Schutter trouve des synergies... Mais la recommandation reste de réorienter les dépenses publiques consacrées à l'agriculture (c'est ce que dit l'original anglais) vers l'agroécologie.
Un impact nul au niveau onusien
Il n'est pas vraiment étonnant que M. De Schutter soit séduit par une vision quelque peu romantique d'une « agroécologie [qui] cherche à améliorer la durabilité des agroécosystèmes en imitant la nature plutôt que l’industrie ». Son domaine, ce sont les Droits de l'Homme, dans lesquels il s'est illustré en ayant occupé de 2004 à 2008 le poste de Secrétaire général de la Fédération internationale des Ligues des Droits de l’Homme (FIDH). Cela en fait un homme remarquable et éminemment respectable, mais ne lui confère aucune compétence en matière d'agriculture. Son équipe de soutien de quatre personnes est coordonnée par M. Gaëtan Vanloqueren, un agroéconomiste dont les principaux centres d’intérêt sont « l’agroécologie, les systèmes alimentaires et l’économie du développement ». Et deux autres membres ont un passé dans les ONG, notamment Oxfam [19].
D'une certaine manière, donc, l'entrisme et le prosélytisme sont à l'œuvre. Mais pour quel résultat ?
Le rapport a été présenté au Conseil des droits de l'homme, et un compte rendu en a été publié [20].
Les rapports sur le droit à l'alimentation et le logement convenable ont été examinés ensemble. Les moulins à parole se sont donc dispersés sur deux sujets. Pour un certain nombre de diplomates (car le Conseil des droits de l'homme est une affaire de diplomates), c'était l'occasion de digresser vers des sujets de préoccupation plus pressants, tels les effets des embargos ou de la flambée des prix des denrées alimentaires, ou d'entonner une nouvelle fois des airs connus [21].
Au final, s'agissant de l'agroécologie en tant que telle, pas grand chose au-delà des déclarations convenues. On n'en relèvera que deux pour ce qui est des États. Les Pays-Bas ont souligné la complémentarité des différentes techniques [22] ; et le Luxembourg, pays éminemment agricole (c'est de l'ironie), s'est lancé dans un véritable panégyrique de l'agroécologie [23], alors que l'Inde, pays éminemment agricole (c'est un fait), n'a parlé que de logement.
Du côté des organisations non gouvernementales, réelles ou fictives, c'était le désert intellectuel et moral complet [24]. L'un a rendu hommage au prédécesseur de M. De Schutter, le très controversé Jean Ziegler [25] ; l'autre, citant Haïti – oui : Haïti – a quasiment reproché à l'aide alimentaire d'être responsable de l'insuffisance des productions locales.
Les critiques de l'ONU et des institutions spécialisées pourrons donc s'en donner à cœur joie à la lecture du compte rendu ; mais la critique, aussi légitime qu'elle puisse paraître, ne doit pas faire oublier que c'est le seul mécanisme qui permette de faire dialoguer près de 200 États souverains et même, quelques fois, d'avancer.
La liturgie onusienne prévoit aussi que le rapporteur spécial fasse rapport à l'Assemblée générale des Nations Unies, et que celle-ci adopte une résolution [26]. L'agroécologie sera donc à l'honneur à New York à l'automne prochain. Les débats, tout aussi ampoulés, seront peut-être un peu plus pertinents. Mais le sort de la résolution est déjà connu : elle reprendra des paragraphes entiers des résolutions précédentes, devenus rituels, y noyant les paragraphes nouveaux ; et les États membres s'empresseront d'oublier ce qu'ils ont résolu.
Pas d'agroécologie pour le G20
Tout compte fait, c'est beaucoup de bruit pour rien, si l'on excepte le buzz médiatique et l'agitation du monde « alter » et « anti ».
M. De Schutter s'est aussi manifesté avant le « G20 agricole », tenu les 22 et 23 juin derniers à Paris, par une tribune publiée dans plusieurs journaux [27]. Il a proposé « cinq priorités [pouvant] permettre à ce G20 de jouer un rôle capital dans l'amélioration à long terme de la sécurité alimentaire mondiale ». Aucune trace d'agroécologie.
