OGM indiens et suicides : mythe ou réalité ? (1)

Publié le par Anton Suwalki

Nous allons ici parler d’une étude de l’IFPRI (International Food Policy Research Institute) publiée en Octobre dernier (1). Les auteurs tentent d’y faire le point sur les affirmations mille fois matraquées selon lesquels l’introduction du coton BT en inde en 2002 avait poussé les paysans à la ruine, et provoqué une épidémie de suicides. Cette étude, vous n’en entendrez pas ou très peu parler dans les médias. Devinez pourquoi ?

Comme dans le cas de l’étude analysée par Ryuujin, la plupart des journalistes ne sont qu’à la recherche d’un scoop vendeur, peu leur importe de connaître le contenu réel d’une étude par ailleurs bâclée ou au minimum non finalisée, du moment qu’ils peuvent extraire une phrase ou un chiffre qu’on leur communique qui puisse flatter les peurs du public, et même publier à propos de conclusions imaginaires comme l‘a fait le Canard Enchaîné à propos des souriceaux (nourris au maïs BT) soi-disant « rachitiques« . Rectifier par la suite le message n’a aucun intérêt ! Alors pourquoi se donneraient-ils la peine de se renseigner sur une étude qui essaye de discuter de manière équilibrée des OGM en Inde? Les OGM provoquent une vague de suicides en Inde, voilà qui a quand même plus de gueule comme titre !

Les auteurs de cette revue ont passé en revue toutes les publications et données statistiques disponibles. Qu’ont-ils découvert ?

Tout d’abord, à l’échelle nationale, la hausse des suicides paysans est un phénomène qui a débuté bien avant l’introduction du coton GM. De 13600 en 1997, on a assisté à une hausse année par année , pour atteindre près de 18000 suicides en 2002. Sur les ‘années suivantes correspondent à la diffusion massive des OGM : l’année 2004 correspond effectivement à un pic de suicides légèrement supérieur à 2002 (18200 suicides), les 3 autres années disponibles correspondent à un nombre de suicides… inférieurs à celui de 2002 ! (17100 en 2006). Données qu’ils convient bien sûr d’étudier à un niveau plus fin, mais cette seule réalité conduit déjà à se demander dans quelle mesure on ne s’est pas fait une fois de plus rouler dans la farine par les propagandistes anti-OGM. D’autant que leur compassion paraît très sélective ! En effet, la part des paysans dans le total des suicides est tendanciellement constante dans cette société par ailleurs bien oppressive, et le taux de suicide des paysans (oscillant autour de 1,5 pour 100 000) est très faible par rapport au taux de suicide de l’ensemble de la population (oscillant autour de 10,5 pour 100 000). Qui croira véritablement que les propagateurs de ces rumeurs sur l’ atroce sort des paysans ruinés par les OGM  s’intéressent vraiment à leur sort ?

Les auteurs ont donc cherché à déterminer dans la mesure des statistiques disponibles si à un niveau plus local, dans les principales régions cotonnières, il pouvait y avoir eu un effet spécifique coton OGM.

Quelque soit l’état étudié, le coton BT ne pouvait être incriminé pour 2002, année d’introduction de celui-ci : il ne représentait que quelques milliers d’hectares cultivés. Mais en 2004 , la superficie cultivée en coton GM atteignaient plus de 100 000 ha , et en 2006, 4 états possédaient une surface cultivée en cyon BT supérieure à 300 000 hectares, avec un record de 1, 8 Million d’ha pour l’état du Maharastra (18000 km2).

Le rationaliste se demande immédiatement : comment se fait-il que la ruée vers les maudits OGM qui pousseraient les paysans au désespoir continue, (et elle ne s’est pas arrêtée après 2006 si on en croit l’ISAAA) ? Les paysans indiens sont-ils particulièrement masochistes, ou idiots ? Des idiots, c’est du moins ce pour quoi les prennent les anti-OGM et nous par la même occasion!

Voyant les leurs se suicider en masse, comment se fait-il que des paysans toujours plus nombreux adoptent les OGM ? Encore les sources statistiques officielles dont sont tirés ces chiffres minimisent-elles sans doute le phénomène, vu le marché parallèle, qui n‘est pas sans poser problème et pourrait avoir eu localement des effets pervers, nous y reviendrons.

