Conflits d’intérêts : quand Stéphane Foucart balance sur le « GIEC de la biodiversité »
« Parmi les experts du principal rapport sur la pollinisation, deux salariés de l’industrie chimique ». Tel est le titre d’un article de Stéphane Foucart dans le Monde du 23 février. Il parle ici des experts de la Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), souvent nommé le GIEC de la biodiversité. Selon Foucart, serait « confrontée à la suspicion d’une partie de la communauté scientifique ».
Le titre nous indique bien sûr les motifs de cette suspicion : deux salariés de l’industrie chimique. Bref, le diable ! « C’est un peu comme si certains chapitres du dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) avaient été pilotés par des scientifiques employés par des géants du charbon ». Une comparaison qui ne manque pas de sel, venant d’un défenseur acharné d’un organisme qui n’a jamais brillé pas sa transparence…
Dans une correspondance parue dans Nature fin 2014 (1), des chercheurs avaient mis en cause, sans les nommer, la présence de deux « représentants » de l’industrie agrochimique parmi les auteurs d’une évaluation des pollinisateurs par l’IPBES : « de notre point de vue, de tels scientifiques financés par de telles industries ne devraient pas être des auteurs principaux ou des coordonnateurs de telles évaluations ».
La question des conflits d’intérêts n’est évidemment pas une question simple. Mais peut-on écarter, par principe, des chercheurs, simplement parce qu’ils viennent de l’industrie ? S’ils ont réellement été sélectionnés en fonction de leurs compétences, comme l’affirme vice-président de l’IPBES, et en toute connaissance de leur lien avec l’industrie, où est réellement le problème ?
Notons que le site de l’IPBES mentionne l’organisme d’appartenance des deux « suspects », et que cela ne fait que deux personnes pour 82 personnes impliquées dans l’écriture du rapport sur les pollinisateurs (2). De plus, si Helen Thompson (Syngenta) intervient dans le chapitre traitant de l’effet de l'utilisation des fongicides et des insecticides, cela n’est pas le cas de Christian Maus (Bayer). Celui-ci est impliqué dans la rédaction d’un chapitre introductif très vaste et très général, et non pas uniquement, comme l’écrit Stéphane Foucart, «sur la diversité des pollinisateurs » . D’ailleurs visiblement peu conscient de ses contradictions, le journaliste ironise : « Quant au scientifique employé par Bayer et sélectionné par l’IPBES, il n’a pas été pris dans de telles controverses [NDAS : comme le serait Helen Thompson]: auteur principal du chapitre sur la diversité des pollinisateurs, il n’a jamais publié de travaux sur le sujet ». En même temps, on voit mal dans ces conditions, comment ses supposés conflits d’intérêts pourraient intervenir dans la rédaction d’un tel chapitre. Mais visiblement, être employé dans la chimie suffit pour être désigné comme un pestiféré.
Des accusateurs eux aussi un peu suspects
On aurait d’ailleurs aimé un peu plus de transparence de la part du journaliste à propos des responsables de l’attaque qu’il relaie : les 3 signataires de la lettre à Nature sont lié à l’UICN ou la WWF. Dave Goulson, qui a contesté une étude d’Helen Thompson sur l’effet des insecticides néonicotinoïdes ? Tiens, lui aussi est un activiste financé par des ONG, et impliqué dans la task-force de l’UICN visant à bannir les néonicotinoïdes. C’est un « allié » des Amis de la Terre, de l’aveu même de cette ONG (3). Il affirme que les néonicotinoïdes sont totalement inefficaces, prenant visiblement les agriculteurs pour des imbéciles (4). Ses recherches ? Du très lourd, évidemment ! Par exemple, dans une étude parue en 2015 (5), il explique que les résidus de néonicotinoïdes en bordure des champs sont une source d’exposition chronique pour les abeilles. Comiquement, il y en aurait davantage dans le pollen des fleurs sauvages que dans celui du colza traité !
On peut donc légitimement retourner la suspicion contre ceux qui la répandent à l’encontre de Christian Maus et d’Helen Thompson : avant même qu’ils aient commis la moindre faute, ceux-ci sont montrés du doigt par des individus dont le but avoué est d’obtenir l’interdiction des néonicotinoïdes. Cette campagne relayée par Le Monde est un moyen de faire monter la pression sur cet organisme. D’autant plus que Foucart en rajoute : « D’autres auteurs cependant, universitaires ou membres d’organismes de recherche publics, ont également des liens d’intérêts avec des firmes agrochimiques, selon nos informations. » On appréciera la valeur de telles insinuations, selon des « informations » que le journaliste garde courageusement pour lui.
C’est un peu comme si le GIEC….
Comme le rappelle Foucart, dans leur article publié par Nature, Axel Hochkirch et ses coauteurs critiquaient « l’absence de règles explicites dans la nomination et la sélection des experts ». « Les États membres et les « parties prenantes » proposent des noms de chercheurs. Ensuite, c’est le Groupe d’experts multidisciplinaire, l’un des organes centraux de l’IPBES, qui sélectionne ceux qui seront retenus pour participer à l’expertise ». Et dans le cas du GIEC ? « La sélection s’effectue comme suit: un appel à candidatures est d’abord lancé auprès des gouvernements
et des organisations ayant le statut d’observateur auprès du GIEC; des curriculum vitae détaillés sont ensuite remis et les auteurs sont sélectionnés en fonction de leurs compétences ». Avouons que la différence, sil y en a une, doit être particulièrement subtile. Or je ne me souviens avoir lu dans le Monde de critique sur l’ « absence de règles explicites » concernant le GIEC.
Oui, mais là, tout de même, deux salariés de l’industrie chimique… Reprenons la délicieuse analogie de Foucart : « C’est un peu comme si certains chapitres du dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) avaient été pilotés par des scientifiques employés par des géants du charbon ».
Des géants du charbon, certes, non ! Mais, essayons une autre hypothèse : « C’est un peu comme le dernier rapport du GIEC sur les énergies renouvelables avaient été pilotés par des membres du Conseil européen des énergies renouvelables (EREC) ». Or, selon ce rapport (le SRREN) publié en 2011, les énergies renouvelables pourraient fournir jusqu’à 77% de l’électricité mondiale en 2050. Comment expliquer un chiffre aussi improbable ? Le rapport comprenait parmi ses principaux un certain Sven Teske, de Greenpeace, et coauteur d’une étude intitulée Energy [r]evolution, menée avec… Le conseil européen des énergies renouvelables, autrement dit le lobby de l’industrie des énergies renouvelables !!!
Comme quoi, avant de chercher la paille dans l’œil de l’IPBES…
Anton Suwalki
(1) Biodiversity reports need author rules, Nature volume 516, Dec 2014
(2) http://www.ipbes.net/work-programme/pollination
(3) https://www.foe.co.uk/what_we_do/our_bee_cause_allies_39436
(4) https://www.youtube.com/watch?v=6DEkm1p-Y-A
(5) Environ. Sci. Technol (2015)• DOI: 10.1021/acs.est.5b03459