Glyphosate le nouveau DDT ? Par Jérôme Quirant
La traque planétaire contre le glyphosate, qui dure depuis plusieurs mois, n’est pas sans rappeler les campagnes qui ont été menées, jadis, contre le dichlorodiphényltrichloroéthane (DDT). Glyphosate et DDT sont tous deux des pesticides qui semblent victimes de leurs succès…
Le DDT, qu’es aco ?
Le DDT est un insecticide qui fut abondamment utilisé pour l’agriculture mais aussi, et dans des quantités moindres, pour le programme d’éradication du paludisme dans les années 50-60. Cette maladie mortelle est en effet causée par un parasite diffusé par une famille de moustiques, les anophèles, ce qui a conduit à des campagnes de pulvérisation de DDT dans les habitations afin de réduire de façon drastique l’exposition des populations (un milliard de personnes dans les années 50). Sans être totalement éradiqué, le paludisme a été très fortement réduit suite à ce programme, le chiffre de 500 millions de vies sauvées est avancé par l’USNAS, Académie des Sciences américaine.
Peu cher, son utilisation massive et irraisonnée en agriculture a néanmoins fait craindre, à juste raison, le développement de résistances chez les moustiques, rendant l’insecticide beaucoup moins efficace. Plusieurs cas ont ainsi été documentés, nécessitant de prendre des décisions pour la réglementation des usages.
En parallèle, Rachel Carson, une zoologiste et biologiste américaine, écrivait en 1962 Silent Spring, un ouvrage qui attribuait des effets catastrophiques au DDT, notamment parce qu’il réduisait l’épaisseur des coquilles de certains oiseaux. Ce livre est considéré comme ayant été un des points de départ des mouvements écologistes dans le monde occidental.
C’est alors que tout a dérapé car, loin de faire la différence entre usage agricole et sanitaire, les mouvements environnementaux ont fait des campagnes souvent aveugles et sans nuance pour l’interdiction générale du DDT. Jouant sur les peurs, gonflant démesurément les risques réels (1), ces campagnes, avec notamment des milliers de lettres envoyées aux autorités, ont eu, directement ou indirectement, des conséquences extrêmement graves :
- interdiction pure et simple de cet insecticide dans certains pays,
- coupes dans les budgets des programmes de lutte contre le paludisme utilisant le DDT au profit d’autres solutions moins efficaces,
- méfiance de la part des populations vis-à-vis des pulvérisations à l’intérieur des habitations.
Avec le recul continu des traitements, le paludisme a connu une recrudescence générale, ce qui a causé depuis les années 70 des millions de morts. A tel point que l’Organisation Mondiale de la Santé a dû préciser, en 2006, qu’il ne fallait surtout pas se priver d’utiliser le DDT (2) : « L’OMS recommande désormais la pulvérisation d’insecticide à effet rémanent à l’intérieur des habitations non seulement dans les zones d’épidémie palustre mais aussi dans celles où la transmission de la maladie est constamment élevée, notamment dans toute l’Afrique ». Elle ajoute que : « Les données scientifiques et programmatiques justifient sans conteste cette réévaluation ». Et précise (3) : « Malgré son utilisation initialement très répandue et sa contribution aux succès des efforts d’éradication du paludisme, l’utilisation de la pulvérisation à l’intérieur des maisons a décliné. Ceci est en partie dû à un manque d’engagement et de financement des gouvernements pour assurer les efforts sur le long terme, à des soucis quant au développement de résistances et aux conditions d’acceptation des communautés. Cependant, un autre facteur important a été la réprobation générale envers l’utilisation du DDT, due à des peurs quant à ses effets nocifs sur l’environnement et la santé, peurs qui sont injustifiées si le DDT est utilisé correctement lors des pulvérisations ». Un rétropédalage (« recommande désormais », « réévaluation », « peurs injustifiées »), conséquence directe des campagnes irresponsable et trompeuses qui ont présenté le DDT comme un poison redoutable.
Contrairement à ce qui est parfois avancé de manière enjôleuse pour dédouaner les organisations environnementales dans le dossier, notamment par le journaliste Stéphane Foucart dans Le Monde (4), ce ne sont pas les cigarettiers et néoconservateurs américains qui ont « imaginé » dans les années 90 la funeste influence de ces campagnes. Pas du tout : ils ont certes fait de la publicité sur cela à des fins peu avouables (discréditer ces associations pour perpétuer leur propre business), mais les récriminations sur les actions des organisations environnementales avaient été formulées bien avant que des politiciens conservateurs ne les exploitent sournoisement à leur propre compte (5).
