Suite au communiqué de maître William Bourdon…et fin (3)
Pour ceux qui n’auraient pas lu les articles précédents et qui peuvent légitimement se demander pourquoi nous revenons sur cette polémique se reporter au
communiqué de William Bourdon (commentaire n° 4):
http://imposteurs.over-blog.com/article-18121725-6.html#anchorComment
Et à nos réactions :
http://imposteurs.over-blog.com/article-18652675.html
http://imposteurs.over-blog.com/article-18983651.html
Le 16 Mai 1995, le jury du prix Albert Londres attribuait son prix audiovisuel au film de Marie-Monique Robin, Voleurs d’yeux, consacré au trafic d’organes en Colombie. Une séquence de ce film fut vivement contestée, au point que le prix de MM Robin soit suspendu et déclenche une enquête du jury Albert Londres, avant de finalement lui rendre son prix. Il s’agissait de la séquence consacrée à un enfant à l’enfant Jaison Cruz Vargas dont la mère assurait qu’il avait été victime des médecins de l’hôpital Salazar de Villeta qui lui avaient volé ses yeux pour en récupérer les cornées.
Selon l’Humanité du 19 septembre 1995: « L’établissement et les médecins incriminés avaient démenti. Et demandé à 3 spécialistes français internationalement reconnus, les professeurs Gilles Renard (service d’ophtalmologie de l’Hôtel-Dieu de Paris), Marc Gentilini (maladies infectieuses et tropicales à la ¨Pitié-Salpêtrière) et Alain Fischer (immunopédiatrie à l’Hopital Necker-Enfants malades) de procéder à un examen médical de l’enfant aujourd’hui âgé de 12 an. Il a eu lieu le 3 aout dernier et le Monde, dans son édition datée d’aujourd’hui, en révèle les conclusions. Elles sont formelles : « Il n’y a pas eu vol des yeux de cet enfant » est-il écrit dans le rapport des 3 professeurs. « On peut affirmer avec certitude, précisent-ils, que l’enfant que nous avons examiné possède toujours ses globes oculaires et que ceux-ci n’ont donc été enlevés à aucun moment de sa maladie. »
Cet examen, Marie-Monique Robin continue pourtant à en réfuter les conclusions 13 ans après, n’hésitant pas à affirmer : « Mais comme le révèle ledit rapport, il n’y eut jamais d’ « examen »».(1), mais la seule interprétation d’un dossier médical fourni par la clinique Barraquer
C’est faux
. Le rapport d’examen (2) rédigé le 10 août et comportant le cachet et la signature des 3 spécialistes mentionne bien sûr l’étude du dossier médical de l’enfant, comportant 5 pièces dont un scanner et une IRM, mais aussi, de la manière la plus explicite qui soit, « l’examen de l’enfant du 3 Août 1995 ». Un examen ophtalmologique approfondi :
« à l’examen ophtalmologique, cet enfant se présente porteur de deux prothèses oculaires. Après ablation des prothèses oculaires, la palpation des orbites permet de noter la présence d’un moignon oculaire parfaitement mobile sous les plans conjonctivaux cicatriciels. L’examen au bio microscope des deux orbites note la présence de quelques fragments de tissu cornéen résiduel entourés d’une conjonctive de bonne qualité. Ces fragments sont parfaitement mobiles sous l’effet des muscles oculaires. La palpation et l’inspection des deux orbites permettent donc de confirmer la présence de moignons oculaires résiduels ».
Les médecins affirment en outre l’impossibilité technique de prélever des cornées en laissant les globes oculaires et la contre-indication absolue que représentait l’état d’infection généralisée de l’enfant. « Il est tout au moins certain qu’un prélèvement ne sera jamais fait chez un enfant en état d’infection généralisée avec septicémie et encore moins lorsqu’il existe une atteinte cornéenne ulcérée avec surinfection »
L’examen a donc été effectué, les guillemets de MM Robin sont tout à fait superflus. Il conclut sans ambiguïté à la cohérence indiscutable entre l’identité de l’enfant présenté, les éléments du dossier médical et l’examen subi le 3 Août 1995 :
« On peut affirmer avec certitude, précisent-ils, que l’enfant que nous avons examiné possède toujours ses globes oculaires et que ceux-ci n’ont donc été enlevés à aucun moment de sa maladie. » . La citation de l’article de l’Humanité était donc textuelle .