Il s'est aussi déclaré déçu [28] par le Plan d’action sur la volatilité des prix alimentaires et sur l'agriculture [29] qui sera remis aux chefs d'État et de gouvernement lors du sommet de novembre 2011. Selon lui, «le plan d’action [...] n’apporte donc pas de réponse aux racines du problème : la dépendance massive des marchés alimentaires vis-à-vis des marchés de l'énergie, les décisions irresponsables visant à augmenter la production et l'utilisation d’agrocarburants, et la spéculation qui ne se ramène pas à l’action d’investisseurs manipulant les prix. » À notre sens, c'est plutôt à tort, avec des accents de dépit, et en partie au moins le fruit d'un réflexe pavlovien typique de l'esprit ONG ; en témoigne par exemple la lecture très orientée qu'il fait du paragraphe sur les biocarburants.
Une confession étonnante
Le jour de la présentation du rapport au Conseil des droits de l'homme, Mme Marie-Monique Robin a interrogé M. Olivier De Schutter ; elle a ensuite inclus un passage dans la bande annonce de son prochain ouvrage [30]. Il a été confronté à l'argument – souvent avancé par l'industrie chimique selon une Marie-Monique Robin aux obsessions bien connues – selon lequel on ne pourra pas nourrir le monde sans engrais ni pesticides. Il a répondu :
« C'est simplement le résultat d'une sorte de prophétie autoréalisatrice. Nous n'avons jamais cru en d'autres types d'agriculture, et donc nous n'avons jamais permis à ces autres types d'agriculture de démontrer qu'ils peuvent être hautement productifs [31] »
Moyennant quoi, M. De Schutter peut affirmer sans ambages que « l’agroécologie peut doubler la production alimentaire en 10 ans ». Et, pire encore, recommander au monde entier de se convertir à un truc aux contours, au contenu et aux performances mal définis, l'agroécologie.
Wackes Seppi
Notes
[1]
http://robin.blog.arte.tv/2011/03/08/deux-liens/
[2]
http://www2.ohchr.org/english/issues/food/docs/A.HRC.16.49_fr.pdf
et
http://www.srfood.org/images/stories/pdf/officialreports/20110308_a-hrc-16-49_agroecology_fr.pdf
[3] En anglais :
« The report argues that the scaling up of these experiences is the main challenge today. »
Phrase doublement ambiguë ! « [T]ransposition de ces expériences à une plus grande échelle » ne signifie pas mise en application, mais poursuite des expériences à plus grande échelle. Quant à dire que c'est un « défi à relever », cela ne nous avance guère.
[4]
http://www.srfood.org/images/stories/pdf/press_releases/20110308_agroecology-report-pr_fr.pdf
Les Nations Unies n'ont publié que la version anglaise à :
http://www.ohchr.org/EN/NewsEvents/Pages/DisplayNews.aspx?NewsID=10819&LangID=E
[5] Les guillemets signalent qu'il s'agit de la désignation officielle. Un rapporteur spécial n'est pas nécessairement un expert de la matière qui lui a été confiée (exemple caricatural : le prédécesseur de M. De Schutter, Jean Ziegler) ou des sujets qu'il aborde (M. De Schutter n'est pas un expert de l'agriculture et encore moins de l'agroécologie).
N.B. « Comme il a déjà été indiqué, la Commission attribue des titres différents aux experts, qui sont notamment les suivants: rapporteurs spéciaux, experts indépendants, représentants du Secrétaire général ou représentants de la Commission. »
Source : Dix-sept questions souvent posées au sujet des rapporteurs spéciaux de l’Organisation des Nations Unies (Fiche d’information no 27 – ce document est antérieur à la transformation de la Commission en Conseil) :
http://www.ohchr.org/Documents/Publications/FactSheet27fr.pdf
[6]« Les experts sont invités à accomplir des tâches spécifiques qui sont décrites dans les résolutions correspondantes des Nations Unies. Ils ne doivent pas excéder les limites de leur mandat et accomplir leurs fonctions en toute indépendance à l’abri de toute influence gouvernementale ou non gouvernementale. »
Fiche d'information no 27 (voir note [5] ci-dessus).
