Clause de sauvegarde sur le maïs MON 810 : une décision purement politicienne
Ceux qui ont suivi les épisodes récents du feuilleton OGM peuvent difficilement s’étonner de la décision prise par le gouvernement d’activer la clause de sauvegarde permettant un moratoire sur les cultures de maïs transgéniques en France : Il y a quelques semaines, les associations les plus virulemment opposées aux OGM ne se vantaient-elles pas d’ en avoir obtenu la garantie par Nathalie Kosciusko-Morizet, , à la suite de négociations directes et exclusives? (1) La décision prise, le gouvernement s’est à peine préoccupé d’y mettre un minimum de forme pour en gommer l’aspect purement politicien. Le comité de préfiguration de la « Haute autorité sur les OGM » allait se charger par la voix de son président de fournir le prétexte, quitte à piéger les scientifiques déjà minoritaires dans l’instance.
Les péripéties des derniers jours méritent sans doute d’être inscrites dans les annales de la pantalonnade politique (2):
- 1/ Mardi 8 Janvier, dans sa conférence élyséenne, « Moi Je », alias Nicolas Sarkozy annonce : « Si le comité de préfiguration de la Haute autorité, qui doit se prononcer mercredi sur le Mon810, seul OGM cultivé en France, soulève des doutes sérieux sur les OGM actuellement cultivés en France je suis disposé à recourir à la clause de sauvegarde jusqu'à ce que la Commission européenne tranche le problème".
- 2/ Mercredi, Jean-François Legrand, président de la Haute Autorité
provisoire, reprend exactement la formule « doutes sérieux » en remettant son rapport à Jean Louis Borloo , évoquant des « éléments scientifiques
nouveaux » notamment : "la dissémination à longue distance, sur plusieurs dizaines, voire centaines de kilomètres" de l'OGM en question, "la résistance chez des insectes" et
"les effets constatés sur la flore et la faune", notamment sur le lombric et les micro organismes.
Égal à lui-même, Borloo affirme dans la foulée : "Des scientifiques pointus nous ont répondu qu'il y avait des éléments scientifiques nouveaux par rapport à ceux qui avaient permis l'autorisation du Mon 810 en 1998 et ils ont fait état de doutes sérieux."
- 3/ Or dès le lendemain, 14 membres de la Haute autorité provisoire, dont la quasi-totalité du collège scientifique provisoire (12 sur 15),éprouvent le besoin de mettre les choses au point, soulignant que les termes de doutes sérieux et de faits scientifiques nouveaux négatifs ne figuraient pas dans un rapport. Les termes exacts de l'avis, selon eux, sont que "ces faits et questions (...) représentent des interrogations quant aux conséquences environnementales, sanitaires et économiques possibles de la culture et de la commercialisation du MON810" et que le "comité de préfiguration souligne la publication de plusieurs faits scientifiques nouveaux qui concernent l'impact du MON810 sur l'environnement, sur la santé humaine, l'économie et l'agronomie". Ceux-ci "regrettent le manque de temps qui ne leur a pas permis, d'une part de réaliser une expertise plus complète du MON810 selon les critères de l'expertise collective, et d'autre part de relire sereinement l'avis avant sa diffusion"
De son côté , "Ni les termes de 'risques sérieux', ni ceux des 'effets négatifs' n'ont été employés dans l'avis", qui n'a en outre "pas été validé", a assuré M. Le Déaut, député socialiste.
L’AFIS quant à elle précise la nature des « faits nouveaux » (3) figurant dans les considérants du rapport :
" Après examen de l’avis émis et contact avec plusieurs scientifiques ayant participé aux réunions du Comité de préfiguration de la haute autorité, l’Association Française pour l’Information Scientifique dresse le constat synthétique suivant :
cet avis est constitué d’une liste de données ;
ces données n’ont pas été discutées scientifiquement ;
même si aucun des arguments avancés n’est erroné, tous sont approximatifs dans la formulation et incomplets sur le fond ;
aucun des arguments avancés de cette liste ne peut être caractérisé comme nouveau et grave justifiant l’activation de la clause de sauvegarde."
4/ C’est donc le 12 Janvier que, prétendant s'appuyer sur le rapport de l'Autorité provisoire , le gouvernement rend publique la décision… que ses ministres avaient promise un mois auparavant aux associations anti-OGM. Le rôle de cette Autorité provisoire ( ? )-Y en aura-t-il une autre ? - n’aura donc en aucun cas été de produire un éclairage scientifique , une étude approfondie et une expertise réelle de la question des OGM en vue d’une nouvelle législation , mais de fournir hâtivement un rapport diplomatique aux formules suffisamment alambiquées pour constituer l’alibi d’une décision déjà prise.