Et si tout simplement, c’était parce que les paysans indiens étaient plus intelligents que les intellectuels mondains de la mouvance écologiste et anti-OGM , et avaient réalisé que les OGM n’étaient pas le problème à l’origine de la détresse qui frappaient leur collègue étranglés par l’endettement, mais éventuellement un moyen de mieux s’en sortir ! Reste à établir que tel était vraiment le cas.

Concernant l’effet positif du coton OGM sur les rendements , ça ne fait globalement, aucun doute : Dans tous les états indiens producteurs de coton les rendements (certes très variables d’un état à ‘l’autre) ont augmenté depuis l’introduction du coton BT, et très nettement si on compare 2006 à 2002.

Les courbes de rendements -ont fait un bond particulièrement spectaculaire dans l’ état du Gurajat.

Mais un état, l’Andra Pradesh, a connu une évolution des rendements plus incertaine, avec même des rendements inférieurs en 2004 à ceux de 2002 pour finalement enregistrer un très net redressement ultérieurement. Un doute légitime s’installe sur le fait que localement, l’introduction des OGM ait pu au moins ponctuellement contribuer à l’aggravation de la situation des paysans.

Au-delà, si l’amélioration des rendements représentent nécessairement un bénéfice économique objectif au niveau de la société toute entière, elle ne signifie pas nécessairement que les principaux acteurs de ce progrès économique, en tirent eux-mêmes une amélioration de leur revenu . Qu’en est-il pour les producteurs de coton indien ?

Les éléments qui déterminent pour un agriculteur adoptant une plante BT les gains de revenus dépendent bien sûr des rendements supérieurs ou pas , mais aussi de l’évolution de ses charges-quantité et prix de ses intrants , prix des semences- et des prix auxquels il peut vendre sa récolte.

Sur ce point les auteurs se sont prêtés à une estimation basée sur les publications « per-rewied » disponibles et ont estimé des « retours nets » importants pour les paysans ayant adopté les OGM (2): Ces retours nets iraient de 40% pour les agriculteurs de l’Andra Pradesh à 176% pour ceux du Tamil Nadu (soit presque un triplement de leur revenu !. On suppose quand même qu’il y a bien des agriculteurs français au bord de la faillite qui aimeraient bien être victimes d’un « fléau » pareil !

Pour autant, et c’est là qu’on fait toute la différence entre une véritable étude socio-économique et un discours propagandiste, les auteurs soulignent les biais possibles de leur estimation , et par là même une surestimation possible de ces « retours nets » :

La comparaison des résultats producteurs OGM/non OGM ne se fait pas dans le cadre d’études avec des échantillons randomisés (3), et l’adoption des OGM pourrait être le fait des agriculteurs initialement les plus productifs (et peut-être donc les plus ouverts à l‘innovation), si bien que les mêmes continuant à produire avec du coton conventionnel non OGM auraient eu des résultats supérieurs.

L’ampleur des gains liés à l’adoption des OGM pour les paysans indiens est donc affectée d’une marge d’incertitude, néanmoins toutes les données examinées dans cette étude semblent indiquer au minimum que la situation globale des paysans indiens s’est plutôt améliorée avec l’introduction des OGM, contrairement à ce qu’affirme la propagande. Nous verrons dans la deuxième et dernière partie comment les auteurs nuancent ces résultats sur le plan local.

Anton Suwalki

(A suivre)




2ème partie :

http://imposteurs.over-blog.com/article-26582952.html

 



Notes :
(1)   http://www.ifpri.org/pubs/dp/ifpridp00808.asp

(2)   les chiffres retenus ici sont basés sur une pondération des chiffres des différentes études passées en revue, en fonction de la taille des échantillons observés.

