Malgré l’étude américaine sur le glyphosate, le CIRC-et bien d’autres- se murent dans leur mauvaise foi
Agricultural Health Study : l’étude qui remet les pendules à l’heure
Après l’excellent papier de notre ami Jérôme Quirant, que dire de plus sur le glyphosate ?
Il me paraît utile de revenir sur la dernière étude américaine,Glyphosate Use and Cancer Incidence in the Agricultural Health Study (1), qui dans un monde normal, aurait permis de tirer définitivement la conclusion suivante : non, le glyphosate n’est pas cancérigène, y compris pour ceux qui y sont le plus exposés, les agriculteurs. Aucune association entre cancer et glyphosate n’a pu être établie, que ce soit pour l’ensemble des cancers ou par type. Un seul résultat (significatif) est ressorti de cette vaste étude ayant enrôlé 54 251 personnes sur 20 ans: celui de la leucémie myéloïde aiguë, dans le cas des personnes les plus fortement et les plus longtemps exposés au glyphosate. Mais cela représente… moins de 1% des cancers !
Le Circ se mure dans sa mauvaise foi
Cette étude conforte donc les résultats de celle publiée en 2005 (2), avec un suivi de la cohorte étudiée beaucoup plus long, et en particulier, elle confirme l’absence de lien entre usage du glyphosate et lymphomes non hodgkiniens (LNH). Or la monographie du Centre international du Cancer (Circ) affirmait qu’il y avait des preuves limitées de cancérigénicité du glyphosate, sur la base d’une association positive observée pour les LNH.
Etant donné que l’étude AHS est sans équivallent en termes de taille de la population étudiée et de durée de suivi de la population, on aurait pu s’attendre à ce que le CRIC en prenne honnêtemnent acte, et révise sa classification du glyphosate comme « cancérigène probable ». Mais ce « on » ne désigne en fait que les personnes qui n’ont pa suivi le mauvais feuilleton, ou qui ne l’ont suivi qu’à travers les médias déchaînés qui veulent la peau du glyphosate, et « accessoirement » de Monsanto et pourquoi pas, si possible, de l’ « agro-chimie » dans son ensemble.
Ceux qui ont raté des épisodes de ce feuilleton pourront relire l’article de Jérôme Quirant (3), ou se reporter aux sites de Wackes Seppi (4) et de Marcel Kuntz (5) : le vacarme des « Monsanto Papers » couvrait des turpitudes, autrement plus graves, de certains membres du groupe de travail du Circ.
Rappelons d’autre part que c’est sur la base de 4 études de cas-témoins beaucoup moins puissantes que celle de l’AHS a décrété des « preuves limitées » de cancérigénicité du glyphosate sur l’homme. A la suite des révélations de Reuters (6), il est également avéré que les « preuves suffisantes » de cancérigénicité du glyphosate sur l’animal évoquées par le CIRC dans son rapport publié était absentes de son manuscrit intial, et qu’en plus, l’organisme a refusé de s’expliquer sur les raisons de ce revirement.
Désavoué par un grand nombre d’agences sanitaires nationales ou internationales, la sincérité de son monographie sur le glyphosate d’autant plus questionnable que sa communication et le comportement de certains de ces membres laissaient à désirer, le Circ s’est néanmoins complu dans son isolement, rendu possible par la complicité des médias qui pèsent beaucoup plus que les avis scientifiques dans la démocratie des crédules. C’est pourquoi sa réaction suite à la publication de l’étude de l’AHS n’est finalement pas surprenante : « « En réalité, l’analyse du groupe de travail du Circ et les données de toutes les études prises ensemble montrent une association statistiquement significative entre le lymphome non hodgkinien et l’exposition au glyphosate. (7)»
Pourtant, rappelons, l’étude de cohorte de l’AHS, négative pour le LNH, a beaucoup plus de valeur que les « preuves » collectées par le Circ en faisant son cherry-picking.
