Consommer local ? Le bonheur n’est pas toujours dans le près !
C’est dénoncé comme
un scandale et rabâché comme une évidence : le consommateur mange trop de denrées qui viennent de trop loin, et le développement des transports et des échanges lui permet en plus de s’affranchir
des saisons qui dictaient encore il y a quelques décennies ce qu'il y avait dans nos assiettes au quotidien. Ainsi voit-on régulièrement des cuisiniers médiatiques dénoncer ces produits sans goût
qui viennent de loin ou un magazine tel que Politis emprunter des accents villiéristes pour vitupérer les « fraises pourries » venues d‘Andalousie (1). Discutez avec un écologiste,vous
échapperez rarement au couplet « combien de kilomètres dans votre assiette ? » .
Bien sûr , mes crudités ont parcouru 600 Km depuis Marmande, mes fraises 1200 depuis l’Espagne, et qui sait, mes 3 côtelettes d’agneau 15 000 depuis la Nouvelle-Zélande ? Est-ce bien raisonnable ? Quel est bilan énergétique et le bilan CO2 de mon repas de consommateur « écologiquement irresponsable » ?
Or, seul l'examen des alternatives possibles à ce mode de consommation permet d'en juger .Car l’alternative proposée par les écologistes - consommer les produits du terroir, consommer local renoncer aux produits hors saison- outre qu’elle implique des restrictions des choix et des inégalités accrues entre consommateurs limités par les possibilités nourricières de leur territoire, n’aurait pas nécessairement l’impact énergie/ carbone attendu .
Comment , nous rétorquera-t-on ? Consommer uniquement les aliments produits de provenance locale_mettons jusqu’à 25 kilomètres à la ronde_ plutôt des produits transportés sur des centaines voire des milliers de kilomètres, voilà qui économiserait des quantités considérables d’énergie et éviterait autant d’émissions de gaz à effet de serre, assure-t-on. Oui, parfois, mais pas nécessairement !
Méfions-nous des arguments qui semblent frappés du coin du bon sens mais pas toujours étayé par des données précises.
Dans le cas de l’acheminement par avion de denrées alimentaires, cette affirmation est indiscutable : avec 406 gep /tonne.km (2), et 1220 kg/t.km de CO2, l’avion est de très loin le mode de transport le plus coûteux et le plus polluant . Le renchérissement attendu du prix du pétrole dans les décennies à venir, si la crise mondiale ne plonge pas de force l’humanité dans la décroissance, mettra peut-être mécaniquement un frein à ce mode de transport des marchandises .
Pour le reste… le bonheur écologique n’est pas forcément dans le près ! Une étude menée en Angleterre (3) a en effet établi que la moitié des émissions de carbone induite par l’achat d’aliments l’était par le transport de proximité.
Un réseau de distribution de proximité utilise essentiellement des véhicules utilitaires légers ou au mieux des poids lourds de faible tonnage, tandis que les transports sur longue distance même effectués par route (ce qui est bien sûr loin d‘être la panacée), représentent déjà des économies d’échelle : Un poids lourd de 25 tonnes ou plus consomme 4,7 fois moins d’énergie et émet environ autant de fois moins de CO2 qu’un véhicule utilitaire léger).
A juste titre, les écologistes critiquent néanmoins la suprématie du transport routier sur le rail : il est vrai que tant le coût énergique que le coût carbone du transport ferroviaire, à plus forte raison sur un réseau entièrement électrifié alimenté à 90 % par des centrales nucléaires et des barrages hydro-électriques comme c‘est le cas en France, est considérablement plus faible que celui du transport par poids lourd . Mais c’est alors d’autant plus vrai par rapport au coût du modèle « consommer local » qu’ils appellent de leurs vœux : le rapport transport par train/ transport par utilitaire léger est de l‘ordre de 1 à 20 pour la consommation d’énergie et de 1 à 60 pour les émissions de CO2.
