OGM indiens et suicides : mythe ou réalité ? (2)
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En dépit des résultats globalement très favorables de l’adoption du coton BT en Inde examinés dans la première partie de cet article, la thèse de suicides massifs provoqués par les OGM est maintenue et martelée sans cesse par les anti-OGM. La nuance le doute et le goût de la vérité objective n’étant pas de mise dans ce milieu, y aurait-il néanmoins une part de vrai dans ces affirmations ?
Les chercheurs de l’IFPRI ont observé qu’il manquait de données suffisamment fines pour étayer directement cette accusation qui repose uniquement sur des histoires individuelles de suicides qu’on a attribué aux OGM , et non sur une analyse de données quantitatives susceptibles d’établir, sinon la preuve, du moins une corrélation certaine entre OGM et suicides. Aucune des bases de données disponibles sur ces suicides ne fournit des caractéristiques individuelles des paysans concernés, à commencer par le fait élémentaire de savoir si les paysans qui ont commis cet acte de désespoir cultivaient ou non du coton BT, l’avaient abandonné etc…
Les auteurs soulignent dans ces conditions qu'ils ne peuvent fournir de preuve que de second rang sur le rôle possible (et hypothétique) du coton BT dans le processus qui a pu conduire localement des paysans au suicide.
A l’échelle nationale, les statistiques de suicides annuels après 2002 sont nettement en dessous de la tendance qui prévalait avant l’introduction du coton BT : c’est également plus clairement le cas dans la plupart des états producteurs de coton, où les suicides ont nettement diminué alors que les cultures BT s’étendaient suggérant une amélioration de la situation des agriculteurs.
Le cas du Gujarat , état très agricole qui compte plus de 50 millions d’habitants et qui présente des similitudes climatiques et socio-économiques avec le Maharastra (présenté avec l‘Andhra Pradesh comme le théâtre de suicides massifs), est révélateur de l’absence de l’absence d’une relation claire entre l’adoption du coton BT et les suicides de paysans. 3ème état en 2006 en terme de surfaces de coton BT cultivé, il est de ceux qui compte un des plus faibles nombre de suicides (moins de 3% de l’ensemble des suicides du pays).L’état du Maharastra ne déroge pas à la tendance nationale : les 2 pics de suicides de 2004 et 2006 se situent en-dessous des projections de tendance des années 1997-2002.Le cas de l’Andhra Pradesh est plus ambigu : la courbe d’évolution des suicides est moins régulière qu’ailleurs, mais le nombre de suicides est nettement au-dessus de la tendance 1997-2002 pour les années 2004-2005-2006. Sur cette base, les chercheurs de l’IFPRI estiment qu’ils ne peuvent pas rejeter l’hypothèse d’un lien partiel entre adoration du coton BT et augmentation des suicides dans le cas de cet état.
Encore faut-il passer en revue tous les facteurs qui peuvent concourir à une dégradation de la situation économique des paysans : L’endettement qui touche la moitié des paysans indiens et davantage dans les régions cotonnières, est un problème qui n’a rien de nouveau.
Des facteurs très mutiples , aussi bien physiques (aléas climatiques, précipitations, qualités et adaptation des semences au milieu), qu’économiques (prix d’achat des intrants , prix de vente des récoltes), institutionnels (types de créanciers, intervention de l’État, soutien aux prix…) ou humains (savoir-faire, capacité à assimiler les nouvelles technologies), peuvent concourir à aggraver l’endettement des paysans et leur solvabilité.
Dans les états du Maharastra et de l’Andhra Pradesh et plus particulièrement dans certains districts, la saison 2002/2003 particulièrement sèche, a suivi une saison marquée par des prix de vente du coton particulièrement bas. Ces deux mauvaises saisons successives pourraient avoir accru significativement le niveau d’endettement des paysans. 2004/2005 combine une saison relativement sèche et des prix bas. On constate par ailleurs qu’à ces mauvaises années, les prix de soutien n’ont pas répondu à la hauteur des difficultés rencontrées par les paysans . Autre élément qui souligne la défaillance des pouvoirs publics : alors qu’au cours des dernières années , les cultures marchandes ont gagné sur les cultures vivrières, un tel changement n’a pas été accompagné d’un programme de construction de systèmes d’irrigation adaptés : l’investissement public dans ce domaine a au contraire reculé dans les années 90.
