OGM indiens et suicides : mythe ou réalité ? (1)
Nous allons ici parler d’une étude de l’IFPRI (International Food Policy Research Institute) publiée en Octobre dernier (1). Les auteurs tentent d’y faire le point sur les affirmations mille fois matraquées selon lesquels l’introduction du coton BT en inde en 2002 avait poussé les paysans à la ruine, et provoqué une épidémie de suicides. Cette étude, vous n’en entendrez pas ou très peu parler dans les médias. Devinez pourquoi ?
Comme dans le cas de l’étude analysée par Ryuujin, la plupart des journalistes ne sont qu’à la recherche d’un scoop vendeur, peu leur importe de connaître le contenu réel d’une étude par ailleurs bâclée ou au minimum non finalisée, du moment qu’ils peuvent extraire une phrase ou un chiffre qu’on leur communique qui puisse flatter les peurs du public, et même publier à propos de conclusions imaginaires comme l‘a fait le Canard Enchaîné à propos des souriceaux (nourris au maïs BT) soi-disant « rachitiques« . Rectifier par la suite le message n’a aucun intérêt ! Alors pourquoi se donneraient-ils la peine de se renseigner sur une étude qui essaye de discuter de manière équilibrée des OGM en Inde? Les OGM provoquent une vague de suicides en Inde, voilà qui a quand même plus de gueule comme titre !
Les auteurs de cette revue ont passé en revue toutes les publications et données statistiques disponibles. Qu’ont-ils découvert ?
Tout d’abord, à l’échelle nationale, la hausse des suicides paysans est un phénomène qui a débuté bien avant l’introduction du coton GM. De 13600 en 1997, on a assisté à une hausse année par année , pour atteindre près de 18000 suicides en 2002. Sur les ‘années suivantes correspondent à la diffusion massive des OGM : l’année 2004 correspond effectivement à un pic de suicides légèrement supérieur à 2002 (18200 suicides), les 3 autres années disponibles correspondent à un nombre de suicides… inférieurs à celui de 2002 ! (17100 en 2006). Données qu’ils convient bien sûr d’étudier à un niveau plus fin, mais cette seule réalité conduit déjà à se demander dans quelle mesure on ne s’est pas fait une fois de plus rouler dans la farine par les propagandistes anti-OGM. D’autant que leur compassion paraît très sélective ! En effet, la part des paysans dans le total des suicides est tendanciellement constante dans cette société par ailleurs bien oppressive, et le taux de suicide des paysans (oscillant autour de 1,5 pour 100 000) est très faible par rapport au taux de suicide de l’ensemble de la population (oscillant autour de 10,5 pour 100 000). Qui croira véritablement que les propagateurs de ces rumeurs sur l’ atroce sort des paysans ruinés par les OGM s’intéressent vraiment à leur sort ?
Les auteurs ont donc cherché à déterminer dans la mesure des statistiques disponibles si à un niveau plus local, dans les principales régions cotonnières, il pouvait y avoir eu un effet spécifique coton OGM.
Quelque soit l’état étudié, le coton BT ne pouvait être incriminé pour 2002, année d’introduction de celui-ci : il ne représentait que quelques milliers d’hectares cultivés. Mais en 2004 , la superficie cultivée en coton GM atteignaient plus de 100 000 ha , et en 2006, 4 états possédaient une surface cultivée en cyon BT supérieure à 300 000 hectares, avec un record de 1, 8 Million d’ha pour l’état du Maharastra (18000 km2).
Le rationaliste se demande immédiatement : comment se fait-il que la ruée vers les maudits OGM qui pousseraient les paysans au désespoir continue, (et elle ne s’est pas arrêtée après 2006 si on en croit l’ISAAA) ? Les paysans indiens sont-ils particulièrement masochistes, ou idiots ? Des idiots, c’est du moins ce pour quoi les prennent les anti-OGM et nous par la même occasion!
