Rendements du maïs transgénique : petite partie de ping-pong avec Stéphane Foucart.
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Il arrive que Stéphane Foucart, auteur d’une chronique hebdomadaire dans la rubrique Planète du Monde, prenne quelques libertés avec les faits. Ses récentes affirmations sur l’évolution de rendements du maïs transgéniques outre-Atlantique ont fait l’objet d’une réfutation par la lettre d’Agriculture et Environnement, publiée par Gil Rivière-Wekstein. Loin de reconnaître son erreur, qui aurait pu être mise sur le compte de la précipitation ou d’un biais de confirmation, Foucart a réagi sur Twitter d’une façon qui permet de douter de sa bonne foi.
Tout est parti d’un article de Stéphane Foucart dans le Monde du 28 octobre 2014. « Technologie n’est pas magie », nous rappelle justement le journaliste. Nous ne nous attarderons pas sur le commentaire du petit livre « vif, iconoclaste, et injustement négligé depuis sa parution en avril » dont il est question au début de sa chronique, mais sur l’exemple qu’il a choisi pour illustrer son propos :
« L’exemple des plantes génétiquement modifiées est à ce titre éloquent. Le sentiment que l’Europe a perdu gros avec son refus obstiné de ces cultures est si puissant que les apôtres de la transgénèse ne trouvent pas de mots assez durs. (..) Pour une culture comme le maïs, dont les rendements sont historiquement comparables des deux côtés de l’Atlantique, l’introduction, au milieu des années 1990, des variétés transgéniques aux États-Unis (insecticides et/ou tolérantes à un herbicide) n’a pas eu d’impact positif sur les quantités de pesticides utilisées, pas plus que sur les rendements – ceux-ci augmentent d’ailleurs plus vite en Europe de l’Ouest qu’en Amérique du Nord ! »
Bien que les transgènes introduits dans le maïs n’aient pas pour vocation première d’augmenter les rendements, cette allégation nous a paru surprenante, compte tenu des données dont nous disposions. Mais la manipulation des faits apparaît immédiatement lorsqu’on se penche sur le graphique fourni par Foucart à l’appui de cette allégation, reproduit ci-dessous (1ère figure ).
L’art foucardien de faire parler les courbes, décrypté dans Agriculture et Environnement
Il ne faut pas longtemps pour comprendre la méthode foucardienne. Ce graphique, extrait d’une étude d’un chercheur néo-zélandais(1), Jack Heinemann, a d’ailleurs été analysé et démystifié dans la lettre d’Agriculture et Environnement de décembre 2014 (2).
« (..) si la tendance calculée sur la période allant de 1960 à 2010 montre bien une croissance légèrement supérieure des rendements ouest-européens par rapport à ceux des États-Unis, c’est simplement parce que l’auteur a délibérément noyé les quinze dernières années de données postérieures à l’introduction des OGM (1996-2010) dans une série de cinquante observations.
La seule façon de vérifier les allégations du Pr Heineman consiste à diviser la série en deux périodes : avant et après l’introduction des OGM. C’est-à-dire avant et après 1996 (figure 2). Et là, les résultats sont effectivement « stupéfiants », pour reprendre les termes chers à Stéphane Foucart ! Obtenus par la même méthode de « régression linéaire », ils donnent pour la période 1960 à 1995 une progression de 1,4 q/ha par an pour l’Europe de l’Ouest, contre 1,1 q/ha pour les États-Unis. Incontestablement, l’Europe faisait mieux que les États-Unis. Or, la tendance s’inverse depuis 1996 ! La progression des rendements chute en effet en Europe de l’Ouest, avec seulement + 0,7q/ha par an en moyenne, contre +1,6 q/ha par an aux États-Unis. En clair, les gains de rendements sont divisés par deux en Europe, tandis qu’ils augmentent nettement aux États-Unis, dépassant les 1,4 q/ha que connaissait l’Europe avant 1996. »
En reprenant les données de la FAO utilisées par Heineman, on vérifie bien que depuis l’introduction du maïs transgénique , l’évolution tendancielle des rendements est nettement favorable aux USA (2ème figure): soit tout le contraire de ce qu’affirme Foucart, à la suite de Heineman ! Foucart aurait pu d’autant plus facilement se ranger aux conclusions d’A&E que l’article précisait de manière très honnête qu’« il serait tout aussi abusif d’imputer cette tendance aux seuls caractères génétiquement modifiés du maïs cultivé. La réalité́ est bien entendu plus complexe»
L’art foucardien de s’enfoncer un peu plus
Le journaliste scientifique du « journal de référence » aurait-il été victime du biais de confirmation, s’appuyant sur les données manipulées sans les vérifier par Heineman parce qu’elle confirmaient ses idées préconçues ? Il lui aurait suffi de reconnaître sa « précipitation » et de publier un correctif. Il s’en est pourtant abstenu…
Mais c’est surtout un échange sur Twitter qui nous en dit long sur l’état d’esprit de Foucart :
- Tweet d’un certain Yannick Nassol :
Pour nier une tendance, rien de tel que de la couper en rondelles. Climat, OGM, même combat : agriculture-environnement.fr/dossiers,1/agr… @AEGRW
cc @sfoucart - 19 janv.
Réponse de Foucart :
@factsory @AEGRW oui c'est trop drôle. il suffit d'ajouter 2011 et 2012 (données disponibles) pour détruire ce cherry picking pathétique.