Tous ces facteurs n’auront , on l’aura compris pas grand chose à voir avec le caractère GM d’une partie croissante des cultures cotonnières . Même en Andhra Pradseh, le coton BT qui ne représentait que des surfaces marginales en 2002,ne peut avoir joué de rôle significatif dans le pic de suicides de cette année. En impliquant des semences au coût plus élevées, il peut avoir toutes choses égales par ailleurs aggravé la situation dans certains districts en 2004. Ce d’autant plus que des variétés de semences officielles utilisées étaient inadaptées aux conditions locales, et que l’éducation des paysans aux bonnes pratiques culturales faisait défaut. Dans le même temps, le succès plus général du coton BT aboutissaient à un engouement très rapide de semences BT locales bien meilleur marché que celle de Monsanto, et échappant totalement à son contrôle . Il se peut que ce que les paysans ont gagné en prix de revient des semences GM ait été perdu par une qualité moins stable et moins homogène avec à la clef de moindre rendement (1).
Rappelons le une fois encore, l’ensemble des données et des faits observés par les auteurs amène naturellement à la conclusion qu’en moyenne, les cultures BT ont amené des meilleurs résultats que les cultures conventionnelles. Données physiques (rendements), financières (retours nets très positifs des cultures BT en moyenne, y compris en Andhra Pradesh) comme épidémiologiques (tendance à la baisse du nombre de suicides de paysans en Inde depuis l’introduction du coton BT) convergent dans ce sens.
L’idéologie des anti-OGM ignore superbement cet aspect général, les effets globalement positifs des OGM sur la situation des paysans indiens, pour focaliser sur des situations locales tragiques où les OGM n’ont certes pas amélioré le sort des paysans mais ont pu au contraire s’ajouter à l’ensemble des facteurs qui ont concouru à l’aggravation de leur condition.
Rétablir la vérité, qui n’est pas toujours simple ou unilatérale, contre cette exploitation cynique de ces actes de détresse va au-delà de l’intérêt scientifique qu‘on peut porter aux biotechnologies,c’est un devoir éthique. Les paysans indiens, qui ont cultivé en 2007 plus de 6 millions d’hectares de coton BT, participent à leur façon et par leur choix au rétablissement de la vérité concernant ces suicides.
Anton Suwalki
(1) extrait d’un article sur le marché parallèle des semences BT en
Inde mentionné précédemment par Canardos :
"Au Gujarat [Nord-Est de l'Inde], toute l'industrie des semences s'est transformée en un gigantesque
laboratoire pirate au sein duquel des agriculteurs mélangent et croisent des variétés locales avec des OGM pour développer leurs propres hybrides (non agréés) de coton transgénique. Ceux-ci sont
ensuite empaquetés et vendus clandestinement aux paysans : ils les délivreront d'un parasite, le ver de la capsule du coton, ou bollvorm. C'est la conséquence d'événements qui se sont déroulés il
y a deux ans, quand le Gujarat a donné naissance au "Robin des bois de la biotechnologie", D.B. Desai. Celui-ci a créé et vendu une version non agréée de semences de coton Bt [modifié avec un
gène de la bactérie Bacillus thuringiensis], alors que le coton commercialisé sous le nom de Bollgard en Inde par Mahyco Monsant Biotech [un joint-venture de Monsanto] faisait l'objet d'essais
laborieux depuis sept ans. Tout a commencé en 2001, quand le biologiste indien proposa aux paysans sa variante de la technologie OGM, qu'il appela Navbharat 151, et ce à un prix abordable (il
vendait ses produits 400 roupies [7 euros] les 450 grammes, tandis que Monsanto les vendait 1 600 roupies). Peu de temps après, une multitude catastrophique de parasites s'abattirent sur les
champs de coton et détruisit les cultures classiques. Au contraire, la résistance des plants OGM déclencha l'euphorie des paysans, qui, depuis, considèrent Desai comme un demi-dieu. En dépit de
l'ordre du Comité indien d'agrément du génie génétique [Genetic Engineering Approval Committee, (GEAC), qui autorise ou interdit les OGM dans le pays] de brûler ces plantes, les pouvoirs publics,
craignant de faire face à des émeutes, ont fermé les yeux. Lorsque la controverse a finalement éclaté, Desai est entré dans la clandestinité, mais des centaines d'agriculteurs avaient multiplié
et revendu ces lignées à d'autres cultivateurs. "Il y a maintenant un Desai dans chaque maison et des semences de Bt dans chaque ferme", affirme avec satisfaction V.B. Patel, agriculteur dans le
Mansa, au cœur de l'industrie des semences de coton de l'Inde du Nord.