Si l’OMS a dénoncé plus récemment les « craintes injustifiées » qui se sont propagées, c’est bien dès le début des années 70 que des scientifiques avaient pointé l’irresponsabilité des campagnes aveugles contre le DDT. Car des scientifiques qui ont étudié le paludisme pour éradiquer ce fléau, il y en avait dans les années 60/70/80, pas qu’un peu. Leurs écrits sont certes moins disponibles en raison de l’ancienneté des publications, mais de nos jours, avec un simple clavier et un écran, on peut faire des recherches très poussées et retrouver des sources même anciennes :
- Par exemple, Thomas Jukes, biologiste anglais faisant référence sur la question du paludisme, qui écrit, dès 1971 dans le Boston college environmental affairs law review, pour s’insurger contre les conséquences désastreuses du livre publié par Rachel Carson, Silent Spring : « La propagande contre le DDT a été si large et réussie qu’il est désormais considéré comme un poison dangereux ». Un long réquisitoire, accablant pour les organisations environnementales, avec moult détails sur le détail des campagnes, les peurs injustifiées, les risques de développement de résistance, etc.
- Ou encore, Philip Marsden, biologiste brésilien, autre référent sur la question, qui s’indigne en 1982 dans Reviews of Infectious desseases : « Il faut affirmer avec fermeté que dans certaines régions des tropiques, la philosophie du « Silent Spring » concernant l'utilisation d'insecticides à effet rémanent contenant des organochlorés est inacceptable. Les avantages qui découlent de la pulvérisation de ce composé l'emportent de loin sur le risque de pollution de l'environnement ».
- Mais aussi, Maqsudur Rahman, scientifique malaisien, qui indique dans le même journal, la même année mais le numéro suivant : « La forte recrudescence du paludisme dans l'ensemble de l'État en 1975-1978 s'explique en grande partie par : 1) la résistance de la population à la poursuite des pulvérisations de DDT amorcées en 1956 […] ». Une raison qu’il cite parmi d’autres, certes, mais qu’il met bien en première position (les autres raisons sont évoquées dans les articles de Science et Pseudo-Sciences (1) et (5)). Mais pourquoi donc cette réticence de la population ?
- Encore un autre scientifique, Ralph Lutts, naturaliste américain et historien de l’environnement, explique dans l’Environnemental Review en 1985 : « [l’] indifférence relative aux pesticides dans la première moitié du siècle est d’un contraste saisissant avec le tollé assourdissant qui a suivi la publication de Silent Spring ». Il donne à l’appui de ce revirement sans nuance plusieurs sources : Rober L. Rudd, University of Wisconsin Presss 1964, « Pesticides and the living landscape », James Whorton, Princeton University Press 1974, « Before silent Spring : pesticides and public health in pre-DDR America », Adelyne Hiller Whitaker, PHD dissertation 1974, « A history of Federal pesticides regulation in the United States to 1947 », Thomas R. Dunlap, Princeton University Press 1981, « DDT : Scientists, Citizens, and public policy ».
Même la décision prise en 1972 par l’EPA (Environnemental Protection Agency) pour l’interdiction du DDT aux Etats-Unis mérite qu’on s’y attarde. Cette agence a en effet prohibé l’usage du DDT (sauf en cas de catastrophe sanitaire ou pour l’exportation) alors que le juge Edmund Sweeney conclut en 1972, après avoir auditionné 125 experts sur le sujet (6), que les arguments des écologistes étaient infondés. William Ruckelshaus, alors responsable de l’EPA, prit malgré tout la décision d’interdiction, faisant fi des avis scientifiques. Il écrira en 1979 que « le jugement ultime reste politique », lui-même s’étant basé sur les avis plus anciens de trois comités scientifiques s’étant prononcés bien avant les auditions du juge Sweeney (7).
Et le glyphosate ?
Ce constat peu reluisant de l’action des organisations environnementales sur le DDT, est assez frappant de similitude avec ce que nous observons aujourd’hui sur le glyphosate.
Le glyphosate est un autre pesticide, de la famille des herbicides, pour lequel une campagne mondiale est actuellement menée en vue de son interdiction. Bien sûr, les conséquences directes entre les deux interdictions du DDT et du glyphosate ne sont pas du tout du même ordre : avec le glyphosate nous ne luttons pas contre une endémie. Dans un cas ce sont des millions de morts, dans l’autre, nous sommes devant un problème matériel et financier. Néanmoins les répercutions pour nos agriculteurs pourraient être désastreuses car le coût social, lui, n’a pas été chiffré. Pour une profession déjà au bout du rouleau, cela risque d’être la goutte d’eau fatale pour nombre d’entre eux puisque, à ce jour, aucune solution satisfaisante n’est en capacité de remplacer ce désherbant efficace, peu onéreux et à faible toxicité.
