Petite leçon de propagande à l’usage des lobbyistes citoyens et professionnels, par A. Kollantaï
Cet article est un extrait, légèrement remanié pour l’occasion, d’un essai à paraitre, intitulé Homo ineptus, essai sur l’inaptitude acquise des masses à la démocratie. Je me suis intéressé au conflit entre Imposteurs et Benjamin Sourice de Combat Monsanto comme j’observe et j’analyse, du fait du thème de mon essai, à des nombreux conflits d’opinions. Ayant théorisé la formation des convictions et de la fabrication de l’opinion à partir des dernières découvertes des neurosciences, j’emploi quelques concepts inédits que j’ai succinctement définis dans les notes, ils sont bien entendu expliqués et argumentés de manière bien plus solide dans le corps de mon essai.
Si vous voulez creuser la question, il faudra lire mon essai, je devrais avoir terminé la rédaction au plus tard durant l’été et il devrait être publié d’une manière ou d’une autre d’ici la fin de l’année. Pour être honnête proposer cet article à Anton/Stéphane est surtout une manière de le promouvoir auprès d’un public potentiellement intéressé, quel que soit le camp auquel il appartient.
A. Kollantaï
Auteur d’un essai sur le contre lobbying citoyen[i], le blogueur/journaliste indépendant Benjamin Sourice s’est attaqué[ii] à un gros morceau, le présumé portail du lobby pro OGM, le blog Imposteurs. Malgré le fait qu’il sera en apparence très bien accueilli par la frange la plus radicale du mouvement, cet article pourrait bien devenir une très mauvaise publicité pour la cause anti OGM[iii]. L’auteur se laisse emporter par son élan et laisse échapper plusieurs éléments pouvant induire une déconstruction de conviction par dissonance émotionnelle[iv]. Comme en témoigne les messages de soutien déposés sur Imposteurs, loin de plonger les habitués du blog dans le doute, l’attaque, jugée diffamatoire et infamante, a renforcé leurs convictions. Ce même effet dissonant risque même de rallier des hésitants contre la cause anti OGM (ou du moins contre les abus de Sourice) et de laisser une empreinte mémorielle problématique, même inconsciente, chez les militants antis OGM.
La première dissonance est l’écart entre la présentation du blog Imposteur et la réalité des faits. Faire parler, même en mal, par n’importe quel moyen, ça suffit pour attirer du monde. Mettre en avant une source ennemie, surtout si elle n’est pas franchement populaire, n’est pas forcément la meilleure chose à faire. La bourde risque même de s’aggraver si l’internaute a la curiosité d’aller sur Imposteurs. A la place d’un important portail de propagande pro OGM géré en temps réel par une agence de communication ou des employés d’une multinationale, il ne découvrira qu' un blog austère animé par un chargé d’étude de l’INSEE et un présumé retraité. Sans aucun respect pour les canons de la communication, les auteurs d’Imposteurs, même s’ils usent d’ironies et de moqueries (il faut bien exciter un peu le pathos), rédigent des articles (trop) longs, trop techniques, presque totalement dépourvus d’illustrations (le blog n’a ni logo ni slogan ni iconographie, éléments indispensables de toute campagne de propagande digne de ce nom) et avec une mise en page catastrophique qui rend la lecture franchement pénible (ma contribution ne fera pas exception).
Le blog Imposteurs parait bien archaïque si on le compare à l’esthétique et l’ergonomie impeccables des sites internet de la galaxie anti OGM[v]. Bien que prétendument soutenu par des multinationales qui brassent des milliards, l’internaute possédant un tant soit peu de sens critique sera surpris de constater qu’elles refusent de lâcher quelques dizaines d’euros par mois pour payer un thème et un hébergement digne de ce nom à leur fidèle cabinet de communication et de lobbying. Malgré tous ces défauts qui feraient pleurer du sang à n’importe quel stagiaire en marketing, Benjamin Sourice est persuadé d’avoir mis la main sur des lobbyistes professionnels et aguerris qui mènent depuis plusieurs années une campagne de dénigrement utilisant des techniques modernes de lobbying viral.
