In vino bio veritas ?
Avertissement : la source utilisée pour cet article a été à juste titre contestée. J’aurais du publier beaucoup plus vite cette mise au point. Nous publierons ultérieurement un commentaire sur l’étude effectivement publiée par JWE, dont les chiffres diffèrent de celle « pré-publiée ». Je reviendrai dans le courant de l’été sur celle-ci.
Anton Suwalki
On se souvient de la page de publicité achetée dans le Monde par Greenpeace, Générations Futures and co, à la veille du vote du parlement sur l’interdiction des néonicotinoïdes. Le pendant de ces actions de lobbying, c’est la promotion du « bio ». Le 5 septembre, un article de Foucart, « Des vertus du vin bio » (1) s'attelle à cette tâche périlleuse.
« Le vin bio est-il trop souvent une déplorable piquette ? Serait-il au contraire, toutes choses égales par ailleurs, comparable voire meilleur que le vin conventionnel ? » Dénonçant les préjugés symétriques des « plus sensibles à l’environnement » et des « plus écolophobes d’entre nous », Foucart entend faire reculer l’ignorance. Oui, les vins bio sont meilleurs, affirme-t-il, la science le prouve.
« Trois économistes viennent d’apporter, dans la dernière édition de, un premier élément The Journal of Wine Economics de réponse décisif. Magali Delmas et Jinghui Lim, de l’université de Californie à Los Angeles (UCLA), et Olivier Gergaud, professeur à la Kedge Business School, à Bordeaux, ont colligé 74 148 notations de vins californiens, publiées entre 1998 et 2009 dans trois revues (Wine Spectator, Wine Advocate et Wine Enthusiast) dont les évaluations sont issues de dégustations à l’aveugle.
Résultat : les vins « bio » (selon la certification officielle californienne) ou « biodynamiques » (selon la certification privée de Demeter) affichent en moyenne un score supérieur de 4 points aux vins conventionnels, sur une échelle graduée de 50 à 100 — 50 étant le score d’une épouvantable piquette, un grand cru d’exception pointant entre 90 et 100. »
Il y a plusieurs points gênants dans ces affirmations :
1/ d’abord, dans le dernier volume publié du Journal of Wine Economics, consacré à l’impact du changement climatique, l’article ne figure pas. L’article n’a pas non plus été publié en 2015.
2/ Une version « document de travail », datée de janvier 2016 a bien été publiée. Il y est précisé que le papier n’a pas été revu par les « pairs », et qu’il ne reflète pas nécessairement le point de vue de l’American Association of Wine Economists qui édite la revue. Par contre, il est publié sur le site de l’Université de Californie dont l’un des co-auteurs fait partie(3), mais pas sous couvert du JWE.
3/ Plus étonnant encore : dans aucune des deux versions, il n’est fait état d’un score supérieur de 4 points aux vins conventionnels. La moyenne globale des scores des vins conventionnels est même légèrement supérieure à celui des vins bio : 87,612 contre 87,080. C’est dans le « modèle de régression » qu’apparaît pour les auteurs un effet légèrement positif de l’éco-certification en tant que facteur propre.
« Comme montré dans la régression, l’éco-certification a un impact statistiquement significatif sur le score. Être éco-certifié (c'est-à-dire certifié bio NDLR) accroît le score du vin de 0,46 point en moyenne. » On est quand même bien loin des 4 points annoncés par Foucart. Où notre célèbre journaliste scientifique est-il aller pêcher ses infos ?
L’ignorance recule ? Pas si sûr…
Avant de chercher à expliquer pourquoi le vin bio serait meilleur et de se lancer des extrapolations échevelées, il faudrait déjà commencer par apporter la preuve que le mode de production biologique aboutit à un meilleur vin. Or l’étude présentée dans le Monde n’apporte pas le moindre début de preuve. Visiblement impressionné, Foucart écrit :« les auteurs, financés par l’UCLA, ont passé à la question leur base de données, contrôlant toute sorte de paramètres pour garantir que l’effet favorable mesuré est, bel et bien, attribuable au mode de production biologique du vin et non aux cépages utilisés, à son producteur, à sa région de production, à son millésime, etc. »
Bof, bof. Un examen attentif du papier (un peu plus attentif que celui de Foucart) montre que l’éco-certification est « statistiquement significative » à p=0,1, ce qui est déjà une garantie très mince (4). Et encore ! l’impact (positif) n’est significatif que pour le vin rouge...
On peut aller un peu plus loin. Il n’existe strictement aucune garantie d’un effet favorable du mode de production biologique : les variables prises en compte dans le modèle aboutissent à un « R2 » dérisoire de 0,143 : dit autrement, les auteurs sont seulement capables d’ « expliquer » 14% des écarts dans la cotation du vin. Ils ne contrôlent rien du tout. Bien d’autres détails techniques mériteraient d’être relevés.
Résumons : les facteurs influençant la notation des vins échappent à peu près complètement aux auteurs de l’étude.
Pourtant l’un d’entre eux assure au Monde: « Nous menons la même expérience sur des vins français, à partir des évaluations du Gault & Millau, [précise Olivier Gergaud]. Et les résultats que nous obtenons, bien que préliminaires, vont dans le même sens. » Ça promet !
Remarquons qu’une fois n’est pas coutume, Foucart n’a pas enquêté sur de possibles conflits d’intérêts des auteurs (5).
Anton Suwalki
Notes
(1) http://www.lemonde.fr/idees/article/2016/09/05/des-vertus-du-vin-bio_4992426_3232.html (en accès restreint)
(2) http://www.wine-economics.org/journal/details-content/volume-11-2016-no-1/
(3) http://escholarship.org/uc/item/5fg7d7th
(4) Dans les études expérimentales sérieuses, un tel seuil n’est pas considéré comme significatif
(5) Je ne sous-entends pas qu’ils en aient. De toute façon, ça n’est pas le critère déterminant de la valeur d’une publication.