La politique est décidemment un monde étrange . Les associations les plus fondamentalistes de l’écologie auront obtenu d’un des candidats aux présidentielles
qu’elles avaient le plus mal noté (4) satisfaction sur l’une de leurs revendications les plus obsessionnelles. José Bové , que le score famélique aux présidentielles aurait pu plonger dans
les oubliettes de la politique, a continué à faire la une des médias et a été promu de fait en interlocuteur de premier rang du gouvernement. S’il est peu probable que le revirement du chef de
l’État soit dû à une conviction personnelle sur la question des OGM, il aura habilement su instrumentaliser ce pur produit de la politique spectacle avec qui il a en commun une attirance
irrépressible pour le ronflement des caméras et la lumière des
projecteurs. Ceux qui imaginaient « l’entêtement du pouvoir à se ranger du côté des agro-industriels » (comprenez…Monsanto) finiront
peut-être par comprendre que l’art de la politique est un peu plus compliqué , et que la filière semencière ne pèse peut-être pas si lourd que ça face à d’autres intérêts économiques. La facilité
avec laquelle le pouvoir a cédé sur les OGM tranche de façon saisissante avec la détermination musclée qu’il a montrée sur les régimes de retraites , ou sur la question du pouvoir d’achat.
Des enjeux autrement plus importants que la question des OGM valaient bien une conversion du gouvernement, au moins provisoire, pour redorer son blason à quelques semaines des municipales.
On est rassuré pour José Bové. Sa grotesque grève de la faim lui aura permis de tirer la couverture à lui, dès fois qu’on ait oublié son rôle capital dans cette décision historique !
"Le fait que la France dise on prend la clause de sauvegarde - donc, il n'y aura pas d'OGM en France en 2008, je crois que c'est un moment très important à la fois pour la paysan, mais aussi pour les consommateur et pour toute la société."
Voilà qui prouve qu’il ne croit pas plus que ça à son propre discours sur le dégât des OGM, puisque si les dangers de « contamination » et de « pollution irréversible » de la nature dénoncée à longueur de discours étaient si réels, il ne suffirait bien sûr pas d’en arrêter la culture en 2008.
Ce qui ravit José Bové, c’est le précédent politique. Et tous les anti-OGM comptent bien s’appuyer sur ce précédent pour transformer ce moratoire en interdiction définitive de quelque OGM que ce soit. Avec une mauvaise foi qui sidérerait les maîtres antiques du sophisme, les mêmes utiliseront le prétexte que telle ou telle PGM n’ayant fait l’objet d’aucune expérimentation en plein air, il ne faut pas la mettre en culture parce que les risques n’en ont pas été évalués !
La question d’un OGM particulier qui ne représentait qu’un % infime des cultures est tout à fait secondaire. Ce qui est grave, c’est qu’une telle décision ,prise pour des raisons uniquement politiciennes, flatte les tendances les plus irrationnelles de la société, et hypothèque sérieusement la recherche et le développement futur de techniques agronomiques à la fois efficaces et plus respectueuses de l’environnement.
Des tests ADN pour refouler les prétendants au regroupement familial, érigeant la notion de « batard » en catégorie juridique aux OGM assimilés à des éléments infectieux, la connaissance scientifique est dans un cas détournée vers des applications perfides et inhumaines, dans l’autre montrée du doigt et rejetée comme une entreprise diabolique. Ce sont deux facettes d’un même ignorantisme qui a déclaré une croisade aux « gènes impurs ».
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Notes :
(1) voir l’article d’Imposteurs : http://imposteurs.over-blog.com/article-14025934.html
(2) Quelques dépêches AFP :
http://fr.news.yahoo.com/afp/20080108/tsc-agr-env-gov-c2ff8aa.html
http://fr.news.yahoo.com/afp/20080108/tsc-agr-env-gov-c2ff8aa.html
http://fr.news.yahoo.com/afp/20080112/tsc-france-environnement-agriculture-ogm-c2ff8aa_3.html
http://fr.news.yahoo.com/euronews/20080112/tfr-la-france-active-la-clause-de-sauveg-9f0c932_1.html
http://fr.news.yahoo.com/rtrs/20080112/tts-france-agriculture-ogm-reactions-ca02f96_1.html
(3) http://www.pseudo-sciences.org/spip.php?article814
(4) CF LE MONDE du 26.02.07 L'Alliance pour la planète, notait0 les programmes écologiques des candidats. Sarkozy avait récolté un médiocre 8,5 sur 20 .