La second dissonance, qui renforce et complète la première, est introduite par un passage précis, souligné par plusieurs commentateurs sur Imposteurs. Benjamin Sourice y décrit la stratégie qu’utiliseraient les lobbyistes professionnels et aguerris d’Imposteurs pour capter un maximum d’audience et ternir l’e-réputation des militants antis OGM:
« Par la suite, tous les articles d'Imposteurs.org seront publiés en double sur le site de Contrepoints. Là encore, l'utilisation d'un site miroir est en réalité une technique de référencement internet, permettant notamment de multiplier les sources et de contourner la censure. »
L’utilisation, confirmée après l’édition suite aux premières réactions, du mot censure est très étonnante et dérangeante. Ce mot est doublement dissonant. D’abord d’un point de vue sémantique, il ne fait pas parti de la LQR[vi], le public n’a pas l’habitude l’entendre ou de le lire. Surpris, leurs cerveaux risquent de sortir du Réseau Mode par Défaut[vii] et traiter la prose de Benjamin Sourice avec les capacités analytiques de leurs Réseaux Centraux d’ Exécutions, ce qui les rendrait moins sensibles aux émotions, plus critiques et plus difficiles à convaincre.
Au niveau thématique revendiquer la censure, c’est un gros cheveu dans la soupe biologique, durable, locale, démocratique, citoyenne et équitable du mouvement anti OGM. A l’inverse des idéologies totalitaires qui assument leurs volontés d’éliminer leurs adversaires, ce mouvement, bien qu’il emploie la force via les fameux faucheurs d’OGM, se pare de toutes les vertus possibles et entretient une posture victimaire. Imposer à autrui une censure n’est pas compatible avec leur narration, c’est eux (Séralini, Pusztai ou encore Chapela) qui sont censés être les victimes de la censure.
Face à Monsanto, avatar du Capitalisme, Benjamin Sourice n’hésite pas à briser la ligne de communication classique du mouvement anti OGM et revendique le fait de recourir à la censure. Nonobstant le fait que l’idée même de censurer l’expression de l’opposition pourrait rappeler les heures les plus sombres de notre histoire, Benjamin Sourice va encore plus loin. Il admet explicitement qu’en l’état la parole pro OGM fait déjà l’objet d’un Patriot Act de fait. Il conclut même appelant à une action de justice contre tous ces opposants à la marche du Bien et de la Vérité.
L’erreur fondamentale de Benjamin Sourice est d’avoir laissé libre court à sa dialectique manichéenne et moraliste. Elle est tout à fait comparable à la doctrine politique étrangère des USA : oui la guerre c’est sale, ça tue, mais elle est justifiée si c’est pour la démocratie et les droits de l’Homme. Dans la lutte du bien contre mal tous les coups sont permis, tous ceux qui ne sont pas explicitement dans le camp du Bien sont dans celui du Mal, puisque le Bien est pur, parfait, indiscutable. Non seulement les opinions ouvertement pro OGM mérite l’opprobre, mais quiconque oserait, comme le pauvre J-D Flaysakier, évoquer la faiblesse des preuves scientifiques brandies par les opposants aux OGM[viii], se voit automatiquement attribuer le statut de VRP des OGM et de porte-parole de Monsanto[ix].
Dans ces conditions il n’a pas forcément le recul pour comprendre que la force (auprès des masses, pas forcément du point de vue des militants actifs) du mouvement anti OGM est qu’il parvient à concilier une censure de fait, c’est-à-dire leur domination dans l’espace médiatique, tout en conservant une image d’indépendance et de modestie face aux multinationales. Une posture arrogante, revendiquant la censure, ciblant des opposants isolés et visiblement peu soutenu par leur prétendu donneur d’ordre, le tout conclu par un appel au lynchage (judiciaire) est émotionnellement dissonante si on l’introduit dans le schéma mémoriel construit par la communication anti OGM.