Le rapport note un tragique défaut d’information médicale de la mère, à partir duquel a pu se construire sa conviction qu’on avait volé les yeux de son fils. Celui-ci avait été présenté à l’âge de 5 mois en 1982 à l’Hôpital pour un syndrome diarrhéique aigu avec déshydratation et dénutrition. Le diagnostic final était extrêmement sévère, incluant entre autres, une « kératite (3) bilatérale avec ulcération profonde de la cornée. L’hospitalisation ultérieure à l’hôpital universitaire pédiatrique de Bogota confirmait ce diagnostic et surtout cette perforation cornéenne bilatérale qui a abouti à une fonte purulente des 2 globes oculaires qui n’ont pu être préservés. »
« Lorsque la mère a récupéré son enfant à hôpital Salazar de Villeta pour le conduire à hôpital de Bogota, un pansement oculaire était en place sous lequel s’échappa du sang et des décrétions purulentes. Aucune explication n’ayant été donnée à la mère, celle-ci a pu très légitimement penser que les yeux de son enfant avaient été enlevés puisqu’elle n’a appris que secondairement l’atteinte oculaire et le très mauvais pronostic de l’affection de ses yeux. Cette information relève d’un défaut d’information médicale mais ne met pas absolument pas en cause un éventuel « vol des yeux » des cornées ou des globes oculaires(…). Le témoignage d’une mère ne peut être retenu comme probant sur ce problème. »
Alors, le petit Jaïson a-t-il été une victime ? Incontestablement oui ! Victime d‘être « mal-né » de parents misérables et venu au monde dans des conditions de pauvreté de malnutrition et d’hygiène sans aucun doute effroyables. Mais en toute certitude, il n’a pas été victime de médecins barbares, qui non seulement ne lui ont pas volé ses yeux, mais lui ont très probablement sauvé la vie. On peut très probablement reprocher à ceux-ci des préjugés sociaux vis-à-vis d’une femme des bas-quartiers jugée inapte à comprendre l’état réel de son fils, et à qui on n’a jamais rien expliqué. Ca n’a fait en rien les épouvantables docteurs Mengele dépeints par Marie Monique Robin.
Face à un tel diagnostic infirmant de manière aussi claire ses thèses, on aurait pu s’attendre à ce que la journaliste fasse profil bas. C’est mal la connaître! Que valent les faits et les connaissances de grands médecins spécialistes par rapport au flair aiguisé d’une adepte de la théorie du complot ? Rien aux yeux de la journaliste qui n’hésite pas à prétendre avec un aplomb déconcertant que « ledit rapport révèle qu’il n’y a pas eu d’examen ».
A la vérité des faits constatés par des spécialistes qui on vu l‘enfant, MM Robin préfère la vérité d’un contre-rapport virtuel. Elle affirme ainsi: « En fait, l’examen était impossible, car comme le souligneront des médecins courageux qui ont publié un contre-rapport, il avait été posé des prothèses oculaires à Jaison, peu avant son voyage à Paris, ce qui avait nécessité de « nettoyer ses cavités oculaires rendant impossible tout examen ».
On ne s’appesantira pas sur la curieuse conception du courage de madame Robin. Mais où est donc ce contre-rapport ? Ferait-elle allusion à l’avis des docteurs de Broucker et Pham Quang Chau, dont Le Généraliste, sous la plume de Catherine Durand, avait affirmé dans un article du 30 avril 1996 qu’ils avaient réalisé une contre-expertise à la demande de la commission du prix Albert Londres, « invalidant » le rapport médical des 3 spécialistes ?
Or une lettre au Généraliste , datée du 7 mai 1996, et signée par d’Henri Amouroux, président du jury Albert Londres remettait les choses au point sur cette prétendue contre-expertise :
« Les affirmations de Catherine Durand sont sans fondements .
D’une part le rapport rédigé par les professeurs Renard, Gentilini et Fischer était un rapport d’examen (pas une expertise), et d’autre part, les docteurs de Broucker et Pham Quang Chau n’ont jamais vu l’enfant. Nous avons interrogé les docteurs de Broucker et Pham Quang Chau comme nous avons interrogé une vingtaine d’autres spécialistes. Et en aucun cas nous n’avons demandé une contre-expertise. »
Telle est la « méthode Robin » : elle nie en bloc les conclusions de spécialistes ayant vu et examiné l’enfant et prétend même, alors qu’ils l’ont écrit noir sur blanc, que ceux-ci n’ont pas procédé à l’examen médical. A l’opposé, elle retient la thèse de deux médecins « courageux » qui eux n’ont pas vu l’enfant !
