OGM, pesticides : l'information selon l'AFP et d'autres, par Wackes Seppi

Publié le par Anton Suwalki

Il nous est arrivé plusieurs fois de critiquer sur ce site l'Agence France Presse pour sa partialité sur des sujets qui agitent la société française. Voici de nouveaux exemples de ce que nous appellerons pudiquement un problème de déontologie journalistique.

Les « faucheurs volontaires » vandalisent... l'AFP rapporte...

Le dimanche 5 avril 2015, à La Pouëze (Maine-et-Loire), une soixantaine de « faucheurs volontaires » ont piétiné une parcelle d'essais de colzas d'un peu plus d'un hectare d'un organisme public, le Groupe d'Étude et de Contrôle des Variétés et des Semences (GEVES). Le rôle du GEVES est essentiellement de mener les essais en culture des variétés préalables à leur inscription au Catalogue Officiel des Espèces et Variétés (à l'autorisation de mise sur le marché et de culture) et à leur protection juridique, ainsi que les analyses de semences dans le cadre de la certification.

Les vandales entendaient [1] :

« - Dénoncer l’absence de transparence concernant les cultures et les essais de Variétés rendues Tolérantes à un Herbicide (VrTH).

- Réaffirmer l’obtention nécessaire et urgente d’un moratoire sur la culture et les essais de toutes les variétés de plantes génétiquement modifiées sans condition de mode d'obtention, pour être rendues tolérant à un herbicide, particulièrement les Colzas et les Tournesols.

- Faire reconnaître que les variétés obtenues par mutagénese sont bien des OGM pour les soumettre elles aussi aux obligations d'évaluation, d’étiquetage et d’information relatives aux organismes génétiquement modifiés. »

Nous poserons ici simplement que les « faucheurs » se trompent sur toute la ligne – sans nul doute volontairement pour la plupart d'entre eux –, et que l'objectif réel est de maintenir la contestation technophobe, l'ardeur activiste et la présence dans le paysage médiatique.

Le GEVES a communiqué sobrement sur l'étendue des dégâts [2]. Les instances gouvernementales se sont aussi illustrées par un silence pesant. Était-ce la volonté de ne pas ajouter au bruit médiatique, du reste peu important ? Ou de ne pas cautionner, par une condamnation ferme du saccage, une évolution technologique que ses détracteurs s'ingénient à présenter comme un danger ?

La parcelle comportait des essais VATE (valeur agronomique, technologique et environnementale), préalables à l'inscription au Catalogue, de 120 variétés et des essais de contrôle variétal sur 120 autres variétés déjà inscrites [3]. Ce qui a été détruit, c'est donc l'acquisition de connaissances – les faucheurs d'OGM sont des faucheurs de science. Peut-être aussi, les perspectives économiques de certains acteurs de la filière du colza (« semenciers », surtout français, confrontés à la concurrence internationale, mais aussi agriculteurs et industriels) souffriront-elles d'un retard d'un an.

Combien y avait-il de VrTH dans les essais ? Il nous a été dit qu'il n'y en avait pas. Pour le puriste, c'est de toute manière zéro dans le cas des essais VATE : une fois le caractère – ici de résistance à un herbicide – acquis (du reste quel que soit le mode d'obtention), on valorise ce caractère dans des programmes classiques d'amélioration des plantes, par croisements et sélection.

Il faut aussi noter les termes de la deuxième revendication des « faucheurs » : « moratoire » est évidemment un euphémisme pour désigner une interdiction ; et il s'agit de « toutes les variétés [...] sans condition de mode d'obtention ». Les variétés qui seraient issues d'une mutation spontanée (et non induite comme dans le cas des VrTH) doivent donc aussi être bannies selon les « faucheurs volontaires » et leurs soutiens. Ce n'est pas illogique pour le front du refus du progrès génétique et technologique : une mutation induite, provoquée par l'homme, n'est pas différente, par nature, de la mutation spontanée que l'homme peut repérer dans une culture pour l'exploiter ensuite. Ce qui est donc mis en cause, ce n'est pas seulement une formidable avancée agronomique et écologique ; c'est aussi une pratique millénaire (l'exploitation des mutations) ! Certes – pour l'instant... – en ce qui concerne la résistance à un herbicide.

Les « faucheurs », donc, vandalisent... Le vandalisme n'a d'intérêt que s'il y a un écho médiatique. Et donc... l'AFP est prévenue, et produit une dépêche...

Une dépêche exclusivement en faveur des « faucheurs », avec juste ce qu'il faut d'informations obtenues de la gendarmerie pour que l'ensemble soit cohérent [4].