Pour autant d’ailleurs, le Circ ne se prive pas de souligner son « intérêt » pour le seul résultat de l’AHS qui l’arrange : « La nouvelle étude fournit toutefois de nouvelles découvertes intéressantes sur l’association entre exposition au glyphosate et leucémie, un autre cancer du sang, dans la population étudiée ». Rappelons qu’il s’agit du résultat évoqué plus haut, une association portant sur moins de 1% des cancers ! C’est confirmé, le CIRC se moque du monde.
Dans les médias : « Euh…allô, professeur Veillerette ? »
Compte-tenu de l’actualité, les médias, après avoir martelé l’opinion sur le classement par le Circ du glyphosate, ont bien été obligés de parler de cettte étude américaine. Mais dans la plupart des cas, ce fut pour relayer l’opinion de François Veillerette de Générations Futures , que rien ne fera changer d’avis. La présentation de la « polémique » par l’Obs est exemplaire de l’état d’esprit ambiant(8).
« On le sait, ce produit dont la marque la plus connue est le RoundUp de Monsanto, est suspecté de nombreux méfaits : cancers, malformations du foetus, stérilisation des sols [NDLR :rien que ça !]… En 2015, un rapport du très sérieux Centre international de recherche sur le cancer (Circ) le classait ainsi "cancérogène probable chez l’humain". La messe semblait dite. Sauf qu’une étude publié dans le "Journal of the National Cancer Institute" semble bousculer les certitudes. »
La logique de ce journaliste a de quoi faire frémir ! « Cancérogène probable » selon le Circ (évidemment « très sérieux) » ? « La messe semblait dite » ! Mais l’étude AHS semble bousculer les « certitudes ».
Heureusement, il y a Veillerette, expert bien connu en épidémiologie, pour lui expliquer : « D’abord, il n’y a rien de nouveau sous le soleil : elle reprend les conclusions d’une précédente étude, publiée en 2005 par la même équipe et qui portait sur le même panel d’agriculteurs ». Non, cette étude ne reprend pas les conclusions, elle aboutit aux mêmes conclusions !
Plus fort encore, Veillerette explique : « Toutes les études ont leurs forces et leurs faiblesses. La force de l’étude américaine est la robustesse de son panel et la durée du recueil des données. Mais sa faiblesse, c’est qu’elle ne compare pas les groupes d’agriculteurs avec rigueur. Je m’explique : les agriculteurs qui pulvérisent du glyphosate sur leurs parcelles sont considérés par l’étude comme un peu/assez/très exposés et ceux qui n’en pulvérisent pas comme non exposés. Mais que signifie "non exposé" ? Des prises de leur sang, des recueils de leurs cheveux ou leur urine ont-ils été effectués ? Non. »
Très drôle ! Ainsi l’étude ne comparerait pas les groupes avec rigueur ! Mais notre épidémiologiste distingué perd une superbe occasion de se taire lorsqu’il ajoute : « (..) je vous rappelle que le Circ a travaillé en analysant un grand nombre d’études internationales, pondérées selon leur pertinence avec une grande rigueur. C’est un travail plus large, plus exhaustif, plus complet et donc plus digne de foi que cette étude qui ne porte que sur un seul panel, fût-il large. Ses conclusions resteront donc inchangées. Par ailleurs, une autre étude de grande ampleur, la North American Pooled Project, est en cours de finalisation. Mais ses premières conclusions déjà rendues publiques, appuient celles du Circ. Il n'y a donc pas de doute à avoir. »
Or, cette dernière étude (9), en cours de finalisation depuis …deux ans, est ce qu’on apelle une étude « poolée », qui se contente d’agréger les résultats plusieurs études « cas-témoins ». Et bien entendu, pas plus que dans l’AHS, on ne mesure l’exposition à partir de prise de sang , de receuil de leur cheveux ou de leur urine !
