L'épouvantail du « brevetage du vivant »
Le « brevetage du vivant » est un des épouvantails agités par les adversaires des OGM. Pourtant, cette pratique n'a rien de nouveau et n'est qu'une application au domaine des biotechnologies de
ce qu'on appelle la propriété intellectuelle.
- Plus d'un siècle avant que les adversaires des biotechnologies ne redécouvrent le fil à
couper le beurre, un dénommé Pasteur déposait en 1873 (1) le premier brevet sur organisme vivant : il s'agissait d'une levure de bière, qui fut plus tard utilisée dans l'Industrie de la
brasserie.
-Le dépôt de brevet pour des espèces végétales obtenues par croisement s'est généralisé à partir des années 1930 sans que personne ne songe à s'en offusquer avant l'apparition de la transgénèse
dans les années 1980.
-En 1988, le premier dépôt d'un brevet pour une bactérie GM à vocation « écologique » ,
dégradant les hydrocarbures ne soulève à notre connaissance aucune opposition. Le développement industriel de ces procédés d'épuration à partir de bactéries « gloutonnes » est désormais
largement acquis. D'autres applications sont en cours de développement, notamment dans l'industrie agroalimentaire (2), où la modification de bactéries lactiques sont susceptibles de
contribuer à l'amélioration des produits laitiers.
On peut prévoir que cette extension se heurtera en Europe à la réticence d'une opinion toujours méfiante envers ce genre de procédés, mais on comprend facilement que le brevetage du vivant
représente ici,plutôt qu'un risque, un gage de sécurité qui devrait rassurer le consommateur.
Ca n'est qu'à partir de l'apparition des OGM à vocation agricole que l'opposition au brevetage du vivant à commencer à se faire entendre .
Celle-ci surfe habilement sur les peurs et les malentendus :
- Les brevets déposés pour des plantes transgéniques sont stupidement désignés comme une appropriation de l'ensemble du vivant alors qu'il s'agit par définition que de végétaux à
vocation agricole créés par l'homme, généralement peu aptes à survivre hors des domaines cultivés et à transmettre leur caractère transgénique à des cousins sauvages (3). Les entreprises
semencières produisant ou pas des OGM cherchent à devenir incontournables dans l'agriculture et le sont déjà (4), mais ne tireraient aucun bénéfice d'un croisement de PGM agricoles avec des
espèces sauvages.
- Non seulement les brevets sur les plantes génétiquement modifiées ne diffèrent pas des autres brevets sur le vivant, mais le « brevetage du vivant » n'est qu'une expression à forte charge
dramatique pour désigner dans le domaine particulier des biotechnologies les droits de propriété intellectuelle qui est loin de faire l'objet d'un rejet généralisé :
Il est rare qu'un auteur, qu'il ait écrit un roman , des chansons, conçu un logiciel, ou mené une enquête réquisitoire sur la brevetabilité du vivant ou sur Monsanto, accepte sans sourciller que
se multiplient des copies sauvages de son livre, de son CD ou DVD, le privant des revenus qu'il estime mériter pour les centaines ou milliers d'heures de travail et d'efforts créatifs. Le
concepteur d'un ingénieux mécanisme de pompe dépose en général un brevet, et ne verra pas d'un meilleur œil l'entreprise qui commercialiserait son procédé et ferait des bénéfices sans lui avoir
acheter son brevet et sans lui verser de royalties.
- De même, une entreprise qui consacre des dizaines de millions d'euros à la recherche et à la mise au point d'un OGM ne le fait que si elle a la garantie d'un retour sur investissement. Elle ne
tolérera pas que des agriculteurs qui n'ont pas acquis les semences OGM auprès de l'entreprise (5) se procurent, sélectionnent celles-ci , ou deviennent des multiplicateurs non agréés par lui
(6). L'agriculteur qui aura payé ses semences pourra s'estimer lésé. Celui qui sera procuré des semences auprès de multiplicateurs parallèles risque également de ne pas apprécier de constater que
le produit de contrefaçon ne lui garantisse pas une qualité stable des semences et de sa récolte.
On peut donc remettre en cause la notion de propriété intellectuelle, si on est toutefois capable de proposer une alternative garantissant la perpétuation d'activités créatrices socialement
utiles. Par contre, on ne voit aucune raison de légitimer la propriété intellectuelle en générale et de refuser celle-ci lorsqu'elle s'applique aux OGM.