Le rôle de l'AFP est de produire de l'information, en collant au plus près de l'événement. Sans négliger la difficulté de la tâche, on peut et on doit cependant s'interroger sur la qualité de cette information et, au-delà, de son impact – car l'information n'est pas neutre. Quand en plus on s'ingénie à l'orienter...

Ainsi, on n'a visiblement pas cherché à obtenir le point de vue, et encore moins les précisions, du GEVES. Ainsi donc, les quelques journaux qui ont repris la dépêche, sans recul ni discernement, ont-ils pu propager l'information – fausse – qu'une « parcelle d’essais de colza obtenu par mutagénèse » a été détruite.

Le GEVES porte plainte... ce n'est pas une information...

L'AFP a écrit :

« Les faucheurs volontaires d'OGM "agissent suite à l'échec des discussions avec le GEVES et du refus du gouvernement d'entendre et de tenir compte des oppositions citoyennes légitimes et argumentées", conclut le communiqué » [4].

On apprend par La France agricole que :

« [d]ans un communiqué du 7 avril 2015, le Geves se dit par ailleurs "très surpris de cet acte de vandalisme contre une activité de service public", le dialogue ayant été "à maintes reprises accepté par le Geves, que ce soit avec des collectifs de faucheurs ou avec des organisations locales" » [3].

On y apprend aussi le détail des essais et, par implication, la fausseté de l'information véhiculée par l'AFP.

Le dépôt de plainte a aussi été rapporté dans un articulet par Ouest-France [5]. C'est à peu près tout ce qu'il y a à se mettre sous la dent.

Ajoutons que le gouvernement avait déjà répondu l'année précédente par la voix de M. Stéphane Le Foll.

Suivre un fil, pour l'AFP, pour fournir une information complète aux citoyens ? Vous n'y pensez pas ! Corriger une information erronée ? Mais quoi encore !

Les « faucheurs volontaires » piétinent... Francetvinfo patine

Le comble est atteint par (notamment) Francetvinfo – visiblement « convoqué » sur les lieux du délit préalablement à celui-ci – qui a mis une vidéo en ligne tout en reproduisant la dépêche de l'AFP [6].

On apprend donc par le texte, à commencer par le chapô, qu'une « parcelle d'essais de colza obtenu par mutagénèse a été détruite » et, par la vidéo, que les délinquants ne savaient pas s'il y avait « dans ce champ, oui ou non, des OGM » ou des plantes « mutées ».

Personne ne s'est inquiété d'une incohérence aussi flagrante...

Ajoutons une volée de bois vert à une « journaliste » qui a manifestement besoin d'un cours de droit pour débutants. Elle termine en disant que les « faucheurs » risquent une forte amende ainsi que de la prison... « avec sursis ». Depuis quand le Code prévoit-il des peines avec sursis ? Pour son information, c'est l'article L. 671-15 du Code rural.

La Cour de cassation casse... les médias se tassent

On rappellera que, le 14 mai 2014, la Cour d’appel de Colmar avait rendu un jugement très favorable à 54 « faucheurs volontaires » qui avaient détruit un essai de vignes – plus précisément de porte-greffes – transgéniques de l'INRA en août 2010. L'avocat des prévenus avait bien manœuvré pour écarter l'INRA de la procédure d'appel (en faisant payer les 57.000 euros de dommages et intérêts auxquels les « faucheurs » avaient été condamnés au civil).

Ce jugement – très largement médiatisé – avait été présenté comme une « relaxe ». À tort ! Et nous pouvons en blâmer des médias décidément peu studieux et, c'est un comble, peu informés. Car la relaxe ne concernait que le chef de destruction d'une parcelle d'OGM. La Cour, faisant siennes les conclusions des « faucheurs » et les avis de leurs témoins, avait en effet estimé, sans qu'il y ait eu débat contradictoire, que l'arrêté ministériel autorisant les vignes transgéniques était illégal. Les chefs de violation de domicile et de destruction de biens avaient été maintenus, mais la Cour a prononcé une dispense de peine en raison du paiement des dommages et intérêts.

Le parquet général de Colmar s'était pourvu en cassation, dès le lundi 19 mai 2014. L'information a été beaucoup moins relayée ! Une recherche sur « faucheurs, Colmar, relaxe » donne quelques 9.100 résultats. Ajoutez « parquet », et vous n'en avez plus que 990. Une partie de la population a donc vécu dans l'illusion que les « faucheurs » de Colmar avaient été définitivement « blanchis ». Du reste, le Monde a annoncé le pourvoi sous le titre très ambigu « OGM : la relaxe des faucheurs de Colmar mise en cause » [7] !