Voyant les leurs se suicider en masse, comment se fait-il que des paysans toujours plus nombreux adoptent les OGM ? Encore les sources statistiques officielles dont sont tirés ces chiffres minimisent-elles sans doute le phénomène, vu le marché parallèle, qui n‘est pas sans poser problème et pourrait avoir eu localement des effets pervers, nous y reviendrons.
Et si tout simplement, c’était parce que les paysans indiens étaient plus intelligents que les intellectuels mondains de la mouvance écologiste et anti-OGM , et avaient réalisé que les OGM n’étaient pas le problème à l’origine de la détresse qui frappaient leur collègue étranglés par l’endettement, mais éventuellement un moyen de mieux s’en sortir ! Reste à établir que tel était vraiment le cas.
Concernant l’effet positif du coton OGM sur les rendements , ça ne fait globalement, aucun doute : Dans tous les états indiens producteurs de coton les rendements (certes très variables d’un état à ‘l’autre) ont augmenté depuis l’introduction du coton BT, et très nettement si on compare 2006 à 2002.
Les courbes de rendements -ont fait un bond particulièrement spectaculaire dans l’ état du Gurajat.
Mais un état, l’Andra Pradesh, a connu une évolution des rendements plus incertaine, avec même des rendements inférieurs en 2004 à ceux de 2002 pour finalement enregistrer un très net redressement ultérieurement. Un doute légitime s’installe sur le fait que localement, l’introduction des OGM ait pu au moins ponctuellement contribuer à l’aggravation de la situation des paysans.
Au-delà, si l’amélioration des rendements représentent nécessairement un bénéfice économique objectif au niveau de la société toute entière, elle ne signifie pas nécessairement que les principaux acteurs de ce progrès économique, en tirent eux-mêmes une amélioration de leur revenu . Qu’en est-il pour les producteurs de coton indien ?
Les éléments qui déterminent pour un agriculteur adoptant une plante BT les gains de revenus dépendent bien sûr des rendements supérieurs ou pas , mais aussi de l’évolution de ses charges-quantité et prix de ses intrants , prix des semences- et des prix auxquels il peut vendre sa récolte.
Sur ce point les auteurs se sont prêtés à une estimation basée sur les publications « per-rewied » disponibles et ont estimé des « retours nets » importants pour les paysans ayant adopté les OGM (2): Ces retours nets iraient de 40% pour les agriculteurs de l’Andra Pradesh à 176% pour ceux du Tamil Nadu (soit presque un triplement de leur revenu !. On suppose quand même qu’il y a bien des agriculteurs français au bord de la faillite qui aimeraient bien être victimes d’un « fléau » pareil !
Pour autant, et c’est là qu’on fait toute la différence entre une véritable étude socio-économique et un discours propagandiste, les auteurs soulignent les biais possibles de leur estimation , et par là même une surestimation possible de ces « retours nets » :
La comparaison des résultats producteurs OGM/non OGM ne se fait pas dans le cadre d’études avec des échantillons randomisés (3), et l’adoption des OGM pourrait être le fait des agriculteurs initialement les plus productifs (et peut-être donc les plus ouverts à l‘innovation), si bien que les mêmes continuant à produire avec du coton conventionnel non OGM auraient eu des résultats supérieurs.
L’ampleur des gains liés à l’adoption des OGM pour les paysans indiens est donc affectée d’une marge d’incertitude, néanmoins toutes les données examinées dans cette étude semblent indiquer au minimum que la situation globale des paysans indiens s’est plutôt améliorée avec l’introduction des OGM, contrairement à ce qu’affirme la propagande. Nous verrons dans la deuxième et dernière partie comment les auteurs nuancent ces résultats sur le plan local.
Anton Suwalki
(A suivre)
2ème partie :
http://imposteurs.over-blog.com/article-26582952.html
Notes :
(1) http://www.ifpri.org/pubs/dp/ifpridp00808.asp
(2) les chiffres retenus ici sont basés sur une pondération des chiffres des différentes études passées en revue, en fonction de la taille des échantillons observés.
(3) C-à-d où les agriculteurs auraient été répartis au hazard entre producteurs d’OGM et producteurs conventionnels