Il resterait à élaborer les modèles d’optimisation des réseaux de transports de marchandises, mais des zones de cultures spécialisées et à forte productivité directement reliées par le rail aux grands centres de distribution urbains peuvent être dans certains cas « meilleures pour la planète » , à plus forte raison dans le cas d’aliments importés de loin mais qui nécessitent peu d’énergie pour être produits . Réaliser l’idéal du produire et consommer local , des rapports directs producteurs/consommateurs, conduirait à multiplier les petits flux de déplacements pour se ravitailler ou achalander les petits commerces, à moins de se contenter d’un panier de consommation réduit tant en quantité qu’en variété (ce que l’agriculteur ou son relais commercial le plus proche serait en mesure de fournir).
Ce modèle du produire/consommer local remet enfin en cause la division du travail et les spécialisations régionales poussées en cultures et élevages destinés à des marchés nationaux et internationaux : il n’y aurait plus de place dans ce modèle pour les grands élevages porcins bretons, les grandes cultures maraîchères du Sud-ouest ou les cultures céréalières de la Beauce. Comment faire faire marche arrière à cette agriculture à haut rendement et la reconvertir en agriculture de proximité ? Qui financerait la reconversion des agriculteurs, qui supporterait financièrement les lourdes pertes de rendements ? Qu’adviendrait-il des ouvriers agricoles employés dans certains pays du Sud (particulièrement l’Amérique du Sud) dans des cultures destinées pour l’essentiel à l’exportation ?
Soyons clairs : il ne s’agit pas de rejeter une rationalisation des transports qui tiennent mieux compte des dépenses énergétiques et des émissions de gaz à effet de serre. Il s’agit de souligner que les solutions généralement admises comme allant de soi sont très simplistes, pourraient dans certains cas aggraver les problèmes qu’elles prétendent combattre, et omettent surtout de préciser au-delà des problèmes qu’elles sont censées cibler comment on y parviendrait et quel serait leur coût économique global et donc humain (4). Produire et consommer local, au prix de quels sacrifices matériels ?
Vivent les achats de proximité… surtout lorsqu’il s’agit d’aller flâner un dimanche matin sur un marché populaire, d’acheter soi-même dans une fruitière locale son morceau de Comté, ou de choisir le calibre de ses asperges chez le petit producteur du coin. Un plaisir indiscutable pour beaucoup d’entre nous, surtout lorsque par ailleurs l’essentiel de nos courses de la semaine ou la quinzaine a pu été effectué en une seule fois et en un seul endroit pour un coût relativement modique. Mais de grâce, invoquons le plaisir, pas un bon sens écologique extrêmement douteux.
Anton Suwalki
Notes :
(1) lire notamment : http://imposteurs.over-blog.com/article-19313899.html
(2) gep /t.km =gramme équivalent pétrole par tonne transportée sur une distance d’un kilomètre pour un moyen de transport donné.
Données chiffrées du bureau d’études Explicit.
Voir aussi le site de Jean-Marc Jancovici. http://www.manicore.com/ dont les données sont moins détaillées sur ce plan mais convergentes.
(3) Cité par Jean de Kervasdoué dans Les prêcheurs de l’apocalypse . Lire la note de lecture de Michel Naud au sujet de ce livre :
http://www.pseudo-sciences.org/spip.php?article849
(4) Parfaitement typique de cette insoutenable légèreté, les Verts manifestant en Mars 2007 contre le programme nucléaire EPR avaient distribué un tract dans lequel ils plaidaient avec le plus grand sérieux en faveur d’un vaste projet « alternatif » éolien qui pourrait pourvoir aux mêmes besoins tout en fournissant …15 fois plus d’emplois ! Imaginons généraliser ce principe à l’ensemble de l’économie et une division globale de 15 de la productivité du travail : Certes, plus trop de chômage ! Mais en toute logique, ramener l’efficacité du travail à ce qu’elle était au 19ème siècle , c’est même si l’on imaginait supprimer les revenus du capital faire reculer d’à peu près autant le niveau de vie et de consommation !