Car ce qui fait la similitude entre le glyphosate et le DDT, c’est bien l’écart sidérant entre la faiblesse des éléments scientifiques avancés et la prétendue urgence à légiférer pour une stricte interdiction, sans prise en compte du service rendu aux populations.
Rappelons justement les données scientifiques :
- à ce jour, les agences sanitaires nationales du monde entier se sont voulues rassurantes sur les supputés risques liés à cet herbicide (8),
- le seul organisme (CIRC) qui a dit détecter un effet « probablement cancérigène » chez l’homme, s’intéressait au danger intrinsèque du produit et non au risque lié à l’exposition des populations. De plus, le CIRC est soupçonné de cherrypicking (9), voire de conflits d’intérêts pour certains de ses membres (10).
A ce jour, rien ne justifie donc l’urgence puisque :
- aucun élément ne permet de dire que la population est exposée à un quelconque risque mesurable dans le cadre de son alimentation,
- aucune étude n’a permis de mettre en avant une maladie directement imputable au glyphosate chez les personnes les plus exposées, les agriculteurs.
Compte tenu des outils très performants aujourd’hui à disposition, statistiques et épidémiologiques, cela signifie que, si effet il y a, il ne peut être qu’extrêmement ténu puisque les scientifiques n’arrivent pas à le faire ressortir de façon significative. Nul besoin par conséquent de paniquer la population…
On se trouve ainsi aujourd’hui face à un épouvantail brandi par les organisations environnementales mais qui n’a aucune réalité scientifique. Malgré le manque de sérieux des accusations portées, les autorités politiques subissent depuis des mois un harcèlement continu pour une interdiction de l’herbicide. Le week-end précédent un vote décisif de l’Union Européenne, une pétition et une campagne de mèls ont été lancées sur Internet et Twitter pour saturer les adresses des responsables politiques… Des sondages sont même publiés, comme si la vox populi était ce qui devait prévaloir sur des sujets aussi techniques, à plus forte raison après une – très – longue propagande anxiogène et mensongère !
DDT ou Glyphosate, mêmes avis rassurants des scientifiques au moment de la prise de décision, mêmes actions coup de poing des organisations environnementales. Résultat prévisible si elles obtiennent gain de cause pour le glyphosate : des coûts exorbitants pour compenser l’interdiction, que ce soit pour les agriculteurs ou la SNCF qui doit désherber les voies de chemin de fer. Sans compter que certains produits de substitution envisagés pourraient s’avérer bien plus dangereux que le glyphosate dont les effets, à supposer qu’ils existent, ne sont pas mesurables en 2017 après 40 ans d’utilisation.
Le 27 novembre 2017, la Commission Européenne a entériné une prolongation de la licence d’exploitation pour 5 ans du glyphosate. Aussitôt, panique à bord, le Président Emmanuel Macron indique quasiment dans l’heure qui suit qu’il sera malgré tout interdit en France, sous 3 ans. Vu l’état de l’opinion qui ne sait pas si elle peut encore manger quoi que ce soit (8), ça devrait au moins lui permettre de gagner quelques points de popularité dans les sondages.
Et si on prenait, enfin (!), le temps de la réflexion plutôt que des décisions émotionnelles, purement idéologiques et infondées scientifiquement ? Il serait temps de tirer les leçons du passé afin de ne pas reproduire les mêmes erreurs, lourdes de conséquences…
Jérôme Quirant
Références
(1) http://www.pseudo-sciences.org/spip.php?article497
(2) http://www.who.int/mediacentre/news/releases/2006/pr50/fr/
(3) Global Malaria Programme, Indoor residual spraying, 2006, OMS.
(4) http://www.lemonde.fr/idees/article/2014/04/25/la-fable-du-ddt_4407690_3232.html
(5) http://www.pseudo-sciences.org/spip.php?article2271
(6) http://www.thenewatlantis.com/publications/the-truth-about-ddt-and-silent-spring
(7) http://www.ddponline.org/ruckelshaus.pdf
(10) http://www.forumphyto.fr/2017/11/20/glyphosate-linsoutenable-legerete-du-circ/