[7] « La Commission des droits de l’homme exerce un contrôle sur le travail des experts tout en sachant que les experts sont inamovibles et indépendants et qu’ils jouissent de l’immunité de juridiction. La Commission examine leurs rapports et adopte des résolutions accueillant avec satisfaction ou critiquant les travaux des experts, ou prend simplement note de leurs actions. »
Fiche d'information no 27 (voir note [5] ci-dessus).
[8] Les lecteurs avertis (ou non) ricaneront aussi ! Comme les autres institutions onusiennes, la FAO est gangrenée par les jeux diplomatiques. Elle reste néanmoins la référence.
[9] Evergreen Agriculture: a robust approach to sustainable food security in Africa :
http://agrobiodiversityplatform.org/wp-content/blogs.dir/1/files/group-documents/15/1305192199-2010_Garrity_EvergreenAgriculture.pdf
[10] Le rapport suit assez fidèlement la publication susvisée :
« L’agroécologie gagne également du terrain au Malawi, pays qui a suscité beaucoup d’attention ces dernières années. À la suite de la dramatique crise alimentaire provoquée par la sécheresse en 2004-2005, le Malawi a lancé avec succès un programme de subventions pour les engrais. Aujourd’hui, il met en place des systèmes d’agroforesterie utilisant des arbres qui fixent l’azote, ce qui lui permet d’obtenir une augmentation durable de la production de maïs afin de se préparer à ce qui l’attend à moyen terme, lorsque les subventions en question devront être réduites ou supprimées. À la mi-2009, plus de 120 000 agriculteurs malawiens avaient reçu une formation et de quoi faire pousser des arbres au titre de ce programme qui, grâce au soutien de l’Irlande, a pu être étendu à 40 % des districts du pays et bénéficier à 1,3 million de personnes parmi les plus pauvres. Les recherches montrent que les rendements augmentent de 1 t/ha à 2 à 3 t/ha, même lorsque les agriculteurs n’ont pas les moyens d’acheter des engrais azotés. En utilisant un quart de dose d’engrais minéral, les rendements du maïs peuvent dépasser les 4 t/ha. Cela montre que s’il faut accorder la priorité à l’investissement dans les techniques de fertilisation organique, il ne faut pas pour autant exclure le recours à d’autres fertilisants. Une solution optimale, qui pourrait permettre d’abandonner les programmes de subvention d’engrais, pourrait être de subordonner directement ces subventions à des investissements d’agroforesterie sur le terrain afin d’assurer la disponibilité de nutriments à long terme et de restaurer la santé des sols pour accroître les rendements et améliorer la réaction aux fertilisants. Le Malawi serait en train d’explorer cette approche 'de subventions à la durabilité' »
[11] Voir note précédente. En 2005-06, le coût du programme a été estimé à US$ 50 millions, pour une récolte de 3,44 millions de tonnes, dont 1,34 de surplus exportable. Soit quelque 14,5 dollars la tonne, ou 37,3 dollars la tonne de surplus. Il y a des cours d'économie qui se perdent !
