Bona fama, un remède étymologique ? par Jorj X. McKie
Il y a quelques années, je m'étais amusé avec l'origine de l'expression « remède de bonne femme ».
À l'époque, une camarade férue d'aromathérapie m'avait instruit que cette expression ne voulait pas dire « remède à deux balles », mais « remède de bonne réputation ».
Clic, clic et 3 bouquins plus tard, il apparaissait que cette hypothèse ne reposait sur rien. Enfin sur rien, n'est pas exact. La toile internet, sites et forums commençaient à répercuter l'idée que « remède de bonne femme » venait du latin « bona fama » c'est-à-dire « bonne réputation ». Aujourd'hui, faites une recherche avec « bona fama » et « remède de bonne femme », vous trouverez quoi ?
En première intention, un nombre important de sites divers et variés qui annoncent que c'est une erreur de traduction du latin ou de l'italien, et qu'il faut comprendre que ce sont en fait des remèdes de bonne réputation qui ont des « vertus » qu'une médecine scientiste et misogyne méprise.
Désolé, chers clients adeptes des médecines non conventionnelles ; c'est du flan. Je sais l'hypothèse de la mauvaise traduction et du glissement sémantique de fama (renommée) à femme est séduisant, mais ne tiens pas la route.
L'expression « remède de bonne femme » s'accorde bien avec celle d'une thérapeutique populaire et empirique ou comme l'écrit au XIXe, Pierre Larousse dans son dictionnaire à : « des remèdes populaires ordonnés et administrés par des personnes étrangères à l'art de guérir », ou Littré à la même époque : Familièrement, remède simple et populaire, et qui ne produit aucun effet.
Les premières apparitions de l'expression « remède de bonne femme » sont avérées au moins depuis le XVIIe ; par exemple dans le traité « La Médecine et la Chirurgie des Pauvres » de Nicolas Alexandre en 1714, et déjà utilisé dans une forme dépréciative : « ...de passer eux-mêmes pour des médecins à remèdes de bonnes-femmes ; car c'est ainsi qu’on les appelle pour les rendre méprisables. »
De plus l'expression « bonne fame », dans le sens, bonne renommée, n'était plus utilisée à cette époque, sauf dans un sens très particulier : « Fame: Renommée, réputation ».
Il n'est en usage que cette phrase combine fame et renommée. « Restabli en sa bonne fame & renommée » nous rappelle le dictionnaire de l'Académie de 1694.
Je vous entends déjà. Les vieux séniles de l'académie ne sont pas infaillibles. Sûrement, mais le fait est que l'on ne retrouve aucune source dans les textes de l'emploi de « remède de bonne fame" ou même de « remède de bonne femme » dans le sens de remède de bonne réputation, ce qui pose un sérieux problème à cette hypothèse, non ? Si vous avez des sources...
Et je vous ferais grâce des autres problèmes de glissements sémantiques pour arriver à « femme » avec un « e » et deux « m ».
Par contre, cette expression suit bien l'évolution et la dépréciation du terme « bonne femme » que l'on retrouvera aussi dans « conte de bonne femme ». Qui je vous l'accorde bien volontiers, marque une certaine misogynie de l'époque.
Une autre opposition à l'hypothèse de bonne réputation vient avec les expressions utilisées dans les langues de nos voisins :
en anglais, old wives' remedy ; en espagnol, remedio casero ; en italien, rimedio empirico ; en allemand, Hausmittel.
Qui vont toutes dans la même acceptation de remède empirique et populaire.
En quelques années cette pseudo étymologie a envahi le net, les forums et la presse.
Il y a au moins trois raisons pour qu'elle continue à se répandre.
Tout d'abord avec les utilisatrices qui y trouvent une justification de leurs thérapeutiques et une possibilité de détourner les sarcasmes.
Ensuite par les magazines féminins qui ne ratent pas une occasion de flatter l'ego de leurs lectrices. « Parce que vous le valez bien ». Sans compter que beaucoup de leurs rédactrices font aussi partie des utilisatrices précitées. Et puis rajouter une petite dose de féminisme, ça ne fait pas de mal.
Enfin, et surtout par les promoteurs et vendeurs de nouvelles anciennes médecines et produits adéquats, qui utilisent ces mêmes ressorts psychologiques, mais pour une cause beaucoup plus mercantile.
« Par ce que vous le rapportez bien ».
Et eux, ne devraient sûrement pas jouir d'une bonne fame.
Jorj X. McKie
Références:
Pierre Larousse 1866-1877 p920
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k205365n/f924
Aujourd'hui on ne retrouve l'expression que dans « mal famé »
Le Littré : http://francois.gannaz.free.fr/Littre/xmlittre.php?requete=femme
BernardCerquiglini : http://www.tv5.org/TV5Site/lf/merci_professeur.php?id=4102&id_cat=
Sur le net: http://tatoufaux.com/?Les-remedes-de-bonne-femme