Autrement dit, Foucart n’est pas capable de reconnaître une erreur pourtant évidente, et en rajoute au point de s’enfoncer un peu plus ! Accuser A&E de cherry picking, c’est d’ailleurs particulièrement risible de la part de quelqu’un qui n’y a vu que du feu à propos de l’étude de Séralini sur le maïs NK603 et le Round-Up (3).
Incompréhension réelle, ou mauvaise foi ?
Partant de données non falsifiées, il y a deux manières de tricher en science :
1) Faire du cherry picking, autrement dit sélectionner les éléments en fonction d’une conclusion préétablie et ignorer tous ceux qui vont à l’encontre de cette conclusion. C’est la méthode Séralini, et il n’y a évidemment rien de tout cela dans l’article d’A&E.
2) Ou au contraire diluer l’information pertinente, ici l’évolution des rendements avant et après l’introduction des cultures de maïs transgénique, pour cacher la conclusion dérangeante : accélération des rendements aux USA qui adoptent massivement les plantes génétiquement modifiées, ralentissement en Europe où ces culture restent très minoritaires. C’est la méthode Heinemann/Foucart.
Distinguer les deux sous-périodes, ce n’est pas faire du saucissonnage, c’est le B A-BA de la démarche scientifique qui semble échapper à Foucart : seule cette méthode permet de voir comme évolue un phénomène lorsqu’on fait varier le paramètre auquel on s’intéresse.
Mais la réponse de Foucart trahit davantage de la mauvaise foi qu’une réelle incompréhension de la démarche : « il suffit d'ajouter 2011 et 2012 (données disponibles) pour détruire ce cherry picking pathétique », nous dit-il. Si on comprend bien, soit on accepte les courbes de Heinemann sur 1961-2010, soit on peut « couper en rondelles », mais à condition de rajouter 2011 et 2012… Pathétique !
Or, si l’article d’A&E portait sur la période 1961-2010, c’est tout simplement parce que c’était la plage temporelle choisie par Heinemann et Foucart. Mais pourquoi ajouter simplement les données de 2011 et 2012, et pas celles de 2013, elles aussi disponibles sur le site de la FAO ? On a trop peur de comprendre : 2012 est une année catastrophique pour l’agriculture américaine, à cause d’une sécheresse exceptionnelle. Cela, Foucart le sait bien, car c’est écrit dans Le Monde, et lui même y a consacré un article (4). Du fait de cette sécheresse exceptionnelle, les rendements du maïs aux USA (77Q/ha) sont les plus bas enregistrés depuis l’introduction du maïs transgénique. Une aubaine pour Foucart ! Par contre, les rendements redeviennent normaux en 2013, donc il ne les prend pas en compte. N’est-ce pas justement cela, le cherry picking ?
Une tendance plombée par une année exceptionnellement mauvaise, les résultats restent néanmoins en faveur des USA
Nous avons vérifié en quoi la prise en compte des années 2011-2012, puis 2013, modifiait les tendances. Et en effet, les résultats catastrophiques de 2012, suffisent à eux seuls ramener l’évolution tendancielle des rendements aux USA à son niveau d’avant 1996. Rien d’étonnant, la baisse de 2012 représente la moitié de la variabilité annuelle cumulée de la période précédente. Pour autant, l’évolution des rendements reste favorable aux USA par rapport à l’Europe de l’Ouest (tableau).
Et ce n’est pas tout : en 2014, les rendements, données désormais disponibles sur le site de l’USDA (5) s’élèvent à 107 Q/ha ,soit le plus haut niveau de tous les temps. Bonne nouvelle pour les agriculteurs américains, mauvaise nouvelle pour Foucart, dont on attend les commentaires avec impatience.
Conclusion
Cette petite partie de ping-pong commence à nous plaire. Foucart renverra-t-il la balle ?
Dans cet article, nous ne prétendons tirer aucune conclusion définitive à partir d’une tendance observée sur deux décennies. Les constats que l’on peut faire sont forcément fragiles, comme le démontrent la prise en compte de deux ou trois années supplémentaires. Les mais génétiquement modifiés actuellement cultivés ne sont pas forcément mieux armés contre les aléas climatiques, car telle n’est pas leur vocation. En conséquence, quelques années successives de sécheresse suffiraient à annuler l’avantage du maïs transgénique cultivé outre Atlantique par rapport au maïs conventionnel de l’Europe de l’Ouest. La réponse à cela sera dans l’introduction de plantes résistantes à différents stress climatiques , qu’elles proviennent de l’amélioration variétale classique ou de la transgénèse.
Notre soucis était tout simplement de rétablir des faits maltraités par Stéphane Foucart. Cela n’est certes pas la première fois. Mais sa réaction sur Twitter semble malheureusement indiquer qu’il agit en toute connaissance de cause, et qu’il n’est pas près de changer de méthode. La légèreté est une chose, la mauvaise foi est bien pire.
Anton Suwalki
Notes :
- L’article de Heinemann et la fameuse courbe consultable en ligne : http://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/14735903.2013.806408 - .VL9yN2NlTe0
- article reproduit sur le site d’A&E:
- une étude au « protocole expérimental particulièrement ambitieux » estimait le journaliste
http://pm22100.net/docs/pdf/presse/02_LE_MONDE/130109_2012_annee_record_catas_aux_USA.pdf