[12] Le « prétendument » est de nous, tant le pourcentage annoncé paraît énorme (92 %, c'est dix traitements éliminés sur onze !). Le rapport fournit des fourchettes pour les insecticides et les pesticides (drôle de distinction...). Les auteurs du communiqué n'ont retenu que le chiffre extrême (procédé classique...). Voici le texte du rapport :
« Les fermes-écoles ont montré qu’elles contribuaient à une diminution significative des quantités de pesticides utilisés, les intrants étant remplacés par le savoir. Des études à grande échelle réalisées en Indonésie, au Viet Nam et au Bangladesh ont enregistré une diminution de 35 % à 92 % de l’emploi d’insecticides dans la culture du riz et de 34 % à 66 % de l’emploi de pesticides, ainsi qu’une augmentation de 4 % à 14 % des rendements dans la production de coton en Chine, en Inde et au Pakistan. Les fermes-écoles autonomisent manifestement les agriculteurs en les aidant à mieux s’organiser et en les encourageant à se former. [...] »
[13] Agroecology as a science, a movement and a practice. A review, A. Wezel, S. Bellon, T. Doré, C. Francis, D. Vallod and C. David, Agron. Sustain. Dev. 29 (2009) 503-515. Texte à :
http://www.agroeco.org/socla/pdfs/wezel-agroecology.pdf
Dans le cas de l'Allemagne, les auteurs écrivent en conclusion :
« To summarise for Germany, agroecology is almost exclusively considered within the scientific sphere with a relatively similar interpretation today as used in the past. The focus ranges from field to landscape analyses, mainly based on ecological and biological scientific approaches. »
[14] «Resource-conserving agriculture increases yields in developing countries», Jules Pretty et al.,
Environmental Science and Technology, 40:4, 2006, p. 1114 à 1119. Texte à :
http://pubs.acs.org/doi/full/10.1021/es051670d
Organic Agriculture and Food Security in Africa
, UNEP-UNCTAD Capacity-building Task Force on Trade, Environment and Development, 2008. Ce document a utilisé la base de données sur laquelle repose l'étude susmentionnée. Les auteurs en sont Rachel Hine et Jules Pretty. Texte à :http://www.unctad.org/en/docs/ditcted200715_en.pdf
Sustainable intensification in African agriculture
, J. Pretty et al., International Journal of Agricultural Sustainability, 9:1. Texte à :http://docserver.ingentaconnect.com/deliver/connect/earthscan/14735903/v9n1/s2.pdf?expires=1310567945&id=63552294&titleid=75005120&accname=Guest+User&checksum=F659B2202E88A4EB5A9C27068BD760DD
[15] Pretty et al. ont d'ailleurs bien précisé :
« This was not a comprehensive analysis of all that is happening across Africa, nor was it a random sample. »
[16] À l'évidence, les projets qui échouent ne font pas l'objet d'une grande publicité... Les auteurs de l'étude ont donc fait leur sélection dans ce qui était déjà une sélection. Selon l'introduction du document, l'Équipe spéciale pour le renforcement des capacités dans les domaines du commerce, de l’environnement et du développement (CBTF) exécute un projet d'agriculture biologique en Afrique de l'Est depuis 2004... Ce projet n'est pas décrit dans l'étude !
[17] Voir les notes 10 et 11 ci-dessus.
[18] Ce qu'on voit et ce qu'on ne voit pas, Frédéric Bastiat (1850). Texte à :
http://www.4shared.com/get/9tln53j7/Ce_que_lon_voit_et_ce_que_lon_.html
[19]
http://www.srfood.org/index.php/fr/equipe
[20]
http://www.unog.ch/unog/website/news_media.nsf/(httpNewsByYear_en)/38129E246AEFC013C125784D0058A239?OpenDocument
[21] Ainsi, un deuxième secrétaire de la Mission permanente de l'Argentine a déclaré que :
« les recommandations du Rapporteur spécial sur le droit à l'alimentation relatives au financement de l'agro-écologie doivent s'inscrire dans le cadre des obligations historiques des pays développés envers les pays moins riches. [...] Le rapport devrait indiquer expressément que l'amélioration de l'accès aux marchés doit passer par une suppression des régimes de subventions agricoles, conformément aux discussions en cours dans le cadre des négociations de Doha. »
L'Argentine (1 % seulement de la population est d'origine amérindienne) a été un des pays les plus riches du monde au début du XXe siècle.