Même discours de Stéphane Foucart dans Le Monde (10), un peu plus subtil toutefois:
« Or, une telle utilisation [du glyphosate], massive, a conduit à une exposition généralisée de la population américaine. Donc, a fortiori, de la cohorte de travailleurs agricoles suivie. Comment, dans ces conditions, être sûr d’avoir correctement discriminé les individus les plus exposés des moins exposés ? Si la question se pose, c’est que l’intensité de l’exposition des travailleurs enrôlés ne repose pas sur des mesures directes (dans le sang ou les urines) sur chacun d’eux, elle a été estimée grâce à un algorithme. Celui-ci calcule une exposition plausible, en fonction de leurs réponses au questionnaire : selon la fréquence et le type de manipulation de la substance déclarés (application ou mélange du produit, manipulation du matériel de pulvérisation, etc.). Mais l’algorithme ignore les autres sources possibles de contact avec le produit ».
Et comme par hasard, Foucart cite le NAPP, en omettant de préciser que la fiabilité des estimations de l’exposition est beaucoup plus faible !
« Outre l’AHS, une autre grande étude épidémiologique – le North American Pooled Project (NAPP) – est en cours de finalisation. Ce projet, d’ailleurs partiellement dirigé par les scientifiques impliqués dans l’AHS, consiste à réunir et analyser toutes les données des études dites « cas témoins » menées en Amérique du Nord sur le sujet. Non encore publiés, les résultats du NAPP ont déjà été annoncés au cours de conférences et contredisent ceux de l’AHS : ils indiquent un doublement du risque de lymphome non hodgkinien pour les personnes ayant manipulé du glyphosate plus de deux jours par an. »
Tiens, tiens, le NAPP ignore aussi les autres sources de contact avec le produit, mais Foucart ne l’a pas remarqué…
Dans une étude de cohorte comme l’AHS (une même population suivie pendant 20 ans), la collecte régulière des informations permettant d’estimer l’exposition au produit précède les cas de cancers, dans les études cas-témoins outlisées par le NAPP, l’estimation se base également sur des questionnaires, mais elle est faite rétrospectivement, en faisant appel à la mémoire des personnes, ou de leurs parents lorsque celles-ci sont décédées !
A cela, il faut ajouter qu’agréger des données issues d’études hétérogènes n’est pas une chose facile. Ce qui pourrait expliquer quelques bizarreries dans les résultats de l’infâme brouillon de cette étude dont voici résumés les résultats :
1/ Les personnes ayant déjà utilisé du glyphosate avaient un risque relatif d’avoir un LNH significativement plus élevé que les témoins.
2/ Ceux qui ont utilisé le glyphosate pendant plus de 3 ans et demi avaient un risque plus élevé d’avoir un SLL ( une sous-catégrorie de LNH) que les autres.
3/ Ceux qui ont manipulé du glyphosate plus de 2 jours par an avaient un “ODDS” (11) significativement élevé que les autres pour l’esnemble des LNH ainsi que pour les DLBCL (une sous-catégrorie de LNH)
On remarquera que 1/ et 3/ concernent des résultats statistiquement significatifs, mais pas 2/, ce qui est quand même stupéfiant de la part de professionnels.
D’autre part, dans l’article, les auteurs notent pour l’ensemble des LNH au contraire une relation inverse entre la durée d’utilisation et le risque associé !
Pour une moyenne d’utilisation supérieure à deux jours par an, le risque relatif serait à peu près le double que pour les utilisateurs qui le manipulent un ou deux jours par an. Un résulat suspect à plus d’un titre. D’abord parce que 2 manipulations par an, c’est très peu. Ensuite parce que cela inclut, au moins théoriquement, des personnes qui ont utilisé du glyphosate deux fois dans leur vie…la même année. Enfin, les auteurs nous indiquent également un risque accru pour un nombre total de jours de manipulation dans la vie supérieur à 7, en donnant l’exemple des lymphomes de type SLL, qui n’est pas significatif !
L’équipe est visiblement partie à la pêche aux alphas (12), aux résultats dits « significatifs », mais elle a tellement peu d’aplhas dans ses filets, qu’elle remplit ses pages blanches de tous les poissons qui lui tombent sous la main.
Signalons d’ailleurs que d’après un diaporama de présentation de cette étude (13), presque tous les résultats deviennent non significatifs, une fois ajustés ,comme il se doit, en fonction de tous les paramètres connus (age, sexe, Etat/Province, exposition à d’autres produits, utilisation d’équipement de protection…).
