Sophismes ou réels paradoxes ?
Etymologiquement, paradoxe (para-doxa) signifie contraire à l’opinion commune.
D’un point de vue rationaliste, il convient de faire la distinction entre les vrais paradoxes qui vont à l’encontre de nos idées reçues, de ce que notre intuition nous incline à considérer comme
vrai, et les sophismes, c’est-à-dire des propositions fausses qui reposent sur des raisonnements en apparence valides.
Les premiers sont des descriptions de lois ou de phénomènes réels qui gouvernent le monde naturel et auxquels la pensée logique, analytique ne peut, au moins momentanément
fournir d’explication. Les seconds sont tout simplement des fils de raisonnements biaisés qu’il convient de trancher.
Dans le cas des premiers, la contradiction est dans les choses décrites, dans les seconds, c’est le raisonnement lui-même qui est contradictoire, bancal, tout simplement.
Ici le rationalisme scientifique décrit des vrais paradoxes comme autant de défis lancés à la connaissance, là, le sophiste se gargarise en introduisant des contradictions là où il n’en existe
généralement pas. Pour résumer, c’est la différence entre la pensée dialectique et la théorie du Yin et du Yang, qui comporte malheureusement beaucoup plus d‘adeptes.
Au rang des sophismes, donc des impasses de la pensée et des errements de l‘intelligence, nous pouvons , me semble-t-il , ranger par exemple le paradoxe dit de Zénon. Tirez une
flèche en direction d’une cible, et vous pouvez parfaitement « démontrer » à la manière de Zénon que la flèche n’atteindra jamais celle-ci. Arrivée à mi-chemin, il lui reste encore la
moitié du chemin à parcourir. celle-ci parcoure ensuite la moitié de la moitié du chemin , puis la moitié de la moitié, etc..
Posons que la distance est égale à 1, l’unité n’ayant aucune importance.
Mathématiquement, le « paradoxe » se présente ainsi :
La somme des distances parcourues « par moitiés restantes» tend asymptotiquement vers 1, sans jamais être égale à 1. Il est donc impossible d’atteindre la cible.
Ce raisonnement en apparence impeccable est en fait absurde. Car posons cette fois la cible à mi-distance, on peut exactement de la même façon démontrer que la flèche n’atteindra jamais non plus sa cible , ce que Zénon n’a pas pourtant pas envisagé dans sa démonstration! Son erreur consiste à nier le mouvement, en le pensant comme une succession de positions fixes .
Ce sophisme à toutefois le mérite à de nous forcer à reconnaître la difficulté à appréhender la notion de mouvement avec les limites du langage. Au-delà, la valeur du paradoxe est nulle. Tout le monde sait en effet, et peut vérifier expérimentalement que pourvu que l’impulsion donnée à la flèche soit suffisamment forte, elle atteindra sa cible. Le paradoxe de Zénon consiste donc à créer un problème là où il n’y en a pas.
Certains paradoxes dits « pragmatiques » sont particulièrement amusants à manier et ont fait le bonheur des logiciens. Jouer avec l’absurde est un excellent exercice pour se forger une bonne logique, voilà un réel paradoxe que nous venons de découvrir et qui nous laisse pantois ! Parmi les paradoxes pragmatiques, le célèbre slogan de Mai 68 : Il est interdit d’interdire. Il n’est pas sûr que tous les adeptes du slogan en aient vraiment mesuré l’absurdité.
Est un paradoxe pragmatique tout énoncé qui est contredit par l’acte même de son énonciation . Dans ces cas, alors que la
logique suggère qu’une proposition peut être soit vraie soit fausse, on ne peut concevoir de situations qui la rendrait vraie dans le cas des paradoxes pragmatiques.
Exemple : Je mens toujours ne peut pas être vrai, car supposer que c’est vrai contredit l’énoncé, puisqu’il suffit d’une fois pour rendre faux le toujours.
Alors si nous en venions aux vrais paradoxes ? Il me semble que tous les vrais paradoxes,
fidèles à l’origine étymologique du terme, ont en commun de démentir l’inclination que nous avons tous à imaginer que des lois vraies à un certain niveau d’organisation de la nature le sont à
d’autres niveaux.