La faiblesse du lobby pro OGM et l’agressivité des antis OGM qui apparait suite à l’enquête de Sourice risque de perturber l’image mentale de la polémique dans la tête du lecteur, il pourrait se demander qui est vraiment la victime dans cette affaire, qui subit la censure. L’incompatibilité entre cet article et l’image traditionnelle du mouvement anti OGM risque de fragiliser l’opinion des lecteurs qui bien que plutôt opposés aux OGM ne partagent pas forcément l’agressivité et le jusqu’au boutisme de Benjamin Sourice. Cette faille qui pourrait s’élargir si le sympathisant libéré du conditionnement par la déschématisation post inhibition transmarginale[x] mobilise ses capacités analytiques pour faire l’effort de lire quelques articles d’Imposteurs.
A. Kollantaï
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Notes :
[i] Benjamin Sourice. Plaidoyer pour un contre-lobbying citoyen. Editions Charles Léopold Mayer, 2014
[ii] Version édité : http://blogs.mediapart.fr/blog/benjamin-sourice/180515/lanceurs-dalertes-et-e-reputation-revelations-sur-la-strategie-de-diffamation-du-lobby-ogm
Version d’origine, dans le cache de Google : http://webcache.googleusercontent.com/search?q=cache:qND4-ZHVLh8J:blogs.mediapart.fr/blog/benjamin-sourice/130515/lanceurs-dalertes-et-e-reputation-revelations-sur-la-strategie-de-diffamation-du-lobby-ogm+&cd=1&hl=fr&ct=clnk&gl=fr&client=firefox-a
[iii] Yann Kindo. Festival de « révélations » du lobby anti-OGM. 15 mai 2015, blog Médiapart.
http://blogs.mediapart.fr/blog/yann-kindo/150515/festival-de-revelations-du-lobby-anti-ogm
[iv] Une conviction est un ensemble d’entrées mémoires formant un schéma associant un contexte, des faits, des émotions, le tout est idéalement articulés comme une construction narrative. Tous ces éléments doivent aller dans le même sens, celui de la conviction. Si des entrées mémoires émotionnellement dissonantes rentrent dans le schéma, même s’il peut être très résistant, l’accumulation risque d’effondrer de la conviction.
http://www.gmoseralini.org/fr/
[vi] Oliver Hazan. LQR, la langue de la cinquième république. Raison d’agir, 2006
[vii] Réseau Mode par Défaut, état du cerveau en mode émotionnel, social et introspectif, il est inhibé quand on passe en Réseau Central d’Exécution, c’est-à-dire quand nous mobilisons nos capacités analytiques suite à une stimulation trop inédite, nous permettant de réaliser une action volontaire. Le RMD est prioritaire, d’où l’appellation mode par défaut.
[viii] Alessandro Nicolia, Alberto Manzo, Fabio Veronesi, Daniele Rosellini (2014). An overview of the last 10 years of genetically engineered crop safety research. Critical Reviews in Biotechnology 2014 34:1 , 77-88
[ix] Christian Vélot. OGM comment l’expert de France 2 fait de la désinformation Combat Monsanto
http://www.combat-monsanto.org/spip.php?article934
[x] Déschématisation post inhibition transmarginale : croisement de deux concepts, la schématisation mémorielle évoquée précédemment, et l’inhibition transmarginale, méthode découverte par Pavlov pour détruire ou inverser un réflexe conditionnel. Pavlov a en effet découvert qu’utiliser des stimulations trop puissantes, inversées et imprévisibles finit par altérer un réflexe conditionné, le fait disparaitre et même s’inverser. La déschématisation post inhibition transmarginale consiste à employer (volontairement ou par accident) la même méthode pour retourner un sympathisant ou militant d’une cause en lui envoyant des signaux trop forts (radicalité excessive dépassant la capacité de réaction du sujet à travers l’injonction de censure et de poursuite pénale) et inversés (ici l’apparence du blog Imposteurs n’est pas compatible avec le discours le décrivant comme un important lobby financé par une puissance industrie). Une fois sa conviction détruite il sera plus ouvert à l’induction d’une nouvelle opinion.