On doit toutefois décerner un satisfecit pour la médiatisation, plus importante, de la tribune de soutien à l'INRA signée par douze responsables d'établissements publics de recherche, originellement publiée dans le Monde [8]. Tout n'est pas perdu...

L'arrêt de la Cour de cassation est tombé le 5 mai 2015. Sauf erreur, il n'a pas été publié sur le site de la Cour, du reste fort peu pratique, et c'est bien regrettable. Nul n'est censé ignorer la loi, et la jurisprudence de la Cour fait aussi loi.

Nous tenons l'information du site Inf'OGM, qui l'a publiée sous la forme, curieuse, d'une mise à jour de son article sur les procès de Colmar [9]. Curieuse ? Pas vraiment : l'information est donnée, mais tout de même noyée. Le titre de l'article a été modifié lors de la mise à jour et est, toutefois, explicite. Mais alors que certains considérants de la Cour d'Appel sont mis en valeur dans un encadré, ceux de la Cour de cassation sont relégués dans une note en bas de page :

« l’arrêt énonce que, conformément à l’article R. 533-3 du code de l’environnement, le dossier technique déposé en vue d’obtenir une autorisation de dissémination volontaire dans l’environnement d’organismes génétiquement modifiés doit comprendre les éléments mentionnés aux annexes II et III de la directive 2001-18-CE du 12 mars 2001 ; que les juges procèdent ensuite à l’examen dudit dossier technique, en ses composantes formelles et scientifiques, dont ils déduisent l’absence manifeste d’une véritable étude d’impact de l’essai, répondant aux exigences réglementaires ;

Mais attendu qu’en statuant ainsi, sans procéder à une analyse de l’ensemble des éléments du dossier de demande d’autorisation, en écartant en outre, sans s’en expliquer, l’avis du Haut conseil des biotechnologies, et en retenant, enfin, certaines études scientifiques ciblant le risque de recombinaison des virus sans aucune référence, la cour d’appel, qui n’a pas mis la Cour de cassation en mesure d’exercer son contrôle sur les conditions d’examen de la légalité de l’acte administratif querellé, a privé sa décision de base légale au regard des textes visés par le moyen ».

Volonté de minimiser ou mise à jour par un auteur peu attentif à la structure de l'existant ? Qu'importe. Le site peut s'honorer d'avoir donné l'information. Le site ajoute :

« L’avocat des Faucheurs considère qu’il "s’agit donc d’une cassation de pure forme". »

On se permettra de ne pas être d'accord.

Mais ce qui importe ici, c'est qu'aucun journal n'a repris l'information.

Greenpeace s'agite... l'AFP aussi

Greenpeace s'est rappelé à notre bon souvenir le 13 mai 2015 en organisant une opération à quat'sous devant le siège parisien de la coopérative InVivo. Toujours le même problème : pour exister, ce genre d'entité doit se médiatiser.

L'AFP a donc été prévenue... et elle a accouru. 20Minutes écrit, ou plus précisément reproduit [10] :

« Une quinzaine de militants de Greenpeace ont installé mercredi à Paris de gros bidons symbolisant des pesticides devant l'entrée du siège de la première coopérative agricole de France, InVivo, pour dénoncer l'utilisation intensive de ces produits chimiques, a constaté un journaliste de l'AFP. »

On veut bien qu'elle soit dans son rôle, l'AFP. Mais fallait-il répercuter :

« Les militants ont également déployé une banderole sur la façade d'InVivo qui proclame "Philippe Mangin, Thierry Blandinières: empoisonneurs", en référence au président de la coopérative et à son directeur général » ?

Puisque le mot semble devenu à la mode chez nombre d'acteurs d'un lobby vert qui a décidé d'instrumentaliser la justice pour faire taire ses critiques [11], c'est de la diffamation, dans ce cas-ci réelle et caractérisée. Est-ce encore du journalisme (autre que de caniveau) ?

Et encore une fois, pourquoi détailler les revendications de Greenpeace sans le moindre égard pour les positions d'InVivo, pourtant rappelées dans un communiqué du même jour [12] ?

« Pour produire plus et mieux, InVivo mise sur toute la palette des solutions techniques disponibles, dont les pesticides, et investit fortement dans les domaines de l’agro-écologie, du biocontrôle et de l’innovation technologique (big data et agriculture de précision).

[...]

