Doit-on croire aux accusations d'intolérence scientifique ?

Publié le par Anton Suwalki

 Il est souvent reproché au rationnalisme scientifique d'être une approche du réel sèche , rigide,  intolérante (voire bornée), imbue d'autorité, incapable de saisir l'aspect invisible ou intime des choses. On entend même dire que les rationnalistes "ne croient que ce qu'ils voient". Commençons par cette dernière  critique , trompeuse et largement infondée. 


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1. Les scientifiques ne croient pas que ce qu'ils voient 
 
Pas plus qu'ils ne croient tout ce qu'ils voient ! C'est au contraire le propre de l'esprit scientifique de ne pas se laisser impressionner par les illusions d'optique , les erreurs de jugement et d'inférence produites par la perception directe à travers nos cinq sens.  La science, ne confond pas corrélation (lien apparent entre deux variables, ou deux phénomènes qui apparaissent simultanément) et la causalité (les relations réels de cause à effet). Si A apparaît en même temps que B , cela ne signifie pas nécessairement que A soit la cause de B ou l'inverse  . Un exemple flagrant de cette confusion consiste, par exemple, à croire que les antibiotiques, ça fatigue... En effet, à chaque fois que nous en absorbons, nous nous sentons fatigués. Nous soupçonnons alors les antibiotiques d'être responsables de cet épuisement. En réalité, cette fatigue est due à l'infection pour laquelle notre médecin nous a prescrit un antibiotique. Mais comme fatigue et antibiotiques sont des événements qui sont toujours présents ensembles, nous imaginons qu'ils entretiennent entre eux une relation de cause à effet (Horn, 1998).Une erreur typique de la pensée non scientifique que la pensée scientifique évite de commettre(1). 
 
Ensuite dans la plupart des domaines , les lois scientifiques sont établies non pas à l'aide du mince appareillage que constituent nos perceptions immédiates, mais à travers un outillage  sophistiqué et une solide élaboration théorique : Si Maxwell n'avait possédé que ses yeux pour « voir » la réalité des phénomènes physiques, il n'aurait pas établi les fondements de l'électromagnétisme. Aucune expérience sensible ne nous permet de vérifier directement la constance de la vitesse de la lumière dans le vide, ou la réalité de la dilatation du temps (à des vitesses proches de la lumière) découverte par Einstein. Non seulement les scientifiques ne croient pas que ce qu'ils voient mais il découvrent parfois de nombreuses lois qui dérangent beaucoup notre intuition : C'est le cas de la relativité, c'est aussi le cas de la physique quantique.
 
2. Plus que les autres, les scientifiques sont capables de remettre en cause leurs «croyances », et beaucoup moins que les autres ils acceptent sans sourciller n'importe quelle affirmation.
 
Parce que ce sont des récits, les théories pseudoscientifiques ne sont presque jamais remises en cause et n'évoluent pas une fois qu'elles ont été établies . Il n'y a aucune raison  de faire évoluer une telle théorie sans rapport avec la réalité dès lors qu'on l'a acceptée, et surtout il n'y a aucun moyen de la faire évoluer. La science n'est pas un récit. Elle a l'ambition de dire des choses vraies sur le monde réel. L'esprit critique face aux théories nouvelles et le devoir de réviser des théories invalidées (partiellement ou totalement) font partie de la « constitution de la science ». Ce sont les deux aspects d'une même exigence qui peut se résumer en paraphrasant Jean Rostand : avoir l'esprit ouvert, mais ne pas l'avoir béant à toutes les sottises. 
 
L'ampleur des révolutions scientifiques témoignent de l'ouverture d'esprit de la science et de la capacité à se remettre en cause : sans ces qualités, les révolutions scientifiques n'auraient jamais eu lieu. Mais les scientifiques n'acceptent de remettre en cause une théorie en faveur d'une nouvelle si elle a réellement un meilleur pouvoir explicatif et s'il existe des moyens probants de la vérifier qu'elle est fondée. Une hypothèse audacieuse ne sera réellement acceptée que lorsque l'expérience aura permis de la juger concluante. C'est toujours la réalité qui constitue l'ultime arbitre du débat scientifique. Une hypothèse abracabrante sera
directement rejetée à moins que celui qui l'émet fournisse en même temps des preuves extraordianaires de ce qu'il avance. C'est simplement que les scientifiques n'ont pas de temps à perdre ! 
 
3. Les scientifiques n'acceptent pas n'importe quelle autorité . 

 En général, les chercheurs d'une spécialité acceptent de se ranger derrière l'avis de leur communauté scientifique,  laquelle tente de trancher les désaccords à partir de critères les plus rigoureux possibles. Si les titres et le CV d'un chercheur donné participent sans doute de son autorité auprès de ses pairs, ceux-ci ne doivent pas en principe se laisser impressionner par cela, et doivent examiner les dires plutôt que les titres de celui qui dit. Il est arrivé assez fréquemment que des scientifiques -des êtres humains comme les autres- quittent pour des raisons diverses le terrain
scientifique et abandonnent l'approche rationnaliste (2) :  c'est le cas de personnages aussi éminents que Jacques Benvéniste (auteur de la mémoire de l'eau) ou d'Yves Rocard et sa passion tardive pour la radiesthésie et le « réflexe du sourcier » ! Ils ont été désavoués malgré leurs diplomes et leur prestige .
 