Aujourd'hui, de petits cultivateurs et des hommes d'affaires entreprenants ont repris le flambeau pour tirer profit de la demande suscitée par Desai. Dix marques sont disponibles, dont Rakshak,
Maharakshak, Viraat, Agni ou encore Navbharat 151. Certains de ces Robin des bois sont organisés : ils mettent les graines sous emballage et les vendent à des prix exorbitants, légèrement
inférieurs aux tarifs proposés aux cultivateurs pour le Bollgard. Lors d'une enquête, des agriculteurs du village de Gauridal, dans le district de Rajkot, ont montré un paquet de Rakshak de
couleur orange. On ne peut y lire aucune adresse d'un quelconque fabricant, mais y figure un extrait de la loi qui autorise les échanges de semences entre cultivateurs. Le produit se vend 1 300
roupies les 450 grammes. Malgré l'absence d'adresse, tous les paysans de la région savent d'où il provient : de l'homme d'affaires Nattubhai Makaria, installé à Junagarh. Makaria, qui jusqu'à
l'année dernière vendait encore des pesticides, a employé certains des meilleurs cultivateurs pour fabriquer du Rakshak. La variété mâle est la même que pour le Navbharat 151, tandis que la
variété femelle est locale. De toute évidence, il est de ceux qui ont acheté les lignées d'origine juste après que la controverse a éclaté. Il propose cette année un autre hybride, appelé
Maharakshak. Quant à Desai, il déclare : "Je suis heureux que les agriculteurs puissent accéder à cette technologie à un prix bon marché. Peu importe si d'autres se font de l'argent sur mon dos."
Dans ses bureaux d'Ahmadabad, il reçoit encore des centaines d'appels pour son Navbharat 151 et continue d'espérer que les pouvoirs publics reconnaîtront que ces semences sont bénéfiques et leur
accorderont un agrément "dans l'intérêt des paysans".
Il faut préciser que, une fois que la semence d'origine se trouve chez un cultivateur, la conception d'une semence de coton Bt maison n'est qu'un jeu d'enfant. Il suffit de séparer les semences
mâles et femelles, de prendre le mâle Bt et de le croiser avec une variété femelle robuste. La multiplication des hybrides était à prévoir en Inde, car on sait que les agriculteurs mettent de
côté les semences à des fins d'expérimentation. Mais Mahyco Monsant Biotech ne peut s'en prendre qu'au GEAC, car la législation internationale sur les brevets n'est pas encore entrée en vigueur
en Inde. [Les accords sur la propriété intellectuelle de l'OMC prévoient que ce soit le cas à partir de 2009]. On a observé le même phénomène avec des médicaments génériques, par exemple lors de
l'introduction de traitements contre l'hépatite B dans le pays.
Cette année, les autorités de l'Etat ont une fois de plus fermé les yeux. En dehors de quelques interventions symboliques, rien n'a été fait pour stopper le processus. "On ne peut rien contrôler
à une aussi grande échelle. Quand nous nous rendons dans les champs, nous devenons des cibles car on nous reproche de priver les agriculteurs d'une technologie avantageuse", déclare A.K. Dixit,
directeur de l'agriculture de l'Etat du Gujarat. Et, sur le terrain, dans cet Etat, des personnes bien informées affirment que seuls 10 % des 100 000 hectares de Bt qui vont être plantés cette
année le seront avec la semence agréée par Mahyco. Le reste le sera avec des variétés non agréées vendues sous le manteau, lorsque, par exemple, des Jeep chargées de ces semences arrivent au beau
milieu de la nuit pour conclure des affaires se chiffrant en centaines de milliers de roupies.
Traduit du « Indian Express » http://www.indianexpress.com/ d
ans le Courrier International N° 660 du 26 juin au 2 juillet 2003 (page 47)
http://www.courrierinternational.com/mag/couv2.htm "