Les produits phytosanitaires occupent aujourd’hui une place incontournable dans la palette des solutions disponibles pour répondre à l’objectif de produire plus et mieux.

Afin d’optimiser l’utilisation de ces produits phytosanitaires, InVivo investit dans les technologies de pointe (outils d’aide à la décision, agriculture de précision).

Simultanément, InVivo consacre des moyens importants (200 collaborateurs dédiés) à la recherche et au développement dans les domaines de l’agro-écologie (qualité de l’eau, biodiversité, réchauffement climatique) et du biocontrôle.

[...]

Pour nourrir une population mondiale croissante, toutes les solutions doivent être déployées dans le respect des hommes et de la planète. Face à un tel enjeu, il est stérile d’opposer méthodes conventionnelles et méthodes alternatives. »

La misère médiatique française

Ces phrases simples sont trop compliquées pour l'AFP et les médias qui font du copier-coller. Les Français ne doivent pas savoir que la première coopérative agricole de France est lourdement engagée dans la recherche-développement sur tous les aspects de la production agricole et alimentaire, y compris la production par des méthodes plus économes en produits phytosanitaires.

D'autres agences de presse se font, généralement, un point d'honneur de présenter des informations de qualité ; de ne pas succomber à la dictature de l'instant et à la course au scoop à tout prix ; de signaler les absurdités quand il y en a ; de présenter les points de vue de toutes les parties en présence quand il y a polémique ou même débat... En bref, de faire leur métier. Et c'est ce qui les distingue.

Mais, sur des questions telles que les OGM et les pesticides, il est aussi permis de supputer une collusion, dans notre AFP nationale et notre presse, avec des groupes de pression.

Wackes Seppi

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[1] https://fr-fr.facebook.com/moratoireOGMpesticides/posts/665448886917768:0

[2] Leur communiqué de presse n'est même pas directement accessible sur leur site. On le trouvera ici :

http://www.geves.fr/images/Communiqu_de_presseGEVES_7avril2015.pdf

[3] http://www.lafranceagricole.fr/actualite-agricole/colza-fauche-le-geves-porte-plainte-102942.html#kH7uyFCJSOtsKD2l.99

[4] http://www.lalsace.fr/actualite/2015/04/05/une-parcelle-d-essais-de-colza-detruite-par-des-faucheurs-volontaires

http://www.20minutes.fr/nantes/1579939-20150406-parcelle-essais-colza-pietinee-militants-anti-ogm

http://www.leparisien.fr/rennes-35000/mutagenese-une-parcelle-d-essais-de-colza-detruite-dans-le-maine-et-loire-05-04-2015-4668693.php

[5] http://www.ouest-france.fr/colza-detruit-la-poueze-le-geves-porte-plainte-3322778

[6] http://www.francetvinfo.fr/monde/environnement/video-des-faucheurs-d-ogm-detruisent-une-parcelle-de-colza-dans-le-maine-et-loire_869041.html

[7] http://www.lemonde.fr/societe/article/2014/05/19/ogm-la-relaxe-des-faucheurs-de-colmar-mise-en-cause_4421538_3224.html

[8] http://www.lemonde.fr/sciences/article/2014/05/20/relaxe-des-faucheurs-de-vigne-ogm-la-recherche-publique-reagit_4422001_1650684.html

[9] http://www.infogm.org/5634-OGM-histoire-du-proces-faucheurs-vignes-colmar

[10] http://www.20minutes.fr/paris/1607263-20150513-paris-operation-coup-poing-greenpeace-siege-invivo

[11] http://www.agriculture-environnement.fr/a-la-une,6/article/la-gue%CC%81rilla-judiciaire-du-lobby-vert

http://blogs.mediapart.fr/blog/benjamin-sourice/130515/lanceurs-dalertes-et-e-reputation-revelations-sur-la-strategie-de-diffamation-du-lobby-ogm

Et la suite...

[12] http://www.invivo-group.com/fr/invivo-reaffirme-ses-positions-suite-loccupation-de-ses-locaux-par-greenpeace

Publié dans Divers

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V
Nothing Ever Happens on 90th Street by Roni Schotter – Inspires children to remember that every day is filled with small moments that can be captured through writing and transformed into great stories.
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H
D’abord en suggérant que les cages des rats libéraient des substances toxiques.
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H
Ceci, sans compter l'interdiction des propos injurieux, diffamatoires, dont l'article était abondamment pourvu.
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A
Sur l'AFP, il y a un livre de Jean Robin : http://evene.lefigaro.fr/livres/livre/jean-robin-le-livre-noir-de-l-afp-2419597.php
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