Bref, le néant quasi-absolu !
Conclusion
Ceux qui rejettent les résulats de l’AHS au nom d’un prétendu manque de rigueur, pour lui opposer l’étude non publiée du NAPP se moquent de nous. En réalité, on peut dire que si l’AHS n’a rien trouvé sur une étude aussi vaste et aussi longue, c’est qu’il n’y a vraisemblablement rien à trouver.
Ca n’est certainement pas le NAPP qui peut remettre en cause cela.
Un jour probablement, le glyphosate sera dépassé, à cause de l’évolution des adventices. En attendant, il rend d’immenses services aux agriculteurs, et il n’y a aucune raison valable pour qu’il soit interdit. Il vient d’être réautorisé pour 5 ans par l’Union européenne, la France votant contre, et Macron a annoncé : « J’ai demandé au gouvernement de prendre les dispositions nécessaires pour que l’utilisation du glyphosate soit interdite en France dès que des alternatives auront été trouvées, et au plus tard dans 3 ans ». Très fort ou très prétentieux, cet homme qui semble penser que les alternatives se trouvent sur simple injonction présidentielle ! Mais aussi, quel aveu ! « dès que des alternatives auront été trouvées », cela indique que la France a voté contre le renouvellement du glyphosate, en sachant pertinemment qu’il n’y avait pas d’alternatives à l’heure actuelle. Pitoyable !
Le gouvernement va-t-il se coucher devant les obscurantistes qui demandent que la France interdise le glyphosate malgré le vote européen ?
PS : A peine le vote terminé, Le Monde se lance déjà dans une nouvelle attaque contre l’AHS(14). Monsanto aurait encore manœuvré pour que l’étude soit publiée afin de contrebalancer « les dégâts de la classification du glyphosate par le Circ » en mars 2015. C’est désormais fait, deux ans et demi après la réaction de Monsanto. Autrement dit, les chercheurs de cette étude ne se sont pas vraiment empressés de répondre à ces supposées sollicitations !
Mais si, nous dit Foucart , qui essaie de faire planer les soupçons sur le Journal qui l’a publié : « La publication a été d’ailleurs conduite au pas de charge. Le JNCI a accepté l’article un mois après sa soumission à la revue, un délai rarissime dans le monde de l’édition scientifique. Le Monde a par exemple examiné les deux cents derniers articles de recherche publiés par le JNCI : aucun d’eux n’a été accepté aussi vite. « La soumission de l’article a coïncidé avec des améliorations dans le processus de prise en charge des articles », explique Patricia Ganz, la rédactrice en chef de la revue. »
En réalité, le délai était d’un mois et demi (entre le premier manuscrit reçu par l’éditeur le 22 août, le version révisée le 20 septembre, et son acceptation le 6 aôut, pour une mise en ligne le 9 novembre). C’est en effet assez court, mais ça n’est pas ce que raconte Foucart. Et le délai entre la version initiale dépend aussi de l’importance des révisions demandées et de la réactivité des auteurs. Enfin, l’examen des autres articles publiés récemment par le JNCI montre des délais très courts entre la date de réception de l’article révisé et son acceptation par le journal, confirmant les dires de sa rédactrice en chef.
Mais il faut bien semer le doute, n’est-ce pas ?
Notes :
(1) Journal of the National Cancer Institute, djx233, https://doi.org/10.1093/jnci/djx233
(2) Environ Health Perspect. 2005 Jan; 113(1): 49–54. doi: 10.1289/ehp.7340
(4) http://seppi.over-blog.com/
(5) http://www.marcel-kuntz-ogm.fr/
(6) https://www.reuters.com/investigates/special-report/who-iarc-glyphosate/
(8) https://tempsreel.nouvelobs.com/planete/20171121.OBS7630/le-glyphosate-cancerogene-ou-pas.html
(11) l’ODDS est un ratio à partir duquel on calcule le risque relatif
(12) une petite explication amusante sur Forum Phyto :
http://www.forumphyto.fr/2016/04/01/la-peche-aux-alphas-non-ce-nest-pas-un-poisson-davril/