Les paradoxes de la physique en sont sans doute la meilleure illustration : les lois de la physique des particules contredisent celles observées au niveau macroscopique. Ces paradoxes, que la
physique constate, sans être jusqu’à présent capable de proposer une théorie du tout, ne constituent un attentat pour la pensée rationaliste. Ils sont par contre une source inépuisable
d’inspiration pour les mystiques et les adeptes de la pensée magique qui n’admettent pas l’impossibilité de transposer des lois d’un niveau à un autre. C’est donc tout naturellement qu’ils
prennent au pied de la lettre des métaphores pédagogiques (les « expériences de pensées ») tels que le chat à moitié vivant à moitié mort de Schrödinger. Cette expérience de pensée
utilisée pour illustrer le fait que nous n’ayons qu’une connaissance probabiliste des états quantiques, suppose un chat enfermé dans un dispositif contenant une substance radioactive qui en se
désintégrant, actionne un mécanisme qui empoisonne le chat. Au bout d‘un certain temps, il se peut que des désintégrations aient eu lieu, tuant le chat, mais il se peut tout aussi bien qu’aucune
désintégration n’ait eu lieu. D’un point de vue probabiliste, le chat est à 50% mort, à 50% vivant ,explique en gros Schrödinger :« la fonction psi du système (l’objet mathématique qui
caractérise l’état quantique du système) exprimerait cela de la façon suivante : en elle, le chat mort et le chat vivant sont (si j’ose dire) mélangés ou brouillés en proportions
égales »
Avec du recul, il n’est pas certain que ces expériences de pensées qui ont accompagné la vulgarisation des concepts de la physique depuis la fin du 19ème siècle aient atteint leur objectif, peut-être même ont-elles eu l’effet inverse de celui recherché. Les mystiques se sont empressés de comprendre l’expérience au pied de la lettre pour en déduire qu’un être pouvait à la fois être mort et vivant. Des lois quantiques, (ou celles formulées par la théorie de la relativité) dont le sens n’est pas réellement compris sont détournées pour justifier des théories elles parfaitement farfelues.
Dans d’autres domaines que la physique, ont été démontrés des paradoxes intéressants , et qui tiennent aussi de
l’impossibilité de transposer des choses vraies à un certain niveau d’organisation qui ne le sont plus à un autre. Un paradoxe sociopolitique exemplaire de ce point de vue est celui de Condorcet
: Des relations de préférence qui son transitives au niveau individuel ne le sont plus au niveau collectif , c’est-à-dire quand on agrège les préférences des individus:
Soit 3 projets A,B et C soumis au vote. Individuellement, si je préfère A à B et B à C, alors je préfère A à C.
Dans un certain nombre de situations, cette relation transitive ne se retrouvera pas au niveau des votes : Prenons 3
individus (le symbole > exprimant la relation de préférence):
Individu 1 : A > B > C
Individu 2 : C > A > B
Individu 3 : B > C > A
Nous voyons que collectivement A est préféré à B (2 votes contre 1) , B à C (2 votes contre 1), et pourtant C est préféré à A.
Ce paradoxe dont l’enseignement est qu’il est impossible dans certaines situations de déterminer des préférences collectives par un vote, n’est sans doute pas ignoré des vieux routards de la politique, en particulier dans les partis politiques friands de motions politiques , de résolutions ou de candidats concurrents. Vox populi ne résout pas tout, loin de là.
Je terminerai par le paradoxe si à la mode de la « science citoyenne ». S’il s’agissait d’apporter plus de culture scientifique au citoyen, de lui présenter dans un langage accessible les principaux acquis de la connaissance scientifique afin de l’aider dans ses choix, on ne pourrait qu’y souscrire. Mais ce n’est pas cela, la science citoyenne. La science citoyenne , est une contradiction dans les termes maniée par des sophistes . La connaissance (Logos) ne peut s’édifier qu’indépendamment de l’opinion (Doxa) , et doit parfois s’édifier contre elle. Il n’y a pas un seul acquis de la science qui soit un produit de l’opinion, de ce qu‘a pensé à moment donné une majorité de citoyens. Nous constatons aujourd’hui à quel point le fait de revendiquer que la vérité scientifique soit tranchée par les citoyens est un terrain de manipulation majeure pour les ratés de la science ou pour les charlatans avérés.
Je n’avais pas ici la prétention de faire le tour de tous les paradoxes, « vrais » ou « faux »,
d’autant plus que la signification exacte de certains paradoxes surtout physiques m ’ échappent probablement. Mais réfléchir sur les paradoxes me parait être un
exercice à la fois divertissant et enrichissant. Apprendre à faire le tri entre les vrais paradoxes et les sophismes et autres errements intellectuels est d’autre part un bon
entrainement à l’esprit critique.
Anton Suwalki
PS : Je remercie chaleureusement Monsanto et la CIA de m’avoir accordé quelques heures de loisir afin d’élaborer cet article sans rapport avec mes tâches grassement rémunérées de persécuteur de MMR et de marketeur viral