[22] « MME IRENE KNOBEN (Pays-Bas) a souligné la nécessité de promouvoir des cultures fondées sur l'agro-écologie qui soient rentables. L'emploi efficace d'intrants «externes» doit pouvoir se faire avec l'aide d'incitations en ce sens et de crédits. Les Pays-Bas estiment nécessaire d'encourager la coopération entre les pouvoirs publics et le secteur privé. La délégation néerlandaise aimerait entendre M. de Schutter à ce sujet afin d'avoir son avis sur la manière dont les deux peuvent se compléter. »
M. De Schutter n'a pas répondu à cette question.
[23] « M. JEAN FEYDER (Luxembourg) a souligné que son pays était préoccupé par la récente flambée des prix alimentaires qui, selon la FAO, ont atteint le même niveau qu'en 2008. Cette flambée des prix est en train de provoquer des tensions sociales et a plongé dans la pauvreté quelque 44 millions de personnes, qui s'ajoutent au milliard de personnes souffrant déjà de la faim, a-t-il observé. Il a constaté que l'on était «loin de l'objectif du Millénaire numéro 1 prévoyant de réduire de moitié d'ici 2015 la proportion de ceux souffrant de la faim et de la malnutrition. Le Luxembourg est favorable à ce que les priorités aillent aux petits exploitants, à l'agriculture biologique ou organique, à la diversification de la production, à la participation des organisations paysannes, au développement des infrastructures, à la recherche agricole axée sur l'agro-écologie, à une meilleure régulation des marchés et à ce qu'une attention particulière soit accordée aux femmes rurales. «Le défi pour une agriculture durable consiste à produire plus et mieux, mais avec moins». Il a demandé en conclusion s'il ne convenait pas aussi de retenir le concept de prix abordables pour les consommateurs, stables et rémunérateurs pour les producteurs. »
[24] Une déclaration qui vaut d'être encadrée :
« M. LÁZARO PARY (Mouvement indien «Tupaj Amaru») a rendu hommage à l'ancien Rapporteur spécial sur le droit à l'alimentation, le professeur Jean Ziegler, qui a eu le courage d'incarner ce droit dans le contexte d'une mondialisation dans un monde en crise permanente, régi par un modèle de développement de production et de consommation insupportable, par la logique destructrice des lois du marché et par la voracité des sociétés transnationales. Le représentant a souligné que l'agriculture mondiale était dominée par dix grandes entreprises agro-industrielles du Nord qui contrôlent la production, la commercialisation et la distribution des produits de première nécessité. »
[25] Et une autre :
« MME ZAHRA SHAKUR JAMAL (Human Rights Advocates) a demandé au Rapporteur spécial sur le droit à l'alimentation s'il envisage de s'intéresser au concept de souveraineté alimentaire, soit le droit des personnes à une alimentation saine et produite localement. La représentante a estimé qu'en méconnaissant le principe de la souveraineté alimentaire, les États donateurs compromettent le gagne-pain des populations aidées. La représentante a cité à cet égard l'exemple d'Haïti, dont la production alimentaire locale ne couvre plus que 42 % des besoins en 2008, contre 80 % dans les années 1980. »
[26] Pour les derniers (A/65/281 et A/RES/65/220), voir :
http://daccess-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/N10/482/31/PDF/N1048231.pdf?OpenElement
http://daccess-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/N10/525/75/PDF/N1052575.pdf?OpenElement
[27]
http://www.srfood.org/index.php/fr/component/content/article/1-latest-news/1394-g20-agriculture-5-priorities-to-end-food-crises
[28] G20 : le plan d’action oublie les causes du problème
http://www.srfood.org/index.php/fr/component/content/article/1-latest-news/1424-g20-action-plan-addresses-the-symptoms-not-the-causes-of-the-problem
[29]
http://agriculture.gouv.fr/IMG/pdf/2011-06-23_-_Plan_d_action_-_VFinale.pdf
[30] J’ai créé ma maison de production pour mon prochain film (et livre) Appel à souscriptions!
http://robin.blog.arte.tv/2011/05/04/1081/
[31] Traduit par nous de l'anglais. Comme souvent, le sous-titrage est approximatif chez Mme Marie-Monique Robin (mais, dans le cas présent, le sens général y était).