José Bové ou le Grand bond en arrière
Que sait
vraiment de Bové le public, sinon qu’il est un adversaire des OGM ? Derrière le cabotin qui met perpétuellement en scène ses « combats », qui est-il vraiment ? Un
« altermondialiste » ? Bien que ces idées rencontrent une large sympathie, il n’est pas certain que tous ceux qui se réclament de l’altermondialisme épousent ses idées
essentielles. Car « pour un autre monde », qui ne le serait pas ? Qui aime vraiment la loi de la jungle et la liberté du renard dans le poulailler ? Reste à savoir quel autre
monde . Celui de José Bové, de la décroissance ? Un terme qui sonne doux à certaines oreilles occidentales ressentant quelque culpabilité
devant les inégalités mondiales . Or le projet de la décroissance, ça n’est pas moins d’inégalités, plus pour le Sud, plus de justice dans une société mondialement transformée , c’est
« défaire le développement » . En clair le Grand Bond en arrière.
Il est toujours difficile chez les gens qui déclarent sympathiser avec les idées de Bové et de la décroissance de discerner ce qui relève de l’adhésion réelle à sa vision du monde, de l’ignorance de celle-ci ou d’idées non assumées jusqu’au bout. Il est d’autant plus impératif de décrire le vrai José Bové.
Eloge de la pauvreté
Ce qu’il est vraiment ,il l’exprime sans fard dans un ouvrage collectif intitulé « Défaire le développement - Refaire le monde » acte d’un colloque tenu en 2002. Parmi les contributeurs, outre José Bové, il y a le milliardaire britannique Edward Goldsmith , fondateur de l’Ecologiste ,adepte des sociétés archaïques et malthusianiste féroce.
Sur la quatrième de couverture est résumé la philosophie profonde de la décroissance. On peut y lire notamment « Pourquoi ne pas laisser les pauvres tranquilles ? » . Que les pauvres restent pauvres… Le Vatican lui-même ne dit plus de telles choses depuis quelques papes. Il est vrai que la mode est dans ce milieu davantage au bouddhisme et autres mysticismes contemplatifs d’origine orientale.
La contribution de Bové illustre son adhésion totale à cette philosophie. Dans un texte titré « En finir avec
l’idéologie du progrès », il revendique sa filiation avec les compères Ivan Illich, Serge Latouche, François Partant, et Jacques Ellul. Ces théoriciens pour qui l’abondance opprime, abondance à laquelle ils opposent la mystérieuse convivialité de la misère, qui se sont opposés à l’école
obligatoire et au système de santé sociale ! Pour Jacques Ellul, la technique ne peut être mise au service des besoins humains, et Pour Ivan Illitch, il n’y a pas de bonne technologie :
« ces outils sont toujours destructeurs, quelles que soient les mains qui les détiennent » . « Or, les hommes n'ont pas besoin de davantage d'enseignement. Ils
ont besoin d'apprendre certaines choses.» En l'occurrence, «les hommes doivent apprendre à contrôler leur reproduction, leur consommation et leur usage des choses ».
Empêcher le développement du Sud
Évidemment, si l’injonction à la décroissance, assortie des slogans « Merde au pouvoir d’achat » peut être vue d’un bon œil par les représentants du MEDEF et les partisans de coupes sombres dans les budgets sociaux (« laissons tranquilles les pauvres, on dépense toujours trop pour eux ! »), on imagine que l’acceptation sociale de ce Grand Bond en arrière serait bien difficile sous nos latitudes. Alors au-delà d’exercer une influence idéologique et de participer à la confusion des idées, les décroissants ont-ils un réel projet à faire passer ? Oui, au moins lorsqu’il s’agit d’interdire aux pays du Sud d’accéder au développement. Sous couvert de combattre l’ ethnocentrisme, Serge Latouche n’affirmait-il pas « Il y a, dans cette proposition qui part d’un bon sentiment - vouloir « construire des écoles, des centres de soins, des réseaux d’eau potable et retrouver une autonomie alimentaire » -, un ethnocentrisme ordinaire qui est précisément celui du développement. ».
Pas d’école, pas d ‘hôpitaux, pas de centre de soins, pas d’eau potable … Pas d’intégration aux échanges mondiaux, mais pas non plus d’autonomie alimentaire. Le projet est transparent. Certes, ça n’est pas de l’ethnocentrisme, si on veut, mais peut-être le noble soucis de résoudre radicalement les problèmes de « surpopulation » ? On comprend mieux la proximité avec Edward Goldsmith.
Historiquement, le développement est la seule solution (hormis de la « régulation naturelle ») à la surpopulation , qui n’est que relative à la capacité à exploiter les ressources naturelles, et l’élévation du niveau de vie amène en retour une diminution de la natalité.