(3)   C-à-d où les agriculteurs auraient été répartis au hazard entre producteurs d’OGM et producteurs conventionnels

 

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P
La bonne question est : qui finance l'IFPRI ?
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R
>> Est-ce que ce coton OGM peut être replanté librement ?<br /> <br /> Cela dépend lequel : il y a plus d'une centaine de variétés différentes, commercialisés par des entreprises différentes. A ma connaissance, pour la plupart de ces variétés, oui.<br /> Dans les faits, oui, et les agriculteurs indiens ne se gènent pas.<br /> <br /> >> Est-ce qu'il pousse (ses graines sont-elles viables) l'année suivante ?<br /> Oui.<br /> <br /> >> Est-ce qu'avant ce Coton, les agriculteurs pouvait librement replanter son coton sans avoir à payer encore et toujours ?<br /> <br /> En théorie, pas moins qu'avecdu coton GM, s'il est protégé. Concrètement, c'est kiff-kiff : il n'y a pas de traçabilité génétique du coton en Inde ; de tout temps, les semences se sont échangées et vendues largement au black, et ça n'a pas changé.<br /> <br /> Si ça peut te rassurer, le volume de semences commercialisées baisse constamment depuis 1995.
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C
Est-ce que ce coton OGM peut être replanté librement ?<br /> Est-ce qu'il pousse (ses graines sont-elles viables) l'année suivante ?<br /> Est-ce qu'avant ce Coton, les agriculteurs pouvait librement replanter son coton sans avoir à payer encore et toujours ?<br /> Si "oui", alors la dépendance est une pression... Et c'est normal que cette pression face du mal.
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R
Oui, et omniprésent même.<br /> <br /> Mais il n'y a pas que ça : on peut légitimement se sentir oppressé quant on doit une somme importante à un usurier louche qui pratique des taux d'intérêts élevés, et dont on ne sait pas ce qu'il est capable pour les toucher. C'est souvent le cas des agriculteurs sur-endettés à qui les banques ne prêtent plus, mais qui doivent tout de même vivre en attendant les récoltes.
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L
Tout dpéend déja de ce qu'on entend par "liberté" et "démocratie". Il n'y a pas quel'absence de droit de vote qui peut être considérée comme une oppresion. Il me semble que la société indienne reste par exemple très marquée par des formes d'oppression violente comme le système des castes, encore largement inscrit dans les rapports sociaux à défaut de l'être dans la constitution...
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A
Bonjour, <br /> <br /> merci pour votre analyse, Anton, mais j'avoue qu'un extrait de l'article me paraît bizarre(aux 2/3 du quatrième paragraphe)<br /> <br /> En effet, la part des paysans dans le total des suicides est tendanciellement constante dans cette société par ailleurs bien oppressive.<br /> <br /> J'avoue que je voyais l'Inde comme un pays démocratique et plutôt libre(à l'exception notable du Cachemire). Je me trompe et ma vision n'est qu'une image d'Epinal, ou j'ai mal compris le sens de cette phrase ?
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T
OK Anton!<br /> Aurélien devrait cliquer sur le lien que vous signaliez et télécharger le document. Il pourait alors y consulter les graphiques qui montrent à l'évidence que le taux de suicides des paysans indiens est resté remarquablement stable alors que les surfaces cultivées avec du coton Bt etaient en progression carrément exponentiel...
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A
S'il vous plait ne donnez pas à Aurélien le prétexte pour faire dévier complétement du sujet traïté.<br /> Merci<br /> Anton
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T
Montagnier prétend soigner le Parkinson et l'Alzheimer par des extraits de papaye...<br /> Quant à son prix Nobel, il semblerait qu'il n'a été pour rien dans la découverte duVIH..
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R
Quant à ta "news récente", je ne vois qu'un article de très mauvaise qualité, comme souvent sur agoravox. La "news", je la cherche encore...<br /> <br /> Quant on est pas stupide, on fait peu de cas des déclarations de Mr Montagnier, et on attache plus d'importance à ses recherches.<br /> et vous, qu'êtes-vous ? Stupide, ou de mauvaise foi ?
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R