Le 20 mars 1996, Les travaux de la commission du prix Albert Londres étaient publiés, et celle-ci proposait au Jury du Prix Albert Londres de maintenir le Prix audiovisuel à Marie Monique Robin. La commission y déclarait ne pas vouloir alimenter une polémique qui la dépassait, ni remettre en cause (contrairement à ce que fait encore aujourd’hui la lauréate!) « l’ éminente qualité des professeurs ( Renard, Gentilini et Fischer) sollicités par l’ambassade de Colombie » , soulignant par ailleurs qu’une grande partie du corps médical se rangeait derrière leurs conclusions (fonte purulente des yeux), « d’autres spécialistes, moins nombreux, pensent qu’il est impossible de conclure douze ans après l’évènement et que le vol est imaginable à cette époque en Colombie ».
Le fait que la séquence des « yeux volés » ne faisait que six minutes dans un reportage de 40 minutes explique sans doute, que le jury Albert Londres convaincu par ailleurs de la bonne foi de l’auteur du film, ait décidé de conserver son prix à Marie Monique Robin
.Mais les réserves formulées à son encontre ont été rapportées par la revue Agriculture et Environnement dans son numéro d’avril 2008 (4). Elles sont très sévères , s’agissant rappelons-le, d’un jugement porté sur la qualité du travail d’une journaliste :
« Marie Monique Robin nous semble s’être laissée porter par l’émotion. A la fois discutable et honorable, cette émotion a contribué à influencer son regard comme son langage. Son reportage est ainsi devenu trop souvent une démonstration, l’illustration d’une thèse. »
L’avis de la commission précise qu’il « a spontanément épousé les réactions de la mère de Jaison, partagées, il est vrai, par l’ensemble de son entourage, de son village et de son mari qui ne les a pas démenties lors de sa venue à Paris en Août dernier » et que Marie Monique Robin a «porté un jugement inutilement blessant sur une clinique de réputation mondiale » .
Elle rappelle aux journalistes « l’importance de gérer avec prudence et lucidité leur enthousiasme » et de ne jamais avoir « un recours forcé à l’émotion ». Autrement dit, il est capital pour les journalistes de bannir la méthode Robin !
Loin de s'être amendée, Marie Monique Robin a appliqué la même recette quelques années plus tard dans le Monde selon Monsanto, avec un recours forcé à l’émotion qui atteint un paroxysme . Le poids des mots (tendancieux), le choc des photos, à côté de Marie Monique Robin, Paris Match fait dans la dentelle.
Nous ne prétendons pas porter une appréciation générale sur la réalité et l’ampleur des trafics d’organes dans les pays d’Amérique Latine ou ailleurs. Tout le problème est de constater que rapporter des faits erronés sur ce sujet, uniquement fondés sur une rumeur née dans les bidonvilles de Colombie ne sert pas la cause qu’on prétend défendre. Seule la vérité est réellement subversive. Celle-ci est indivisible. Il n’y aucune vérité supérieure, détenue par quelques élu(e)s, qui pourrait s’alimenter de petits mensonges ou de grosses contre-vérités à destination du petit peuple incapable de saisir la vérité.
Le jugement peu charitable porté par le jury Albert Londres sur le travail d’investigation de Marie Monique Robin dans son film « Voleurs d’yeux » aurait très bien pu sombrer dans l’oubli si celle-ci avait su mettre à profit les recommandations qui en découlent. Ca n’est pas le cas : elle continue à défendre sa thèse sans la moindre réserve et avec un aplomb déconcertant. Son enquête sur Monsanto est bâtie sur la même méthode, et la violence calomniatrice dont elle use vis-à-vis de toute critique prouve qu’elle n’a strictement rien appris de cet épisode, bien au contraire.
Anton Suwalki
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Notes :
(1)
http://blogs.arte.tv/LemondeselonMonsanto/frontUserPost.do?method=moveToElement&blogName=LemondeselonMonsanto&vlhId=70045&moveValue=4
(2) que nous tenons à la disposition de nos lecteurs, comme les autres pièces du dossier citées ci-dessous.
(3) une kératite est une inflammation de la cornée
(4) Agriculture et Environnement est la revue publiée par Amos prospective :
http://www.agriculture-environnement.fr/spip.php?page=aeAbonnement
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