Oui mais le développement n’est-ce pas de futurs concurrents, aux yeux des nos « anti-ethnocentristes ? A défaut de pouvoir refaire le monde et imposer d’autres règles , ne s’agirait-il pas de s’y aménager des niches confortables ? Un soupçon qu’on peut légitimement porter sur les écologistes radicaux que sont les décroissants . Selon Sylvie Brunel, géographe engagée dans l’action humanitaire, « le Nord déguise sous des arguments sanitaires et environnementaux des réflexes protectionnistes qui visent surtout, en réalité, à préserver les secteurs industriels menacés par le décollage économique du Sud le plus compétitif ».
Les réflexes protectionnistes, Bové connaît . Il est certes anti-libéral, mais n’a rien contre le marché, quand c’est lui qui peut exporter. La démolition du MacDonald de Millau n’était-elle pas en signe de protestation contre la décision américaine de taxer ses Roquefort ? Celle-ci intervenant en représailles du refus de l’Union Européenne d’importer du bœuf américain, un tel adversaire de la mondialisation n’aurait pu que se féliciter de ces restrictions au commerce international, s’il n’était pas hypocrite.
Anti-libéral , anti-marxiste, mais surtout anti-progressiste et …adepte de la sourcellerie
Quelle idéologie « antilibérale » Bové défend-il donc ? Il dénonce dans ce texte l’idéologie progressiste « qui a été l’idéologie dominante , construite à la fois par les libéraux et les marxistes, constituant la face et le revers d’une même médaille ». « Ce qui fait qu’une nouvelle pensée (sic) existe aujourd’hui c’est que l’on a compris que ces systèmes étaient rigoureusement identiques, basés sur le scientisme, sur la logique de la production et du marché et sur la glorification de l’état ou de ses institutions ».
A cela, Bové oppose une méthode « anti-autoritaire », déclarant même que « nous (ils) sommes en train d’inventer une nouvelle façon de vivre en société » .
L’esprit de la meute subjuguée par un gourou spécialisé dans les actions commandos, les destructions de champs ou de laboratoire, l’insulte ,la délation et la confrontation avec les agriculteurs cultivant des OGM , champion de l’activisme en coulisses ministérielles : charmante perspective de vie en société « anti-autoritaire » .
Aussi ignare en histoire des idées qu’en matière d’OGM, soulignons toutefois que Bové a correctement identifié deux points communs au libéralisme et au marxisme : le fait que ceux-ci ne rejettent pas la science et ses applications productives, ni l’organisation rationnelle de la production !
La haine qu’a Bové de la science, on la comprend mieux quand on sait qu’il s’est récemment fait construire une maison par un architecte ordonné moine bouddhiste et charlatan praticien de la sourcellerie et autres radiesthésie : "Je suis venu faire une étude de terrain, avec mes baguettes et mes pendules, a expliqué celui-ci. Avant de construire, j'étudie toujours le magnétisme, les courants telluriques, les défaillances tectoniques. Dans un terrain magnétiquement bien équilibré, on aura une meilleure santé." Peut-être, à la différence d’un agriculteur évolué, Bové s’adonne-t-il à des danses de la pluie lorsque le temps est ingrat, ou fait-il des offrandes à une déesse de la fertilité ? Dans ce cas là il a seulement quelques centaines d’années de retard. Par contre, s’il nie la nécessité de l’organisation rationnelle de la production, il nie tout simplement la civilisation. Même les sociétés antiques fonctionnaient , dans la limite de leurs connaissances et de leurs croyances, sur une organisation rationnelle de la production, une logique de division du travail, de calcul, de prévision et d’allocation des ressources.
Bové explique comment ces combats inspirés par une telle philosophie ont conduit à « la remise en cause de ce qui est peut-être le plus symbolique du mythe scientiste : les OGM » . Le mystique qui croit à la sourcellerie adhère très logiquement au mythe du savant fou.
« Personne ne sait, pas un scientifique sérieux n’est capable de dire ce que peuvent en être les conséquences sur l’environnement, la santé et l’économie ». Personne ,pas même José Bové ? On en déduit donc que lui et tous ces amis racontent n’importe quoi sur le sujet !
Bové drôle de paysan :
A lire certaines affirmations de Bové, on pourrait se demander s’il est vraiment agriculteur. Parmi les tares supposées des OGM , c’est qu’il permet que «ce qui était gratuit devienne payant ». « Les graines que le paysan garde et qu’il ressème sont gratuites, par contre celle qu’il faut se procurer auprès de la multinationale, chez Monsanto ou Novartis, obligent le paysan à accumuler des richesses pour pouvoir les payer ».
Ainsi va le monde , mais depuis des millénaires. Les sociétés primitives de chasseurs cueilleurs ont cédé la place à l’agriculture, puis à l’organisation de celle-ci en propriété privée, obligeant les gens à acheter à des José Bové ce qui était gratuit.