Toujours autant à coté de la plaque à ce que je vois !<br /> D'abord, ça te ferais un peu de bien de t'informer de ce qu'est la situation de ces agriculteurs indiens. La grande majorité des agriculteurs ont une surface très faible, tellement faible qu'elle ne suffirait probablement pas à les nourrir eux même. D'où l'attrait pour les cultures de rentes, qui ne produisent pas de la nourriture, mais quelque chose que l'on vend assez cher.<br /> Faire du coton "traditionnel", ou "bio", c'est le dernier souci de ces agriculteurs qui ont plutôt les yeux fixés sur leurs récoltes et leurs dettes.<br /> Ces agriculteurs qui ont des surfaces ridicules (en moyenne 1,4 hectares) ont beaucoup de mal à emprunter de l'argent pour acheter les intrants etc, et empruntent donc à des taux importants, et souvent à des usuriers plus ou moins honnètes.<br /> <br /> La récolte ne soit pas seulement permettre de vivre, et de re-semer, mais aussi de rembourser les dettes...et leurs intérêts.<br /> <br /> C'est bien joli de parler de traçabilité, de pressions psychologiques, de taux de contamination etc...etc... mais tu t'inquiètes du moustique alors que tu es face au tigre.<br /> Tout cela n'existe pas en Inde : il n'y a AUCUNE traçabilité, les "contaminations", tout le monde s'en cale puisqu'il n'y a pas non plus de tests de pureté des variétés et cie, et votre "compexification", en réalité, tout le monde s'en tamponne.<br /> En Inde, le coton OGM est "normal", on en parle même pas, il est très rarement évoqué dans la presse locale, et les agriculteurs ont d'autres chats à fouetter. Leur problème, c'est le surendettement, la disponibilité des engrais, des phytosanitaires, et les prix du marché.<br /> <br /> Il n'y a pas de nouvelle pression liées à la traçabilité et cie, puisque tout le monde s'en cale, et qu'il n'y a aucune traçabilité.<br /> <br /> Et il en ressort un autre point : les agriculteurs indiens sont peut être plus à même de profiter des OGM que les autres, puisque pour la plupart d'entre eux, ils en cultivent sans les payer. Pas de traçabilité = marché noir important.<br /> <br /> Quant à ta remarque concernant Monsanto, elle montre bien à quel point tu es à coté de la plaque. Il n'y a bien que les pays dont le public est frileux vis à vis des OGM que Monsanto peut obtenir un monopole et le conserver.<br /> En Inde, comme en Chine, Monsanto se heurtent à une conccurence locale forte, voire à un marché noir qui capte la majeure partie des ventes.<br /> En inde, le cotonnier OGM, ce n'est pas "monsanto" : c'est plus d'une vingtaine d'entreprises différentes, certaines de très petite taille, et plus d'une centaine de variétés différentes.<br /> <br /> Idem pour la Chine : la Chine, c'est le pays des OGM. C'est le premier pays à en avoir conçu un, et à l'avoir mis sur le marché, et c'est une vraie forteresse sur ce plan ; ce pays cultive ses propres OGM.<br /> <br /> Va donc nettoyer tes lunettes, et informe toi un peu ; tu verras que le monde n'a pas grand chose à voir avec l'idée que tu t'en fais actuellement.<br /> <br /> tu devrais commencer par être moins prétentieux, et par ne pas aller donner des leçons aux gens sur un ton docte, alors que tu ne sais absolument rien des sujets que tu abordes.
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A
Dans un autre registre, que pense les imposteurs de cette news récente ?<br /> <br /> http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=48506<br /> <br /> Voilà qui doit en ravir certains...
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A
<br /> Aurélien ça suffit de poster n'importe quoi n'importe où. C'est à croire qu'il y en a qui font celà uniquement pour détourner du sujet étudié.<br /> <br /> <br />
A
J'ai eu peur, je croyais qu'Anton allait nous faire son article négationniste niant l'existence de suicides massifs en Inde. Il n'est peut-être pas non plus venu à l'idée que l'introduction des OGM affecte également ses données par les externalités négatives associées à leur culture ? Les paysans souhaitant faire du coton traditionnel voire bio se retrouvant autour de paysans cultivant du coton GM font face à des pressions psychologiques importantes. L'introduction des OGM est loin de simplifier l'ensemble de la problématique agricole bien au contraire: on voit que cela complexifie l'agriculture dans des proportions hallucinantes en imposant des taux de contamination et des traçabilités spécifiques. Tout cela sont de nouvelles pressions pour les agriculteurs ou qu'ils se trouvent. Maintenant en ce qui concerne l'Inde, l'arrivée des OGM n'a clairement rien changé dans la situation précaire de millions de paysans, c'est juste Monsanto et quelques officiels corrompus qui s'en sont sans doute mis plein les poches à voir les résultats économiques de cette multinationale ces dernières années.
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