A l'inverse, les accrocs de l'irrationnel se laissent la plupart du temps berner par des titres ronflants et le contexte de l'affirmation ou de l'expérience. Il est frappant de voir que lorsqu'un magicien fait des tours de cartes incroyables, tronçonnent sa partenaire(3) en 5 morceaux  pour la faire réapparaitre entière deux minutes plus tard, tout le monde sait qu' « il y a un truc », et que ça n'est qu'un très habile tour de prestidigitation. Les magiciens ne cachent d'ailleurs
pas qu'il y ait « un truc » Pourtant les mêmes personnes peuvent croire dur comme fer aux exploits divinatoires , ou pouvoir télékinésique ou au dons de guérisseurs de
quelqu'un qui se prétend magnétiseur. Il suffit donc que quelqu'un  prétende avoir de tels pouvoirs pour qu'il soit cru et qu'on ne cherche plus « le truc » ou la mystification ! 
 
Parce que les scientifiques ne se prosternent pas devant l'autorité, il n'y a pas de gourou en science. Par contre ceux-ci pullulent très naturellement dans les eaux troubles de la pseudoscience.
 
4. L'attitude des scientifiques face à l' "aspect invisible" et à la "réalité intime" des choses .
 
Nous l'avons vu, la science ne croit pas que ce qu'elle voit et s'intéresse à bien des choses innaccessibles à la perception directe. Elle établit parfois des lois qui expliquent comment fonctionnent les choses avant de trouver pourquoi elles fonctionnent ainsi. Les principes fondamentaux de l'hérédité ont été établis par Mendel bien avant que l'on découvre les gènes et leur fonctionnement. Mais que désignent exactement les gens qui parlent de la vérité ultime, de l'aspect invisible des choses ? Notons que ce type de questions taraude également certains philosophes des Sciences comme Nancy Cartwright (4) pour qui la science produit des fictions utiles, opérationnelles mais ne décrit pas la vérité , les choses telles qu'elles seraient réellement. En fait une telle approche n'est jamais bien loin de la métaphysique antiscientifique. Sans doute la science ne peut procéder que par approximations successives de la réalité, peut-être ignorera-t-elle toujours certains aspects  de la réalité : ainsi nul ne peut dire si les particules qu'on considère aujourd'hui comme élémentaires sont vraiment les fractions les plus petites de la matière. Mais les entités que décrit la science, à tous les niveaux d'organisation de la matière qu'elle étudie, sont bien des entités réelles et ont bien pour objectif de décrire le monde réel, avec une certaine approximation. Ce n'est pas à coup de fictions que la science pourrait aboutir à des lois qui donnent des résultats d'une précision parfois stupéfiante .
 
 Le problème de ce genre de critique est de toute façon de ne rien avoir à proposer comme alternative à la science pour découvrir une prétendue nature intime et ultime des choses….à part des récits bibliques et toutes sortes d'autres légendes et de théories fumeuses sorties de l'imagination fertile mais qui n'ont  elles, aucun rapport même approximatif avec la réalité.
 
 
5. Le rationnalisme scientifique est moins intolérant que l'irrationnalisme.
 
Faut-il rappeler que c'est l'irrationnel (5) qui est à l'origine des Saint Barthélémy, des bûchers, des pogroms, des autodafés  etc… A ma connaissance, aucune instance scientifique n'a jamis prôné de torturer un religieux ou un convaincu de l'astrologie pour qu'ils abjurent leurs croyances. Les reproches de rigidité ou d'intolérence faits à la science sont en fait l'hommage du vice à la vertu. En fait d'intolérence, il s'agit de l'exigence éthique de la science en matière de vérité. Le seul but de l'activité scientifique est de décrire aussi bien que possible la réalité objective. Les divagations pseudoscientifiques dont le seul but est de produire des théories séduisantes qui flattent les crédules sont proscrites. Les affirmations fantaisistes ou délirantes sont rejetées parce qu'il s'agit de tromperie , quelquefois involontaire (il y a sans doute des charlatans qui croient en leur délire) mais très souvent délibérée (Miss Elisabeth Tessier ou Uri Geller doivent parfaitement savoir que leurs pratiques sont totalement bidons !) . Ce que certains appellent intolérence scientifique, c'est le fait que si deux théories totalement contradictoires expliquent le même phénomène, la science ne les reconnaît pas comme deux opinions qui se valent, et postule qu'une des deux (au moins) doit être erronnée . Par la confrontation des deux théories avec le réel, elle tranchera laquelle mérite d'être
retenue  et laquelle doit être rejetée. Une démarche évidemment totalement étrangère à la pseudoscience !
 
Bien sûr si on appelle intolérence le fait de ressentir du désarroi face aux victimes de l'irrationnel et de la colère envers ceux qui parfois les dupent délibérément, on peut parler d'intolérance. Mais dans ce cas, c'est une saine intolérence !   
  
  
 
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Notes :
 

(1) Exemple emprunté au site  Charlatans :http://www.charlatans.info/correlations.shtml
(2)sans parler des  fraudes ouvertes   
(3)reste à savoir pourquoi ce sont toujours des femes qu'on tronçonne !
(4) N Cartwright auteure notamment de How the Laws of Physics Lie [1983] (comment les lois de la 
physique mentent (!)
(5) du moins l'irrationnel des foules quelquefois manipulés par ceux qui détiennent le pouvoir

 

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L
Je viens de découvrir votre blog et ça fait plaisir ! Merci... Trop de croyances, de complots, d'écologisme, de pseudo-sciences et de toutes sortes de dogmatismes. Heureusement, Internet ce n'est pas seulement cela !<br /> <br /> Un article sur la politisation de la science du climat, de Richard Lindzen (climatologue, MIT), qui pourrait vous intéresser : <br /> http://www.pensee-unique.fr/LindzenVF1.pdf<br /> <br /> original en anglais : <br /> http://arxiv.org/ftp/arxiv/papers/0809/0809.3762.pdf
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