Bannissement du DDT : des milliards de moustiques ont été sauvés…
Rappelons le parallèle fait par Jérôme Quirant dans son dernier article entre l’interdiction du DDT et l’actuelle campagne déchainée contre le glyphosate. « (..) ce qui fait la similitude entre le glyphosate et le DDT, c’est bien l’écart sidérant entre la faiblesse des éléments scientifiques avancés et la prétendue urgence à légiférer pour une stricte interdiction, sans prise en compte du service rendu aux populations » .
Certes, les conséquences prévisibles d’une interdiction du glyphosate ne sont pas équivalentes : des pertes économiques pour les agriculteurs, un bilan environnemental plutôt négatif, pour un bénéfice sanitaire…nul. Dans le cas du DDT, son élimination – parfois totale – des programmes de lutte contre le paludisme/malaria a eu des conséquences dramatiques. Mais au-delà des bilans comparatifs, le plus inquiétant, c’est que l’affaire du DDT n’a pas servi de leçon. Certains en sont même à nier que le bannissement du DDT ait conduit à une résurgence de la malaria dans des pays où la maladie avait pratiquement été éradiquée. Il est en effet difficile d’avoir un regard critique sur un événement qui est considéré par les intéressés eux-mêmes comme l’événement fondateur du mouvement écologiste.
Pour nier leurs responsabilités dans la résurgence d’une maladie souvent mortelle, certains finassent en expliquant que le DDT n’a été proscrit que pour les usages agricoles, et non pas dans les programmes de pulvérisation intérieure des maisons pour protéger les populations des moustiques. La vérité est tout autre : beaucoup de campagnes anti-DDT ne faisaient aucune distinction entre usages agricole et domestique. Certaines ONG se sont explicitement opposées à l’usage du DDT contre la malaria et continuent à s’y opposer (1).
Réécrivant l’histoire quand ils sont obligés de reconnaître l’abandon total du DDT dans un grand nombre de pays, les anti-pesticides relient alors celles-ci à l’apparition de résistances au produit des anophèles, c’est-à-dire les moustiques vecteurs de cette maladie. Ils font ainsi semblant d’ignorer la sordide efficacité de leurs propres campagnes, tellement réussies qu’elles ont abouti dans bien des cas à une suppression délibérée des programmes de pulvérisations du DDT dans certains pays, ou à une suppression forcée dans les pays en développement où l’aide financière a été supprimée ou conditionné au bannissement total du DDT. Dans d’autres cas, il est vrai, la raison de l’abandon ou de l’affaiblissement de ces programmes a des causes politiques : guerres, implosion de l’Union soviétique…
Et si personne ne conteste l’apparition, d’ailleurs inévitable, de moustiques résistant au produit, les données disponibles confirment que le DDT restait efficace dans la très grande majorité des cas. Une revue systématique des cas de résurgence de la malaria dans 61 pays a été faite en 2012 dans un journal spécialisé (2). Nous n’attribuerons pas tous ces cas à un effet « Rachel Carson », certains étant antérieurs aux programmes d’éradication utilisant le DDT. Néanmoins, l’affaiblissement ou la cessation des programmes intervient dans 91% des cas. Dans un grand nombre de cas, ces problèmes se combinent avec une augmentation du potentiel de transmission de la malaria, lié notamment aux migrations de population ou des moustiques, à des changements d’occupation des espaces ou à des changements climatiques. Les problèmes techniques tels que la résistance des moustiques sont présents dans seulement un tiers des cas.
Même si ces problèmes peuvent se cumuler et rendre moins efficaces les programmes utilisant le DDT, les résultats sur tous les continents convergent : l’affaiblissement ou la suppression des programmes de pulvérisation ont presque toujours débouché sur une explosion du nombre de cas de malaria. Le graphique ci-dessous concernant l’Amérique Latine est éloquent. Les barres roses représentent l’intensité du programme de pulvérisation de DDT dans les habitations, les courbes bleues représentent l’évolution de l’incidence de la malaria.
Affirmer comme le font certains qu’ « empêcher un usage massif du DDT a vraisemblablement sauvé plus de vies qu’il n’en a détruit» (3), relève au mieux d’un arrangement confortable avec les faits. Sauf si on parle de la vie de milliards de moustiques, effectivement épargnés « grâce » au bannissement total du DDT dans certains pays.
Lorsque Jérôme Quirant a titré « Glyphosate, le nouveau DDT ? », c’était pour souligner des attitudes similaires dans les 2 cas. Les conséquences directes de l’arrêt de programmes de lutte contre la malaria furent bien plus graves que celles qu’aurait l’interdiction du glyphosate. Ce qui ne signifie pas qu’il faille pour autant se résigner à une interdiction de ce dernier que rien ne justifie.
Mais ce bref retour sur l’histoire du DDT permet en plus de constater que les anti-pesticides sont incapables d’en tirer honnêtement les leçons : nous ne sommes donc pas à l’abri de nouvelles lubies aussi destructrices.
Notes :
- http://www.pseudo-sciences.org/spip.php?article2271#nb11
- Malaria resurgence: a systematic review and assessment of its causes Malaria Journal, December 2012, 11:122
- http://www.lemonde.fr/idees/article/2014/04/25/la-fable-du-ddt_4407690_3232.html