L'agriculture n'est en rien un sanctuaire de la liberté menacé par des projets particuliers. Les OGM apportent un surplus physique (moindres intrants phytosanitaires et/ou moins de travail et/ou moins de carburants, plus de rendements, moindres pertes de récolte….) dont la contrepartie financière peut-être répartie de manière très inégale entre les différentes parties intéressées de la filière agroalimentaire selon l'organisation du marché. La part toujours croissante des cultures OGM dans le monde semble indiquer que le type de contrats régissant les droits à cultiver des OGM, en particulier l'obligation de racheter leurs semences ne sont pas le premier problème des agriculteurs, loin de là. Ceux-ci pâtissent bien davantage des avatars de l'organisation internationale du marché des matières premières , des conditions imposées par la grande distribution, et du prix du crédit.
Pour conclure, le "Non au brevetage du vivant" est donc une revendication largement mystificatrice :
1/ parce que la plupart des agriculteurs des pays développés ne ressèment pas leurs propres graines même dans le cas de semences traditionnelles , alors qu'ils n'ont aucune obligation
contractuelle de racheter leurs semences : il y trouvent donc leur intêret.
2/ Nulle part , on n'est obligé de produire des OGM et donc de se soumettre à cette obligation, la contrepartie pour l'agriculteur est de renoncer à des rendements supérieurs obtenus
par son homologue cultivant des OGM. On comprend que beaucoup renoncent bien volontiers à cette liberté.
3/ Lorsque sur des projets spécifiques tels que le riz doré, il est question que le semencier (7) renonce à ses royalties aux petits agriculteurs des pays pauvres dont le revenu annuel ne
dépasserait pas 15000 euros, les anti-OGM abandonnent leur chasse au brevetage du vivant en mettant en avant d'autres récriminations, preuve que cette revendication n'est qu'un
prétexte.
Le « brevetage du vivant » en agriculture n'est qu'un aspect de la dépendance des agriculteurs individuels dans une
division du travail extrêmement poussée. Il n'y a que 2 voies possibles pour sortir de celles-ci:
-par le bas ou plus exactement à reculons, à travers l'utopie rétrograde de la décroissance , de l'autonomie retrouvée de l'agriculteur, du produire et consommer local etc…Bref, c'est
la logique du Grand Bond en arrière professé par les idéologues mais dont la plupart des agriculteurs, y compris ceux séduits par la philosophie bio ne voudraient à aucun prix s'ils en
connaissaient les conséquences.
-Ou bien une intégration de l'ensemble de l'agriculture dans une économie largement socialisée où disparaitraient les antagonismes entre petits producteurs et grandes firmes, entre salariés et
porpriétaires de capitaux et la concurrence entre les agriculteurs eux-mêmes. Or le milieu agricole est viscéralement accroché à la propriété privée, à son
« indépendance » et ça ne semble pas prêt de changer.
Mieux vaudrait exposer les termes réels de l'alternative plutôt que de rétendre démagogiquement défendre les « petits » contre les « gros » en combattant l'odieux «
brevetage du vivant ». Ne comptons pas sur les anti-OGM pour le faire.
Notes :
(1) http://museum.agropolis.fr/pages/savoirs/breveter/complements.htm
(2) http://www.inra.fr/internet/Directions/DIC/ACTUALITES/DOSSIERS/OGM/renaulthttp://imposteurs.over-blog.com/article-13326969-
6.html#anchorComment
(5) lire l'article d'Imposteurs « Percy Schmeiser contre Monsanto ,par Canardos»
http://imposteurs.over-blog.com/article-17907560.html ou il n'est pas question de
pollution subie par l'agriculteur, mais de sélection délibérée des graines de Canola Roundup Ready par Schmeiser
(6) voir le problème déjà évoqué en Inde
http://www.courrierinternational.com/mag/couv2.htm
(7) en l'occurrence Syngenta
(3) La possibilité peut exister dans
certains cas comme pour le colza GM, ce qui
nécessite des précautions d'emploi que personne ne songe à nier.
(4) lire notamment l'article d'Imposteurs « OGM ou pas, les agriculteurs dépendent
des semenciers », des données chiffrées sur la dépendance des agriculteurs vis -à-vis des semenciers en France