Un tel discours est bien évidemment destiné à un public qui (comme Bové ?) ne connaît strictement rien à la réalité de l’agriculture moderne . Pour commencer, la formulation de Bové suggère que quelques multinationales monopolisent le marché des semences, alors que celui-ci est assez atomisé, ou certes, quelques firmes détiennent 20% des parts mondiales, mais où il existe aussi des milliers de petites sociétés. Certes, les OGM, nécessitant des fonds très importants doit logiquement favoriser la concentration, mais les agriculteurs ont très largement le choix dans leur approvisionnement en semences. Ensuite, il se trouve que dans la plupart des grandes cultures, les agriculteurs rachètent leurs semences, sans y être obligés contractuellement. Simplement pour enrichir les semenciers ? Non, par ce que la semence rachetée a une valeur d’usage supérieure et génère des revenus additionnels supérieurs à son prix, et que contrairement à José Bové, ils savent que les graines que le paysan garde et qu’il ressème ne sont pas gratuites ! L’agriculteur qui rachète sa semence stocke une partie du revenu de sa récolte sous forme monétaire au lieu de stocker physiquement sa semence, s’il estime en tirer un bénéfice.
Selon Bové , « ce contentement de marché avait déjà commencé avec les hybrides, premier stade, pourrait-on dire des OGM. On a dit que maîs rendu stérile par hybridation était un progrès parce que ça permettait de produire plus, ce qui était déjà un mensonge depuis le début du 20ème siècle. » Premièrement tous les végétaux hybrides ne sont pas stériles, techniquement. Deuxièmement, s’il y a mensonge, c’est chez Bové. Au cours du 20ème siècle, les rendements des principales céréales ont considérablement augmenté : ceux du blé ont été multipliés par 4 en France depuis 1950. Ceux du maïs ont été multipliés par plus de 2 dans les années 1960 avec l’arrivée d’hybrides américains, où tous les cultivateurs abandonnèrent les vieilles variétés et se mirent à racheter annuellement leurs semences. Même si les hybrides ne sont pas les seuls facteurs de ces progrès considérables, seul un arriéré comme José Bové peut prétendre qu’ils n’ont permis de produire plus. Comble du ridicule, c’est que Bové veut à la fois dénoncer le productivisme et nier ses résultats !
Pas de tracteurs pour les paysans du Sud !
L’obscurantiste du Larzac est décidemment un curieux allié des paysans du Sud, lui qui prétend les défendre aux côtés d’intellectuels tels que Vendana Shiva défenseure du concept d’ethno-science. « Aujourd’hui sur la planète 28 millions de paysans travaillent avec un tracteur , 200 millions travaillent avec la traction animale, et plus d’un 1,3 milliard travaillent à la main. Qu’adviendra-t-il si l’agriculture rentre dans la logique productiviste au niveau mondial ? Ce ne sont pas des millions de paysans qui disparaitront comme en Europe ou en Amérique du Nord, mais des centaines de millions, peut-être un milliard ou plus. »
On commencera par noter que les millions de paysans qui ont disparu en Occident ne sont pas morts, mais qu’eux ou leurs enfants ont abandonné l’agriculture pour d’autres activités, le chômage chronique n’étant qu’une donnée récente. Mais surtout, sous couvert de ne pas voir « disparaître » des centaines de millions de paysans, Bové , qui possède un beau tracteur qu’il conduit fier comme un bar-tabac dans les manifs, souhaite maintenir ces pays dans l’état d’arriération économique où ils sont : qu’ils restent à leurs rendements dérisoires à leurs méthodes de travail harassantes et d’un autre âge. Dans les pays les plus pauvres de la planète, ça n’est pas la modernisation agricole mais son arriération qui sont la cause de l’exode rural. Non seulement les agriculteurs ne produisent pas de surplus, mais ne parviennent pas à subvenir à leurs propres besoins, rejoignant massivement des villes qui ne peuvent absorber leur force de travail. Avec un taux d’accroissement naturel de plus de 3% par an (soit un doublement de la population tous les 23 ans), des pays qui ne sont pas actuellement pas autosuffisants alimentairement sont condamnés à des situations encore plus dramatiques sans modernisation de leur agriculture, condamnés à la disette chronique, à des famines régulières et à l’aide alimentaire perpétuelle des pays développés. A l’opposé, l’aide au développement des campagnes du Sud peut au contraire freiner l’exode de la faim, en permettant aux agriculteurs de mieux vivre, de vendre une partie supérieure de leur surplus, contribuant à améliorer l’approvisionnement des villes.
Comment ne plus être progressiste sans devenir réactionnaire , s’interrogeait Jean-Paul Besset, journaliste, repenti de l’extrême-gauche qui a activement contribué à l’édification du culte de José Bové. Dans ce texte, Bové démontre clairement que c’est impossible.
Anton Suwalki